Poutine maître du jeu en Syrie ?

Pierre Berthelot

Directeur de la revue Orients Stratégiques, professeur de relations internationales, géopolitique et négociation à FACO Paris, chercheur associé à l’IPSE.

Résumé

La Russie a opéré un retour en force au Moyen-Orient depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine et plus particulièrement depuis le début des «  printemps arabes » en 2011. En effet, elle a apporté un soutien sans faille et décisif à la Syrie, (tout comme l’Iran) empêchant la chute du régime baathiste, notamment grâce à sa couverture aérienne et diplomatique. Par ailleurs, son intervention militaire accrue à partir de l’automne 2015 a joué un rôle incontestable dans l’affaiblissement des différents groupes djihadistes et notamment de Daech. Mais cette restauration de la puissance russe a aussi un prix financier, humain et politique d’autant plus que rien ne garantit à  court ou moyen terme qu’une solution d’apaisement puise être trouver en Syrie rendant incertains les gains engrangées par Vladimir Poutine.

Abstract

Russia has made a strong comeback in the Middle East since Vladimir Putin came to power and especially since the beginning of the « Arab Spring » in 2011. Indeed, it provided unfailing and decisive support to Syria (like Iran) preventing the fall of the baathist regime, hrough its air and diplomatic coverage. Moreover, its increased military intervention from autumn 2015 has played an indisputable role in the weakening of the various jihadist groups and in particular ISIS. But this restoration of Russian powerso has also a financial, human and political price especially as there is no guarantee in the short or medium term that a solution of appeasement can be found in Syria making uncertain the gains garnered by Vladimir Putin.

Introduction

A l’instar des principales puissances internationales ou régionales, la Russie s’est rapidement positionnée lors du début de la révolte syrienne en 2011, en apparaissant comme l’archétype du régime contre-révolutionnaire, car, en s’opposant au nom de la non-ingérence aux aspirations démocratiques, elle a pris le risque d’aller à contrecourant d’une tendance de fond. Elle a dès le départ espéré que les évolutions géopolitiques qui surgiraient de cette insurrection offrirait de nouvelles perspectives en lui permettant de redevenir un acteur incontournable au sein du monde arabe et au delà. C’est l’issue de la crise syrienne qui permettra de déterminer si la Russie pourra consolider sa place au niveau régional et international ou si au contraire elle marquera un coup d’arrêt à sa volonté de constituer avec d’autres pays émergents un contrepoids efficace à l’hégémonie occidentale et plus particulièrement américaine ou à ses relais au Proche-Orient.

Afin d’évaluer ces perspectives, nous rappellerons les liens anciens unissant Moscou et Damas, puis nous analyserons dans quelle mesure la crise syrienne constitue un risque mal évalué ou si elle n’est pas plutôt une occasion de peser sur le destin de la région et au-delà sur l’avenir de la société internationale. Enfin, il conviendra de souligner que la question des musulmans de Russie se positionne en toile de fond de son action.

  • Des liens anciens constamment renouvelés
  • Un intérêt ancien

Depuis Catherine II, qui apporte à l’Empire russe sa « fenêtre sur la Méditerranée » en fondant Sébastopol en 1783, jusqu’aux bâtiments de la 5e escadre opérationnelle soviétique, qui sillonnent les eaux méditerranéennes dès les années 1970, le Kremlin a continuellement cherché à pérenniser sa présence dans le bassin méditerranéen[1]. Ainsi, la Russie tsariste (et plus tard la jeune Union soviétique), ne pouvait pas ne pas s’intéresser au monde arabe ou au Moyen-Orient, en tant que nation influente, bien qu’elle ait souvent été qualifiée de « colosse aux pieds d’argile » au début du vingtième siècle ou plus récemment de « puissance faible »[2]. Ainsi, pendant les négociations Sykes-Picot de 1915-1916, il fut un temps envisagé de mettre sous tutelle internationale la Palestine (alors parfois appelée « Syrie du Sud »), afin qu’elle ne soit attribuée à aucun Etat en particulier puisque chacun y défendait des intérêts divergents. La Russie était plutôt bien placée pour intégrer ce cercle d’Etats protecteurs puisque parmi les Palestiniens, ou plutôt les autochtones arabes, si la très grande majorité est musulmane et sunnite plus précisément, il existe une minorité chrétienne non négligeable, et elle est en l’occurrence orthodoxe pour l’essentiel, ce qui crée inévitablement des liens avec la principale puissance se revendiquant de cette confession. Mais la chute de l’empire tsariste, puis l’avènement du système soviétique et de Staline, d’abord soucieux de consolider l’emprise communiste et partisan au départ de la révolution dans un seul pays, vont éloigner la Russie du Levant, malgré l’envoi d’agents du Komintern dans la région, puis l’apparition de mouvements ou partis communistes affiliés  à l’URSS. Puis, l’effondrement des puissances de l’Axe en Méditerranée, au cours de la seconde guerre mondiale, va fournir une opportunité de revendiquer une portion de la Libye, sans succès, et Staline n’insiste pas face au refus des Occidentaux. C’est d’une manière générale un réalisme froid qu’il adopte comme au moment de l’ « affaire grecque » où les partisans de Moscou, peu après la libération du territoire du joug allemand sont abandonnés par leur mentor face aux anti-communistes, le régime soviétique ayant obtenu une forme de non ingérence dans les pays relevant de sa nouvelle sphère d’influence, en Europe centrale et orientale.

