Du Moyen-Orient au Sous-continent indien, les limites de la politique étrangère américaine

M-f. TROuDI

Chercheur en Relations Internationales, et vice-président du Centre d’Études et de Recherches Stratégiques du Monde Arabe Paris.

Mai 2009

La tactique américaine : des succès de courte durée aboutissant à des catastrophes stratégiques

La situation pakistanaise et plus globalement moyen-orientale, illustre bien les contradictions les plus flagrantes et l’échec de la politique étrangère américaine dans le monde musulman. Après la révolution iranienne de 1979, certains res­ponsables politiques américains ont été séduits par l’idée que les forces islamiques pouvaient être utilisées contre l’Union soviétique. Selon cette théorie, élaborée par M. Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du président James Carter, il existait un « arc de crise », qui s’étendait du Maroc au Pakistan, et, dans cette zone, on pouvait mobiliser «l’étendard de l’islam » pour contenir l’influence soviétique.

Déjà ces forces islamiques conservatrices avaient servi dans les années i960 et 1970 de moyen de marginalisation et de mise en échec des partis de gauche et nationalistes laïques dans la région, et notamment en Iran en 1953. Le fondamen­talisme iranien était conçu comme un catalyseur d’une insurrection musulmane dans le « ventre mou » de l’Union soviétique avec pour objectif de déstabiliser les Etats satellites qui constituaient le fer de lance de la puissance soviétique, alors en concurrence avec le modèle américain et plus largement occidental.

Au Proche et au Moyen-Orient, les ondes d’instabilité provoquées, après les attentats du 11- septembre, par la « guerre contre le terrorisme international » ne cessent de convulsionner de nouveaux pays. Dernier en date : le Pakistan. Près de cinq ans après la prise de Bagdad, le panorama géopolitique régional apparaît dé­solant. À l’impasse militaire palpable et qui se confirme d’un jour à l’autre, devant l’incapacité américaine à vaincre une poignée de résistants et ce en dépit d’une asymétrie militaire flagrante, s’est ajoutée une cascade de désastres diplomatiques et stratégiques ainsi que la montée en puissance de la haine anti-américaine non seulement au Moyen-Orient mais aussi dans le sous-continent indien comme on le verra dans le cas du Pakistan, sans que le risque terroriste, contrairement à l’objectif défini par les « faucons néo conservateurs », ait diminué.

Aucun des conflits – Israël-Palestine, Liban, Somalie, Afghanistan, Irak – n’a été résolu. Dans ce dernier, malgré la présence de quelque cent soixante-cinq mille militaires américains, les perspectives paraissent toujours aussi incertaines. La vie quotidienne pour les civils irakiens ressemble à un enfer dont personne n’y voit au­jourd’hui une issue à court et à moyen terme. Les attentats meurtriers se succèdent et la guerre ethnique menace la stabilité non seulement de l’Irak mais aussi des pays voisins où se trouve des minorités, essentiellement en Turquie et accessoirement en Syrie et en Iran. Ce pourquoi, une tension nouvelle est apparue à la frontière entre le Kurdistan irakien et la Turquie, où pourraient s’affronter deux alliés de l’Oncle Sam.

Ultérieurement, les Etats-Unis oscillèrent entre plusieurs politiques au Proche-Orient et en Asie centrale. Ils n’avaient qu’un double objectif, la victoire dans la guerre froide et le soutien à Israël, mais les moyens utilisés et les Etats soutenus variaient, parfois de manière contradictoire. Les Etats-Unis ont appuyé officiel­lement l’Irak dans la guerre contre l’Iran (1980-1988), au moment même où ils acquiesçaient à la livraison d’armes israéliennes à l’Iran. A l’époque, c’étaient les conservateurs proches de Tel-Aviv qui œuvraient activement à un revirement en faveur de Téhéran, car Israël considérait encore le nationalisme arabe laïque comme son principal ennemi et soutenait les Frères musulmans dans les territoires occupés palestiniens pour faire contrepoids à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Le résultat étant la création en 1986 du mouvement islamiste « Hamas » par le cheikh Yassine avec l’accord et même le soutien d’Israël, voire son finance­ment par l’Etat hébreu, voulant ainsi créer un contre-poids à la résistance laïque palestinienne à Israël. L’apogée de cette stratégie fut l’alliance de Washington avec l’Arabie seoudite et le Pakistan, qui permit notamment, dans les années 1980, la création d’une armée internationale du djihad pour combattre l’Union soviétique en Afghanistan (1).

Les Etats-Unis et le Moyen-Orient: une dangereuse évolution

Avant le 11-septembre la politique américaine dans la région était placée sous le signe de la continuité et de la passivité, vide sur le plan diplomatique et continuité de l’aide financière et militaire à Israël premier partenaire stratégique des Etats-Unis dans la région.

En occupant l’Irak, les Etats-Unis, ciblent clairement toute la région du Moyen-Orient pour ce qu’elle contient de richesses pétrolières et financières et ce qu’elle représente comme marchés rentables. Cette région est importante du point de vue géographique et stratégique, pour la redistribution des forces et bases militaires américaines. Le Moyen-Orient fait partie de la stratégie mondiale américaine dont le dessein est de contrôler militairement et économiquement le monde. Qu’en est-il de l’application de cette stratégie sur le terrain après deux mandats de présidence de Bush considérés comme les plus sanguinaires dans l’histoire de toutes les prési­dences américaines ?

Il faut dire qu’au moment où le président George W. Bush se prépare à céder la place au nouveau président confortablement élu Barack Obama, l’Amérique se trouve à un niveau bien bas sur le plan international engen­dré par l’échec de sa politique étrangère dans ses rapports avec les musulmans.

