Démocratie parlementaire et islamisme au Maghreb

Général (2S) Henri PARIS

Président du Club de réflexion politique Démocraties, auteur de plusieurs ouvrages de géostratégie dont le dernier, Ces Guerres qui viennent, le Fantascope, 2010.

3eme trimestre 2011

Le « Printemps arabe », une série de troubles et d ‘émeutes qui embrase, entre autres, le Maghreb, a pour origine un incident mineur, en décembre 2011. Cependant, la consé­quence est une immolation par le feu qui déclenche le processus. Les émeutiers réclament un gouvernement démocratique et un système exempt de corruption, de prévarication et de népotisme. Le processus se déroule sans affrontements majeurs, bien qu’il y ait eu une répression parfois sanglante, à l’exception de la Libye. L’affrontement y tourne à la guerre avec intervention aérienne des Occidentaux. Kadhafi refusant de céder et se maintenant au pouvoir, plane la menace d’une impasse, car les Occidentaux se refusent à envoyer des troupes au sol, condition indispensable à la victoire.

L’Islamisme ; sous forme d’Al-Qaïda est aux aguets. La mort d’Oussama Ben Laden ne modifie en rien sa combativité et sa stratégie.

The «Arab Spring,» a series of turbulences andriots which have « burnt », amongothers, North Africa, was caused by a minor incident, in December 2010. However, the result is a self-immolation that triggered the process. The insurgents demanded a democratic government and a political system free from corruption, mismanagement and nepotism. The process took place without major clashes, although there has been sometimes a bloody crackdown, with the exception of Libya where violence has been resorted to by the ruling clan. The confrontation there has turned into a war with air intervention by the West. Gaddafi refused to give in and stays in power, the threat of an impasse is present, as the West is unwilling to send ground troops, which are essential to victory.

Islamism, disguised as Al-Qaeda is on the lookout. The death of Osama bin Laden does not change his fighting will and his strategy.

L’HlSTOIRE, QUI SE FAIT, a qualifié le printemps de 2011 de « Printemps arabe ». En effet, le 17 décembre 2010, un incident mineur amène un jeune Tunisien à s’immoler par le feu, ce dont il mourra le 4 janvier 2011. Si l’immolation par le feu est objectivement en passe de devenir banale, car ce n’est pas la première, les conséquences sont considérables : la Tunisie s’enflamme et à sa suite, l’Egypte et le Maghreb, puis le Machrek. C’est le monde arabe dans son ensemble qui est la proie d’une ébullition inattendue. L’immolation de Tarek Bouazizi, le jeune Tunisien, n’est pas un cas isolé. D’autres immolations n’ont pas défrayé la chronique. Il faut des circonstances particulières, en l’occurrence un climat révolutionnaire pour que l’événement, sans implication directe, serve de détonateur. L’immolation par le feu de Tarek Bouazizi, par son retentissement et ses conséquences politiques, est à com­parer à celle du jeune Tchèque Ian Palac, qui agit en protestation à l’invasion, en 1968, de son pays, par les forces du pacte de Varsovie. Les répercussions politiques, au plan national aussi bien qu’international, furent immenses.

La révolte tunisienne, entraînant la chute du gouvernement le 14 janvier 2011, et sa propagation à l’ensemble du Maghreb et du Machrek, frappe les dirigeants occidentaux de stupeur, puis d’inquiétude. Jusqu’où cela va-t-il aller ? Aucune chancellerie occidentale et pas plus un seul institut de prospective n’avaient prévu les événements, même à titre de vague hypothèse. Jamais l’expression « un coup de tonnerre dans un ciel clair » n’a été d’une justesse plus grande. On pourrait y ajouter l’anecdote du pavé dans la marre aux canards. Au point, première bévue de taille, que Madame Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères de la République française, avait très ingénument proposé, lors du début des troubles, à son collègue tunisien les services de policiers français, connus pour leur dextérité à mater les émeutiers. Et pour ne pas en rester là, elle n’avait pas trouvé d’inconvénient à aller passer les fêtes de fin d’année en Tunisie, avec sa famille, alors que la révolte prenait de l’ampleur, pas plus qu’à avoir recours, en Tunisie, à des moyens aériens privés, sur invitation d’un richissime membre du clan Trabelsi, lié directement à un gou­vernement qui n’avait qu’une quinzaine de jours de survie.

Pourtant, les signes annonciateurs de la crise n’avaient pas manqué. Ne se­rait-ce qu’en Tunisie, en 2008, la police avait harcelé vigoureusement Nozha Ben Mohamed jusqu’à la fermeture de sa radio libre sur le Net. La première du genre ! En Algérie, en 1992, le report indéfini des élections remportées par les Islamistes mettait en lumière une atteinte grave à la démocratie. Pourtant, le gouvernement français de l’époque n’avait pas caché son approbation. S’en suivit une guerre civile durant plusieurs années, dont les motifs n’étaient pas que religieux, mais aussi bien sociaux et politiques.

Ne parler d’une éruption révolutionnaire contre les régimes en place qu’en se limitant au Maghreb serait d’une cécité politique hors du commun. En effet, le simple constat oblige à réaliser que la Syrie et le Yémen, sans compter d’autres pays, au Machrek, ont été atteints par la contagion révolutionnaire.