Pourtant, l’espace arabo-musulman, et plus particulièrement le Proche et le Moyen-Orient, sera à l’instar du reste du monde une zone de confrontation entre les deux blocs, avec des alliés plus ou moins alignés, même si l’affrontement sera moins virulent qu’il n’a pu l’être sur d’autres terrains d’opération, si l’on pense au Vietnam, à l’Angola ou non loin du monde arabe, l’Afghanistan. Ainsi, le Yémen du Sud sera le seul Etat véritablement communiste, bien que la Syrie fasse figure d’allié important à partir des années cinquante[3] et davantage encore avec l’arrivée au pouvoir des baathistes en 1963. En effet, ces derniers, tout en restant proches de l’Egypte, ont renoncé à la fusionner avec celle-ci au sein de la RAU[4], tant cette union politique éphémère devint rapidement déséquilibrée au profit du Caire. Nationalistes, ils ne peuvent se soumettre totalement au « grand frère » communiste, mais, pragmatiques, ils ont conscience que pour pouvoir espérer maintenir une relative parité stratégique et politique avec Israël, ils doivent s’appuyer sur une puissance militaire qui ne peut être les Etats-Unis, avant tout soucieux de satisfaire leurs alliés du Golfe (hostiles aux régimes arabes nationalistes, socialisant et laïcs), et de plus en plus leur nouveau partenaire hébreu.

En outre, comme à Chypre, on retrouve cette même dimension religieuse sous-jacente et totalement paradoxale : un pays athée comme l’URSS et laïc comme la Syrie ne peuvent officiellement mettre en avant la moindre solidarité confessionnelle. Ainsi, la communauté chrétienne syrienne, à l’époque majoritairement proche du parti Baath (ou d’autre formations laïques comme le parti populaire syrien ou le parti communiste syrien) et qui  représente beaucoup plus que les 5 à 7% actuels est en grande majorité orthodoxe.

Des rapports presque aussi étroits se nouent entre l’URSS et l’Irak de Saddam Hussein, autre pays qui se réclame du nationalisme arabe, de la laïcité et du socialisme et qui est surtout très hostile à Israël. Au départ soutenu par l’URSS, car ses fondateurs travaillistes étaient censés avoir une certaine proximité idéologique avec Moscou (et aussi parce que nombre des fondateurs du sionisme étaient issus du monde slave), l’Etat juif verra les soviétiques s’éloigner au profit de la cause palestinienne. Tout comme la chute de la Russie tsariste avait partiellement et provisoirement éloigné Moscou du monde arabe, la chute de l’URSS va pendant près d’une décennie diminuer son influence dans cette zone. Ainsi, dans les dernières années du vingtième siècle, elle voit s’éloigner ses principaux points d’appui : le Yémen du Sud (seul état marxiste du monde arabe) est contraint de fusionner avec son frère ennemi du Nord en 1990, l’Irak (qui a naïvement cru que son allié russe pourrait empêcher toute pression militaire pour le contraindre à quitter le Koweït annexé illégalement) est considérablement affaiblie suite à l’intervention occidentale de 1991, et l’OLP voire la Syrie prennent en partie leurs distances et se tournent de façon plus ou moins ouverte vers de nouveaux partenaires susceptibles de peser d’après eux davantage dans le destin de la région (les Etats-Unis en particulier). Pour la Russie, la priorité est à cette époque de gérer la transition économique et politique délicate qui découle de l’effondrement des structures soviétiques, et l’impératif stratégique est de limiter la pénétration occidentale dans son environnement géographique immédiat.

B – Un retour progressif et non aligné

C’est surtout avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, qui a hérité des principaux attributs de puissance de la défunte URSS (siège permanent avec droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU notamment), que la Russie effectue un retour en force dans le monde arabe et confirmer ses liens anciens avec la Syrie, passablement distendus suite à un problème de dette non résolu et à un rapprochement circonstanciel entre Damas et Washington à la faveur de la première guerre du Golfe en 1991. S’il est vrai qu’elle ne l’avait jamais véritablement quitté, l’influence de Moscou au Proche-Orient y déclinait, et dès lors, dans le cadre de ses nouvelles ambitions visant à retrouver un statut de puissance majeure, de nombreux efforts vont être déployés en ce sens.

Malgré une entente au départ cordiale (une fois n’est pas coutume), avec les Etats-Unis, la situation va progressivement se détériorer pour des raisons qui tiennent aussi bien à l’unilatéralisme américain qu’à des considérations propres à la vie politique russe, et en particulier le souci d’adopter une posture nationaliste susceptible de rallier la plus grande part de la population. Le 11 septembre va donc permettre aux deux ex-grands de la guerre froide de coopérer autour de la question du terrorisme, et Russes et Américains deviennent des alliés presque indéfectibles puisqu’ils ont désormais les mêmes ennemis ou presque : les terroristes islamistes, qu’ils relèvent d’Al-Qaïda et opèrent à New-York ou à Dar-Es-Salaam, ou qu’ils dépendent d’organisations tchétchènes agissant à Grozny ou à Moscou. Les atteintes russes aux droits de l’Homme en Tchétchénie, tant dénoncées par le passé, sont oubliées et les Etats-Unis n’hésitent pas à coopérer avec les services de renseignement arabes (syriens notamment) dans la traque des djihadistes extrémistes, même si Washington n’est pas dupe du double jeu mené par Damas qui ferme souvent les yeux sur le passage des partisans de Ben Laden en Irak à partir de 2003 afin de mieux déstabiliser « l’hyperpuissance »[5].

