MALBROUGH S’EN VA-T-EN GUERRE… EN IRAN !

Général (cr) Henri PARIS

Janvier 2008

SELON UNE CHANSON POPULAIRE FRANÇAISE qui a traversé les temps, il y a trois siècles, Malbrouk s’en allait en guerre et ne savait pas quand il reviendrait, tout vainqueur et puissant qu’il était. A l’aurore du XXIème siècle, l’Iran a des prétentions nucléaires insupportables pour la première puissance à vocation mondiale que sont les Etats-Unis. Au-delà de cette ambition, l’Iran s’oppose au concept américain de « Great Middle-East ». Le conflit est ainsi indéniable. L’une des options américaines est de résoudre ce conflit par la force. Or, une action terrestre comme une attaque aérienne sont vouées à l’échec. Reste l’embargo dans un système international où les Etats-Unis se sont acquis bien des inimitiés.

Au seul nom de l’Iran, à l’automne 2007, on perçoit des bruits de bottes et des cliquetis d’armes, entre autres américains, mais pas seulement : certains de leurs alliés font chorus. Cela amène à se remémorer le vieux chant populaire français mettant en scène Malbrough ou Malbrouk.

Malbrough est l’altération de Marlborough, John Churchill, duc de Marlborough, commandant en chef, avec le prince Eugène, des forces coalisées opérant contre les Français au tout début du XVIIIe siècle, dans le nord de la France. Marlborough et le prince Eugène furent vainqueurs, d’une façon indiscutable, sur les maréchaux français Villeroi et Vendôme à Ramillies en 1703 et à Oudenarde en 1709. Une ultime défaite paracheva le désastre des Français à Malplaquet en 1709 : la dernière armée française organisée, commandée par le maréchal de Villars, le vieux Villars, avait été écrasée. Cependant, la victoire de Marlborough avait été chèrement acqui­se, trop chèrement. Les coalisés britanno-autrichiens, vainqueurs certes, avaient été obligés de supporter tant de pertes que leur offensive dut être suspendue et suspen­due sine die. Trop longtemps ! Les coalisés furent ainsi contraints de se cantonner dans une attitude défensive. La marche sur Paris fut remise à des temps meilleurs. La fin victorieuse de la guerre, tant de fois promise, se faisait attendre et l’invasion marquait le pas. De là vient cette vieille chanson populaire française qu’ont repris, durant des siècles, les troupiers et l’âme populaire de la France.

« Malbrough s’en va-t-en guerre, mironton, mirontaine ! ne sait quand revien­dra ? … A Pâques ou à la Trinité … Mironton, mirontaine… » ou jamais ?

La suite est connue. Condamné à l’attentisme, le prince Eugène, abandonné par Marlborough rappelé en Angleterre, dut affronter la contre-offensive française à Denain en 1712.

Le vieux roi Louis XIV avait fait fondre sa vaisselle d’argent, proclamé la levée en masse des milices du royaume au prône de toutes les paroisses et confia la derniè­re armée que la France pouvait constituer au vieux maréchal de Villars. A Denain, Villars donna un coup d’arrêt à la coalition et procurait les possibilités d’une paix que Louis XIV s’empressa de signer, moins d’une année après.

Alors l’Iran ? Les Américains ne reprennent-ils pas le chemin de John Churchill, duc de Marlborough et ne s’engagent-ils pas dans la voie d’un affrontement armé dont on ne sait l’issue ? Et quand ? A Pâques ou à la Trinité ? Quelles Pâques et Trinité. Et avec qui ? Et contre qui, contre les seuls Iraniens ?

Ces menaces de guerre demandent à être analysées sous tous leurs aspects pour en apprécier la réalité ainsi que leur effectivité et les conséquences qui en découle­raient. Aussi, en premier lieu, l’examen porte sur l’enjeu ou les enjeux qui amènent Washington à envisager une action militaire contre Téhéran, sans mettre à l’écart le contexte qui entoure la question nucléaire. En second point, l’attention est focalisée sur la perspective qu’offre l’action américaine tant à l’encontre de l’Iran que vis-à-vis de la grande région dans laquelle est inséré l’Iran.

L’enjeu

Plusieurs enjeux entrent en opposition les uns avec les autres, tant du côté amé­ricain et même européen que du côté iranien. La possession de l’arme nucléaire par l’Iran n’en est jamais qu’un aspect, certes très important, mais loin d’être le seul.

L’Iran et le concept du Grand Moyen-Orient dans son contexte

Certes, l’Iran, tout comme l’Irak, possède de très important gisements d’hydro­carbures et à ce titre, ils attirent les convoitises américaines dont la soif d’énergie est inextinguible ! Certes, l’invasion de l’Irak en 2003 a été partiellement dictée par les perspectives pétrolières que les Américains pensaient mener à bonne fin ! Certes, l’attaque contre l’Afghanistan des Talibans a été conduite, en 2001, pour réaliser le projet d’y faire passer un oléoduc, tout comme avant, le même projet avait été l’objet de négociations avec ces mêmes Talibans. Cependant, ces intérêts pétroliers ne forment pas un enjeu à eux seuls : ils s’inscrivent dans la conception plus vaste de la construction d’un ensemble géopolitique s’étendant sur un « Grand Moyen-Orient ».