Il y a ainsi lieu de se poser la question du pourquoi et du comment. Pourquoi le « Printemps arabe » ? Et en tout premier lieu que vaut la distinction entre Maghreb et Machrek. Quelle peut être l’évolution de ces populations qui revendiquent une démocratie ? Mais la démocratie ainsi exigée est-elle celle des Occidentaux, une dé­mocratie parlementaire ? Quel sens revêt l’intervention militaire effectuée en Libye par une coalition de seize Etats, la France en tête, mais comprenant aussi des Etats arabes ? En quoi, d’ailleurs, cette intervention militaire diffère-t-elle de ce qu’il fau­drait plus exactement appeler une guerre ?

Maghreb et Machrek en feu

Maghreb et Machrek se définissent l’un par rapport à l’autre. Ils endossent dif­férentes acceptions selon l’aspect qui prédomine dans la réflexion. Maghreb dé­signe l’Occident arabe, le Couchant en termes géographiques, par opposition à Machrek qui se définit comme l’Orient arabe, le Levant. A l’époque où l’Espagne était sous domination arabe, le Maghreb l’englobait. Maintenant, il s’arrête tou­jours à l’océan Atlantique, donc à la Mauritanie et au Maroc, mais désormais, sa limite au nord est le détroit de Jabalal-Tariq, la Montagne de Tariq, Gibraltar, ainsi que la Méditerranée. A l’est, la délimitation reste litigieuse. Dans une acception étroite et géographique, le Maghreb s’étend jusqu’à la Palestine et la Jordanie. Dans une acception géopolitique, d’aucuns bordent le Maghreb à la Tripolitaine, d’autres l’agrandissent à la Cyrénaïque, donc à la Libye dans son ensemble, et même parfois y joignent l’Egypte. En aucun cas, la limite frontalière n’est poussée au delà de l’isthme de Suez. Une délimitation géopolitique du Maghreb peut être apportée par l’Union du Maghreb arabe (UMA), fondée en 1989, comprenant la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye. L’UMA tire sa légitimité de l’existence de liens historiques, du partage de la même religion, de la même culture et de la même langue. Le but affiché est de renforcer l’union entre les Etats membres, jusqu’à aboutir à une complète intégration.

Ces distinctions peuvent apparaître oiseuses ou ne concerner que des géo­graphes pointilleux. Il n’en est rien, car l’importance géopolitique est loin d’être nulle et il y a bien une entité maghrébine distincte de celle du Machrek. Israël, pour les géographes, à titre d’exemple, fait partie du Machrek, en aucun cas pour les géopoliticiens.

Les limites méridionales du Maghreb s’inscrivent sans grande précision en attei­gnant le Sahara, mais comportant des régions litigieuses comme celle des Sahraouis au sud du Maroc.

Le Machrek ne prend pas en compte la péninsule arabique. La raison, très vraisemblablement, réside dans la nécessité qu’avaient les Arabes de désigner leurs conquêtes orientales et occidentales, sans avoir le besoin d’une dénomination quel­conque nouvelle pour leur propre terre.

Cependant, le Maghreb et le Machrek, en y adjoignant la péninsule arabique, ainsi qu’en l’étirant jusqu’au Pendjab, recouvre les territoires, objet du concept américain de « GreatMiddleEast, le Grand Moyen-Orient ». Ce concept, né avec le XXIe siècle, visait à convertir ce Grand Moyen-Orient à la démocratie parlementaire telle qu’elle était comprise à Washington. En regard des échecs afghan et irakien, le concept a été totalement abandonné à la fin de la première décennie du XXIe siècle.

Effet direct et contagieux, les déboires américains en Afghanistan et en Irak ne furent pas sans influencer les masses arabo-musulmanes. En 2011, il apparaissait nettement que les Américains et leurs alliés pouvaient essuyer des échecs militaires sérieux, voire une défaite. En second lieu, les régimes soutenus par les Américains, aussi bien celui de Nouri al-Maliki, en Irak, que celui de Hamid Karzaï, en Afghanistan, se distinguaient par une corruption tellement éhontée et une absence de démocratie aussi patente que les Américains s’en détournaient eux-mêmes. Ces régimes ne subsistaient que parce qu’à Washington, on avait épuisé toutes les res­sources de remplacement.

Les autres pays, ceux du Maghreb entre autres, ne dépareillaient pas l’Afghanistan et l’Irak par leur niveau de corruption, de concussion, de népotisme et de clanisme. A la chute de Ben Ali en Tunisie, a été nommé un président d’une Commission nationale d’établissement des faits sur les affaires de corruption, Abdelfattah Amor. Celui-ci tente d’évaluer la fortune amassée par l’ex-dictateur et son clan, le clan Trabelsi, du nom de sa femme. La hauteur des détournements atteint quelque 10 milliards de $, butin de 23 années de règne. En 1992, le frère du président-dictateur tunisien, Moncef Ben Ali, a été condamné par la justice française à la suite de la découverte d’un trafic de cocaïne et d’héroïne. La condamnation, prononcée par contumace, ne fut jamais exécutée, d’autant plus que Moncef Ben Ali mourut en 1996 dans des circonstances étranges. En Egypte, le 21 avril 2011, un tribunal a infligé des condamnations pour vol d’un tableau de Van Gogh, exposé dans le mu­sée du Caire, vol commis le 21 août 2010. Parmi les condamnés, figurent le vice­ ministre déchu de la Culture, Moshen Chalane, et quatre employés du musée ayant eu des fonctions diverses. La liste peut être allongée sans aucune difficulté. Le jeune Tunisien Tarek-Mohamed Bouazizi, dont l’immolation donne le signal de la révolte tunisienne, était un vendeur ambulant, dont la saisie, une fois de plus, de sa mar­chandise ainsi que de sa balance et de sa charrette à bras, provoqua la protestation, sans succès, auprès des autorités municipales. De fait, il se refusait, faute de moyens, à payer les bakchichs coutumiers. Une auxiliaire de police le gifla, ce dont elle fut naturellement acquittée en avril 2011. L’affaire n’a pris de l’ampleur et a joué un rôle de détonateur que parce que la Ligue des droits de l’homme tunisienne s’en est saisie. Le régime algérien est discrédité par les accusations de corruption généralisée qui n’épargnent pas le président Bouteflika. L’entourage du roi du Maroc n’échappe pas plus au même phénomène.