Le premier signe de ce retour au premier plan est la désignation de la Russie (avec les Etats-Unis, l’Union Européenne et des Nations-Unies) comme membre du Quartet pour le Moyen-Orient en 2002, structure informelle qui doit permettre de trouver une solution au conflit israélo-palestinien qui vient d’être relancé et aggravé suite à la seconde Intifada. La Syrie, qui fait alors figure de principal allié de la Russie au Moyen-Orient observe avec intérêt cette montée en puissance puisque le 11 septembre met progressivement cet Etat dans l’œil du cyclone qui va ravager la région après les attentats perpétrés sur le sol américain. Le projet néo-conservateur envisage en effet non seulement « d’imposer la démocratie » en Irak, qu’il convient de punir pour la détention supposée d’armes de destruction massives, mais aussi de mettre au pas tous ceux qui ne sont pas dans la ligne de Washington. Un message bien compris par la Libye et le Yémen, mais auquel reste sourde la Syrie ce qui lui vaut la mise en place du SALSRA (Syria Accountability and Lebanese Sovereignty Restoration Act) en 2003 qui renforce les sanctions à son encontre et l’enjoint à quitter le Liban, considéré comme sous occupation, ce qui aboutit à la résolution surprise 1559 du Conseil de sécurité, le 2 septembre 2004, prémisses du départ des troupes syriennes en 2005[6] 

Mais cette entente provisoire ne va pas durer, d’abord parce que les Etats-Unis soutiennent plus ou moins discrètement les « révolutions colorées » qui se tiennent aux marches de la Russie (en Géorgie en 2003, en Ukraine en 2004, ou en Asie centrale plus tard) mais aussi car cette dernière voit ses projets économiques et militaires contrariés par la crise iranienne ou la présence américaine en Irak. Ainsi, le président de la Fédération de Russie manifeste son souhait d’ investir 4 milliards de dollars « dans un futur immédiat » pour la reconstruction de l’Irak, et en 27 février 2005 est annoncé la signature d’un accord portant sur un montant de 800 millions de dollars pour la mise en service de la première centrale nucléaire iranienne à Bouchehr[7], mais la pression de Washington et de ses alliés ( Israël en particulier ) ne permet pas à ces ambitieux projets ou contrats de se déployer dans toute leur plénitude. Par ailleurs, l’offensive économique de la Russie au Moyen-Orient n’est pas limitée à ces deux pays, puisque qu’elle s’étend à l’Egypte et à la Syrie mais aussi à l’Arabie Saoudite, aux Emirats arabes unis, au Yémen, et à Israël, où Vladimir Poutine est invité le 27 avril 2005, alors qu’aucun dirigeant russe ne s’était jamais rendu en Terre sainte, puisque les relations étaient jusque là compliquées entre Moscou et Tel-Aviv [8]. La Russie est donc à cette époque, malgré des tensions croissantes avec les Etats-Unis, dans la position d’un Etat qui souhaite s’entendre avec tout le monde et qui n’est aligné sur aucun camp en particulier.

  • La révolte syrienne : risque ou opportunité ?
  • La révolte en Syrie : une sous évaluation manifeste ?

Il convient de préciser que pour les Russes, les « printemps arabes » sont aussi appelés « grand soulèvement islamiste »[9] ce qui suffit à situer la perception qu’a Moscou de ces événements et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce sont l’embarras, la méfiance et la prudence qui prévalent, davantage que l’enthousiasme ou l’espoir de voir son influence croitre en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient.

Parce qu’au départ, les révoltes arabes concernent des Etats qui étaient alliés ou proches de l’Occident (Egypte, Tunisie), fusse depuis peu comme pour la Lybie[10], la Russie pense qu’elles ne toucheront pas la Syrie, ou alors de façon marginale, comme en Jordanie par exemple, car le dernier régime baathiste serait d’une certaine façon immunisé contre tout risque de contagion et pour plusieurs raisons : un président jeune, diplômé d’une université britannique et bénéficiant d’une certaine popularité, un pays relativement stable (et qui craint par-dessus tout le chaos) dans une région minée par la violence, un système politique certes autoritaire et en partie corrompu, mais prônant une relative liberté religieuse. Ainsi, et puisqu’elle touche son pays avec un léger décalage, le président Assad peut même se permettre, arrogance ou inconscience, de venir devant les médias internationaux donner des leçons de bonne gouvernance, en invitant ses pairs à se reformer avant qu’il ne soit trop tard, début 2011. Il ignore à ce moment que la révolte qui va ébranler son pouvoir va devenir la plus violente de toutes celles qui vont submerger les pays arabes. La Russie préfère voir dans les mouvements révolutionnaires une occasion d’assister à l’affaiblissement de l’impérium américain dans une région qui fait partie de sa zone d’influence privilégiée et d’où Moscou a été progressivement et partiellement évincée, plutôt que comme une menace contre ses propres alliés, puisque l’Algérie (qui achète principalement des armes russes et qui entretient de  bonnes relations avec Damas) n’a quasiment pas été impactée et que la révolte a tardé à prendre de l’ampleur en Syrie au départ, alors qu’elle a très rapidement ébranlé les régimes arabes de Lybie,Tunisie, d’Egypte, de Bahrein et du Yémen où la crise politique était prégnante depuis plusieurs années.

L’affaire libyenne et sa gestion pour le moins erratique va contribuer à figer une partie de la future attitude russe, puisqu’en s’abstenant au conseil de sécurité de l’ONU lors du vote de la résolution 1973 du 17 mars 2011, Moscou avait voulu laisser une chance aux forces de la coalition à dominante occidentale, mais il est clair que la puissance eurasienne a été flouée (tout comme la Chine), l’esprit et la lettre de la décision onusienne ayant rapidement été violées. La mission de protection des populations civiles menacées s’est vite transformée en opération classique de belligérance, chaque entité civile ou militaire associée au pouvoir libyen étant considérée comme une menace potentielle pour les opposants au régime. La Russie a craint que ce précédent ne puisse être utilisé pour l’affaiblir sur ses marches, et contribuer à des interventions militaro-humanitaires qui pourraient faire chuter des Etats alliés ou rallumer des braises encore mal éteintes, comme en Géorgie.

