Une stratégie innovante pour résoudri le conflit israélo-palestinien

Troy DAVIS

Président de l’association de soutien à l’Ecole de la démocratie et président de la World Citizen Foundation.

Février 2009

Merci de me donner la parole dans ce colloque qui réfléchit à la résolution des crises du Moyen-Orient. Je voudrais apporter un éclairage différent, inhabituel, sur ce sujet. Un éclairage qui provient d’une démarche plus objective et plus scien­tifique que ce à quoi nous sommes habitués dans la politique en général. Certains contesteront qu’il soit même possible d’appliquer une telle démarche en politique, mais je vous demande de retenir votre jugement jusqu’à la présentation des propo­sitions concrètes qui émanent de cette démarche. Je suis d’accord avec l’énoncé du but, la recherche d’une « paix juste et globale », mais pas avec les non-dits politiques et philosophiques qui sous-tendent les énoncés. Examinons les énoncés du collo­que et ce qui les sous-tend. Je cite :

– « La résolution des crises est un processus par lequel les Etats tentent de mettre en œuvre les moyens diplomatiques et non violents pour mettre fin aux antagonis­mes qui s’exercent et se multiplient. »

« Quel rôle doivent jouer les puissances internationales dans la région : celui du pacificateur ou celui du partenaire ? »

« Mais, par qui et comment la stabilité et l’équilibre, les deux éléments pri­mordiaux dans tout processus de résolution des crises, doivent s’établir au Grand Moyen-Orient ? »

La première phrase est exacte littéralement en tant que description empirique de la situation actuelle, mais elle donne malheureusement une impression normative, comme si elle définissait pour nous ce qu’est la « résolution des crises » plutôt que d’être purement descriptive. Pourquoi est-ce un problème ? Parce que si nous acceptons cette phrase comme définition de la « résolution des crises », cela restreint donc automatiquement les acteurs potentiels d’un processus de paix aux Etats. Et cela crée dans notre esprit une sorte de barrière à la considération d’autres modes de résolutions des crises, à la considération d’autres acteurs en tant qu’acteurs légitimes.

La deuxième phrase affine et renforce la première en accréditant l’idée qu’en plus des Etats directement concernés de la région, les seuls autres acteurs légitimes seraient les puissances internationales, et que de surcroît, les seuls rôles que l’on puisse imaginer pour eux sont les rôles de pacificateur (ce mot me fait immanqua­blement penser à une pacification par la force, donc pour moi immorale) ou de partenaire.

La troisième phrase en mettant l’accent sur la stabilité et l’équilibre, entérine une vision realpolitik du monde, une vision qui historiquement nous renvoie à l’époque de la Guerre froide, dans un monde soi-disant stable car équilibré entre 2 superpuissances, ou au XIX siècle, à l’équilibre des puissances que le « concert » des grands pays avait essayé de définir.

Donc les 3 phrases de manière très subtile entérinent une conception de l’ancien paradigme de l’ordre mondial, caractérisé par le concept fondamental que l’Etat-na-tion (et avant lui la monarchie absolue) est l’acteur fondamental (et le seul légitime) de la politique internationale, et que le principal sujet de cette politique internatio­nale consiste à trouver le « meilleur » équilibre entre diverses puissances. Dans ce nar­ratif, les crises (régulières et prévisibles) résultent de déséquilibres venant des efforts des uns ou des autres à étendre leur influence aux dépens de celles des voisins.

La seule chose « naturelle » ici est la conséquence de la nature humaine qui fait que les hommes et donc les Etats essayeront toujours de tirer la couverture à eux au détriment des autres. Mais ce qui est grave, c’est que ce narratif opère un glissement conceptuel en essayant d’étendre la vérité que les hommes se bagarrent et se bagar­reront toujours, au mythe que donc, il y aura toujours la guerre.

Ce mythe de la guerre comme faisant partie de l’ordre naturel du monde est notre pire ennemi, car il nous empêche de résoudre les problèmes en nous fermant l’esprit aux alternatives et aux solutions concrètes basées sur des paradigmes dif­férents. La logique nous enseigne que quand on fait une assertion, il suffit d’un seul contre-exemple pour la contredire. La construction de l’Europe est le contre-exemple de la règle qui voudrait que la guerre soit inéluctable, car l’unification de l’Europe s’est faite par une alternative à la guerre, alors que les tentatives précéden­tes depuis 2 millénaires s’étaient toutes faites par la guerre (César, Charlemagne, Napoléon, Hitler).