Les forces du jihad, dont les capacités de nuisance sont certes quelque peu tou­chées en Irak, se dressent partout ailleurs. Le prix du pétrole s’envole vers un ni­veau record, et la crise financière internationale n’est qu’a ses débuts. De nouvelles mosquées jihadistes s’ouvrent tous les jours dans le monde avec une montée de la haine anti-américaine. Le Pakistan est un désastre sur lequel je vais revenir plus en détails. L’Iran, de loin le principal sinon le seul bénéficiaire de la guerre en Irak, se rapproche de la bombe atomique. La Palestine avec cette destruction programmée et ce massacre humain sans précédent qui se déroule sous nos yeux à Gaza, res­semble plus que jamais à un scénario de chaos provoqué et organisé, ce qui nous éloigne du chemin de la réconciliation et de la recherche d’une solution pacifique pourtant inévitable de ce conflit. Usant de l’appui inconditionnel des Etats-Unis, Israël demeure au-dessus du droit international comme l’atteste encore une fois sa guerre criminelle contre la bande de Gaza au détriment de la légalité internationale.

 

Les Israéliens seront appelés à commettre d’autres massacres tant que cette situation de non-droit persistera.

Plus à l’Est de l’arc de crise, le dénouement de la guerre en Afghanistan se jouait entre les chefs de guerre de l’Alliance du nord et les talibans. Avec la fin de la guerre froide, les Etats-Unis se reposèrent totalement sur le Pakistan, qui s’enga­geait lui-même vers un régime militaire islamisé auquel un Afghanistan islamiste offrait une profondeur stratégique contre l’Inde. La victoire des talibans, largement favorisée par les services de renseignement de l’armée pakistanaise (ISI) (2) permit à Islamabad de renforcer ses liens avec le nouveau régime.

Ainsi, tout au long de ces décennies, les Etats-Unis n’ont jamais pris en compte les aspirations des peuples arabes et musulmans. Des politiques ont été menées, des armées ont été mobilisées, des alliances se sont faites et défaites, des guerres ont été livrées sur les terres et les corps des Arabes et des musulmans, mais pour des raisons toujours liées à d’autres intérêts. Les incohérences et les revirements des politiques à l’égard de l’Irak, de l’Iran, des fondamentalismes chiites et sunnites, de l’idéologie du djihad, de la dictature, de la démocratie, de la monarchie absolue, de Yasser Arafat et de l’OLP, des colonies israéliennes et du « processus de paix », l’illustrent bien. Les Etats-Unis se sont mobilisés pour leurs objectifs propres – que ce soit pour garantir leur approvisionnement en pétrole, pour gagner la guerre froide, pour affir­mer leur hégémonie ou pour soutenir Israël – et, dès que l’un d’eux était atteint, ils « oubliaient » toutes les préoccupations des Arabes et des musulmans qu’ils avaient invoquées pour recueillir leur soutien.

Rien n’est plus insultant pour le monde arabe et musulman que cette célèbre réponse de M. Brzezinski, trois ans avant le 11 septembre 2001. A une question sur les éventuels regrets qu’il aurait pu ressentir pour avoir permis la mise en place, grâce à l’aide américaine, d’un mouvement djihadiste afin de provoquer l’invasion soviétique de l’Afghanistan, il déclara, je cite : « Regretter quoi ? (…) Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide (3) ? »

C’est sur un tel terrain que se sont joués les événements « qui ont changé le monde » ces cinq dernières années – des attaques du 11-septembre à l’invasion et à l’occupation de l’Irak. En 2003, la seule « victoire » américaine possible aurait été une transition rapide vers un Etat stable, unifié, démocratique, non théocratique et surtout non-occupé. C’était un pari très risqué et il a été perdu. Selon un général américain à la retraite, c’est même le « plus grand désastre stratégique de l’histoire des Etats-Unis (4) ». Cette défaite est irréversible.

Destruction de l’infrastructure civile, affaiblissement de sa cohérence sociale et politique, création d’une logique conduisant vers un conflit confessionnel et une guerre civile : quand cette dynamique s’est accélérée en Irak, il semblait qu’il s’agis­sait d’une terrible conséquence non-planifiée par Washington. Lorsque ces mêmes éléments se retrouvent au Liban, on peut encore évoquer une malheureuse coïn­cidence. Mais dès lors qu’une dynamique similaire se dessine en Palestine, témoin cette guerre désastreuse et en tout point de vue criminelle déclenchée à Gaza, de nombreux observateurs n’hésitent plus à parler de « modèle » de la stratégie améri­caine dont les résultats sont désastreux tant pour les Etats-Unis que pour les peuples de la région.

En effet, à peine une année après l’occupation de l’Irak, les Etats-Unis ont réussi à coaliser une grande partie de l’opposition irakienne, quelle soit chiite ou sunnite. Lors de l’occupation britannique dans les années 1930, il avait fallu près de dix ans pour réaliser ce que je crois un « exploit ».En dépit de tous les avertissements notamment britanniques, l’administration américaine sortante n’a eu à aucun mo­ment un programme réaliste et une stratégie claire s’agissant de l’Irak après la fin de l’ancien régime baassiste.

Pour plusieurs, l’incapacité des autorités d’occupation à sécuriser le territoire et par conséquent de stabiliser le pays plus de cinq années après son invasion, dé­montre un incroyable mélange d’incompétence, de machiavélisme et de mésaven­ture. C’était sans compter avec une résistance féroce qui s’éternise en s’appuyant sur un fond nationaliste irakien aussi ancien que fort. L’échec est flagrant. La guerre américaine avec ses moyens colossaux n’a finalement pas bénéficié aux Etats-Unis en l’absence de stratégie et d’objectifs clairs. L’histoire certes s’accélère en Irak, mais sans que cette accélération puisse profiter aux Américains.

 

La guerre et la destruction de l’Irak ont servi les desseins stratégiques de l’Iran

Le gagnant de ce désordre stratégique est de toute évidence l’Iran. La stratégie américaine de démantèlement de l’armée et des structures baassistes de l’Etat ira­kien a permis d’éliminer l’ennemi traditionnel de Téhéran, tandis que la confiance américaine dans les cléricaux chiites a aidé les alliés de l’Iran à l’intérieur de l’Irak. Washington a ainsi renforcé l’Etat même contre lequel il prétendait lutter.