C’est pourquoi elle a réagi si vivement lors des manœuvres franco-américaines visant à mettre cette fois-ci à l’index la Syrie[11]. La chute du régime syrien aurait par ricochet un effet sur l’Iran qui verrait son influence décliner et son « axe chiite » ébranlé ce qui affaiblirait concomitamment la Russie, qui avec la Chine et d’autres pays émergents, a tenté de jouer un rôle modérateur et alternatif à propos de la crise nucléaire qui concerne ce pays. Mais les raisons de ce soutien très ferme à cet allié de longue date, avec lequel la coopération économique et militaire est très poussée, sont plus profondes et dépassent le strict cadre d’un partenariat étroit ou le maintien en place de Bashar Al Assad qui n’est pas contrairement à ce qui est souvent avancé aussi important pour la Russie qu’on voudrait le croire[12]. D’abord, la chute du dernier système baathiste risque de porter au pouvoir des personnalités plus favorables à Washington ne serait que parce qu’un certain nombre d’entre elles sont hébergées par cet Etat ou parce que leur financement est assuré par les Américains ou leurs alliés. Ensuite, il s’agit d’envoyer un message à d’autres partenaires privilégiés, d’autant plus qu’il n’y en a moins qu’à l’époque soviétique : « nous soutenons nos amis jusqu’au bout ». Au niveau politique, il y a eu aussi des élections, et Poutine a été à nouveau candidat, incarnant une position sinon une posture plus nationaliste que Medvedev.

Enfin, il existe des enjeux stratégiques inavoués et plus méconnus : pour Moscou, l’Occident doit savoir que si les intérêts russes sont menacés, une réplique sera inévitable, puisque la question de leur maintien en Méditerranée (et au-delà en Asie) serait posée, avec la perte du  port de Tartous[13] qui n’a certes pas la valeur de Sébastopol, mais qui est un précieux levier de pénétration vers les « mers chaudes ». S’y ajoutent d’importantes découvertes de gaz en Méditerranée orientale (au large d’Israël, du Liban et de Chypre) qui portent en germe un affaiblissement de la position de Moscou qui souhaite pouvoir être acteur de ce nouveau grand jeu énergétique. Même s’il reste hasardeux d’analyser les bouleversements géopolitiques arabes à travers un prisme pétrolier, comme l’a démontré le fiasco américain en Irak, d’aucun n’hésitent pas à donner une lecture énergétique de la crise syrienne, en affirmant que le Qatar, grand rival de l’Iran, souhaiterait construire un gazoduc qui permettrait de contourner les détroits d’Ormuz, de Bab El Mandeb et le Canal de Suez, en passant par la péninsule arabique, la Jordanie et enfin la Syrie. Bashar el Assad aurait refusé cette proposition en privilégiant un oléoduc venant d’Iran et passant par l’Irak, ce qui aurait déclenché les foudres des pétromonarchies qui avaient par ailleurs largement investi en Syrie au cours des dernières années.

On soulignera que parmi les pays critiques de la position occidentale voire de celle de la Ligue arabe sur la Syrie, certains sont des alliés anciens de la Russie (comme l’Algérie), qui comprendraient mal un revirement trop brutal. Mais, il existe un autre risque, inverse, celui de s’aliéner des pays arabes pro-américains avec lesquels Moscou a essayé d’améliorer ses relations au cours des dernières années et qui disposent d’un fort potentiel économique, comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite, avec qui un certain nombre de projets ont été mis en place ou envisagés[14]. Vladimir Poutine joue donc un jeu très serré, qu’il ne maîtrise pas totalement, et on ne peut exclure un retour de la Realpolitik qui obligera les différents protagonistes de cette crise qui s’est internationalisée à revenir sur leurs positions les plus dogmatiques.

En outre, un évènement de taille, mais non décisif, s’est produit fin 2011, avec une vague de contestation sans précédent contre Vladimir Poutine, après la proclamation des résultats des élections législatives, considérées comme truquées en faveur du pouvoir par une partie de la population. Certes, la politique étrangère n’est probablement pas un enjeu primordial pour les Russes, mais dans ce pays où le patriotisme n’est pas un vain mot, elle ne peut être négligée par les gouvernants et se doit être maniée avec doigté. Ainsi, un soutien trop prononcé aux régimes autoritaires, au-delà du seul monde arabe pourrait accroitre le ressentiment de la population (certains affichant le portrait de Poutine à côté de celui de Kadhafi)  et concomitamment la pression des occidentaux sur Moscou pour exiger davantage de démocratie et de transparence, potentiel outil de pression au sein d’instances internationales. La position russe obéit désormais à une double logique externe et aussi interne, d’autant plus que l’ampleur de la contestation pourra aboutir à un recentrage plus ou moins important sur les objectifs nationaux. Tant que le pouvoir maîtrise l’opposition, désunie et sans tête d’affiche d’envergure et fédératrice, il pourra continuer à afficher une position pro-Assad, même si cela a pour conséquence un relatif isolement politique et économique et il lui faudra probablement faire un choix à terme et prendre davantage ses distances avec son encombrant allié.