Le concept du Grand Moyen-Orient naît dans l’esprit des stratèges politico-mi­litaires du Pentagone en concomitance avec les attentats du 11 septembre 2001 et dans la suite immédiate de la destruction de l’Afghanistan des Talibans. En somme, le Grand Moyen-Orient, faute d’être la clé de voûte de la construction antiterroris­te, s’inscrit dans la croisade, lancée par Washington, contre le terrorisme islamiste et Al-Qaïda. Le concept du Grand Moyen-Orient embrasse un espace géographique qui s’étend de la Mauritanie et du Maroc, bordés par l’Océan Atlantique jusqu’au Pakistan y compris, englobant tous les Etats de confession musulmane et limité à son sud par les déserts sahariens, les savanes soudanaises, des mers et des océans. Au total, plus d’une vingtaine d’Etats, avec une exception : Israël. L’exception se com­prend sans commentaire. En effet, tous ces Etats, en sus de leur facteur commun qu’est l’Islam, ont la particularité de posséder des régimes plus ou moins totalitaires, relevant d’une théocratie islamique, voire islamiste, sans rapport avec la démocratie parlementaire telle que la comprennent les Américains.

La visée américaine est de convertir ces Etats, de gré ou de force, au système démocratique tel qu’ils l’entendent. Ainsi, par là-même, ils mettront en place les moyens afin de s’en faire des alliés inconditionnels, ce qui représente la deuxième étape de l’approche, menée simultanément à la première qui est la conclusion de la démocratie.

L’Irak et l’Afghanistan offrent de bons exemples des premiers engagements du processus global. Les régimes adverses des Américains ont été balayés et des gouver­nements amis ont pris place avec une aide active américaine. Par ailleurs, les forces armées américaines avec leurs alliés, après avoir militairement conquis les pays, res­tent en place afin d’épauler les gouvernements amis.

Les Etats opposés qui ont été abattus entrent dans la catégorie des Etats-voyous, les Rogue states, adeptes du terrorisme islamiste antidémocratique, qu’il s’agit de détruire, tels que le furent l’Afghanistan des Talibans et l’Irak de Saddam Hussein. L’Iran des ayatollah entre dans cette catégorie des Rogue states, non seulement parce qu’ils sont suspectés de nourrir des ambitions nucléaires militaires comme des visées terroristes, mais aussi de s’opposer à la politique américaine et d’être des adversaires déclarés d’Israël, allié des Etats-Unis. La réalisation du concept du Grand Moyen-Orient présente l’avantage d’offrir une solution d’ensemble aux Etats-Unis. Avec une telle entité géopolitique allié, ils résolvent leur problème d’approvisionnement en hydrocarbures comme ils font définitivement pièce à la Russie et à la Chine en leur trouvant un pendant valable.

L’Iran n’est donc qu’une pièce du puzzle qu’il s’agit d’assembler. En revanche, cette pièce est essentielle car elle est la principale force d’opposition à la politique du Grand Moyen-Orient. Il est bien clair que si l’Iran dispose d’une capacité militaire nucléaire, il devient inattaquable et est susceptible de contrer activement la politi­que américaine au Moyen-Orient, ce qu’il s’efforce déjà de faire.

 

La dégradation du concept de Grand Moyen-Orient

A peine initiée, la réalisation du concept de Grand Moyen-Orient se dégrade, en butte à des contre-attaques en cascade qui découlent les unes des autres.

En représailles aux attentats du 11 septembre 2001, les Américains abattent le régime des Talibans et procèdent à l’invasion de l’Afghanistan. Pour ce faire, il leur a fallu obtenir l’alliance effective du Pakistan et de son responsable politico-militaire, le président Musharaff dont la moindre des qualifications est qu’il n’a jamais prouvé être un défenseur réel des droits de l’homme et de la démocratie. Les Américains ont ainsi dû tolérer le maintien d’un régime plutôt totalitaire dont le seul adver­saire local était la montée d’un islamisme militant opposé aux Etats-Unis au point que le Pakistan se révèle le plus sûr refuge des Talibans, six ans après leur chute en Afghanistan. De même, les Américains ont été obligés d’accepter l’accession prouvée et expérimentée du Pakistan à la capacité militaire nucléaire et, bien plus, à l’exportation illégale de technologues militaires nucléaires effectuées par Abdul Khan, le père de l’arme nucléaire pakistanaise, sans que jamais aucune poursuite soit engagée contre lui. Or, contradiction extrême, les Américains ont déterminé qu’Abdul Khan avait livré ces technologies tant aux Nord-Coréens qu’aux Iraniens, suspectés de vouloir obtenir une puissance militaire nucléaire. En octobre 2007, Benazir Bhutto, avec accord américain, à peine de retour au Pakistan est l’objet d’un attentat à la voiture piégée, causant plus de cent cinquante victimes. Elle sera également assignée à résidence à la suite de manifestations tendant à l’insurrection. Cela souligne bien la situation instable du pays, à la veille d’une élection présiden­tielle, marquée par la concurrence de Musharaff et de Benazir Bhutto.