Les causes de l’incendie sont multiples, mais aucune n’est due au hasard. C’est une conjonction de circonstances, et il serait totalement inadéquat que de donner pour raison première une quelconque conspiration ourdie par un réseau interna­tional que met en action une organisation interarabe tellement occulte que nul ne l’a décelée. Est en jeu une série de causalités que l’on pourrait appeler « la force des choses » à la suite de Saint-Just, ou suivant une démarche marxiste, une logique de conjonction de la lutte des classes, des progrès technologiques de la communication et de la conjoncture internationale.

La première des causalités est l’avancement culturel de l’ensemble du monde arabe, avancement certes relatif, mais néanmoins bien réel. C’est cet avancement qui a permis l’utilisation généralisée de la cybernétique sous toutes ses formes. A titre d’exemple, le téléphone portable est devenu d’un usage courant dans le monde arabe, tout autant qu’ailleurs. La mondialisation, ou selon le terme anglo-saxon la globalisation, a aussi gagné le monde arabe.

L’islamisme fait partie de ces causalités, bien qu’il ne se dessine guère dans ces révoltes. Il y a lieu de ne pas occulter le coup de gong qu’a été la prise de contrôle de la Grande Mosquée de la Mecque, le 20 novembre 1979, par des fondamentalistes à l’encontre des autorités gouvernementales, la monarchie saoudienne, accusées d’être dépravées et de faire, chemin faisant, le jeu des Occidentaux impies. Al-Qaïda, entre autres, dont des chaines télévisées comme Al-Jazira se font volontiers le porte-parole, a relayé l’imprécation déclarant « la guerre contre les juifs, les croisés et leurs affidés au pouvoir ». Or, ces affidés sont très exactement les gouvernements en place au Maghreb et dans le monde arabe, gouvernements dictatoriaux corrom­pus et apostats, soutenus par les Occidentaux. Or ce soutien bien réel, est donné sans grande discussion, quitte à fermer les yeux sut les multiples atteintes aux droits de l’homme que commet, à titre d’exemple, le dirigeant libyen Kadhafi, parce que la dictature au pouvoir s’oppose avec plus ou moins de virulence aux fondamen­talistes islamistes et assure un approvisionnement sans ambages du pétrole. C’est le cas aussi, notamment en Egypte, du gouvernement dirigé par Hosni Moubarak, en lutte contre les Frères musulmans, en Libye de Mouammar al-Kadhafi, déjà nommé. Le paradoxe réside en ce que les insurgés oublient le rôle joué par les Occidentaux pour ne retenir que celui des gouvernements dictatoriaux et corrom­pus. Pour combien de temps ?

Le reproche essentiel asséné à ces gouvernants inefficaces, en sus de leur corrup­tion, est l’étalage de leur richesse mal acquise, alors que la population reste dans sa misère.

Les rouages politiques des dictatures arabes se grippent. Les temps ont chan­gé depuis leur arrivée au pouvoir. En effet, ce pouvoir échoit à Mohamed VI au Maroc, comme à Moubarak en Egypte et à Ben Ali en Tunisie de la même manière qu’à Abdallah II en Jordanie et à Bachar el-Assad en Syrie : sans lutte et sans qu’ils en maîtrisent réellement les rouages classiques et les implications multiples. Il en est ainsi, à la différence de Mohamed V, de Bourguiba qui, à l’instar d’Hafez el-Assad, ont dû combattre pour obtenir l’indépendance et leur accession à la direction poli­tique suprême, à travers diverses embuches intestines.

L’exemple d’Abdelaziz Bouteflika qui revient au pouvoir en Algérie pour s’y maintenir en 2011 est symptomatique. Lui, est un vieux guerrier de la guerre d’in­dépendance qui a su déjouer les pièges de ses rivaux. C’est ce qui l’amène à lever l’état de siège en Algérie et à ne pas être trop en butte à des mouvements insurrec­tionnels.

Dans ces conditions, la moindre étincelle mettait le feu aux poudres. Ce fut l’immolation de Mohammed Bouazizi.

La démocratie parlementaire, mode d’emploi au Maghreb

En Egypte et en Tunisie, l’abolition de la dictature et le processus d’une instal­lation de la démocratie parlementaire sont en marche en 2011. L’effusion de sang a été réduite. Seule la police, à l’origine, s’en est prise aux émeutiers et encore molle­ment. Il y a quand même eu plusieurs dizaines de morts ! L’armée, en tant qu’ins­titution, est restée neutre quand elle ne s’est pas ralliée à la révolte dans sa phase finale. Cette neutralité mérite d’être signalée avec force et analysée. L’islamisme politique, pris de cours, a été totalement absent des revendications qui se sont bor­nées à demander l’établissement de la démocratie d’une manière assez diffuse, sans programme et sans plus de projet politique qu’économique.

En Egypte, un gouvernement provisoire auto-proclamé, mais soutenu par l’ar­mée, a fixé des élections législatives en septembre 2011. La date reste à préciser. Les partis politiques déclarés devraient établir un programme ! En ont-ils la capacité ? En des délais si courts !