Mais qu’est ce qui a changé? Qu’a donc fait l’Europe pour rendre la guerre ob­solète? Elle n’a pas juste négocié un traité comme on l’avait fait depuis des siècles, elle a carrément changé l’ordre même des choses! Elle a changé le système. Pas encore totalement mais déjà suffisamment pour arriver au résultat le plus incroyable de l’Histoire: un espace politique qui grandit pacifiquement extraordinairement vite (à échelle historique) et à la porte duquel on se presse. L’Europe a réussi en interne à rendre obsolète l’invention politico-culturelle qu’est la guerre.

La réalité est que la guerre et que l’ordre politique ne sont pas deux choses indé­pendantes. Les guerres ne sont que les effets de certains ordres politiques (ceux où les Etats ont la priorité sur les Hommes).

Donc comme la guerre n’est qu’un épiphénomène de certains ordres politiques, il ne sert à rien de la combattre à l’intérieur de l’ordre politique qui la permet, il faut changer cet ordre politique. Je répète, c’est exactement la manière dont l’Europe s’est construit.

Citons les Mémoires de Jean Monnet pour décrire le nouveau système :

« créer progressivement entre les hommes le plus vaste intérêt commun géré par des institutions communes démocratiques auxquelles est déléguée la souveraineté nécessaire ». Cela veut dire donner la priorité aux Hommes plutôt qu’aux Etats, ce qui est logique puisque la souveraineté ultime repose dans le peuple. D’ailleurs cela ressemble étrangement au paradigme majoritairement utilisé dans la sphère nationale depuis le XXe siècle, et cela l’est. Le présupposé philosophique est l’idée que les êtres humains de différents espaces sont fondamentalement égaux en dignité (même si leurs droits différent encore). Le mouvement général de l’Histoire est que l’idée de l’égalité civique des hommes est institutionnalisée sur des espaces de plus en plus grands.

Je conclus cette première partie plus générale qui doit nous donner les clés des solutions au Moyen-Orient en récapitulant : la guerre est normale seulement dans l’ordre mondial existant, qui est le même depuis le début de l’histoire, et donc nous faisons l’erreur de croire que la guerre serait normale en général et serait éternelle. En réalité, pour se débarrasser de la guerre de manière durable, il faut changer le système même, l’ordre politique lui-même, l’architecture politique internationale, et il faut concevoir nos solutions d’après le paradigme basé sur l’humain, pas sur l’Etat. C’est comme cela que les Européens ont rendus la guerre obsolète dans un certain espace politique, qui ne recouvre pas nécessairement la géographie. Les récentes guerres de Yougoslavie démontrent que la guerre était déterminée par les frontières politiques et non géographiques puisque la Yougoslavie est européenne, mais ne faisait pas partie de l’Union Européenne.

Donc notre idée que la guerre est normale est la conséquence de l’idée que l’ordre mondial actuel est normal, dans le sens d’inéluctable et éternel. Notre conception de l’ordre international et notre état d’esprit n’ont pas vraiment progressé comparé à ceux des habitants de l’Antiquité ou du Moyen-âge qui pensaient que Dieu ou les Dieux et le Roi ou l’Empereur étaient les piliers éternels de l’ordre établi.

Mais nous n’avons pas leur excuse car nous, nous savons que Dieu et le Roi ne sont pas les piliers éternels de l’ordre politique, et notre technologie est hyper-déve-loppée. De plus, nous acceptons au plan national le nouveau paradigme humaniste et démocratique, basé sur le contraire des principes du vieux paradigme incarné par Dieu et le Roi.

Donc notre schizophrénie politique (acceptation au plan national du nouveau paradigme mais acceptation au plan international de l’ancien paradigme) démontre la force du conditionnement psychologique qui domine encore le monde. Tout cela est contenu dans les phrases de départ de ce colloque, et c’est ce qui nous em­pêche de résoudre les conflits au Moyen-Orient de manière durable.

Notre ennemi est l’idée que l’ordre du monde qui est une loi de la jungle un peu améliorée est une Loi de la Nature, et que donc cette loi ne peut être modifiée.

