Interventions internationales et montée du terrorisme

Anne GIUDICELLI

Interventions internationales et montée du terrorisme

Présidente de TERRORISC, auteur de « Le risque antiterroriste (Seuil, 2007).

Février 2008

Mon intervention se concentre sur le terrorisme international-plus spé­cifiquement celui attribué aux réseaux d’Al-Qaïda, et son interaction avec les crises en Orient. Je vais donc m’intéresser à l’évolution de cette « organisation » qui a à la fois suivi les crises dans la région – en en étant une expression – mais aussi contribué à les faire naitre ou à les exacerber. Elle figure désormais comme une partie incon­tournable de cet ensemble géostratégique.

Je ferai donc un déroulé depuis la guerre en Irak de 1991 jusqu’à aujourd’hui (Irak, Afghanistan, Arabie Saoudite, Liban, mais aussi Maghreb, en passant par ses actions en Europe) de son évolution au sein de ces conflits, en mettant en lumière la totale prise en compte et compréhension par ses idéologues précisément des enjeux internationaux qui déterminent ces crises (guerres, tensions diplomatiques, intérêts économiques).

Je décrirai « sa » lecture géostratégique des crises et la stratégie d’action qu’elle met en œuvre pour devenir cet acteur incontournable. En parallèle, j’évoquerai les répon­ses apportées par les autres acteurs (Etats, opinions, communauté internationale).

Le point de vue occidental consiste à dire : nous répondons à l’agression (ter­rorisme). Ce discours est en totale symétrie avec celui d’Al Qaïda : « l’islam est attaqué, nous n’attaquons pas, nous le défendons ».

Plutôt que de voir l’émergence et la montée en puissance du terrorisme comme une évolution interne aux réseaux dits d’Al Qaïda , mon approche consiste à l’expli­quer dans l’interaction avec les dites « réponses » apportées à « l’agression » par les puissances occidentales, soit par une intervention et/ ou présence militaire, soit par la pression exercée sur les dirigeants de la région, soit encore par leurs dispositifs de lutte anti-terroriste à l’intérieur de leur propre territoire (homeland security).

Le programme de « lutte internationale contre le terrorisme » initié par Bush au lendemain des attentats du 11/09 comprend deux formes, qui sont aussi deux le­viers: l’intervention militaire et son utilisation comme instrument de pression sur les régimes locaux pour adopter un système de démocratie à l’occidental (Confer le projet de « Grand Moyen Orient »). « Etre avec moi ou contre moi » en est le concept.

Dans les deux cas, cette doctrine a contribué à la montée en puissance de la mouvance radicale violente, inspirée par Al Qaïda. Toute intervention, légitimée ou pas par les Nations Unies, est considérée comme une nouvelle occupation. Ce pro­gramme a par ailleurs représenté une aubaine pour les régimes de la région : pour « rester dans le bon camp » ; pour faire la chasse à leurs opposants. Cet épisode a révélé la faiblesse autant que la dépendance des régimes à la « grande puissance » américaine, ce qui a accru la validité de l’argumentaire Al-Qaïda dans certaines franges des sociétés de la région.

Cette montée en puissance se fait en plusieurs phases et est à chaque étape une adaptation/ réaction à « l’agression ».

I – De la guerre du Golfe à l’intervention en Afghanistan de 2001

Cette idéologie est au-départ anti-américaine et anti-juive & israélienne, dans la foulée de la guerre du golfe de 1992. Son objectif fédérateur est de faire sortir les forces américaines des terres musulmanes. En 1998, Oussama Ben Laden créée le « Front islamique mondial contre les juifs et les croisés ». Premiers attentats en Afrique et en Arabie Saoudite, jusqu’à ceux de septembre 2001. C’est une idéologie qui fonctionne en symétrie. Sa logique est défensive, et s’appuie sur les contradic­tions occidentales (démocratie et méthodes). L’une (l’idéologie de Ben Laden) sans l’autre (la doctrine selon Bush) n’aurait pu se développer.

Interventions internationales et montée du terrorisme

Sa stratégie de cibles et d’action vont être profondément modifiée par l’inter­vention internationale en Afghanistan. Si l’Afghanistan offrait un sanctuaire aux militants de cette idéologie (formation, connections relationnelles, échanges d’ex­périence), la campagne a éclaté la matrice avec deux effets : le retour aux pays d’origine des membres de ce réseau ; le retour et/ ou le repli sur des pays d’asile, le plus souvent européens.