En Afghanistan, le gouvernement Karzaï soutenu par les Américains, malgré l’aide affichée par Islamabad, n’arrive pas plus à juguler les attaques croissantes des Talibans que la corruption et la montée fantastique de la culture du pavot. L’Afghanistan est devenu le premier producteur de drogue au monde.

La dégradation de la situation en Irak, avec ses conséquences, frise tout autant la catastrophe. Le gouvernement mis en place n’arrive pas à s’imposer tandis que l’ar­mée et la police irakiennes créées sous égide américaine ne sont que d’une aide très faible aux troupes américaines et alliées chargées de lutter contre la guérilla chiite ou sunnite. Quatre années après le déclenchement de l’attaque contre Saddam Hussein et la prise de Bagdad, l’armée américaine ne cesse d’enregistrer des pertes, dépassant les 3200 tués et quelque 20.000 blessés au 1er octobre 2007, sans compter près de 10.000 mercenaires de sociétés privées au service du commandement américain ou du gouvernement irakien. Les pertes des forces gouvernementales irakiennes, armée et police, sont de l’ordre de 10.000 tués, à la même date. Aucune perspective d’amé­lioration de la situation n’apparaît. Les Américains accusent les Iraniens chiites de soutenir activement les chiites irakiens, ce qui a de sérieux fondements.

La catastrophe est cependant encore plus sensible par ses conséquences directes, en relation avec le problème kurde. Après la chute du régime baas consécutif à la défaite militaire de Saddam Hussein en 2003, le Kurdistan irakien, dans un système qui se rapproche d’un fédéralisme, écartant néanmoins les sunnites, jouit d’une in­dépendance de fait. Les Turcs, en 2003, ont des velléités d’intervenir militairement au Kurdistan irakien, tant pour se saisir des gisements pétroliers de Mossoul et de Kirkouk que pour contrer un indépendantisme kurde qu’ils savent susceptible de contaminer l’irrédentisme des Kurdes turcs.

Les rapports américano-turcs étaient déjà détériorés depuis 2003. La détériora­tion va encore s’accentuer en 2007. Déjà en 2003, le gouvernement d’Ankara avait refusé aux Américains d’utiliser le territoire turc comme base arrière lors de l’atta­que contre l’Irak qu’ils avaient planifiée sur deux fronts. Ils avaient dû se contenter du seul Koweït comme base arrière. Le régime turc avait aussi adopté un régime islamique, certes modéré, mais qui cadrait mal avec la croisade anti-islamiste lancée par les Américains. Seule l’armée turque, en tant qu’institution, restait fermement attachée à la laïcité, en souvenir de Kemal Pacha Ataturk. Cependant, l’armée vi­sait à l’antiaméricanisme du fait des injonctions du Pentagone aux forces turques d’avoir à cesser toute incursion au Kurdistan irakien.

La situation va brutalement empirer en octobre 2007. Reprenant une vieille op­tique datant de 2000, le Congrès américain a relancé des discussions visant le vote d’une résolution condamnant le génocide arménien perpétré par les Turcs en 1915. En cela, les Américains auraient rejoint les Français, à la grande fureur d’Ankara.

Mais il y a encore plus grave. En grande partie, jouant la provocation, des grou­pes armés du PKK, le parti des travailleurs kurdes, utilisant le nord du Kurdistan irakien comme base arrière et refuge, franchissent la frontière pour lancer des raids contre l’armée turque, en territoire turc donc. L’un de ces raids, le 21 octobre 2007, a été particulièrement meurtrier, avec emploi d’armes lourdes par les assaillants. Les pertes turques s’élèvent à 12 tués, 17 blessés et 8 prisonniers, tandis que le PKK enregistre une quarantaine de victimes. En outre, en représailles, les Turcs ont bombardé 60 cibles situées au Kurdistan turc comme irakien. Auparavant, le 17 octobre, le Parlement turc, poussé par une opinion publique virulente, a autorisé l’état-major turc à engager des opérations au Kurdistan irakien à la poursuite du PKK. Cette perspective provoque les protestations et mises en garde des Etats-Unis comme du gouvernement irakien.

Répugnant à se lancer dans une aventure guerrière qui consisterait à épauler militairement les forces gouvernementales irakiennes opérant contre le PKK, les Américains ont choisi la voie de l’intimidation. Le coordinateur américain pour l’Irak et conseiller de Condolezza Rice, David Satterfield, le 23 octobre, a proféré des menaces à peine voilées contre les autorités provinciales kurdes du nord de l’Irak, les accusant de passivité à l’égard du PKK. Il faisait suite à des menaces du même genre qu’énonçait le ministre des Affaires étrangères irakien après un entre­tien avec son homologue turc.