J’appliquerais maintenant ces enseignements concrètement à la résolution du conflit israélo-palestinien, car la résolution de ce conflit changerait radicalement la dynamique de presque tous les autres conflits dans la région (et même d’autres conflits ailleurs).

Je donnerais tout de suite mes conclusions et j’expliquerais comment j’y suis arrivé: ma proposition est que l’accord de paix le plus robuste sera celui qui sera né­gocié par un processus démocratique où les représentants des 2 peuples négocieront directement et pendant le temps qu’il faudra, dans ce que j’appelle un processus psy­cho- politique, car les 2 peuples sont littéralement traumatisés, et donc pour accepter un accord, le processus même devrait opérer une catharsis collective des 2 peuples.

Revenons à la leçon précédente: la guerre en Europe fut surmontée en appli­quant un nouveau paradigme, un paradigme dont la base philosophique est l’égalité des personnes. Comment appliquer ce paradigme en Israël et en Palestine? Tout d’abord, posons-nous la question de savoir pourquoi toutes les tentatives d’accord de paix, 17 depuis 1948, ont échoués? La raison que l’on donne la plus part du temps (à part les désaccords évidents de fond) est le manque de « volonté politique ». Ceci est vrai mais il n’est pas utile de s’appesantir là-dessus, car cela relève du vieux paradigme, qui puisqu’il est basé sur l’arbitraire (puisque la souveraineté de Dieu et des Rois sont arbitraires) est aussi le paradigme de la « pensée magique ». La pensée magique est le contraire d’une démarche scientifique, elle consiste à croire que le seul fait de la parole suffit à changer la réalité. Evidemment toute négociation est basée sur la parole mais ne faire que parler ne suffit pas. C’est pour cela que les résultats de la diplomatie sont tellement incertains, car la diplomatie ne repose ni sur des principes éthiques ni transparents.

La diplomatie est une sorte de méthode Coué, qui est utile à certains stade des négociations mais qui devraient ensuite laisser la place à un processus plus « avancé » en terme de « technologie politique ». Cette nouvelle technologie est celle basée sur les principes démocratiques.

En quelque sorte, la démocratie elle-même est une « haute technologie politi­que » qui succède historiquement à la diplomatie qui est une technologie politique archaïque. Mais comme souvent dans l’histoire des technologies, une nouvelle technologie ne détruit pas totalement l’ancienne. La radio n’a pas tué les journaux, la télé n’a pas détruit la radio, l’internet n’a pas détruit la télé. Chacune trouve son utilité. Ce qui est extraordinaire en politique, c’est que le monde n’a pas en­core compris que la technique de communication politique communément appelée « diplomatie » a toujours une exclusivité absolue au plan mondial (et international sauf en Europe). Le fait que la diplomatie en tant qu’idée exerce une telle tyrannie sur nos pensées, qu’elle est presque une religion (la plus ancienne du monde) avec ses dogmes, ses prêtres, nous empêche de voir ce qui est évident, que la méthode démocratique, la méthode de ce nouveau paradigme, est beaucoup plus efficace. Ce qui est difficile est de trouver la forme de la solution optimale dans chaque cas particulier.

Dans le cas qui nous préoccupe, comment faire? D’ailleurs, si nous adoptons une attitude scientifique, nous devrions définir notre but.

Rien que cet exercice bien sûr est sujet à controverse mais faisons le quand même. Je définis notre but : arriver à une solution politique légitime et stable pour que les 2 peuples, Israéliens et Palestiniens, puissent vivre en liberté, sécurité et prospérité.

Deuxièmement, un diagnostic. Revenons à la question précédente, pourquoi est ce que toutes les tentatives de paix ont-elles échoué jusqu’à présent? Tout sim­plement parce qu’aucune des solutions proposées n’a pu recueillir suffisamment de soutien auprès des 2 peuples, donc les contestations qu’elles ont provoquées ont été amplifiées. Mais soyons plus précis, que veut dire « suffisamment »?

Dans un pays démocratique, disons que 65% de la population accepterait une décision politique, serait-ce suffisant? Evidemment. Pourtant des sondages ont montrés que la solution de 2 états indépendants et démocratiques avec des échan­ges de territoires à négocier bénéficient d’une majorité de 70% dans les 2 pays. Pourtant donc encore des conflits? Israël et la Palestine ne sont pas une seule entité politique, donc même une majorité de 70% des habitants des 2 pays ne comptent pas, et les extrémistes des deux bords tiennent le reste des habitants en otages.