B – La crise syrienne comme occasion de revenir définitivement au Moyen-Orient ?[15]

Mais le rôle de la Russie n’est pas uniquement « défensif », car de son point de vue, elle peut contribuer à assurer une transition non violente en Syrie, grâce aux liens qu’elle entretient avec une partie de l’opposition, parfois issue de la mouvance communiste, qui a été reçue à plusieurs reprises en Russie. Regroupée principalement au départ au sein du CCNCD (Comité de coordination nationale pour le changement démocratique) hostile à l’hégémonie américaine et à toute intervention étrangère, laïque, elle n’a pas rejoint le CNS (Conseil national syrien)[16] ou la Coalition nationale syrienne[17] et regroupe plusieurs personnalités de l’intérieur qui avaient notamment signé la déclaration de Damas. Ils prônent un passage gradué vers une transition démocratique, quitte à négocier et faire des concessions, plutôt que de jouer la carte du tout au rien ou du départ préalable de Bashar Al Assad. On soulignera que de nombreuses transitions politiques en partie réussies au sein du monde arabe ou ailleurs ont abouti à des concessions importantes en faveur des dirigeants au pouvoir au moment où elles se déroulaient (Espagne, Chili, Yémen). De même, la Russie a été à l’origine d’une résolution présentée au Conseil de sécurité de l’ONU, au cours du mois de décembre 2011, et condamnant la violence en Syrie. Mais il ne s’agissait pas réellement d’une rupture avec le régime baathiste, contrairement aux espoirs qu’avaient fait naitre cette initiative, puisque loin d’incriminer uniquement Bashar Al Assad, elle s’en est aussi pris à la radicalisation de l’opposition, ce qui au final, revient plutôt à adopter les positions de Damas qui considère que les « activistes » sont davantage des terroristes ou des bandes armées assoiffées de vengeance à la solde puissance étrangères que des civils épris de démocratie et de justice.

Il s’agissait plutôt de reprendre l’initiative pour ne pas subir les évènements, sans exclure l’hypothèse d’une transition comme celle qu’a connu de façon éphemère le Yémen en 2011, ce qui permettrait à Moscou de préserver l’essentiel, à savoir ses intérêts en Méditerranée. Il semble que la mission de la Ligue arabe, commencée en décembre 2011 (mais rapidement interrompue) ait rejoint en partie les objectifs russes, puisque qu’elle n’était pas dans une logique manichéenne. De surcroit, elle a débuté alors qu’étaient amorcés des contacts entre le CNS et son rival du CCNCD            . Ce dernier,  qi semble cependant bénéficier d’une audience plus limitée, acquiert à ce moment un début de reconnaissance, et vient concurrencer la première organisation, qui a effectué un intense lobbying auprès des principales puissances occidentales. On ne peut exclure qu’une opposition proche de la Russie se renforce à terme sur le plan politique (elle ne dispose presque d’aucun relais armé) puisque que le courant « pro-occidental » tarde à s’imposer et que sur le terrain ou il n’arrive pas à véritablement maîtriser les activistes eux-mêmes très divisés entre djihadistes et « nationalistes » (avec souvent un agenda islamiste), sans véritable chef et à l’armement limité.

Puis, toujours en décembre 2011, une rumeur partie de la presse israélienne a avancé que le président Bashar Al Assad chercherait à obtenir l’asile politique, et que son vice-président, le sunnite et jusqu’ici très loyal Farouq Al Shareh, pourrait le remplacer pendant une période intérimaire, ce dernier ayant effectué à la même période un voyage officieux à Moscou. Certes, il s’agit probablement d’un classique travail de propagande et de désinformation, visant à déstabiliser le régime et conforter les opposants, mais elle confirme l’idée que Moscou est véritablement un acteur clé de la crise syrienne, à l’instar de la Turquie ou du Qatar pendant un certain temps. En juin 2012, elle a appuyé l’accord de Genève, qui prévoyait que les Syriens devaient mettre en place un gouvernement transitoire qui comprendrait des personnalités des deux camps (pouvoir et opposition) pour arriver à régler la crise pacifiquement. Mais, cette tentative de règlement a échoué essentiellement à cause de la place qui serait réservée à Bashar Al Assad : pour les Russes, sont départ était une question qui devait arriver au terme du processus de partage de pouvoir et d’ébauche de réconciliation, alors que pour la majorité des opposants du CNS, appuyés par les Occidentaux et leurs alliés régionaux, cela devait être le préalable à toute discussion sérieuse.

La crise syrienne est donc plus que jamais un enjeu à multiples facettes et de son issue dépendra en grande partie le bilan géopolitique que l’on pourra tirer des révoltes commencées en 2011. Seul Bahreïn, malgré sa faible population et son étroit territoire représente un enjeu presque aussi important, mais l’issue, du moins à moyen terme est connue, alors qu’en Syrie divers scénarii sont possibles (partition, maintien du pouvoir en place, cohabitation…). Bien que membre des « BRICS », la Russie, arc-boutée sur sa position de soutien à la Syrie, de rapproche de l’autre Etat autoritaire du groupe, la Chine, à l’inverse des puissances émergentes et démocratiques formées du Brésil, de l’Inde (grand acheteur d’armes russes) et de l’Afrique du Sud. Ces dernières, qui forment un trilatéralisme distinct considèrent cependant que la Syrie ne constitue pas une menace pour la  sécurité internationale, et ont une attitude critique vis-à-vis des positions occidentales par rapport aux révoltes arabes (tardives, deux poids deux mesures, relents de néo-colonialisme) mais ne sont pas systématiquement dans l’obstruction. Dans certains cas, des enjeux internes ne sont pas totalement absents, comme dans le cas du Brésil (qui abrite une importante communauté d’origine syro-libanaise, majoritairement chrétienne et donc sceptique face à l’alternative islamiste syrienne[18]). Par ailleurs, on ne peut totalement dissocier le volet syrien de l’autre grande crise régionale, celle relative à la volonté présumée de l’Iran (principal allié de la Syrie avec la Russie), de se doter de l’arme nucléaire. Rappelons que le Brésil qui s’est rapproché de Téhéran ces dernières années avait tenté une médiation infructueuse sur ce sujet avec la Turquie et que l’Inde, qui importe du pétrole iranien (et aussi beaucoup d’armes israéliennes), pourrait un jour se joindre au gazoduc qui va bientôt relier l’Iran et le Pakistan.