L’action du PKK est loin d’être accidentelle. Elle prend le relais d’une agitation armée redoublée au Kurdistan turc, qui elle-même n’est pas plus accidentelle. Le but visé par les Kurdes est d’impliquer les Américains à leurs côtés en les détachant définitivement de l’alliance turque. Les Américains s’en défendent car une telle alliance devient totalement contre nature, de même vis-à-vis d’Israël, en faisant des Turcs des adversaires irréductibles. Et il n’y a pas que les Turcs qui ne veulent pas d’une indépendance kurde. Il y a aussi les Irakiens, les Syriens et les Iraniens.

Les Américains n’ont pas créé le problème kurde, mais en se lançant en Irak, faute de réflexion et d’analyse stratégique, ils étaient contraints de le rencontrer. D’une part, il leur faut mener campagne contre les Kurdes en Irak, en mettant à mal le fédéralisme qu’ils ont tant de peine à promouvoir, ou d’autre part, non seulement renoncer à l’alliance des Turcs, mais s’en faire des ennemis. L’enlisement en Irak était pourtant bien prévisible. Ce qui paraît stupéfiant est qu’en octobre 2007, les Français s’apprêtent à ouvrir un consulat en Irak et donc se rapprochent des options américaines.

Le « Grand Moyen-Orient » est un concept bien mal en point. La guerre en Iran est-elle une solution viable susceptible d’en opérer la résurrection ? Malbrouk va-t-il s’en aller en guerre au Kurdistan irakien, comme si l’Irak, avec ses complications chiite et sunnite, ne suffisait pas !

Conséquence internationale très directe qui oblige les Américains à ne pouvoir négliger la question kurde désormais, on ne peut plus la traiter par de la tergiver­sation. C’est que surgit la menace d’une interruption de l’oléoduc Bakou-Ceyhan, interruption causée par le développement de l’insurrection kurde et donc un état de guérilla le long du tracé à travers le Kurdistan turc. Cela explique le bond à plus de 90 $ du baril de pétrole le 23 octobre 2007, approchant les 100$ le 15 novembre 2007. Malbrouk s’en va-t-il toujours en guerre ?

Deuxième conséquence internationale, la question kurde concerne aussi l’Iran et la Syrie, pays d’implantation de minorités kurdes agissantes. L’Iran et la Syrie, reprochant déjà aux Américains d’être catalogués de Rogue states, ont ainsi un grief supplémentaire à leur égard.

 

Le conflit irano-américain

Le conflit engagé entre Iraniens et Américains ne se résume pas à un simple rapport de forces, encore qu’il ne soit pas vain d’évaluer ce rapport. Cependant, l’exemple de l’Irak démontre que le seul décompte des forces en présence est quel­que peu réducteur et ne reflète pas la réalité d’un conflit que le président américain avait triomphalement énoncé comme terminé après la prise de Bagdad. Il n’en a rien été parce que le président Bush n’avait pas analysé qu’après la phase classique de la guerre, allait s’ouvrir une interminable guérilla généralisée. Et pourtant, l’ad­ministration Bush a commis l’erreur de penser qu’elle pourra installer un régime politique viable, fut-ce la démocratie parlementaire, dans la foulée des armées. « On n’aime pas les missionnaires bottés » affirmait déjà Robespierre.

C’est pourquoi l’examen doit s’attacher à tous les aspects du duel américano-iranien et en premier lieu aux particularités constitutives de l’Etat iranien.

 

L’Etat théocratique iranien

D’une superficie de plus de 1,6 millions de km2, sa population dépasse 72 mil­lions d’habitants en 2007. C’est l’Iran qui provoque l’entrée du Moyen-Orient sur la scène internationale, comme élément déterminant, lorsqu’un forage de l’Anglo-Persian Oil Company, en bordure de la Mésopotamie, le 26 mai 1908, fait jaillir en masse un pétrole d’excellente qualité.

La Perse est le premier pays de la région à avoir adopté une Constitution en 1906. La nationalisation des hydrocarbures, opérée par Mossadegh en 1951, ser­vira de modèle à Nasser pour nationaliser le canal de Suez. Le retour du Shah, après le renversement de Mossadegh, le 19 août 1953, grâce à un coup d’Etat que l’on accuse la CIA d’avoir ourdi, sera suivi d’une révolution islamique achevée en janvier 1979, très largement commanditée par les religieux chiites. Une opposition acharnée contre les Etats-Unis ne tardera pas, aboutissant au conflit larvé tel qu’il existe en 2007, tandis que de 1980 à 1988, l’Iran et l’Irak s’affronteront dans une guerre meurtrière.

La République islamique d’Iran, fondée par referendum, le 1er avril 1979, est une théocratie affirmée constitutionnellement, se réclamant d’un chiisme militant. La Constitution est d’inspiration religieuse. L’Islam chiite est la religion officielle.

Le pouvoir législatif appartient à une chambre, le Majlis, composée de 290 dé­putés, mais placée sous l’étroit contrôle d’une organisation spécifique, les « Gardiens de la Constitution ». Il existe de même près d’une dizaine d’organisations qui en­cadrent toutes les composantes sociétales iraniennes, jusqu’à une « Association isla­mique des ingénieurs ».