Au-delà des influences extérieures négatives (les uns parleront des USA, les autres de l’Iran etc.), l’important est d’avoir un accord local fort. Suffisament fort qu’aucune n’influence extérieure ne puisse le faire capoter.

Mon opinion est qu’étant donné les circonstances très négatives, il sera quasi­ment impossible d’aboutir à un accord de paix « robuste » et stable, ainsi que juste, s’il n’était pas négocié de manière démocratique. Voici pourquoi: les influences extérieures sont fortes des 2 côtés, et ces influences extérieures, même si on acceptait la supposition que certaines viendraient de bonnes intentions, ne vont pas néces­sairement dans la direction d’un accord profond entre les 2 peuples. Il est facile de voir que les malheurs des 2 côtés ont été instrumentalisés par des forces extérieures pour diverses raisons.

Il n’y a pas, et cela a été mainte fois regretté, des personnalités politiques fortes, tel que Nelson Mandela en Afrique du Sud, qui puissent convaincre leur peuple des compromis nécessaires, du moins pas en même temps des 2 côtés. Certains ont dit que Yitzak Rabin ou que l’un des Barghouti (Marwan ou Mustafa) aurait pu être une telle personne. Les minorités extrémistes de chaque côté sont extrêmement idéologique, certaines jusqu’au fanatisme religieux, et donc beaucoup plus puissan­tes dans ce conflit que dans beaucoup d’autres.

C’est pour cela que la technique traditionnelle de la diplomatie, inventée pen­dant une ère d’autocratie absolue, et donc divorcée de la réalité populaire et de la volonté du peuple, ne marche pas bien. Car les solutions de la diplomatie sont pré­caires pour la simple raison qu’elles sont négociées par un petit groupe, et qu’il est donc facile de contester leurs légitimités. D’autre part, le processus secret de négo­ciations diplomatiques empêche la nécessaire guérison et réconciliation des peuples. Idéalement, une résolution de conflit devrait être accompagnée par un processus « psycho-politique » pour guérir les profondes blessures psychiques des gens.

Comment faire ici ? Beaucoup de personnes promeuvent ce qu’ils appellent la « diplomatie de Type II », c’est-à-dire faire se rencontrer des gens ordinaires, des civils, tels que des jeunes, des footballeurs, ou des médecins, des musiciens ou des associations etc. L’espoir (touchant et naïf) est que par une sorte de magie, cela créera des liens qui mèneront à la paix. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ces gens qui de manière évidente acceptent le paradigme démocratique, et à leur manière l’utilisent et le défendent, ne le prônent pas dans le domaine de la vraie politique! Qu’importe. C’est leur cécité psychologique et leur naïveté politi­que. Que serait un vrai processus de paix démocratique?

La méthode de l’ingénierie démocratique utilise la technique des expériences de pensée puisqu’il est impossible de tester dans un laboratoire des hypothèses de réso­lution de conflit impliquant des millions de personnes. Donc imaginons d’abord l’idéal, que ferions- nous si nous étions Dieu et devions concevoir un processus de paix idéal? Si nous acceptons que le meilleur processus est celui qui doit recueillir l’adhésion maximale des 2 peuples, un principe psychologique de base nous dit que les parties concernées doivent négocier elle-même. Ce qui en passant veut dire qu’une solution négociée ou imposée de l’extérieur est vouée à l’échec. Cette conclusion est prouvée empiriquement par le navrant échec de la « feuille de route » du Quartet, qui devrait plus précisément être appelé la « feuille de rêve ». Et contre toute rationalité, les diplomates s’y accrochent, car malgré le fait qu’ils soient très intelligents, ils sont prisonniers de leur paradigme de pensée multi- millénaires, et sont obligés de faire semblant de croire à ce à quoi on ne peut plus croire.