Les répercussions sont considérables pour les Etats-Unis et pour le monde ara-bo-musulman tout entier. Le nationalisme arabe laïque et de gauche, qui avait défi­ni le cadre idéologique de la résistance à la domination occidentale, a cédé le terrain devant des courants islamistes qui enferment cette résistance dans des idéologies profondément conservatrices. Les conflits politiques autour de l’indépendance na­tionale et des voies de développement se mêlent aux affrontements religieux, cultu­rels et communautaires. Ce changement de paradigme avait été parfois encouragé par l’Occident dans le passé. Aujourd’hui, la débâcle américaine en Irak donne à Téhéran de nouvelles occasions de reprendre le flambeau du nationalisme arabe sous la bannière de l’islam.

Il faut rappeler à cet égard que l’Iran a su instrumentaliser la crise et l’échec américain de réalisation du « Grand Moyen-Orient », puisque l’Etat perse produit aujourd’hui à lui seul, plus de rhétorique anti-israélienne et anti-américaine que l’ensemble des Etats arabes réunis. En dépit du sentiment d’encerclement chez les Iraniens, sentiment que l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis a conforté, toutes tendances iraniennes confondues, amorcé par le dispositif militaire mis en place par les Etats-Unis au Caucase, en Asie centrale, en Afghanistan, au Pakistan et bien évidemment dans le Golfe.

La République islamique apparaît comme le champion d’un nouveau front de lutte associant le nationalisme arabe et la vague montante de la résistance islamique. Elle dispose pour cela d’atouts majeurs : elle peut faciliter ou compliquer la situa­tion des troupes américaines ; elle peut aider à mettre les Israéliens en échec au Liban grâce à ses alliés du Hezbollah comme en témoigne la quasi défaite de l’armée israélienne réputée invincible en juillet en 2006 dans la guerre opposant Israël au Hizbollah libanais. D’ailleurs la commission conduite par le juge Winograd recon­naît explicitement la défaite israélienne, soulignant qu’une organisation paramili­taire de quelques milliers de combattants a réussi à résister face à la plus puissante armée du Moyen-Orient.

En effet, l’attaque contre le Liban, qui a provoqué beaucoup de destructions, a débouché sur une défaite : Israël s’est un peu plus isolé dans la région et le monde ; militairement, le Hizbollah n’a jamais perdu sa capacité à communiquer avec ses combattants, à diffuser via la radio et la télévision ses messages à la population, à infliger des pertes à Tsahal ou à envoyer des roquettes sur Israël. Les Israéliens n’ont atteint aucun de leurs objectifs déclarés, ni le désarmement du Hezbollah ni le re­tour de leurs soldats capturés.

La question qui s’est posée pour Israël au Liban, comme pour les Etats-Unis en Irak, est de savoir s’ils peuvent accepter ces revers et donc l’échec de cette stratégie de la force asymétrique pour mettre les peuples aux pas? Ces défaites sont peut être un signe annonciateur de guerres de nouvelle génération et l’émergence de nou­velles forces politiques et militaires qui commencent à mettre en échec la stratégie américaine du Moyen-Orient jusqu’au sous continent indien.

L’Iran peut également aider militairement et soutenir politiquement le mouve­ment Hamas, comme en témoigne la position officielle des plus hauts dirigeants de l’Etat iranien dans le conflit qui a opposé l’armée israélienne au mouvement Hamas très récemment. L’Iran va plus loin dans ses calculs stratégiques et étend son in­fluence vers les régions pétrolières du Golfe et de l’Arabie séoudite où se trouve des majorités chiites que l’Iran se doit de protéger. Cet objectif se traduit notamment par la normalisation des relations de Téhéran avec quasiment l’ensemble des Etats de la région. Ce qui veut dire que l’Iran a changé ses objectifs dans cette partie du monde. La révolution islamique de 1979 était en effet trop marquée par sa dimen­sion chiite et persane pour être exportable dans l’état. Le discours universaliste de l’islam iranien des années post révolution iranienne, avait peu de chance de succès, exception faite des pays arabes où vivait des communautés chiites minoritaires.

La volonté de devenir le leader d’un islam moderne et militant opposé au conservatisme des monarchies du Golfe Persique, n’a été mise en oeuvre avec suc­cès qu’au Liban par le biais du Hizbollah. Ce succès s’est de nouveau confirmé à l’été 2006 par la quasi-victoire des milices du Hizbollah sur l’armée israélienne. Ce pourquoi, l’Iran a sensiblement modifié sa politique vers les pays arabes, ma­joritairement sunnites en adoptant une ligne conciliante même avec les Emirats arabes unis avec qui Téhéran a un différent sur les trois Iles d’Abou Moussa, Grande Tombe et Petite Tombe, anciennement sous protectorat britannique. Fait nouveau, la présence de l’Iran pour la première fois, représenté au plus haut sommet de l’Etat par son président Ahmadi Nadjed dans le sommet exceptionnel de Doha consacré à la situation à Gaza le vendredi 16 janvier de cette année, montre davantage le rôle grandissant de l’Iran dans le monde arabe et musulman.

Ces desseins stratégiques iraniens doublés d’une capacité militaire convention­nelle et probablement nucléaire, permettent à l’Iran de se mettre en position de combler le grand vide de pouvoir régional engendré par la destruction de l’Etat irakien et de ses capacités militaires. Par relation de cause à effet, cette nouvelle situation ainsi créé par les Etats-Unis, donne à l’Iran les moyens de peser sur l’issu du conflit israélo-palestinien voire de transformer la nature même des relations séculaires entre chiites et sunnites. En Irak, on a assisté à la destruction de l’infras­tructure civile, à l’affaiblissement de la cohérence sociale et politique, en somme à la création d’une logique qui a amené l’Irak droit vers une guerre ethnique lourde de conséquence non pas seulement pour l’Irak, mais pour la région tout entière. Cette même stratégie a été tentée par Washington au Liban en soutenant politiquement et militairement Israël dans sa guerre contre le Hizbollah avec les résultats qu’on connaît. La même stratégie dévastatrice se joue aujourd’hui en Palestine et parti­culièrement à Gaza avec ces tonnes de bombes, déversées sur des cibles civiles en violation du droit international et des conventions de Genève.

