Le système politique algérien face au soulèvement populaire

Téléchargez l’article au format PDF

Madjid Benchikh

Professeur émérite de l’Université de Cergy-Pontoise (Paris Val d’Oise) et ancien Doyen de la Faculté de droit d’Alger


Le système politique algérien a été secoué par de nombreuses crises mais la contestation du système lui-même depuis février 2019 possède des caractéristiques qui en font un mouvement politique particulier. Le système politique mis en place par le Commandement militaire était celui du parti unique conforté par un certain nombre de relais dans la société. C’est ce fonctionnement des institutions au service du « pouvoir réel » qui a été fondamentalement remis en cause par le mouvement populaire de février 2019 dont l’ampleur est exceptionnelle et qui constitue les prémisses de la construction démocratique.

The Algerian political system has been shaken by many crises, but the challenge to the system itself since February 2019 has characteristics that make it a particular political movement. The political system put in place by the military command was that of the single party, supported by a number of relays in society. It is this functioning of the institutions at the service of ‘real power’ that has been fundamentally challenged by the popular movement of February 2019, the scale of which is exceptional and which constitutes the premises of democratic construction.


Le système politique qui régit actuellement les institutions et la vie politique en Algérie a été mis en place au lendemain de l’indépendance du pays en juillet 1962. Il a depuis été l’objet de plusieurs transformations constitutionnelles, passant par exemple du parti unique et d’une seule assemblée parlementaire aux termes des constitutions de 1963 et 1976, au multipartisme et au bicaméralisme aux termes de la constitution de 1989 et des constitutions suivantes.

Ce système a été marqué par plusieurs crises politiques importantes depuis 1962. Il suffit de rappeler les coups d’État et les coups de force pour éliminer des chefs d’État et en introniser d’autres. On ne citera que quelques exemples parmi les plus connus : le coup d’État du 19 juin 1965 qui écarte le chef de l’État Ahmed Ben Bella, la démission forcée du Président Chadli Bendjedid, le 11 janvier 1992, et dans ce contexte la mise en place anticonstitutionnelle du Haut Comité d’État (HCE) et consécutivement, l’intronisation inopinée de Mohamed Boudiaf, jusque-là exilé au Maroc. De Ben Bella choisi par l’armée dite des frontières puis élu Président de la République dans le cadre du parti unique en 1963 à Bouteflika candidat appuyé en 1999 par le Commandement militaire qui le force cependant à la démission en avril 2019, en terminant par l’actuel chef de l’État, ostensiblement soutenu par le même Commandement et élu lors d’une élection présidentielle boycottée par une large majorité du corps électoral.

En fait, bien d’autres crises, plus ou moins connues, ont secoué le système politique algérien depuis son installation en 1962. En 1967 le chef d’état-major de l’ANP (Armée nationale populaire) le Colonel Tahar Zbiri a tenté d’entrainer une partie de l’armée dans un coup d’État avorté contre le colonel Boumediene, devenu chef de l’État en 1965 après avoir évincé Ben Bella. En 1974, le Ministre de l’intérieur, Ahmed Medeghri « se suicide » après avoir échoué avec d’autres dans sa contestation des pouvoirs du colonel Boumediene qu’il estimait trop étendus. En octobre 1988, le passage du système du parti unique à une forme de multipartisme n’a été réalisé qu’au prix de multiples heurts et éliminations au sein même du système. C’est contre ce système que, à partir de février 2019, une grande partie du peuple algérien a organisé de larges manifestations qui ont embrassé l’ensemble du territoire national.

Comment caractériser cette contestation populaire et pourquoi la démission du chef de l’État souhaitée par de nombreux manifestants a été insuffisante pour mettre fin au mouvement populaire ?

Pourquoi ce mouvement indique clairement que sa revendication principale est la mise en place d’un système politique démocratique civile et non militaire alors que, depuis au moins deux décennies, le parti unique a été aboli, les libertés démocratiques reconnues par l’adoption de principes et de règles constitutionnelles libérales et le chef de l’État et les présidents des chambres du Parlement sont des personnalités civiles et non militaires. Pour répondre à ces questions et comprendre les revendications du mouvement populaire algérien, il est nécessaire d’examiner le système politique algérien non seulement à partir des institutions mises en place par les constitutions et des discours officiels des gouvernants mais aussi à partir des pratiques effectivement mises en œuvre sur les scènes politiques, économiques et sociales. Nous examinerons donc dans un premier point les caractères fondamentaux du système politique algérien. Nous tenterons ensuite dans un 2e point d’analyser la contestation de ce système par le mouvement populaire.

[…]

Téléchargez l’article au format PDF

Article précédent60 ans d’indépendance en Algérie la « puissance » de l’habitus politique
Article suivantLa stratégie algérienne d’indépendance : la « révolution armée » et la « révolution diplomatique »

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.