Revenons au processus idéal, si on veut une adhésion maximale, il faudrait une participation maximale, donc dans l’absolu, si nous étions Dieu, nous créerions un processus de négociation dans lequel les 10 millions d’habitants siègeraient dans une grande salle de négociation, on leur donnerait tout ce dont ils auraient besoin (accès à tous les experts, toutes les archives, tous les médiateurs etc.), on fermerait la porte et on ne les laisserait pas ressortir avant qu’ils ne signent un traité de paix. Cela prendrait certainement du temps mais au final, même si le résultat serait évi­demment un compromis, le fait que cela ait été négocié, que tous ait été entendu, aurait été le meilleur compromis possible. Alors comment traduire dans la réalité ce processus idéal mais impossible ?

Si on ne peut avoir les 2 peuples négociant directement, comment faire pour qu’ils le fassent en quelque sorte par proxy? par procuration ?

Autrement comment le faire par « représentation » ? Quand on se pose la ques­tion sans préjugés, le genre de préjugés qu’on apprend dans les facultés de sciences politiques et les instituts de relations internationales, etc., la réponse jaillit de ma­nière évidente. Je vous pose la question: quelle institution représente politique­ment le peuple dans n’importe quel pays? Evidemment le parlement! C’est non seulement son travail, c’est même son nom! On appelle souvent le parlement la représentation du peuple, et les parlementaires les représentants du peuple. Aux Etats-Unis, l’une des deux chambres du Parlement est la Maison des Représentants. Donc pas besoin de chercher midi à 14 h pour trouver les représentants politiques du peuple, ce sont par définition les parlementaires.

Dans notre cas, où cela nous-amène-t-il ? Je donnerais la « première version » du processus de paix démocratique, la plus simple, puis comment on pourrait l’amélio­rer, puis nous finirons en mentionnant quelques complications propres au fait que la Palestine n’est pas un Etat et que les 2 peuples ont des diasporas étendues.

La version la plus simple du processus de paix démocratique est une négociation par une conférence de paix dont les participants sont les parlementaires des 2 pays. La conférence de facto est une assemblée binationale de paix, et elle préfigure ce qui à l’avenir pourrait devenir l’équivalent du Parlement Européen pour cette région qui en a bien besoin.

La conférence est ouverte aux médias et réalistement, on peut imaginer qu’il y ait des milliers de journalistes du monde entier qui couvrirait cette première de l’Histoire, une négociation démocratique d’un des problèmes les plus difficiles.

 

Pourquoi l’ouvrir aux médias? Pour 2 raisons, premièrement, n’oublions pas ce que nous essayons de faire, de concevoir un processus qui se rapproche le plus possible de l’idéal où les 2 peuples tout entier négocieraient directement. Si nous avons quelques centaines de parlementaires, cela est mieux que quelques diplomates, mais si ces parlementaires négocient en public, cela veut dire que le reste de la population peut suivre en direct les négociations à la télé ou la radio.

Deuxièmement, n’oublions pas que ce conflit intéresse des centaines de millions de gens directement à travers le monde, surtout des musulmans, mais aussi des per­sonnes dans le monde entier, qui en ont marre de ce conflit qui empoisonne tant le monde. On peut remarquer que montrer en direct quelques centaines de juifs et arabes, chrétiens, musulmans et hébreux, parler directement de tous les sujets qui fâchent, fera plus pour la démocratie dans la région que n’importe quelles pres­sions ou guerres. Même si des régimes autoritaires voulaient cacher à leur peuple cette extraordinaire leçon de démocratie, ils auraient du mal à le faire à l’heure du satellite et de l’internet. Au début, je n’avais pas pensé à cet effet secondaire, mais les solutions dérivées de l’ingénierie démocratique sont souvent comme cela, elles ont des effets positifs au-delà de l’impact direct pour lequel elles sont conçues, ce qui prouve que la théorie de l’ingénierie démocratique est une théorie « robuste » du point de vue scientifique.