II – L’intervention en Irak, ou la phase « 2 » du programme « lutte contre le terrorisme »

Ce nouveau volet de « la guerre contre la terreur » initiée par l’administration Bush a joué comme un nouveau levier de mobilisation « consensuel » pour cette idéologie. A la faveur de cette nouvelle « occupation/ agression », la matrice se re­constitue progressivement. Là, s’expérimentent de nouveaux modes opératoires et la stratégie d’action connaît de nouvelles évolutions : l’élargissement des cibles (la chaine de responsabilité, qui incrimine l’allié de l’ennemi, y compris le civil musul­man). Cette nouvelle stratégie intègre désormais l’Europe. Où sont déjà présents des réseaux dormants.

Car l’Amérique s’est barricadée, bunkérisée (Patriot act). La « cible de choix » est de plus en plus difficile à atteindre… mais chez elle. Car hors de ce périmètre, elle reste visée : là où intervient son armée, en Irak, en Afghanistan, mais aussi à travers ses alliés européens, qui soutiennent ou accompagne sa politique. Cette « bunkerisation » domestique a généré une illusion : la sanctuarisation du terri­toire américain, comme garantie de la sécurité des Etats Unis; et un effet pervers : le recentrage sur des cibles alternatives. Avec son lot de « charges » et son espace Schengen, l’Europe peut donc constituer un objectif stratégique, par défaut.

Cet élargissement sur l’Europe a favorisé une nouvelle forme de terrorisme, appelée « homegrown terrorism », c’est-à-dire domestique ou local. Soit la cellule est déjà sur place, mais non nationale : c’est le cas pour les attentats de Madrid en mars 2004 ; soit elle est constituée de nationaux, d’origine étrangère ou pas, mais possédant la nationalité du pays : ce sont les attentats de Londres en juillet 2005.

Car les pays européens ont également renforcé leurs dispositifs législatifs et po­liciers et durci leur politique sécuritaire, notamment sur ses frontières. L’envoi « à l’ancienne » de commandos venant de l’étranger est devenu plus risqué. Dès lors, pour servir ses nouveaux objectifs sur l’Europe, les réseaux extrémistes ont lancé une propagande offensive et leur stratégie de recrutement spécifique cible parti­culièrement les nationaux et les jeunes vivants dans ces espaces. Les « produits » spécifiques qui leur sont adressés via notamment le net, en pleine expansion depuis la guerre en Irak, sont désormais traduits en anglais et dans d’autres langues euro­péennes, et un porte-parole occidental dédié, un Américain converti.

L’argumentaire développé s’articule autour d’une réalité dénoncée, à la lumière de l’actualité internationale: le mensonge occidental, le leurre démocratique, le terrorisme des valeurs chrétiennes, dont le meurtre de civils, les humiliations, le racisme, Guantanamo, Abou Ghreib, en sont encore l’illustration. Il travaille la fibre identitaire musulmane pour actionner un sentiment de culpabilité – « je vis et porte la nationalité d’un pays qui combat et tue des musulmans, je suis donc complice » – en s’appuyant sur le sentiment grandissant de réprobation quant la politique étrangère de ces pays vis à vis des pays arabes et musulmans.

Tablant sur la perception vécue comme discriminatoire et stigmatisante des mu­sulmans occidentaux post 11 septembre, cette stratégie vise à créer des résonances entre l’injustice et la souffrance vécues par les musulmans dans les guerres et celles que peuvent vivre les musulmans vivant « chez l’ennemi ».

En parallèle, une logique d’unification par blocs régionaux de groupes locaux s’inspirant de l’idéologie Al-Qaïda s’est progressivement mise en place – en miroir de la formation de coalitions internationales. L’objectif visé par les idéologues de l’organisation est de fédérer autour d’un groupe leader des constellations de micro­groupes, concentrés sur des fronts régionaux définis. C’est le cas notamment du groupe algérien GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat », devenu en 2007 Al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique (AQMI), investi en sep­tembre 2006 de la mission de mener le combat sur le Maghreb d’une part, et de menacer les pays européens voisins.

III – Reconstitution d’un nouveau foyer fort de l’ensemble des expériences précédentes (l’Irak, le développement de l’idéologie en Europe et dans la région MO) et d’une nouvelle matrice dans les régions frontalières tribales afghano-pakistanaises.

L’Afghanistan a bénéficié de l’expérience irakienne. Les réseaux présents sur pla­ce se sont inspirés des évolutions générées par le cas unique que représente l’Irak : une terre occupée par l’ennemi premier à l’origine de l’ensemble des fronts mobilisant la mouvance.

Le désengagement (départ) progressif des forces étrangères en Irak, justifié par « l’amélioration » de la sécurité en Irak, a permis aux Etats-Unis d’opérer un transfert d’une partie de leurs troupes sur l’Afghanistan d’une part, et de demander un renforcement de la présence de ses alliés d’autre part. Et plus de forces étrangères à combattre, signifie plus d’enseignements opérationnels à engran­ger pour les réseaux Taliban et pro-Al Qaïda.

 

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