Si ces nations prouvent ainsi qu’elles sont celles qui sont susceptibles de faire basculer la situation en Syrie, dans un sens ou dans l’autre, il n’en reste pas moins qu’elles montrent aussi les limites du groupe des BRICS qui ne sont pas unis sur tous les dossiers : bref, la Russie n’est pas aussi isolée que cela tant que les autres pays émergents s’opposent également à des sanctions sur le volet syrien. Certains spécialistes[19], estiment d’ailleurs que les BRICS, ou du moins les plus « modérés » d’entre eux, sont aujourd’hui les seuls qui peuvent aboutir à une sortie de crise (grâce à une proposition de médiation indépendante et non alignée susceptible d’obtenir la confiance tant des Russes et des Iraniens que des Etats-Unis), l’essentiel des pays arabes étant hors jeu comme la plupart des nations occidentales, alors que l’on semble se diriger vers une guerre civile destructrice et sans issue. Cependant, les BRICS sont autant des alliés que des rivaux, comme la Chine, même si leur basculement vers les positions atlantistes pourrait influencer celle de Moscou.

  1. Une intervention russe massive en 2015 et un tournant décisif fin 2016 ?

Face à l’enlisement sur le terrain des forces syriennes, aux atermoiements occidentaux, et aux attentats que ces derniers subissent sur leur sol (à Paris notamment), la Russie décide que 2015 est le bon moment pour porter un coup décisif et commence à envoyer en masse  des armes et surtout  des avions en Syrie à partir du mois de septembre, ce qui empêche tout projet de création de « no-fly zone », longtemps espérée par la Turquie et ses alliés au nord du pays. Cette intervention, qui était censée ne durer que quelques mois mais se prolonge finalement au delà, a permis à la Russie de montrer un certain savoir faire, de tester ses armes et de renforcer son statut d’exportateur de premier plan sans trop de dégats car l’essentiel des troupes au sol, celles qui essuient le plus de pertes dans les batailles sont composées de Syriens fidèles au régime ou de chiites étrangers, encadrés par Téhéran.

La fin d’année 2016 marque un tournant probablement décisif mais qui va bien au-delà de la seule crise syrienne et détermine peut être à terme la politique étrangère russe dans la région et l’avenir de cette dernière. Le premier coup de tonnerre est l’élection surprise de Donald Trump début novembre qui se caratcérise par une volonté de coopérer plus étroitement avec la Russie dont il admire le dirigeant, voir de « co-gérer » le monde. Cependant, les raids menés à deux reprises, en avril 2017 et en avril 2018 à un an d’intervalle pour punir le régime syrien d’attaques chimiques qu’il aurait mené contre des zones rebelles[20] montrent qu’il est diffcile de modifier des décennies d’hostilités et rappellent qu’un président américain doit toujours composer avec une tendance néo-conservatrice et interventionniste au sein de son administration. Ces interventions seraient cependant pour plusieurs analystes «  cousues de fils blancs » et suspectes puisque s’il s’agit bien du régime syrien, la précédente attaque de 2017 ne l’a pas dissuadé de recommencer. Par aileurs, cetains considèrent que Poutine aurait été prévenu à l’avance pour éviter une confrontation directe ce qui aurait fortement réduit l’impact des représailles au final symboliques. Par aileurs, l’OIAC[21] avait certifiée qu’il n’y avai plus d’armes chilmiques, en 2013 suite à l’accord américano-russe, qui faisait suite à une précédente attaque à l’arme chimique dans la périphérie de Damas ( la Ghouta )[22]. Donc, si le régime syrien comme cela avait été certifié par les plus hautes autorités compétentes au plan international pourquoi est-ce qu’ils en existaient encore ? Les difficultés internes de Trump, suspecté, outre de parjure à propos d’infidélités conjugales, d’avoir été en contact avec les autorités russes en 2016 pour destabiliser Hillary Clinton seraient la véritable explication de ces attaques pour détourner les soupcons de collusion avec Moscou à peu de frais. D’autres hypothèses ont aussi surgi rappelant la complexité de la partie qui se joue en considérant que le régime syrien, sans concertation avec Moscou, aurait organisé ces différentes attaques à l’arme chimique pour saboter les tentatives russes d’organisation des cycles de négociation avec l’opposition la moins radicale pour aboutir à une reconciliation. D’autant plus que Bachar El Assad aurait conscience que Turcs, Russes et Iraniens, les trois pays susceptibles d’aboutir à une resolution de la crise syrienne (qui est impopulaire auprès de leurs populations respectives) se sont considérablement rapprochés depuis plus d’un an et pourraient peut-être tenter de contourner le régime baathiste. Ce qui est certain, c’est que les «  certitudes » affichées par les occidentaux devraient l’être avec plus de prudence surtout de la part de pays qui avaient dejà prétendu en 2003 à propos des armes de destructions massives en Irak que c’était une évidence qui ne méritait pas la moindre discussion.

En tout cas, la Russie n’a pas la même analyse, du moins officiellement, et au-delà des doutes qu’elle emet sur la réalité des atttaques attribuées au régime (pourquoi focaliser l’attention mondiale quand on a déjà gagné la bataille ?[23]) estime qu’elle joue un rôle stabilisateur, à  l’inverse de Washington, puisque l’effondrement du régime, comme en Lybie en 2011 ou en Irak en 2003 aurait été évité ainsi que l’implantation durable de Daech ou de ses épigones dans un Etat que l’on n’aurait jamais pu reconstruire, aboutissant à la fragmentation definitive du Proche et du Moyen-Orient.