Evidemment, il y aura beaucoup de négociations en privé, dans les couloirs, dans les bars, aux restaurants, etc. Mais rien ne sera officiel si cela n’est pas dit dans la conférence même. Donc ouvrir la conférence aux médias crée la confiance, et permets aux 10 millions d’habitants qui regardent de participer, et de créer à l’échelle de 2 pays une sorte de catharsis collective, qui est la condition de la réduc­tion de la souffrance du traumatisme des 2 peuples. Il y a tant de haine et tant de méfiance, jusqu’à la déshumanisation de l’autre, qu’il est nécessaire de rendre l’Autre humain. Quelle durée donner à cette conférence démocratique ? Les conférences traditionnelles de paix qui ne durent que quelques jours sont trop courtes. La conférence que les Allemands ont organisé pour les Afghans à Bad Godesberg pour préparer la réconciliation après la chute des Talibans ne dura ne quelques jours, et le gouvernement qui en ressort n’eut pas la robustesse nécessaire. Les conférences de Madrid et d’Oslo furent très rapide aussi. Mais notre conférence est une sorte de psychothérapie politique collective et une psychothérapie n’est pas de la magie, et ne marche pas instantanément. Mais on peut non plus imaginer une conférence à durée infinie. Donc disons au départ de un à 3 mois. Cela peut sembler long mais c’est court comparé aux enjeux.

Il faut aussi imaginer très pragmatiquement le déroulement de cette conférence sur notre écran mental. La première semaine sera probablement dédiée à l’éla­boration des structures et règles internes de l’assemblée, à l’élection des co-prési­dents, un pour chaque côté, des vice-présidents et du Bureau, des Commissions, des Présidents et vice-présidents des Commission, d’assigner les membres, etc. Tous les membres de l’Assemblée seront membres d’au moins une commission et sup­pléant d’un autre membre. Ensuite les Commissions travailleront sur tous les su­jets, on peut imaginer des Commissions pour l’Eau et l’Environnement, pour les Réfugiés, pour les Frontières, pour le Développement Economique, etc. Toutes ces Commissions occuperont les gens de manière pragmatique, et ce pragmatisme donnera un espoir concret. Evidemment les résultats de certaines commissions dépendront des résultats d’autres, mais tout le travail sera utile, car il montrera des scénarios, et le processus même

Comment financer la conférence ? Je pense que c’est à nous de le faire, la com­munauté internationale. Car cette conférence sera déjà suffisament dure psycho­logiquement pour les 2 parties, et il ne faut surtout pas qu’elles se disent qu’elles doivent écourter les choses car cela est trop chère. Que la conférence coûte 100 ou 200 millions d’Euros, ou même un milliard, cela vaudrait la peine. Elle coûtera beaucoup moins chère, même avec la sécurité, la traduction, le centre de médias, et tout le caviar et le champagne qui coulerait à flot !

Si on dit que ce n’est pas à nous de payer pour résoudre leurs problèmes, soyons honnêtes et sérieux, nous payons déjà directement pour l’inaptitude et l’incapacité des Is-Pal (comme je les appelle pour faire court) à résoudre leurs problèmes, par exemple en payant pour des infrastructures chez les Palestiniens détruites ensuite par les Israéliens, mais surtout par les conséquences atroces pour la politique mon­diale. Si demain Israël attaquait l’Iran, ne payerions- nous pas un prix astrono­mique. Mais Israël n’attaquera pas l’Iran si elle signe un traité de paix avec les Palestiniens, pour des raisons évidentes. De plus, la politique officielle de l’Iran est que si les Palestiniens signent un traité de leur plein gré, l’Iran l’acceptera.

Et si un traité est signé, tous les pays Arabes feront la paix aussi.

On voit mal comment Israël et l’Iran entrerait en conflit si la paix était déclarée avec les Palestiniens et tous les Arabes.

Et la communauté internationale, ou l’Europe toute seule si les USA était trop lâche pour le faire, devrait imposer la participation des 2 parties à cette conférence démocratique, en menaçant de couper tout lien politique et diplomatique si les uns ou les autres refusent de participer. Est-ce légitime ? Evidemment, car c’est moins intrusif que ce qu’on fait avec la « feuille de route », qui impose une solution absurdement détaillée ! Nous n’imposerions rien du tout, sauf la participation à l’Assemblée démocratique, et la négociation en bonne foi. Puisque nous paierons et garantirions la sécurité, car on ne peut imaginer que des policiers de l’une ou de l’autre partie soit responsable de la sécurité, du moins pas tout seul, nous serions sur place et cette simple présence responsabiliserait les participants, qui auraient moins tendance à mentir. La présence des médias du monde entier aura aussi un effet calmant.

Donc si des diplomates objectaient que nous n’avons pas le droit d’imposer aux Is-Pal de s’asseoir à la table de la négociation, ce serait une incroyable hypocrisie ! Par contre, nous devons respecter la liberté des Is-Pal de décider pour eux-mêmes leur traité de paix.

