Syrie, une guerre internationale pour changer le régime ou démembrer le pays ?

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Fayçal Jalloul

Écrivain et journaliste spécialiste du Moyen-Orient


Depuis 2011, la Syrie a été le théâtre d’une guerre violente mettant en présence différents acteurs régionaux et internationaux. Cet article tente d’élucider les raisons des interventions des puissances étrangères dans ce conflit et leurs intérêts sous-jacents.

Since 2011, Syria has been the scene of a violent war involving various regional and international actors. This article attempts to elucidate the reasons for the interventions of foreign powers in this conflict and their underlying interests.


La Syrie est le théâtre d’une guerre internationale au nom du changement du régime du président Bachar El-Assad et de la mise en place d’un gouvernement démocratique. Face au déroulement de cette guerre, aux analyses des spécialistes et aux déclarations des dirigeants étrangers concernés, deux questions se posent : la Syrie est-elle véritablement entrée, ces dernières années, dans un processus de changement de régime ou bien sa destruction a-t-elle été une aubaine pour redessiner la géopolitique du Proche Orient ? Et où en est la reconstruction de la Syrie depuis la sortie de la guerre ?

L’historien et démographe Emmanuel Todd a fourni une analyse qui apporte une réponse à la première question. Concernant les pays qui ont été traversés par le Printemps arabe, il a relevé que le changement de régime en Tunisie avait été rendu possible du fait de la présence d’une importante classe moyenne et d’un statut de la femme moderne. Il a également envisagé qu’un changement de président pouvait se produire en Égypte sans effondrement de l’État. En revanche, de tels changements lui semblaient beaucoup moins envisageables en Syrie, en Libye et au Yémen où toute tentative de bascule du régime ne pourrait, selon lui, que conduire au déclenchement de guerres civiles.

Nous ajouterons à cette analyse d’Emmanuel Todd que les dirigeants de Tunisie et d’Égypte étaient des amis de l’Occident et qu’il était possible d’envisager de les remplacer par d’autres amis, ce qui s’est déjà confirmé dans les faits. Le Canard enchaîné a publié des détails précis sur les communications qui ont eu lieu entre la direction des armées tunisienne1 et égyptienne et le commandement militaire américain qui ont conduit au départ du tunisien Ben Ali et de l’égyptien Hosni Moubarak. Quant aux Yémen, à la Lybie et à la Syrie, ils sont toujours plongés dans d’atroces guerres civiles. L’ancien Premier ministre français Alain Juppé dira, après l’échec du renversement du régime en Syrie, que la France et 122 autres pays ont soutenu des universitaires syriens immigrés coupés de la réalité de leur pays.

Plusieurs acteurs ont facilité le déferlement en Syrie des djihadistes et des terroristes. Le président turc Erdogan considérait que « la sécurité anatolienne commençait à Damas ». Le roi Abdallah de Jordanie a ouvert ses frontières aux combattants étrangers. Leur entrée en Syrie était organisée par une chambre commune à Amman (le Military Operations Center ou MOC), dirigée par les États-Unis, certains pays européens et les États du Golfe. Israël a soigné les islamistes blessés, leur a fourni un soutien logistique et a mené des frappes aériennes en Syrie pour faciliter la tâche de Jabhat Nusra dans ses combats au sol.

Le Premier ministre qatari Hamad Bin Jassim a décrit la Syrie comme une proie (qui a coûté près de 150 milliards de dollars) d’une coalition internationale que chaque membre a essayé de s’approprier, s’aboyant les uns sur les autres tant et si bien que le gibier a fini par leur échapper. Tout dans le comportement et les propos des dirigeants de la coalition internationale prouve que cette guerre était vraiment totale et sans frontières et était destinée au démantèlement de ce pays. Tout le monde savait qu’il était impossible de changer le régime, que cela mènerait à une guerre exactement comme celle qui a eu lieu en Irak, une guerre qui a conduit à la dispersion des Irakiens après les avoir dressés les uns contre les autres, à la destruction des chrétiens, à la séparation des Kurdes et à la mise en place de conditions permettant le déclenchement d’une guerre communautaire de cent ans entre chiites et sunnites.

La preuve que l’objectif déclaré de cette guerre a été un échec a été apportée par Gérard Chaliand, un expert des mouvements de libération dans le Tiers-monde, lorsqu’il a déclaré que si Assad avait été vaincu, pas un seul Alawi ne serait resté en vie en Syrie. On peut ajouter qu’il n’y aurait plus eu non plus de Druzes, d’ismaéliens, de chrétiens, de chiites, et que tous les sunnites qui auraient refusé de se soumettre aux djihadistes auraient également été éliminés.

On voit bien que la destruction de la Syrie a permis d’apporter une légitimation supplémentaire à l’annexion du Golan par Israël, comme l’a fait Donald Trump il y a deux ans. On peut imaginer comment se serait poursuivi le nouveau traçage de la carte Sykes-Picot – dessinée il y a un siècle –, afin d’imposer une solution à la question palestinienne en Jordanie et non dans les territoires palestiniens occupés. Cette modification a porté le titre d’« accords du siècle ».

Daech était destiné à construire un État prospère, dans une bande sectaire sunnite allant de Mossoul à Raqqa. Les djihadistes n’ont pas combattu Israël. En revanche, changer la carte de la Syrie aurait mis en péril la formule libanaise en créant des mini-États sectaires dans un espace qui comprend la montagne des Alaouites (Jabâl an-Nusayrîa) et l’Anti-Liban.

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Notes

1. Voir notamment Le Canard Enchaîné, 19 janvier 2011.

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