60 ans d’indépendance en Algérie la « puissance » de l’habitus politique

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Mohamed Mebtoul

Sociologue, Unité de recherche en sciences sociales et santé (GRAS-Université d’Oran 2)


Nous avons tenté d’analyser les enjeux qui se cristallisent dans et par le fonctionnement du politique en Algérie, caractérisé par la façon dont une société est instituée. Notre article indique la « puissance » d’un habitus politique après 60 ans d’indépendance. Cet invariant structurel au cœur du politique, s’appuie sur les mêmes liturgies et rituels qui se reproduisent à l’identique, mis en scène à partir d’injonctions politico-administratives qui dévoilent le dire et le faire du politique.

Nos recherches empiriques sur la non-citoyenneté, le Hirak et la pandémie Covid-19, illustrent les ruptures entre la société algérienne marquée par des transformations brutales, peu maîtrisées et le fonctionnement du politique unilatéral, réfutant les antagonismes et les conflits entre les différents acteurs sociaux et politiques. Il s’agit de se prémunir de façon autoritaire de toute dynamique politique contradictoire explicite pouvant être déployée à l’encontre du régime politique.

We have attempted to analyze the issues that crystallize in and through the functioning of politics in Algeria, characterized by the way a society is instituted. Our article indicates the “power” of a political habitus after 60 years of independence. This structural invariant at the heart of politics relies on the same liturgies and rituals that are reproduced identically, staged on the basis of political-administrative injunctions that reveal the saying and doing of politics.

Our empirical research on non-citizenship, the Hirak and the Covid-19 pandemic, illustrate the ruptures between Algerian society marked by brutal, uncontrolled transformations and the functioning of unilateral politics, refuting the antagonisms and conflicts between the different social and political actors. It is a matter of authoritarian protection against any explicit contradictory political dynamics that could be deployed against the political regime.


Après 60 ans d’indépendance, la société algérienne n’a pas pu émerger comme un acteur politique pluriel qui lui aurait permis d’accéder à une représentation réelle et non fictive dans le champ politique. Elle a été constamment refoulée à la marge du politique défini ici par la façon dont une société est instituée (Mouffe, 2016). Le politique 2 s’est extériorisé de la société. Son fonctionnement aboutit profondément au déni des réalités sociales et culturelles diversifiées ; privilégiant l’usage rhétorique du mot « peuple », sacralisé idéologiquement, tout en étant paradoxalement peu concerné dans la formation de la décision politique. Celle-ci est l’objet d’une appropriation constante et forcée par les différents pouvoirs qui se sont succédé depuis le 5 juillet 1962, date de l’indépendance politique en Algérie.

Notre article tente de montrer que l’unilatéralité a marqué profondément le fonctionnement du politique algérien. Nous entendons par unilatéralité, une tendance lourde et répétitive du politique qui se fonde sur le refus de reconnaitre le conflit politique (Mouffe, 2016) pouvant s’imposer comme une alternative démocratique pour accéder au pouvoir. A contrario, le politique s’est reproduit à l’identique en s’appuyant sur le statu quo, forme de « stabilité » fictive de la société. Il s’agissait donc de se prémunir de façon autoritaire de toute dynamique politique contradictoire explicite pouvant être déployée à l’encontre du régime politique. Sa posture depuis six décennies a toujours consisté à réfuter toute reconnaissance de la citoyenneté politique des personnes (Balibar, 2001) pouvant retravailler le politique par le bas, favorisant des champs du possible imaginés par les différentes populations.

Georges Balandier (1988), précurseur de l’anthropologie politique en Afrique, fait l’éloge du « désordre » au cœur du mouvement, permettant l’émergence de médiations autonomes portées par et pour la société. Il montre bien que l’ordre et le désordre ne s’opposent pas. Ils se « nourrissent » et s’affrontent dans le but d’accéder à une autre façon de dire et de faire le politique au profit de la société. « Autrement dit, faire l’éloge du mouvement, dissiper les craintes qu’il inspire, et surtout ne jamais consentir à exploiter la peur confuse qu’il nourrit ». Les incertitudes et l’indétermination forgent le débat contradictoire au cœur de la démocratie. Elles contrastent avec la production politique d’un ordre hiérarchique mythique, souci des régimes autoritaires qui « naturalisent », comme une évidence, l’harmonie sociale et l’obéissance aux normes dominantes (Mebtoul, 2018).

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