En Tunisie où la procédure est exemplaire, la première étape est l’élection d’une assemblée constituante, prévue le 24 juillet 2011. Si l’élection est bien au suffrage universel, elle est au scrutin proportionnel, ce qui fait la partie belle aux 51 forma­tions politiques déclarées et autorisées. A l’effet de ce processus de transition, est réunie une « Haute autorité de la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme et de la transition démocratique », supervisée par un juriste et un théoricien des politiques islamiques, Yadh Ben Achour. L’institution compte 155 membres, choisis en raison de leur compétence, tous réputés avoir été hostiles au système Ben Ali, et se comporte en parlement de fait sinon, déjà, de droit. Cette Haute instance est née d’une commission auto-proclamée qui s’est investie donc de la conception du système électoral et d’une série de questions sociopolitiques et économiques. Elle a délégué son pouvoir d’organisation de la consultation électorale à une com­mission ad hoc. La Haute instance est en quête de légitimité.

Ce n’est pas le seul problème qui se pose à la démocratie tunisienne naissante. Les dirigeants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti dis­sous pour avoir été la courroie de transmission politique du clan Trabelsi, ne sont pas autorisés à se présenter aux élections, mais première contradiction de taille, aucune interdiction ne touche spécifiquement les anciens ministres. Deuxième contradiction, l’interdiction ne vise que les dirigeants en charge depuis dix ans. Une liste nominative de ces proscrits doit être établie. En revanche, et le point mérite d’être souligné, aucune interdiction ne concerne le parti Ennahda qui ne cache pas sa profession de foi islamiste tout en proclamant sa tolérance. Par ailleurs, l’organisation matérielle des élections représente une tache gigantesque, alors que la simple vérification de l’état civil est au moins aussi ardue et annonce des contesta­tions infinies. Il n’y a là que l’expression brutale d’un constat irréfutable, établie par la commission électorale. La conséquence logique est la proposition de reporter la date de l’élection. A titre d’illustration concrète, se pressent 7 millions d’électeurs potentiels, alors que le dernier recensement datant des élections de 2009 n’en enre­gistre que 4 millions. Le président de la Commission électorale, Kamel Jendoubi, a, dans un premier temps, été désavoué, le 24 mai : les élections auront lieu à la date prévue et non à celle proposée du 16 octobre. Finalement, c’est la date du 23 octobre qui a été retenue. Quelle est la légitimité réservée à cette élection ? Le seul parti à ne pas manifester son opposition au processus est l’islamiste Ennahda.

Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, après une rapide visite en Egypte, s’est rendu à Tunis les 21 et 22 avril 2011, en promettant 350 mil­lions d’euros d’aide sous forme d’un prêt avec un échéancier de remboursement des plus vagues. La première mise de fonds aurait pu être fournie par le rapatriement des capitaux des Trabelsi, quelque 10 milliards d’euros placés sous séquestre en Tunisie même, comme à l’étranger. Ce n’est pas la seule étrangeté de la situation. L’acquiescement français s’explique par la série d’erreurs commises avant la chute de Ben Ali et par le désir de retrouver une situation prééminente sur l’échiquier politique et économique tunisien. Quant à Ben Ali et son clan, bagages compris, ils se sont réfugiés en Arabie saoudite.

L’Algérie, dans la suite de la Tunisie et de l’Egypte, a été la proie de la même vague révolutionnaire. Le processus de réconciliation engagé par le président Bouteflika a été accéléré et l’état d’urgence en vigueur depuis 1992, a été levé en février 2011. L’amnistie proclamée reste encore un sujet de discussion, mais quant à la qualité des derniers amnistiables, pas sur la quantité qui porte sur 7000 emprisonnés. Est en jeu une révision de la Constitution et l’établissement d’un processus électoral avec la création d’un Front islamique du salut, rénové et désormais autorisé. Ce néo-Fis se doit d’avoir une façade légale acceptée sans renoncer fondamentalement à son islamisme.

La Mauritanie demeure figée dans da dictature militaire. Le « Printemps arabe » n’avait pas épargné le Maroc qui en février 2011, avait connu quelques manifesta­tions sans grands heurts. Les contestataires, dont la direction avait été prise par des représentants d’une classe moyenne, commerçante et entrepreneuriale en croissance forte, réclamaient une monarchie constitutionnelle. Pour calmer le tumulte, le roi Mohamed VI tint un discours du trône, flanqué de son fils héritier, un bambin, et de son Premier ministre. Ainsi le 9 mars 2011, le monarque chérifien avait promis de vagues réformes socio-politiques. Pour asseoir son discours, dans la foulée, il a fait libérer, le 14 avril, quelques détenus politiques islamistes et sahraouis. Le ter­rorisme ne tarda pas à se rappeler au bon souvenir du monarque par un attentat spectaculaire à Marrakech, le 28 avril. Au bilan, une quinzaine de victimes dont des Français.

AQMI ne revendique pas l’attentat, mais il est signé par son mode opératoire et surtout vaut avertissement spectaculaire. Le roi peut promettre ce qu’il veut : il n’en est pas moins un affidé des juifs et des croisés !

La Tunisie et l’Egypte, avec leurs troubles s’étendant en tâche d’huile, font fi­gure de cas d’espèce au Maghreb, à l’exception notable de la Libye. Le processus de l’engagement d’une démocratie parlementaire semble en bonne voie. Le problème des élections n’est que mal réglé, parce qu’il y a trop d’irrégularités potentielles et concrètes qui se donnent libre cours. Ces élections peuvent être taxées d’illégitimité, pour peu qu’une opposition structurée se manifeste.