L’ensemble est couronné par une organisation, elle aussi spécifique, mais milita­risée, les « Gardiens de la Révolution », les Pasdarans et les Bassidjis.

L’exécutif est figuré par un président de la République, Mahmoud Ahmadinnejad en 2007, élu pour quatre ans. Cependant, la réalité du pouvoir ne lui appartient pas, au point qu’il est placé même hiérarchiquement après le guide de la Révolution, l’Ayattolah Ali Kamenei en 2007, constitutionnellement successeur de l’Ayattolah Khomeiny, et de ce fait, le premier personnage de l’Etat. Toutes les responsabilités normalement dévolues à un chef d’Etat lui sont attribuées et plus encore, y compris le programme nucléaire et le commandement des forces armées. Ses pouvoirs ont été renforcés par la révision constitutionnelle de 1989 qui a supprimé le poste de Premier ministre.

Le président conserve la présidence du Conseil supérieur de la Défense natio­nale, composé de 11 à 13 membres, mais dont 6 nommés par le Guide.

L’instauration de ce Guide de la Révolution, investi de tous les pouvoirs, répond à un concept religieux chiite très strict : le velayat faqih, le « gouvernement de l’héri­tier savant ». Il s’agit de mettre à la tête de l’Etat et de ce qu’il représente, le chiisme militant, un vicaire du 12ème imam, en attendant son avènement.

Un comité des sages théologiens a pour mission de découvrir le Guide élu de Dieu. Ce Conseil se compose de 6 membres désignés par le Guide et 6 autres par les autorités mises en place par le Guide. En d’autres termes, il y a contrôle complet du processus puisque l’élection ou la désignation des sages experts théologiens sont réalisées sous l’égide du Guide précédent l’impétrant.

En 2002, un moratoire a suspendu les châtiments tels que la lapidation, mais la peine de mort a toujours cours.

Il est clair que le système politico-social iranien ne peut entraîner l’assentiment des Washington, pas plus que ses alliés. Un grief de plus s’additionne ainsi à la liste de ceux retenus contre le Rogue state iranien.

Point important que les Occidentaux n’ont toujours pas saisi, les négociations menées avec des membres de l’exécutif, fut-ce avec le président Ahmadinnejad ou son ministre des Affaires étrangères, Massouchein Mottaki, où que se déroulent ces négociations, n’ont pas grande valeur. Ont de la valeur les discussions et les affirma­tions du chef suprême, le Guide de la Révolution.

L’antagonisme nucléaire américano-iranien et son environnement

Le programme nucléaire de l’Iran, revendiqué pour être à des fins uniquement civiles, représente le principal grief des Etats-Unis à l’encontre de l’Iran. Les Etats-Unis, suivis par les Occidentaux, accusent les Iraniens de poursuivre clandestine­ment l’ambition d’obtenir une capacité militaire nucléaire, à travers leur program­me de recherche nucléaire. L’opération est clandestine car, aux termes du Traité de Non-Prolifération (TNP) qu’ils ont signé, les Iraniens s’interdisent la possession de l’arme nucléaire.

De toujours, dès qu’ils en ont eu la possession, les Américains sont opposés à la prolifération de l’arme nucléaire, voulant en être les seuls possesseurs pour des raisons évidentes de monopole de la puissance. Ils n’ont cependant pas pu empê­cher l’accession des Soviétiques à l’arme nucléaire, pas plus que des Britanniques, des Français et des Chinois. Très naturellement, dès qu’un pays accède à la capacité nucléaire, il épouse l’optique américaine sur l’intérêt de la non-prolifération.

Afin de lutter contre une prolifération nucléaire jugée incontrôlée, Washington a négocié avec Moscou le TNP qu’ils ont fini par adopter le 12 juin 1968 pour une entrée en vigueur le 5 mars 1970 avec une invite aux autres Etats à y adhérer.

Aux termes du traité, la licéité de la possession d’une capacité nucléaire mili­taire est reconnue aux Etats ayant réalisé une explosion nucléaire avant le 1er jan­vier 1967. Les autres Etats signataires s’engagent à ne pas rechercher une capacité militaire. En revanche, les Etats nucléaires prennent l’engagement de procéder au démantèlement progressif de leur armement nucléaire et de faire bénéficier les Etats signataires non-nucléaires de leur technologie civile en matière d’énergie nucléaire. La vérification, y compris l’inspection in situ et les enquêtes sont confiées à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), créée en 1957.

Une série de traités et de mesures sont venus en complément renforcer la portée du TNP et de l’AIEA. Le TNP, en 1995 a été prorogé indéfiniment, tandis qu’en 2000, est intervenu un protocole additionnel auquel a adhéré l’Iran en 2003, auto­risant l’AIEA à effectuer des vérifications à l’improviste. Un accord international a limité l’exportation des missiles, suivi d’un second accord rendant encore plus contraignantes leur exportation et celle de leur technologie. Un Comprehensive test ban treaty (CTBT), traité impliquant l’arrêt complet et illimité des essais nucléai­res, a été conclu en 1996, parachevant la Convention d’arrêt de la production des matières fissiles de qualité militaire.