 

La politique palestinienne des Etats-Unis: un désastre humain sans précédent

En 1990, alors que s’effaçait l’Union soviétique, les Etats-Unis bâtirent une coa­lition internationale pour évincer l’armée irakienne du Koweït. Des Etats arabes, de la Syrie au Maroc, répondirent positivement à un appel fondé sur le droit inter­national et les résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ils avaient reçu l’assurance qu’il ne s’agissait pas seulement de sauver une monarchie pétrolière amie, mais d’établir un nouvel ordre fondé sur la justice internationale. Une fois la souveraineté du Koweït rétablie, toutes les résolutions de l’ONU devaient être appliquées, y compris celles exigeant le retrait israélien des territoires palestiniens occupés. Très vite l’échec du « processus de paix » dit d’Oslo est consommé. Les Arabes qui ont parié sur les Etats-Unis et sur la légalité internationale, se sont rendu à l’évidence qu’une nouvelle fois ils se sont fait berner Pire, il ne sera plus après 1996, qu’une couverture au doublement des colons en Cisjordanie, sans parler de la construction du mur que les Palestiniens appellent le « mur de la honte » qui avale des proportions importantes de ce que devait être le territoire du futur Etat palestinien promis par les accords d’Oslo. En édifiant une clôture trois fois plus haute et deux fois plus large que le mur de Berlin, Israël va annexer une partie substantielle de la Cisjordanie et resserrer les barrages militaires autour des villes palestiniennes, en y enfermant ainsi efficacement les habitants. Du coup la promesse de M. Bush de créer un Etat palestinien viable fin 2008, est finale­ment renvoyé aux calendes grecques par l’invasion meurtrière de l’armée israélienne à Gaza avec le soutien politique et militaire des Etats-Unis. Taba, Oslo, sommets de Charm El-Cheikh et de Wye Plantation, Annapolis et d’autres sont autant de sommets et d’initiatives de mépris, de retour sur la parole donnée, de chantages qui ont peu à peu réduit l’espoir d’Oslo à des simples aménagements humanitaires et surtout ont fait oublier le socle normal des négociations: les résolutions de l’ONU notamment les résolutions 242 et 338. C’est vrai que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.

Les territoires palestiniens vivent une crise humanitaire de grande ampleur. Depuis la victoire du Hamas aux élections de janvier 2006, les Etats-Unis et l’Union européenne se sont joints à Israël pour tenter d’affamer les Palestiniens et de les pousser à rejeter leur gouvernement démocratiquement élu. Les résultats prévisibles de ces attaques sont l’effondrement de l’ordre social et le glissement vers un conflit civil.

Un observateur américain clairvoyant décrit ainsi le paysage tourmenté : « Les Palestiniens de Gaza vivent enfermés dans un ghetto sordide et surpeuplé, cernés par l’armée israélienne et une énorme barrière électrique ; il leur est impossible de quitter ou de pénétrer dans la bande de Gaza et ils subissent des assauts quotidiens. (…) Les tenta­tives israéliennes d’orchestrer un effondrement des lois et de l’ordre, de semer le chaos et de provoquer une pénurie généralisée sont visibles dans les rues mêmes de Gaza-city, où les Palestiniens passent devant les décombres du ministère de l’Intérieur palestinien, du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Economie nationale, du bureau du Premier ministre palestinien et de quelques institutions éducatives qui ont été bombar­dés par l’aviation israélienne. (…) Et la Cisjordanie sombre rapidement dans une crise semblable à celle de Gaza. (…) Qu’est-ce que les Etats-Unis et Israël comptent gagner en faisant de Gaza et de la Cisjordanie une version miniature de l’Irak ? (…) Croient-ils qu’ils parviendront ainsi à affaiblir le terrorisme, à freiner les attentats-suicides et à instaurer la paix (5) ? »

Une nouvelle étape a été franchie avec la livraison d’armes par les Etats-Unis, « aux militants de la Force 17 à Gaza liés à l’homme fort du Fatah, Mohammed Dahlan » ; « selon des représentants officiels des services de sécurité israéliens et palesti­niens, ces livraisons d’armes américaines ont déclenché une course à l’armement avec le Hamas (6) ».

Quelles que soient les intentions, la logique de désintégration sociale et de guerre civile se déploie, via la politique américaine, dans trois pays identifiés par Israël comme des lieux de résistance à ses ambitions régionales. Il existe un noyau dur de sionistes de droite qui souhaitent assujettir les Palestiniens ou les déplacer de tous les territoires convoités par Israël. Pour y parvenir, ils veulent affaiblir tous les voisins récalcitrants. Il est effrayant, mais peu surprenant, de voir de tels fanatiques occuper des positions de pouvoir dans le gouvernement israélien. Il est choquant de penser que Washington puisse suivre, voire être l’artisan d’une telle stratégie destructrice et autodestructrice, au nom d’une fausse idée, l’amitié à Israël.

Si les Etats-Unis étaient vraiment des amis d’Israël, ils devraient non seulement être réticents à s’engager dans cette voie, mais partager cette remarque d’une obser­vatrice israélienne : « La politique d’Israël ne menace pas uniquement les Palestiniens mais aussi les Israéliens eux-mêmes… Un petit Etat juif de sept millions d’habitants (dont cinq millions et demi de Juifs), entouré de deux cents millions d’Arabes, se fait l’ennemi de tout le monde musulman. Il n’y a pas de garantie qu’un tel Etat puisse sur­vivre. Sauver les Palestiniens signifie également sauver Israël (7). »

Au Proche-Orient l’on constate aujourd’hui que la guerre à laquelle se livre Israël sur des populations civiles au détriment des droits les plus élémentaires de la personne humaine à Gaza, est en violation des résolutions des Nations-Unies et de la quatrième convention de Genève de 1949 qu’Israël a d’ailleurs ratifiée relative à la protection des personnes civiles en cas de guerre, c’est à un tel point que le système capitaliste voit de moins en moins d’issues. Jusqu’à présent, l’oppression coloniale, la féodalité et la violence militaire ont pu empêcher une déflagration totale. Mais jusqu’à quand arrivera-t-on à retarder l’échéance d’un soulèvement généralisé ? La situation est chaque jour de plus en plus intenable.