L’islamisme prenant une façade légale se présente aux élections. La contradic­tion est de taille : comment concilier le concept d’une démocratie parlementaire avec le fondamentalisme prôné par l’islamisme ?

 

La démocratie arabe combattante

Autant l’institution militaire est restée neutre en Tunisie et en Egypte, laissant espérer un changement de régime dans un calme relatif, autant il n’en a pas été de même en Libye, pas plus qu’en Syrie. En effet, l’armée est restée fidèle au pouvoir en place et n’a pas hésité à vouloir réduire les manifestations par tous les moyens militaires, même par le déploiement de blindés et les bombardements sur les zones réputées rebelles.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de prendre en compte l’origine so­cio-professionnelle et intellectuelle des dirigeants : Kadhafi, Hosni Moubarak, Ben Ali, Bachar el-Assad sont tous quatre officiers, issus d’une école d’officier. Qui plus est, Ben Ali, comme le chef de sa garde, a effectué ses études militaires à Saint-Cyr. Cependant, l’armée ne prend pas fait et cause pour Hosni Moubarak pas plus que pour Ben Ali. En revanche, elle sert Kadhafi et en Syrie, Bachar el-Assad. L’origine professionnelle et sociale des gouvernants n’est donc pas en cause dans l’attitude adoptée par l’institution militaire.

La Libye offre un cas exemplaire. Si elle est arabe, son peuplement est extrê­mement tribal, se répartissant entre la Tripolitaine, avec Tripoli comme capitale de l’Etat, et la Cyrénaïque. La troisième province, le Fezzan est un désert parcouru par quelques ensembles nomades

La Libye, après avoir été un rogue state, un Etat voyou, a réintégré le concert des nations. Elle a acquitté des indemnités aux ayant-droits des victimes de son terro­risme et a renoncé à l’obtention d’un armement de destruction massive.

Kadhafi, riche de ses ressources pétrolières, a organisé une armée assez moderne, grâce à des achats d’armements, tant auprès des Etats-Unis que de la France et de la Russie. Estimant que le combattant arabe souffre d’un manque de combati­vité et d’une aptitude insuffisante à servir dans les armées conventionnelles orga­nisées selon les systèmes occidentaux, tout comme se méfiant d’une force issue de la conscription, donc des nationaux, Kadhafi a renforcé ses troupes d’au moins un tiers de mercenaires.

L’agitation populaire débute très exactement le 17 février par une manifesta­tion de masse. Elle s’étend et se confond avec un soulèvement tribal et ce n’est pas par hasard que le Conseil national de transition (CNT) est proclamé le 17 février 2011 à Benghazi, à partir d’une coalition de tribus de Cyrénaïque. Composé de 31 membres, le CNT est présidé par Moustafa Abdeljalil, ancien ministre de la Justice de janvier 2007 à février 2011, ministère interrompu par sa nouvelle prise de fonc­tion, qui le place dans la rébellion.

Le président français, Nicolas Sarkozy, d’une part mortifié par une image de la France entachée des faux pas de Tunisie, d’autre part retrouvant une voie majeure aux fins de son projet d’un ensemble particulier méditerranéen, décide de reconnaître le CNT. En cela, il est conseillé par le très médiatisé philosophe Bernard-Henri Lévy qui s’est déjà illustré en entraînant un président français en Bosnie, au grand dam final des Bosniaques qui n’obtinrent pas les armes espérées. Bernard-Henri Lévy s’efforce d’amener le président Sarkozy à Benghazi. L’annonce en filtre dans les médias, ce qui agace le Quai d’Orsay à l’égard de Bernard-Henri Lévy, célèbre par ses initiales, BHL, qui lui servent de dénomination. En atten­dant, le président Moustafa Abdeljalil est reçu à l’Elysée, à l’instar d’un chef d’Etat. Parallèlement, à l’ONU, la délégation française s’efforce d’obtenir du Conseil de sécurité une condamnation de Kadhafi et un mandat d’intervention militaire en Libye. Ceci est obtenu effectivement le 17 mars par la résolution 1973 qui, cepen­dant, ne prescrit une action militaire que limitée à la seule défense des civils.

L’action militaire est initiée par une première frappe aérienne portée le 19 mars 2011. Les Occidentaux procèdent à l’exportation armée de la démocratie parle­mentaire.

C’est une démocratie armée qui vient au secours du « Printemps arabe » dans sa version libyenne.

L’aviation française entre en action immédiatement ainsi que celle de trois autres pays, dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni sur les 16 Etats que compte la coali­tion. Les Américains, d’ailleurs, se retireront très vite, mais se feront remplacer par des drones. En outre, ils sont prêts à assurer le complètement en munitions, surtout en missiles. La proposition n’a aucun effet sur les Français notamment : les muni­tions américaines ne sont pas compatibles avec les avions français Rafale. Le reste de la coalition encombre le ciel et gène les opérations des aéronefs combattants.

Les frappes aériennes sont les bienvenues pour les rebelles dont l’immense ma­jorité n’a aucune expérience des armes et encore moins d’une organisation militaire. L’essentiel des effectifs rebelles est fourni par de jeunes volontaires, les chahab, di­rigés par Ben Djouad qui se révèle un intéressant second de Moustafa Abdeljalil, à moins qu’il ne soit un concurrent en puissance.