Nous devons les forcer à négocier, sans leur donner la solution.

Aujourd’hui le Quartet fait le contraire, il donne une solution, mais sans forcer son application ! Donc la diplomatie mène à l’absurdité et au monde à l’envers.

Cela a toujours été bizarre pour moi, les grandes puissances sont prêtes à impo­ser leur propre solution, une « feuille de route », mais ne sont pas prêtes à imposer une négociation.

Considérons maintenant les participants même. Dans la version la plus simple, on ne prends que les parlementaires, mais on peut affiner. La Knesset (120) et le Conseil Législatif Palestinien (132) n’ont pas le même nombre de membres, il faut donc trouver une solution. On pourrait inclure aussi le gouvernement de chaque côté, ce qui est raisonnable car l’exécutif est responsable traditionnellement de la di­plomatie, et cela serait un trop gros choc de les exclure. De plus, ce sont des régimes parlementaires donc les gouvernements proviennent des parlements.

Imaginons grosso modo que chaque côté ait 150 politiciens nationaux. Cela fait une assemblée de 300 membres, ce qui est tout à fait gérable. Mais une deuxième version inclurait par exemple des politiciens locaux de chaque côté. Imaginons l’ajout de Maires de grandes villes, etc. pour arriver à 350 membres au total. Voilà donc la version 2.0 de notre assemblée démocratique. Mais on peut aller encore plus loin, et reprendre la fameuse diplomatie de Type II, et inclure des représentants de la société civile. Pourquoi pas rajouter 50 ou 75 représentants civils, des entreprises ou syndicats (les Secrétaires Généraux de Histradut et de la Confédération Générale des Syndicats Palestiniens), des religieux de toutes les confessions, de demander aux acteurs, médecins, présidents d’universités, avocats, philosophes, historiens, socio­logues, musiciens, athlètes, etc. de chacun élire un représentant de chaque bord ? Et qu’ils aient exactement les mêmes droits dans l’assemblée que les politiciens. Je ne parlerais pas pour des raisons de temps des complications possibles, sauf pour dire que les Palestiniens ont plusieurs structures semi-étatiques, pour des raisons historiques, et donc il faut les prendre en compte. Et qu’il faudrait peut-être gar­der des places à l’Assemblée pour des représentants des diasporas. On peut aussi imaginer que les 2 peuples élisent au même moment des nouveaux représentants à cette assemblée ainsi que chaque « collège » de la société civile. Cela aurait valeur de symbole. Bref, vous voyez qu’on peut se poser beaucoup de questions.

C’est la version 3.0 de cette proposition. Evidemment, il y aurait beaucoup de détails et de complications à réaliser cette idée, mais vous avez compris le principe de base: dans un monde de plus en plus connecté, de plus en plus démocratique, de plus en plus transparent, le paradigme des négociations secrètes ne fonctionne plus. Une Assemblée démocratique qui négocie une paix internationale est une ré­volution mentale et politique, mais c’est une idée à la fois éthique et pragmatique. D’ailleurs c’est bizarre, les réactions négatives tombent surtout dans 2 catégories, ceux qui croient encore à la culture de la diplomatie ou du secret, les élitistes po­litiques, ou ceux qui sont émotionnellement investis dans le conflit, qui réalisent dans leur tripes la puissance de cette idée, et qu’elle pourrait vraiment changer les choses, et donc ils paniquent presque à l’idée que ce conflit qui a défini leur vie, qui a souvent donné un sens à leur existence de leur militant, qui leur a permis d’exister, et qui est une sorte de batterie d’énergie négative, pourrait disparaître dans une nor­malité bourgeoise. Que ferait-il s’il y avait la paix au Moyen-Orient ? Comme si ce conflit était une excuse parfaite pour ne pas confronter leurs propres problèmes. Cela montre aussi que beaucoup de problèmes politiques ne sont pas résolus pour des raisons psychologiques, et que les humains ne sont pas rationnels.

Malheureusement les diplomates ne considèrent pas assez la dimension irration­nelle et psychique des hommes. Mais j’espère au contraire que vous soutiendrez cette idée, que vous en parlerez autour de vous et que vous nous aiderez à l’amé­liorer.

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