 

La Syrie, l’autre élément de « l’axe du mal »

Ainsi de la Syrie, un pays qui ne menace pas les Etats-Unis, qui les a déjà aidés à plusieurs occasions et qui a également ses propres intérêts nationaux légitimes en jeu : il faudrait arriver avec elle à un accord sur l’évacuation du plateau du Golan, dont l’occupation par Israël n’est d’aucun profit pour les Etats-Unis. De même pour le Hezbollah au Liban et le Hamas en Palestine, qui agissent en fonction de leurs intérêts nationaux. Les Etats-Unis peuvent se débarrasser d’un certain nombre de problèmes et faire par-là avancer leurs propres intérêts, y compris la défaite du vrai « terrorisme » fanatique. Pour cela, ils doivent reconnaître que tous ces groupes ne

sont pas des succursales ou des clones d’Al-Qaida, et qu’ils ne le deviendront pas plus que le Vietnam n’est devenu l’outil d’un « empire du mal ».

Des négociations pourraient faire de chacun de ces Etats ou de ces mouvements des adversaires gérables. Des voix influentes au cœur du système politique améri­cain exigent un changement de cap : le rapport Baker-Hamilton en est l’expression la plus évidente. De son côté, l’ancien président James Carter a appelé à ouvrir un débat honnête sur la politique américaine en Palestine. Pour réparer les dégâts déjà causés, il faudrait admettre que de mauvaises décisions ont été prises et aller vers de très sérieux infléchissements politiques. Cela exigerait de renoncer à l’idée que la utilisation unilatérale seule de la force militaire peut résoudre des problèmes politiques et sociaux complexes. Cela exigerait aussi de renoncer à un soutien in­conditionnel à Israël.

En somme cesser de penser envers et contre tout que les différents peuples et nations du monde arabo-musulman ne sont en définitive que des éléments inter­changeables s’inscrivant dans un même schéma idéologique, manipulable à volonté pour les besoins des grandes puissances, en tête desquelles les Etats-Unis, pour les ambitions territoriales des faucons et colons israéliens. Il est temps d’en finir avec l’approche idéologique, et de renouer avec le réalisme. Force est de constater que l’on est loin de ce réalisme et d’une probable révolution dans la conduite de la po­litique étrangère américaine comme en témoigne la nature des relations syro-amé-ricaines plutôt tendues et rien qui ne puisse présager aujourd’hui d’un quelconque changement.

Comme pour l’Iran et la Corée du Nord, l’administration sortante est divisée entre faucons et partisans d’une politique réaliste par rapport à la Syrie. Alors que le prédécesseur de Condoleeza Rice, Colin Powell insistait pour que l’on noue le dialogue avec Damas – aussi bien avant qu’après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, les faucons – qui avaient alors à leur tête Dick Cheney et le chef du Pentagone Donald Rumsfeld – favorisèrent une politique de « changement de régime » contre le gouvernement du président Bachir el Assad.

Une administration sortante laisse derrière elle un désordre total, faut-il croire à une meilleure gestion des divers problèmes de cette zone si instable sous la prési­dence de Barack Obama. Rien n’est certain. On aura peut être le droit à un chan­gement dans la continuité.

L’incapacité américaine à vaincre en Afghanistan

Ce n’est pas qu’au Proche-Orient que la défaite des Etats-Unis paraît possible. Plus à l’Est aussi, en Afghanistan, ils sont soumis à rude épreuve. Après le 11-sep-tembre, personne ne doutait que Washington avait le droit de poursuivre par la force Oussama Ben Laden et Al-Qaida. La décision de déclencher une vaste opé­ration militaire impliquant l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) afin de reconstruire l’infrastructure politique du pays était cependant risquée. Pour réussir, il fallait une victoire militaire décisive, suivie d’un solide engagement fi­nancier et politique de longue haleine visant une réforme de la société afghane, en s’appuyant sur des partenaires locaux fiables et respectés, également engagés dans la voie de la réforme. Ajoutons que le détournement vers l’Irak de forces et de res­sources cruciales dans la chasse à Al-Qaida indique le caractère secondaire que revêt l’Afghanistan aux yeux de l’administration Bush, malgré le lien direct de ce pays avec les attaques du 11-septembre. C’est dire combien la « guerre contre le terro­risme » cachait des objectifs non avoués ou difficilement avouables.

Sur le terrain, les Etats-Unis se sont reposés sur les chefs de guerre de l’Alliance du Nord pour obtenir des résultats rapides, et se sont appuyés sur un président qu’ils ont installé et à qui on a assigné l’impossible mission de bricoler un semblant de gouvernement central à Kaboul, mais qui ne représente que lui-même. Ils est évi­dent que les Américains se sont montrés incapables d’éliminer les chefs d’Al-Qaida et des talibans. Ces derniers ont même intensifié la résistance anti-américaine à tel point que le président Karazail en était obligé de négocier avec les talibans un cessez le feu, mieux encore, il voulait officiellement les associer à la direction politique du pays ce qu’ils refusèrent. Se trouvant dans l’impossibilité d’emporter la moindre victoire militaire en Afghanistan, les Américains ont délaissé vite le terrain afghan au profit de l’Irak.

Les deux grands alliés, Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri continuent à diffuser des cassettes, défiant les forces américaines et la coalition internationale. De leur côté, les talibans, qui ont maintenu des liens étroits avec les tribus pachtounes des deux côtés de la frontière pakistano-afghane, se regroupent et constituent une réelle menace pour les troupes de l’OTAN, cloîtrées dans des camps, et ne se manifestant que pour exécuter des raids et des bombardements aériens (8). Le ministre des Affaires étrangères pakistanais est même allé jusqu’à déclarer que l’OTAN devait « accepter la défaite » et que ses troupes devaient se retirer.