Les frottements entre membres de la coalition occidentale se font jour rapide­ment. Les Français voudraient bien garder les commandes des opérations, faute d’un commandement européen : leurs alliés insistent pour que l’OTAN prenne la direction des opérations. Le 31 mars 2011, les Français ont dû céder. Quant à passer la direction à l’UE, le sujet n’est même pas effleuré, tant il est clair qu’il y a opposition forcenée à toute tentative visant une mise sur pied d’une quelconque Europe-puissance. La France est mise au banc des accusés sous le reproche d’avoir des visées impérialistes au Maghreb, de même qu’au sein de l’UE. D’autre part, pour bon nombre d’Etats, membres de l’UE, c’est un moyen facile de ne pas être impliqué dans l’action tout en ayant voix au chapitre décisionnel.

Les divergences n’en restent pas là. Moscou et Pékin sont opposés à ce qu’ils jugent être une main-mise occidentale sur le Maghreb et le Machrek sous couvert d’une intervention humanitaire. Cela n’est peut-être pas entièrement faux, eu égard à des relents de pétrole libyen. Ils se sont contentés d’une abstention lors du vote de la résolution 1973, mais la Russie prévient qu’elle déposera un veto à toute action de force contre la Syrie.

Chinois et Russes sont parvenus à la création, le 14 avril 2011, d’un groupe de contact dit « BRICS », acronyme des Etats-membres, Brésil, Russie, Chine, Inde et Afrique du Sud. Ce BRICS a vocation à favoriser une entente particulière suivie de l’exercice d’une pression adéquate. Et pour faire bonne mesure, en ajoutant au chaos décisionnel, un groupe de contact de 20 Etats a été réuni et a tenu sa première séance à Doha, le 13 avril, sans qu’il en sorte un acte tangible.

Les buts de l’intervention ne sont pas clairs ou sujets à controverse. Le comman­dant des forces de l’OTAN, le général Bouchard, souligne qu’il s’en tient au man­dat tel que l’a défini la résolution 1973, notamment de « protéger les populations civiles, pas d’imposer un changement de régime ». Ce n’est pas l’avis du ministre des Affaires étrangères canadien, Kevin Rudd. Français, Britanniques et Américains penchent en faveur de la thèse canadienne et tiennent Kadhafi pour un voyou. Paris ne peut oublier la comédie des infirmières bulgares et du médecin palestinien incul­pés pour propagation du sida, en 2008, et qu’il est arrivé à faire libérer en échange d’une rançon.

Les opérations militaires, limitées à de seules frappes sur cibles militaires, sont inopérantes à imposer une victoire décisive qui se traduit toujours par l’anéantisse­ment des forces armées ou une conquête territoriale ayant valeur politique décisive. Or, l’atteinte d’un tel objectif ne peut être réalisée que par intervention des troupes au sol. Certes, l’aviation appuie et soutient, mais il ne peut y avoir victoire mili­taire sans action des forces terrestres qui anéantissent définitivement l’adversaire et contrôlent le terrain. Cet impératif stratégique ne souffre aucune ombre. Il est étonnant que le président français n’ait pas écouté ses conseillers militaires ou que les conseillers militaires n’aient pas pris en considération l’impératif stratégique. Après neutralisation de l’aviation de Tripoli, les frappes aériennes amènent le retrait ou, par leur absence, permettent l’avancée des forces de Kadhafi dans un ballet à répétition entre Tripoli et Benghazi, le long de la côte. Plus simplement, vieille constante stratégique ou loi de la guerre donc, la victoire finale appartenant aux troupes au sol, la question se pose donc en termes crus avec Kadhafi : envoyer des forces terrestres ou non. Le CNT en est totalement incapable. Il ne dispose que de volontaires peu aguerris. Alors, envoyer un corps expéditionnaire occidental ? Une opex ? Comme en Irak et en Afghanistan ? Problème !

Les Américains y ont répondu en soustrayant, le 4 avril 2011, leurs forces aé­riennes du potentiel de l’OTAN engagé contre Tripoli. S’ils envoient, en échange, des drones et proposent un approvisionnement en munitions incompatibles avec l’armement de leur allié français, la décision est d’une clarté limpide : les Américains ne veulent pas être pris dans un engrenage et se désolidarisent de leurs alliés de l’OTAN. Les Européens sauront-ils s’en souvenir ? Il est vrai que les Américains tirent la leçon brulante de leur engagement en Irak et en Afghanistan.

Français et Britanniques envoient quelques dizaines de coopérants, chargés d’instruire les rebelles dans l’art du commandement et de l’organisation militaire. C’est trop ou trop peu ! Les Américains ont échoué dans leur proposition faite à Kadhafi d’un retrait honorable de la scène politique. Il a répondu par un refus sans ambages, le 29 avril 2011, et se maintien au pouvoir contre vents et marées. Les Français et les Britanniques sont conscients de l’enjeu et ont peur d’en arriver à être acculés au dilemme de l’engrenage que représente l’envoi d’un corps expédi­tionnaire, d’où découlerait une guerre sans fin, ou une retraite plus ou moins bien négociée en abandonnant le CNT. La position américaine vis-à-vis de la Syrie, où règne une situation semblable à celle de la Libye, est singulièrement éclairante. Les Américains se contentent de sanctions économiques du type du gel des avoirs de Bachar el-Assad et de ses fidèles. Les fonds de Kadhafi, aux mains de la Société gé­nérale, banque française, échappent de fait à toute investigation poussée.