Enfin, en 2016, et après le victorieuse bataille d’Alep en fin d’année, reconquise de haute lutte, surgit donc ce nouveau partenariat russo-turco-iranien sur la Syrie, inédit de sucrcroit, conséquence directe de la tentative de coup d’Etat qu’a connue Ankara en juillet 20016, d’autant plus que certains soupconnent les Etats-Unis et le prédicateur Fethullah Gulen, qui y est hebergé, d’avoir joué un rôle trouble dans ces évènements. Si Poutine a été une fois de plus désigné comme l’homme le plus influent du monde par le magazine Forbes, il le doit en grande partie à son action au Proche-Orient, épicentre depuis longtemps des crises internationales.

D-Les musulmans de Russie comme enjeu politique  

C’est une question souvent oubliée, mais la Russie abrite la plus forte minorité musulmane d’Europe, autochtone de surcroit dans sa très grande majorité et le conflit tchétchène vient parfois rappeler, de façon tragique cette réalité[24]. Malgré une posture souvent très nationaliste du pouvoir en place, comme cela a été préalablement rappelé, on ne peut pourtant affirmer que les musulmans russes soient persécutés, même si la position de Moscou reste ambiguë. Ces dernières années, le pouvoir a semblé vouloir donner des gages tant au niveau interne qu’externe, si bien que Vladimir Poutine a réussi à se faire inviter par l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique), une première pour un pays non musulman et il y a rappelé que la majorité des régions autonomes russes sont musulmanes et plus surprenant que l’islam était présent avant le christianisme en Russie, caressant ainsi dans le sens du poil ses auditeurs. Poutine a  reçu le soutien de l’Iran et celui plus inattendu de l’Arabie saoudite alors que le soutien des wahhabites pour la cause tchétchène est notoire. Ryad fait ainsi preuve de pragmatisme et cultive ses relations avec une puissance proche de son principal adversaire, l’Iran, et aussi un acteur majeur de la scène pétrolière. Ainsi, en 2007 et pour la première fois, un chef d’Etat russe se rendait en Arabie Saoudite, et réciproquement le roi Salman effectue en octobre 2017 la première visite officielle d’un monarque wahhabite en Russie.

Il est difficile d’évaluer le nombre de musulmans en Russie, mais il est souvent retenu qu’ils seraient entre 10 et 15 % de la population soit entre 14 et 20 millions et rien qu’à Moscou il y aurait près d’ un million de musulmans sur un total de huit millions d’habitants. Parfois, ces chiffres incluent des musulmans non-Russes, venues des anciennes républiques soviétiques pour travailler dans des conditions parfois précaires. Pour autant, et malgré ce poids important, Poutine n’a pas désigné formellement d’interlocuteur principal ou d’institution privilégiée car  il préfère ainsi diviser la communauté afin qu’elle ne puisse pas le cas échéant constituer un puissant contre-pouvoir. Rappelons par ailleurs que sous Boris Eltsine, le parlement fut à un moment présidé par le tchétchène Rouslan Khasbulatov, et que le très stratégique poste de ministre l’intérieur a été ces dernières années occupé par Rachid Nourgaliev[25]. La situation en Tchétchénie semble désormais davantage sous contrôle ces dernières années, mais il reste à confirmer que l’autocrate et héritier Ramzan Kadyrov bénéficie réellement d’une véritable légitimité, ce qui ne pourra que rejaillir positivement sur l’image de la Russie dans le monde arabe et musulman. La Russie espère par ailleurs contenir ses propres radicaux islamistes, en soutenant des régimes qui tentent avec plus ou moins de succès de les mettre au pas dans le monde arabe, en leur envoyant ainsi un message et en espérant les affaiblir et les contenir dans leur « espace vital ». Mais d’autres estiment à l’inverse que cette position de soutien à la Syrie et parfois à ses alliés chiites (Iran, Irak) risque de radicaliser davantage les extrémistes sunnites actifs dans la Fédération de Russie ou à sa périphérie.

Conclusion

La Russie, et plus particulièrement son président Vladimir Poutine, a effectué un retour en force ces dernières années au Moyen-Orient et est même devenue un acteur essentiel des différentes crises que connait le monde arabe depuis le début des révoltes qui l’ont touché en 2011. Si Moscou a contribué, à son corps défendant au départ du colonel Kadhafi, elle soutient jusqu’ici le régime syrien. Mais cette position incontournable est autant un atout qu’un défi redoutable, car cela a un prix, pas uniquement financier mais aussi politique avec une distanciation d’autres acteurs influents de la scène internationale ou régionale. Si la Russie contribue à une sortie de crise au Proche-Orient, elle aura prouvé que rien ne peut se faire sans elle dans la région. Enfin, elle doit patienter et compter sur une désaffection des masses vis à vis des islamistes pour pouvoir incarner une alternative face à ces derniers ou aux occidentaux dont la légitimité est en partie contestée par leur soutien à géométrie variable dans l’aide aux populations soumises à des guerres civiles ou des conflits violents comme au Yémen ou en Palestine.

[1] Igor Delanoë, « Le partenariat stratégique russo-syrien : la clé du dispositif naval russe en Méditerranée », Notes de la Fondation pour la Recherche Stratégique, N°6/13, février 2013 ( www.frs.org )

[2] Faible peut-être mais qui a reussi à inverser une tendance defavorable en Syrie contrairement à la superpuissance américiane en Irak ou en Afghanistan (où Moscou échoua tout autant entre 1979 et 1989).