L’arsenal jugulant la prolifération verticale et horizontale a été encore étendu par d’autres mesures. Cependant, la critique a beau jeu de souligner que ces traités n’ont pas été tous signés ou ratifiés par des Etats nucléaires ou par des Etats du seuil, c’est-à-dire des Etats possédant une technologie permettant d’acquérir assez rapidement l’arme nucléaire. C’est le cas, entre autres des Etats-Unis qui n’ont pas ratifié le CTBT et qui ont expérimenté de nouvelles armes nucléaires tactiques, utilisables sur un champ de bataille. Les Etats-Unis, apôtres de la non-proliféra­tion, pratiquent allègrement la prolifération horizontale, c’est-à-dire l’augmenta­tion qualitative de leur arsenal nucléaire. Quant à la prolifération verticale, à savoir l’augmentation quantitative des Etats nucléaires, elle est le fait avéré d’Israël, du Pakistan et de l’Inde qui, il est vrai, n’ont pas adhéré au TNP. Quant à la Corée du Nord, elle s’est retirée du TNP après avoir respecté le préavis de retrait.

Les Iraniens font chorus avec le flot des critiques. Ils soulignent avoir besoin d’énergie d’origine nucléaire et que leur programme est civil.

Les Iraniens ont aussi beau jeu de rappeler que c’est dans le courant des an­nées 1950 que l’Iran commence à accéder à la technologie nucléaire, et, paradoxe, dans le cadre du programme américain, « Atomes pour la paix ». C’est lors d’une manifestation d’ « Atomes pour la paix », orchestrée par les Américains à Téhéran en 1957, que le Shah annonce la signature d’un accord de coopération touchant l’énergie nucléaire avec les Américains. Cette coopération ne fut jamais désavouée par le Shah et fut étendue à d’autres pays, entre autres à la France et à l’Allemagne.

L’Iran s’associa à la France et à d’autres pays européens dans Eurodif qui s’occupait d’uranium enrichi ainsi que dans les sociétés Sofidif et Coredif en 1973. L’accord prévoyait la cession à l’Iran de 10 % de l’uranium enrichi par Eurodif. Un accord semblable allouait à l’industrie nucléaire française un prêt d’un million de dollars, par l’intermédiaire d’un versement au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), prêt dont le remboursement deviendra la pomme de discorde entre la France et l’Iran des Ayatollah. A bien noter qu’une partie de l’uranium enrichi était de qualité militaire destiné à la France. L’Allemagne, de son côté, n’hésita pas à autoriser ses firmes à vendre trois centrales nucléaires Westinghouse à l’Iran avec donc accepta­tion américaine. Les Américains en font autant. En 1976, avec le Shah se pose la question d’un atome militaire iranien. Les ambitions de l’accession à une capacité nucléaire militaire attribuée à l’Iran ne datent donc pas de l’arrivée au pouvoir en 1979 de l’ayatollah Khomeiny et des religieux chiites.

Indéniablement, les rapports se gâtent avec l’instauration en Iran de la théo­cratie chiite. L’ayatollah Khomeiny et ses successeurs, l’année 2007 ne faisant pas exception, ne varieront pas dans leur dénonciation des Etats-Unis assimilés à un « Grand Satan ». le discours et les prêches seront relayés par la prise en otage du personnel de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran. Des menaces sont proférées à l’encontre de l’allié intangible des Etats-Unis qu’est Israël. S’ajoutent à ces menaces des manifestations antisémites ou qualifiées comme telles, non sans fondements.

Les Iraniens sont accusés de poursuivre un programme nucléaire militaire sous couvert de programme civil.

Las Pasdarans, armée idéologique abritant la brigade spéciale Quods , sont taxés de terrorisme en soutenant le Hezbollah libanais comme les groupements militaires islamistes aussi bien en Bosnie qu’en Tchéchénie…

L’occupation des îles Tomb, commandant la sortie du golfe Persique, à l’en-contre d’Abu Dhabi, allié et client des Etats-Unis, souligne la position stratégique de l’Iran. En effet, l’Etat chiite peut très sérieusement perturber, voire interrompre l’approvisionnement pétrolier des Etats-Unis à partir des pétro-monarchies arabes. Se rajoute ainsi un grief américain de plus à l’encontre des Iraniens.

L’accusation de mener un programme nucléaire militaire occulte est controver­sée. Les Iraniens réfutent vigoureusement les assertions américaines. Cependant, c’est avec réticences qu’ils acceptent les inspections de l’AIEA. Ils prétendent que l’enrichissement d’uranium auquel ils procèdent vise des qualités civiles, tandis que les Américains ressortent qu’il s’agit d’uranium hautement enrichi de quali­té militaire, composante d’une arme. Les Américains voudraient voir les Iraniens suspendre définitivement leurs travaux d’enrichissement de l’uranium. Les Russes proposaient alors de fournir l’uranium faiblement enrichi de qualité civile, ce que Téhéran a refusé, augmentant ainsi la suspicion des Américains. Une complication supplémentaire provient de ce que si une recherche civile contribue grandement à l’obtention d’une capacité militaire, tant il est clair que les technologies sont duales, militaire et civile, elle n’est pas obligatoire. A preuve, les Chinois ont acquis leur arme nucléaire en 1964 directement, sans passer par l’intermédiaire de la recherche civile. Leur technologie civile, en conséquence, reste retardataire, ce qui les amène à importer des centrales nucléaires, clés en main.