Disposant sur place de plus de soixante-quinze mille hommes, les Etats-Unis réclament de leurs alliés, dont la France, l’envoi de troupes supplémentaires. Car les talibans ont repris l’initiative, les attentats-suicides se multiplient, la culture du pavot et l’exportation d’opium explosent. La reconstruction se fait au ralenti, et les institutions « démocratiques » s’affaiblissent. Contrôlées par des « seigneurs de la guerre », les provinces prennent de plus en plus leurs distances avec le gouverne­ment de Kaboul. « Si nous partons, admet un diplomate occidental, Hamid Karzaï [président de l’Afghanistan] ne tient pas dix jours (9) » C’est dans ce contexte géo­politique si instable qu’un des fermes appuis du président George W. Bush dans la région vient de céder au Pakistan. La proclamation de l’état de siège à Islamabad, le 3 novembre dernier, par le général Pervez Moucharraf est en effet un grave aveu de faiblesse de celui-ci, qui a déclenché l’alerte rouge à Washington.

 

Le Pakistan entre implosion et explosion

L’offensive américaine contre l’Afghanistan et accessoirement contre le Pakistan ( supposé être son allié dans sa guerre contre le terrorisme international), s’inscrit dans la volonté des Etats-Unis de contrôler cette région du sous-continent indien. La guerre sainte qu’il mène contre le terrorisme islamiste profite de l’absence de po­litique étrangère européenne et porte un coup sévère à l’Organisation des Nations Unies, affaiblie par l’image que donne le Conseil de sécurité encore très récemment par son incapacité à appliquer la résolution 1860 relative à l’arrêt immédiat des bombardements israéliens et l’arrêt total des hostilités. Cette faiblesse pour ne pas dire la complicité du Conseil de sécurité, a permis à la Russie d’accentuer la répres­sion en Tchétchénie, à M. Olmert de mener une guerre destructrice à Gaza, aux Etats-Unis de jouer avec l’avenir du Pakistan en élargissant ces frappes militaires au territoire pakistanais en dépit du refus du gouvernement pakistanais et ce après avoir manifestement échoué à battre Al Qaida et ses alliés talibans en Afghanistan. Comment on a pu atteindre ce degré de désordre?

Un pas décisif est franchi quand les Américains, cherchant à prendre leur re­vanche sur les Soviétiques au Vietnam, recrutent et facilitent l’introduction au Pakistan et en Afghanistan d’activistes arabes. Le Pakistan devient le principal point d’appui de la politique américaine de soutien aux islamistes dans leur jihad contre les Soviétiques dans la région. Ce faisant, le Pakistan devient la base arrière de la lutte anti-communiste dans le sous-continent indien et un relais pour la transmis­sion de l’aide financière et militaire américaine. Le poids des Arabes, engagés dans la guerre afghane, compte peu, les Afghans étant assez nombreux et déterminés pour faire regretter à Moscou son expédition. Mais Washington, en associant les Arabes au conflit, entend faire basculer, idéologiquement, tout l’ensemble arabo-musul-man dans le camp anti-soviétique.

Cette tactique a eu pour résultat d’auréoler de gloire les islamistes. Pire, le départ des Soviétiques d’Afghanistan, interprété comme une victoire militaire remportée sur la deuxième puissance de la planète, renforce les plus radicaux des « jihadistes » au point qu’ils se sont cru capables de vaincre les régimes en place et d’imposer leur loi dans les pays musulmans et en Occident. Le Pakistan est, aujourd’hui, pri­sonnier de la réalité du terrain et compte un certain nombre de groupes islamistes radicaux. Or, pendant des années, ils avaient participé aux combats en Afghanistan ou au Cachemire avec, sinon le soutien, du moins l’approbation, des autorités pa­kistanaises. Résultat, une partie importante de la population du pays éprouve de la sympathie à l’endroit de ces « jihadistes », élevés au rang de héros de l’Islam. D’autre part, le Pakistan est dépendant de son alliance avec les États-Unis pour des raisons économiques et financières évidentes. En clair, il se retrouve pris entre le marteau américain et l’enclume islamiste. L’attitude américaine s’appuie sur une vision colossalement gonflée des capacités de dissuasion de l’Amérique et sur l’in­capacité de Washington à définir une politique adaptée à ses intérêts et à ses buts.

Aujourd’hui, l’exemple le plus frappant de cette situation est le Pakistan. L’Amérique suit deux objectifs prioritaires : elle cherche à éviter que les armes et les technologies nucléaires du Pakistan prolifèrent ou tombent entre les mains des « jihadistes », d’autre part elle s’acharne à battre ses ennemis les plus recherchés : les talibans et le groupe al Qaida. Le gouvernement de M. Bush faisant mine cependant de ne pas percevoir de contradiction dans le fait de s’allier à un dictateur pour « instaurer la démocratie » en Afghanistan.

Après le 11-septembre, les Américains ont donné au dictateur militaire du Pakistan un choix : les aider à battre les Talibans et al-Qaida, ou perdre le pouvoir. C’était un bon début, mais ensuite les Américains ont commencé à s’éloigner de leurs priorités. Après que le général Pervez Mousharraf eut accepté l’ultimatum de Washington, les Américains ont mis tous leurs œufs dans ce panier. Et ils ont ainsi perdu la possibilité de le dissuader et d’influencer sa conduite. Assuré du sou­tien inconditionnel des Américains, Mousharraf a joué un double jeu. Il a aidé les Etats-Unis en Afghanistan et a ensuite laissé les Talibans et al-Qaida s’échapper et reconstruire leurs bases au Pakistan. Les liens entre les talibans afghans et pakista­nais semblent aujourd’hui plus forts que jamais. C’est cette collusion d’intérêts et d’objectifs communs qu’on désigne aujourd’hui par al Qaida du Pakistan.

L’histoire a montré que ces zones tribales montagneuses – sept districts semi-autonomes – n’ont jamais pu être soumis à une quelconque autorité. Ces terres où vivent les Pachtounes au code rigide d’honneur et de vengeance, ont infligé une leçon cuisante aux derniers conquérants britanniques et soviétiques. Ce peuple a vaincu l’Empire britannique des Indes, qui avait proclamé leurs zones « territoire tribal indépendant ». Le Pakistan, né en 1947, n’a pu faire mieux, les a décrétées « zones tribales fédérées ». La dernière phase de cette histoire agitée commencée après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, avec l’arrivée au Pakistan de centaines de rebelles islamistes chassés de l’Afghanistan. Ces Pachtounes afghans ont retrouvé ici les tribus qui les avaient soutenus dans leur « guerre sainte » contre l’occupant soviétique dans les années 1980.