[3] L’URSS établit des relations diplomatiques avec la Syrie dès 1944 (bien qu’elle ne soit pas encore formellement indépendante), puis une coopération militaro-technique entre les deux Etats s’amorce dès le milieu des années 1950. En 1955, Damas refuse ainsi d’adhérer au Pacte de Bagdad, pro-occidental et perçu comme trop franco-britannique. En revanche, au nom de la «  neutralité positive », théorisée dès avant la conférence de Bandoug (1955) la coopération militaire (achats d’armes), puis économique avec l’URSS prend forme à partir de 1956, surtout après la crise de Suez : les choix diplomatiques syriens sont donc comparables à ceux de l’Egypte nassérienne. En août 1957 est signé le premier traité de coopération économique avec l’URSS, mais pour autant la Syrie est loin de devenir un « satellite rouge de l’URSS ».

[4] République Arabe Unie.

[5] C’est l’ancien ministre français des affaires étrangères Hubert Védrine qui avait utilisé le premier cette expression, expliquant que les Etats-Unis, superpuissance, avaient perdu leur rival à la fin du vingtième siècle. Mais beaucoup ont contesté cette vision, les Etats-Unis ayant désormais à affronter un monde multipolaire plus difficile à maîtriser, et devant faire face à d’importants défis ou échecs (déficits commerciaux et budgétaires chroniques, guerres perdues en Irak et en Afghanistan, crise nucléaire iranienne en suspens…).

[6] Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté : 1956-2007, Paris, Gallimard, 2007, p. 994.

[7]

[8] Rappelons que plus d’un million d’Israéliens (soit près de 20% de la population), pour la plupart arrivés suite à l’effondrement de l’URSS sont issus d’anciennes républiques soviétiques.

[9] Comme le propose le « Valdaï discussion club » dans un rapport publié en juin 2012 : Transformation in the Arab World and Russia’s interests, analytical report, Moscow June 2012 (valdaiclub.com). Ce dernier est proche de l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences et donc de la position des autorités officielles russes.

[10] Le principal rival de Washington, la Chine, à la fois puissance concurrente et allié ponctuel, étant pour le moment quasi-absente de cette zone.

[11] Dmitri Trenin, “Russia’s Line in the Sand on Syria” ( Why Moscow Wants to Halt the Arab Spring ), Foreign Affairs, February 5, 2012 ( www. foreignaffairs.com )

[12] Dmitri Trenin, “ The Mythical Alliance : Russia’s Syrian Policy”, February 12, 2013 (www.carnegie.ru/en )

[13] [13] Igor Delanoë, « Le partenariat stratégique russo-syrien : la clé du dispositif naval russe en Méditerranée », Notes de la Fondation pour la Recherche Stratégique, N°6/13, février 2013 ( www.frs.org )

[14] Une « OPEP du gaz », par exemple, ou des initiatives au sein de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique)  comme nous le préciserons ultérieurement.

[15] C’est ce que proposent certaines analyses récentes sur le monde arabe.

[16] [16] Pour une analyse récente et approfondie de cette structure, voir l’article d’Ignacio Alvarez-Ossorio : «  Le conseil national syrien : genèse, développement et défis », Maghreb-Machrek, N°213 (La crise syrienne– coordo. Stéphane Valter), Automne 2012, pp. 51-63.

[17] Pierre Berthelot, « L’opposition syrienne parviendra-t-elle à s’unir ? », Huffington Post, 30 janvier 2013 (http://www.huffingtonpost.fr/pierre-berthelot/)

[18] Le président brésilien, Michel Temer, est d’origine libanaise.

[19] Comme le journaliste et analyste Patrick Seale.

[20] Respectivement à  Khan Cheikhoun et à Douma, à la périphérie de Damas.

[21] L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.

[22] Là encore , le «  timing «  est surprenant puisque l’attaque aux chiffres contradictioires selon les différentes ONG ( de 500 à 2000 victimes ) se produit le 21 août 2013 au moment où, avec l’accord du régime syrien, une commission d’inspecteurs de l’ONU vient d’arriver le 18 août à Damas, pour précisément enquêter sur d’autres attaques chimiques qui se sont déroulées au printemps 2013, ce qu’Assad nie, tandis que les «  rebelles » ont conscience et affirment parfois publiquement que seule une intervention occidentale est en mesure de les sauver face à leur incapacité à renverser le régime, une intervention occidentale qui auraient les meilleures chances si elle avait pour origine une attaque à l’arme chimique.  Le prestigieux MIT, peu suspect de complaisance puisque basé aux Etats-Unis,  émet de sérieux doutes quand à l’implication du régime mais son rapport est jugé partial par presque tous les médias occidentaux et les journalistes sans compétences dans le domaine scientifique, et peu relayé par ces mêmes médias qui avaient annoncé la chute imminente du régime ou minimisé le poids de la rebellion islamiste ou djihadiste en Syrie et n’ont jamais reconnu leurs erreurs d’analyses. De même il était illusoire de penser que des terroristes pourraient se joindre aux vagues de migrants venus de Syrie ou d’Irak !

[23] On peut aussi considérer que le régime est « fou » et sans cohérence ou logique stratégique mais pourquoi tient-il depuis aussi longtemps après avoir été donné pour fini s’il est aussi incompétent ? Encore une question à laquelle peut d’analystes ont répondu jusqu’ici.

[24] Des attentats ont été perpétrés contre des dignitaires religieux russes musulmans comme le  mufti du Tatarstan, au cours de l’été 2012. Voir aussi Alexey Malashenko, “The Dynamics of Russian Islam”, February 1, 2013, Carnegie Moscow Center (www.carnegie.ru/en )

[25] Un paradoxe russe si l’on pense aux pays « progressistes »  où l’on n’imagine pas toujours une personnalité musulmane occuper un poste aussi important et où Moscou est présenté comme l’archétype du régime réactionnaire.

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