 

L’islamisme aux aguets

L’islamisme avait déjà assené un premier avertissement, mais qui ne fut pas compris par la masse arabe, de même que par les Occidentaux. Au Caire, place Tahrir, le 8 mars 2011, une manifestation visait à commémorer comme il se doit la journée internationale de la femme. Le défilé fut bloqué par les salafistes, se faisant reconnaître comme tels. Des femmes, en niquab, accompagnaient les salafistes. La manifestation se dispersa. Les forces de police observaient sans intervenir. A bon entendeur, salut !

Le Tunisien Rachid Ghannouchi, dirigeant du parti fondateur Ennahda avance son appartenance démocratique et prétend se distinguer fondamentalement du par­ti Hizb et-Tahrir, salafiste et également présent en Tunisie. Ennahda, entre autres, veut suivre la charia, tout en établissant une égalité entre les sexes, au moins aussi bien que les Occidentaux. Certes ! Mais les Tunisiens sont passés maîtres dans l’art des discours lénifiants et surtout alliant sans sourciller les contraires.

Les démocrates du « Printemps arabe » se sont lancés dans la revendication et l’émeute, sans avoir d’organisation structurée. S’il y avait une comparaison à faire, ce serait avec les mouvements insurrectionnels français de mai 1968. Ils s’effacèrent dès que l’Assemblée impuissante fut dissoute pour laisser place à des joutes électo­rales. C’est très exactement la répétition de ce schéma qui se réalise en Tunisie et en Egypte. Les émeutiers démocrates ne s’en rendent pas compte. Ils ne perçoivent même pas qu’ils n’ont ni programme ni revendication précise, si ce n’est un vague slogan vengeur à l’égard de la corruption gouvernementale et de leur misère

Ces émeutiers ne se rendent même pas compte que la démocratie dans ses pays d’élection est fragile. Alors, son installation au Maghreb reste assez hypothétique, faute d’un mode opératoire qui ne peut pas être copié sur celui des Occidentaux. Le Maghreb démocratique serait une exception.

Déjà dans les pays occidentaux, il n’est pas commun de se rendre compte que la démocratie est fragile. A l’aurore du troisième millénaire, il y a lieu de souligner que si la forme démocratique du régime politique d’une république authentique est de règle dans les pays occidentaux, cela ne concerne jamais que moins d’une quarantaine d’Etats sur les 192 que compte l’ONU en 2011.

Les Etats démocratiques sont donc minoritaires sur terre, loin s’en faut et rela­tivement récents, mais surtout vulnérables et faillibles. Cela peut paraître paradoxal ou injustifié dans les pays où un régime démocratique est installé depuis plusieurs générations, ainsi en France comme en Grande-Bretagne. Le cas de l’Allemagne est le plus probant puisque nul n’oublie que la République de Weimar a succombé très légalement avec l’élection tout à fait régulière, le 30 janvier 1933, d’Adolf Hitler, à la responsabilité de chancelier. La République française, patrie des droits de l’homme, a connu une suspension de son existence lorsque les assemblées votèrent majori­tairement, le 10 juillet 1940, la remise de tous les pouvoirs au maréchal Pétain, ce qui permit, le lendemain, à un acte constitutionnel de faire de lui le chef de l’Etat français. Philippe Pétain alla jusqu’à la suppression du terme de « République » dans les appellations officielles de la France. Episode cocasse, un député qui avait voté les pleins pouvoirs à Pétain, devint un président de la IV™ République : René Coty.

Pourtant, c’est la France, malgré l’avatar de Pétain, qui retiendra plus spécifi­quement l’attention de l’analyse en tant que paradigme. La France se classe parmi les plus anciennes démocraties. C’est d’elle aussi qu’émane la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, votée par l’Assemblée nationale constituante, le 26 août 1789, reprise et précisée en 1793 et en 1795. Cependant, en regard du temps his­torique, l’ancienneté de la démocratie est faible.

Les Grecs et les Romains avaient connu une forme de gouvernement bapti­sée « démocratie ». Cette démocratie ne concernait qu’un nombre réduit de ci­toyens pouvant se rassembler sur l’Agora ou le Forum. L’immense majorité de la population était composée d’esclaves, dénués de tout droit. Les sociétés antiques étaient basées sur l’institution de l’esclavage. Un système de démocratie apparaît au Ve siècle avec l’Eglise primitive : l’évêque était élu, selon un dispositif que treize siècles après, on nommera le suffrage universel, mais cela ne dura guère. Cela n’en est pas moins un précédent qui n’existe pas dans les pays islamiques.

Les balbutiements démocratiques se font jour avec la Déclaration des droits britannique, the Bill of Rights de 1689 ainsi que la Déclaration des Droits et la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis de 1776, mais sans avoir la por­tée universelle caractérisant la Déclaration française. C’est cet acte qui inspira la Déclaration universelle des droits de l’homme, votée en 1948 par l’Assemblée géné­rale de l’ONU, à peine créée.