Circonstance hautement aggravante, le gouvernement iranien et les Iraniens d’une manière générale, y compris ceux résidant à l’étranger, proclament leur droit de posséder une capacité nucléaire militaire. Leur raisonnement s’appuie sur la dis­crimination faite par les puissances nucléaires qui s’arrogent un droit qu’elles récu­sent aux autres, sans justification. Le raisonnement ne manque pas de fondement, mais renforce la crédibilité des accusations américaines qui n’ont alors comme argu­ment majeur que le respect du TNP signé et ratifié par les Iraniens. Il n’y a plus qu’à oublier qu’un traité comporte toujours une clause de dénonciation avec un préavis, ce qu’ont fait jouer les Nord-Coréens.

La troïka France – Grande-Bretagne – Allemagne, avec l’accord des Américains, a entamé des négociations qui se sont révélées sans résultat concret. La voie a été ouverte à des sanctions dans l’espoir de faire plier Téhéran. Le relais a été pris par les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, auxquels s’est jointe l’Allemagne, sans plus de résultat. Téhéran s’appuie sur l’absence de conclusion définitive de l’AIEA, faisant état de l’existence avérée d’un programme nucléaire militaire, lou­voie, tergiverse, proteste de sa bonne foi, accepte un moratoire sur l’enrichissement puis le reprend, tout en s’indignant contre les sanctions et rejette catégoriquement les ultimatums liés à des menaces d’intervention militaire. Celles-ci rencontrent l’opposition des Russes et des Chinois, comme d’une augmentation significative des sanctions, ce qui laisse présager l’impossibilité d’obtenir du Conseil de sécurité un mandat prescrivant l’emploi de la force armée.

Washington aurait bien besoin d’un rapport de l’AIEA faisant état sans ambages d’une violation du TNP par Téhéran. Cela permettrait d’entraîner une résolution du Conseil de sécurité ouvrant la voie à des rétorsions contre l’Iran sous mandat onusien. Or, échaudés, ne serait-ce que par le précédent irakien, à l’occasion duquel les accusations américaines n’avaient trouvé aucun fondement, les inspecteurs de l’AIEA, soutenus par leur chef, ElBaradeï, font preuve d’une extrême prudence. Il n’en faut pas plus pour que Washington accuse ElBaradeï et l’AIEA de partialité en faveur de l’Iran.

L’attitude de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de la Russie et de la Chine s’explique assez facilement. Encore que les Français tempèrent désor­mais fortement leur opposition aux thèses américaines.

La Grande-Bretagne fait en permanence du suivisme à l’égard des Etats-Unis, depuis la malheureuse expérience de Suez en 1956. Washington peut donc compter sur elle comme sur ses alliés traditionnels réunis ou non au sein de l’OTAN. La France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à la différence de son prédécesseur, Jacques Chirac, rejoue une fois de plus la carte de l’allié préférentiel américain au sein du bloc atlantique. Ce n’est pas la première fois : le président Jacques Chirac avait lui aussi tenté de jouer la même carte. Ce fut un échec, les Etats-Unis récla­maient un alignement sans compensation. L’Allemagne se situe en retrait car elle ne veut pas être impliquée dans une politique belliciste, surtout lorsqu’elle considère que la voie américaine n’est pas conforme à ses intérêts. Par ailleurs, ce retrait sou­ligne sa place parmi les grandes puissances.

La Chine et la Russie en premier lieu, contrecarrent la politique américaine dans une vision globale de grande puissance opposée à la volonté dénoncée d’hégémonie de Washington. En outre, la Chine tire de l’Iran une part substantielle de ses appro­visionnements en hydrocarbures. La Russie a des liens commerciaux très forts avec l’Iran, notamment en matière d’équipements militaires et assure la construction d’un ensemble énergétique nucléaire à Buschehr.

Les sanctions sont donc, en réalité, le fait unilatéral de Washington et de ses alliés. La France, avec l’élection du président Sarkozy en 2007, semble désormais aligner beaucoup plus sa politique sur celle de Washington, suivi à l’origine par Londres, tandis que l’Allemagne persiste à être en retrait.

Le rapport des forces militaires irano-américaines et les options interventionnistes américaines

Le rapport des forces militaires est, sans conteste, en faveur des Américains, non sans que soit apportée une nuance très sérieuse à la solution que semble présager cette évaluation. A préciser que les forces armées américaines sont de métier, tandis que les Iraniens ont maintenu la conscription.