Les Américains se sont vite confrontés à une situation désastreuse. D’un côté, grâce à l’hospitalité de Mousharraf, al-Qaida et les Talibans contrôlent de larges zones du Pakistan et ont déclaré le « jihad » contre leur hôte, met­tant ainsi l’arsenal nucléaire du Pakistan en grand danger. En même temps, ils se servent de leurs bases pakistanaises pour intensifier leur insurrection en Afghanistan. De l’autre côté, fidèle à sa politique constante depuis qu’il a pris le pouvoir en 1998, Mousharraf a continué à ne pas prendre au sérieux la me­nace des Talibans et d’al-Qaida. Le but de sa dernière promulgation de la loi martiale et de la suspension de la Constitution du Pakistan n’était pas de lui per­mettre de mieux combattre les « jihadistes », mais de briser son opposition libé­rale, dont les membres demandent la démocratie et la fin du régime militaire.

Et au milieu de tout cela, les Américains se trouvent dépourvus de moyens de pres­sion notamment après la démission du président général Mucharraf et la perte d’un allié supposé fiable dans la région si l’on exclue l’Inde. La tentative maladroite de Washington de mener une bataille claire et noble contre Al-Qaida s’est fourvoyée non seulement du fait de la complexité des tribus et chefs de guerre afghans, mais aussi en raison du jeu dangereux et compliqué du Pakistan. Celui-ci, dans sa bataille vitale pour le Cachemire, doit miser sur ses propres groupes islamistes. Islamabad appelle ainsi l’OTAN et le gouvernement afghan à accepter l’inévitable présence en Afghanistan de « talibans modérés », auxquels il a d’ailleurs cédé le contrôle d’une de ses régions – le Waziristân nord. S’installe de ce fait une base à partir de laquelle des résistants talibans attaquent les soldats de l’OTAN et recourent même main­tenant, chose jamais vue dans ce pays, à la technique des « attentats-suicides » : la connexion avec l’Irak serait-elle devenue réalité ? Du coup, la « guerre contre le ter­rorisme » a fini par rendre les Etats-Unis dépendants du Pakistan, qui, lui-même, se trouve dans une alliance structurelle avec l’islamisme radical. De surcroît, les élites et le régime pakistanais croient leur pays protégé de l’islamisation rampante par les hiérarchies traditionnelles qui caractérisent cette société. Et si la « pakistanisation » d’Al-Qaida se muait en « al-qaidisation » du Pakistan ? Les médias américains igno­rent ce phénomène inquiétant.

Si le Pakistan de Moucharraf a réussi à stabiliser ses soutiens internationaux en basculant du côté américain après le 11-septembre, la situation interne du pays est plus que préoccupante. L’échec de l’ouverture politique, l’impossible démili­tarisation même relative du régime, la crise économique, l’irrédentisme dans un Baloutchistan revenu à l’insurrection et la talibanisation progressive des zones tri­bales dessinent un avenir incertain que ne suffit plus à garantir le soutien américain.

La réalité afghane et pakistanaise, ne s’inscrit pas dans le cadre prévu pour elle par Washington, les résultats d’un sondage effectué parmi 108 éminents experts américains qui ont travaillé ces dernières décennies dans les structures du pouvoir (département d’Etat, secrétariat à la Défense, administration présidentielle, etc.) témoignent de l’échec de toute la politique appliquée par les Etats-Unis dans la région du Grand Moyen-Orient.

Rappelons que les campagnes militaires en Afghanistan et en Irak ont été quali­fiées par l’administration Bush de « guerre contre la terreur » livrée en vue d’assurer, avant tout, la sécurité des Américains aussi bien à l’intérieur des Etats-Unis qu’hors de leurs frontières. On a en outre déclaré que la sécurité était impossible sans la démocratisation des pays du Grand Moyen-Orient et que l’Afghanistan et l’Irak apporteraient la lumière de la démocratie dans cette région.

Que disent aujourd’hui les experts américains, sept ans après le début de la campagne militaire afghane et cinq ans après le début de la campagne irakienne? En portant une évaluation sur la politique étrangère appliquée ces dernières années par Washington, on peut affirmer en se fondant sur les résultats du sondage précédem­ment cité qu’elle a échoué. 91% des sondés sont certains que le monde est devenu plus dangereux pour les Etats-Unis. Cet indice s’est accru de 10% par rapport à un sondage analogue réalisé en février dernier. En outre, 84% ne croient pas que les Etats-Unis gagneront la guerre contre la terreur (accroissement de 9%) et plus de 80% s’attendent, dans les dix prochaines années, à une attaque comparable, par sa férocité, aux attentats terroristes du 11-septembre.

Les experts critiquent pratiquement toutes les actions entreprises par les Etats-Unis sur le plan international: de la politique à l’égard des détenus de Guantanamo aux efforts déployés en vue de régler le conflit au Proche-Orient, sans parler de la guerre en Irak qui, comme l’estiment 92% des sondés, se répercute négativement sur la sécurité des Etats-Unis.

En ce qui concerne les autres orientations de la politique orientale des Etats-Unis, le tableau n’est pas meilleur. Le Pakistan, un des pays sur lesquels Washington a misé ces dernières années, arrive en tête de la liste des pays considérés comme un refuge potentiel pour Al-Qaïda. 35% des experts ont cité le Pakistan, 22% l’Irak, 11% la Somalie, 8% le Soudan et 7% l’Afghanistan.

Le Pakistan se trouve également en tête de la liste des pays (74%) par l’in­termédiaire desquels des groupes terroristes pourraient accéder aux technologies nucléaires dans les 3 à 5 ans à venir. La Corée du Nord est classée deuxième (42%), ensuite viennent la Russie (38%), l’Iran (31%) et les Etats-Unis (5%).