Les démocraties sont fragiles non seulement à cause d’évènements et de circons­tances externes, mais surtout du fait de fourvoiements internes. La corruption et la prévarication ne sont pas l’apanage des Etats totalitaires du Maghreb. Pour en rester à la France et pour en rester à la deuxième moitié du XXe siècle et à la première décennie du XXIe siècle, elle a connu la mise en accusation, entre autres, de deux présidents de la République : l’un pour une affaire de diamants qu’un potentat afri­cain lui a offert personnellement, l’autre pour un délit consistant à créer des emplois fictifs à la mairie de la capitale. Des ministres sont passés en jugement, quelques uns acquittés, seulement en deuxième instance. Les libertés individuelles sont mises en question. Le système de détention parfaitement arbitraire de Guantanamo a un retentissement mondial, d’autant plus qu’il est pratiqué par les Etats-Unis qui se proclament la plus grande démocratie au monde. Si Guantanamo est le symbole d’une liberté individuelle bafouée, la raison d’être en est politique. Les détenus sont réputés être des islamistes. Et alors, l’islamisme s’arroge la palme du martyr. Mais en France, la garde à vue, à la même époque, est sujette à discussion. En sa forme, elle est accusée d’être arbitraire et sur-employée, pour des délits bénins comme des infractions, certes graves, au code de la route. L’institution judiciaire est mise en question publiquement.

L’islamisme a beau jeu de dénoncer l’ensemble des contradictions qui secouent le monde occidental, de taxer la démocratie d’hypocrisie, de poudre jetée aux yeux. Certes, les carences et les failles doivent être rendues éclatantes, condamnées et corrigées, mais elles ne signifient pas que le système soit mauvais intrinsèquement, ce que clament les islamistes. Un apprentissage de la démocratie est nécessaire. Cet apprentissage a bénéficié d’une incubation de plus d’une dizaine de siècles, suivie d’une mise à l’épreuve qui n’a pas encore cessé au XXIe siècle. Or, les pays du Maghreb comme du Machrek n’ont pas connu cette lente maturation ; ils sont passés des systèmes totalitaires au colonialisme qui était un autre système totalitaire et, de là, à une indépendance qui ne cachait que très mal un autre totalitarisme. En somme, le totalitarisme subsiste, seuls les dictateurs changent.

L’exemple de l’Algérie est patent. L’indépendance, à l’origine, a été placée sous l’égide de la laïcité par le Congrès de la Soummam, le 20 août 1956, qui a permis au Front de libération national d’unifier toutes les forces indépendantistes. L’influence française est manifeste dans ce processus qui ne subira une influence religieuse que peu à peu, sans jamais d’ailleurs être absolutiste. L’islamisme se caractérise par sa bienfaisance. Les fonds proviennent tant de l’aide extérieure, de subventions d’or­ganisations caritatives saoudiennes entre autres, que des collectes recueillies à l’in­térieur et des rançons perçues, par AQMI notamment, à ce que prétend l’organisa­tion terroriste. Il est cependant exact que les islamistes pratiquent un travail social. Le contrôle de plus de la moitié des municipalités après les élections de juin 1990, avait donné au Front islamique du salut la possibilité de fonder une économie basée sur l’action sociale. Le progrès était très réel. Cela s’est répercuté sur la distribution de logements, le marché des produits alimentaires et l’octroi de livres scolaires à très bas prix. Il y a rappel de l’ancrage de l’Algérie dans le monde arabo-musulman, ce que cherche à s’approprier le président Bouteflika, conscient du danger.

Les exemples peuvent être multipliés.

L’islamisme surtout, offre un espoir. Il prêche que l’instauration du royaume de Dieu sur terre est possible, à condition de retourner contre les Occidentaux et leurs alliés, la violence qu’ont subie les djihadistes, les combattants de la vraie foi.

La doctrine est simple, facile à répandre.

La démocratie peut-elle faire souche, gagner les populations en profondeur, sans rester l’apanage de quelques maigres couches d’une bourgeoisie éclairée ? Le combat est profondément inégal.

Si jamais le développement de la démocratie, éclose notamment au printemps de 2011 dans le Maghreb, plus précisément en Tunisie et en Egypte, échoue, alors, le résultat promet d’être catastrophique. L’islamisme verra s’ouvrir devant lui une avenue sans obstacles.

La mort d’Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011, immédiatement suivie de deux attentats spectaculaires vengeurs, rehausse le prestige de l’islamisme dont le cham­pion est Al-Qaïda. Oussama Ben Laden a été tué au Pakistan, alors que les autorités du pays lui devaient l’hospitalité ainsi qu’il sied à tout bon musulman. La punition s’est abattue, frappant les agents d’un gouvernement coupable : des policiers et des militaires.

L’humanité au cours de son périple, a été mue et bouleversée par de multiples mouvements de fond. L’islamisme en fait partie et doit être reconnu comme tel. Il est terroriste et ne peut et ne veut le cacher. S’en prendre au seul terrorisme islamiste en négligeant ses racines profondes est une erreur. Les Grecs anciens parlaient déjà de l’hydre de Lerne et du phénix renaissant perpétuellement de ses cendres.

Est en cause une foi et un mode de vie. L’islamisme dénie à la démocratie la capacité d’instaurer le droit sur terre. C’est à la démocratie, en tout préalable, de prouver le contraire. La démocratie ne peut se soustraire à la tolérance dont la pra­tique au plan politique est la laïcité. L’islamisme n’accepte pas la tolérance, ce qui est son point faible. C’est cette tolérance, avec à sa suite la laïcité, qui lui est le plus opposable. Cette lutte des idées est indispensable, sans cependant s’accompagner de marques de faiblesse.

Dans l’arène internationale, il y a lieu de considérer que des puissances, dites émergentes, comme la Russie et plus encore la Chine, sont à l’affût de l’abandon que réaliseraient les Occidentaux de leurs positions idéologiques, économiques et politiques. Elles s’y précipiteront alors, quitte même à les pousser dehors et à utili­ser, à cette fin, l’islamisme.

Article précédentLibye : vers une intervention terrestre ?
Article suivantENNAHDA : LES MUTATIONS DE L’iSLAMISME

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.