Les avis sur les évaluations des experts peuvent différer, mais les résultats du son­dage témoignent, d’une manière ou d’une autre, de la déception qui règne dans les rangs des officiels quant à la politique américaine. Un échec est essuyé en Irak et au Pakistan. On ne sait que faire de l’Iran (pour l’essentiel, selon l’avis qui prédomine pour l’instant, il faut lutter contre les ambitions nucléaires de Téhéran par la voie diplomatique et au moyen de sanctions).

En somme, il faudrait réviser totalement la politique des Etats-unis dans tout le Grand Moyen- Orient. En ce qui concerne le Pakistan, les Etats-Unis n’ont fait qu’accroître la haine que porte les Pakistanais à la politique américaine de lutte an­ti-terroriste. L’alliance que les Américains ont bâtis avec l’ancien président général Moucharraf a permis de décerner à celui-ci un « certificat de respectabilité interna­tionale », ainsi qu’environ 11 milliards de dollars pour mieux équiper son armée et ses forces de répression. Le Pakistan, un pays de quelque cent soixante-sept millions d’habitants, est le seul Etat musulman qui détienne l’arme atomique ; il peut la pro­jeter à deux mille cinq cents kilomètres grâce à des missiles de longue portée. Ces données lui confèrent une importance stratégique d’autant plus forte qu’il est situé à l’intérieur du « foyer perturbateur » du monde et à la lisière des crises afghane, iranienne et proche-orientale.

 

Les Américains sont maintenant confrontés à une situation désastreuse. D’un côté, grâce à l’élargissement du phénomène talibans au Pakistan, les « étudiants en religion » furent en effet éduqués dans les madères[1] pakistanaises avec le sou­tien total d’Islamabad. Trois éléments fondamentaux font aujourd’hui la force des talibans: leur sanctuaire au Pakistan, leur lien avec Al-Qaida, et le financement par l’argent du pavot. Les liens entre les talibans afghans et pakistanais semblent aujourd’hui plus forts que jamais. C’est cette collusion d’intérêts et d’objectifs com­muns qu’on désigne aujourd’hui par al-Qaida du Pakistan. Les talibans pakistanais dirigés par un certain Meshood, contrôlent aujourd’hui de larges zones du Pakistan, ils viennent de mettre en garde le nouveau président pakistanais contre toute pour­suite de la politique de son prédécesseur. En même temps, ils se servent de leurs bases pakistanaises pour intensifier leur insurrection en Afghanistan.

Et au milieu de tout cela, les Américains se trouvent dépourvus de moyens de pression et ne semblent pas avoir de solution de rechange face à la montée en puissance de la résistance anti-américaine depuis le Pakistan comme en témoigne l’attaque du 7 décembre de l’année écoulée par des talibans pakistanais tous près de l’aéroport de Peshawar, lieu de passage et de transit hautement stratégique pour alimenter les forces internationales stationnées en Afghanistan.

L’immense frayeur, à Washington et dans d’autres chancelleries, c’est que les is­lamistes pakistanais, alliés aux talibans, finissent par s’emparer des rênes de l’Etat et mettent la main sur l’arme atomique. L’arrivée de la nouvelle administration dirigée par le nouveau président élu Obama, ne change rien à cette vision américaine des choses. Monsieur Obama, n’a-t-il pas fait de l’Afghanistan et du Pakistan sa priorité en matière de lutte contre le terrorisme. Les premiers bombardements des zones tribales au Waziristân du 23 janvier 2009, illustrent bien la décision américaine d’inclure le Pakistan dans sa guerre contre le terrorisme au mépris des populations civiles qui comme toujours se trouvent au premier rang des victimes.

Il s’agit des premières frappes depuis que Barack Obama, qui a fait de la lutte contre les extrémistes en Afghanistan et au Pakistan l’une des priorités de sa poli­tique, est devenu mardi 20 janvier, le nouveau président des Etats-Unis. Le pré­sident américain a ainsi démontré qu’à ses yeux, le combat contre les talibans en Afghanistan était indissociable de celui contre leurs bases arrière dans le pays voisin en l’occurrence le Pakistan. Ceci est de nature bien évidemment à rendre l’environ-*

  1. Il s’agit du pluriel de madrasa, voulant dire les écoles, notamment les écoles religieuses, de théologie régional et international encore plus incertain sous l’ère Obama surtout si ce dernier ne tire pas les leçons des échecs de la précédente administration. À moins que la nouvelle administration sur laquelle nombre de pays fondent beaucoup d’es­poir, change sa stratégie de guerre préventive qui s’est substituée à la dissuasion nu­cléaire du temps de l’ancien président Bush, profondément unilatéraliste, aspirant au leadership mondial, et s’oriente résolument vers une vision partagée du monde.
(2)    Inter Service Intelligence (service de renseignements militaires), créé en 1948. Dès 1950, il lui est confié la tâche d’assurer la sécurité nationale et les intérêts pakistanais à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. L’ISI, dont le siège est à Islamabad, devient un Etat dans l’Etat. Il intervient dans la stratégie régionale mais également sur le plan politique interne notamment lors des campagnes électorales.

(3)    Le Nouvel observateur, Paris du 15 au 21 janvier 1998.

(4)    William E. Odonn, « What’s wrong with culturing and running? », The Lowell Sun, Lowell (Massachusetts, Etats-Unis), 30 septembre 2005.

(5)    Chris Hedges, « Worse than apartheid », http:// www.truthdig.com/report/item

(6)    Aaron Klein, « US weaponsprompt Hamas arms race? »

(7)    Tanya Reinhardt, « The RoadMap to Nowhere-Israel/Palestine Since 2003 », 8 octobre 2006.

(8)    Voire Syed Saleem Shah Zad, « Comment les talibans ont repris l’offensive », le Monde diplomatique, septembre 2006.

(9)    El Pais, Madrid 25 octobre 2007.

Notes

[1]Voire l’article de Pierre Aramovici « L’histoire secrète des négociations entre Washington et les Talibans », le Monde diplomatique, janvier 2002.

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