Il est pratiquement superfétatoire de procéder à une comparaison chiffrée ou qualitative des forces en présence. Un point mérite cependant d’être souligné avec force. Les Iraniens ont développé un programme de missiles à moyenne et longue portée Shihab, ce qui n’est pas une supputation plus ou moins démontrée comme l’est la recherche de l’obtention d’une capacité militaire nucléaire mais bien une réa­lité prouvée. La technologie du programme Shihab dérive de celle du Scud, comme des No-Dong et Taepo-Dong nord-coréens. Les Iraniens ont ainsi des systèmes de missiles Shihab 1 et 2, avec des portées de 500 à 800 km et abordent le dévelop­pement d’un Shihab-3 de 1300 km de portée. Une version améliorée du Shihab-3 dispose d’une portée de 2000 km. L’ensemble place Israël et nombre de bases amé­ricaines du Proche-Orient sous le feu iranien. Le système Shihab pâtit cependant d’un fort inconvénient : une propulsion à base d’ergols liquides exigeant une lon­gue préparation avant le tir.

Après recherche et importation de technologie, les Iraniens ont fini par maîtri­ser la propulsion par substances solides ne nécessitant que de faibles délais de mise en œuvre. Cela leur a donné la possibilité de développer un missile mobile tactique de 150 à 400 km de portée, le Zelzal-3. Un autre missile qualifié justement de stra­tégique, l’Achoura atteint une portée de 2000 km et a été déclaré opérationnel le 28 novembre 2007 par le ministre de la Défense, Mostapha Mohamed Najar. Achoura, en farsi « Dixième jour », fait référence au martyre de l’imam Hussein, ce qui place le missile sous une invocation divine évocatrice. L’ensemble des systèmes, qu’ils soient à propulsion solide ou liquide, est apte à être muni d’une tête nucléaire, ce qui renforce les soupçons américains.

Par ailleurs, les Iraniens ont fait l’acquisition auprès des Russes de systèmes antimissiles S-300 et S-300 améliorés, ce qui est aussi de nature à inquiéter les Américains qui y voient une volonté de défense des sites nucléaires militaires.

Une comparaison entre les forces classiques iraniennes et américaines tourne à un désastre éclatant pour les Iraniens.

En ce qui concerne les marines, il suffit de rappeler que la marine américaine est la première force océanique au monde, comptant près de 280.000 hommes bien entraînés, servant les meilleurs navires. On y trouve, entre autres 12 porte-avions et 68 sous-marins, tous à propulsion nucléaire. La marine iranienne est une force côtière, alignant 18.000 hommes médiocrement entraînés, aucun porte-avions et 6 sous-marins à propulsion classique dont 3 ne sont pas construits pour tenir en haute mer.

L’aviation américaine, sans compter l’aviation embarquée, compte près de 500.000 hommes très bien entraînés et très bien équipés, servant plus de 6.200 avions de combat modernes de haute performance et opérationnels. L’armée de l’air iranienne, avec un effectif de 52.000 hommes incluant la défense antiaérienne, peu entraînés, dispose de quelque 285 avions de combat, dont 60 % au mieux sont aptes opérationnellement. La flotte aérienne irakienne qui avait cherché refuge en Iran en 2003 achève de pourrir, faute depuis 2003, d’avoir jamais pris l’air et d’entretien.

Le simple décompte de ce rapport de forces, sans faire mention de la puissance spatiale, amène à estimer qu’un affrontement armé est suicidaire pour les forces navales et aériennes iraniennes. Et encore faudrait-il ajouter les réserves américai­nes, aériennes et navales qui disposent d’un équipement et d’un entraînement adé­quats.

La sèche comparaison des forces terrestres conduit à la même conclusion. L’armée de terre des Etats-Unis, l’Army, aligne de l’ordre de 490.000 hommes, très bien entraînés et équipés, auxquels s’ajoute l’US Marines Corps comptant quel­que 175.000 combattants. L’Army et le Marines Corps font appel en permanence à 115.000 réservistes bien formés. L’ensemble est articulé en divisions et brigades, toutes douées d’une remarquable aptitude opérationnelle et du meilleur matériel qu’il soit.

L’armée de terre iranienne présente une structure originale en ayant sous les armes une force classique comptant 350.000 hommes, et les Pasdarans, les gardiens de la Révolution, d’un effectif approchant 50.000 hommes. L’ensemble y compris les Pasdarans, est articulé selon une organisation courante en divisions d’infanterie, blindées,. Les Pasdarans sont des volontaires, une véritable armée idéologique ni mieux ni plus mal armée qu’une armée classique, c’est-à-dire assez médiocrement pour pouvoir soutenir un combat de haute intensité contre l’armée d’un pays dé­veloppé et industrialisé. L’aptitude opérationnelle du combattant, Pasdaran ou pas, est assez faible dans une guerre de mouvement. En revanche, elle est excellente dans les combats de basse intensité, se rapprochant de la guérilla en zone urbanisée ou non. L’équipement de l’armée de terre ne le cède pas dans sa médiocrité à celui des Pasdarans. Les Pasdarans développent une brigade de 5.000 hommes, Al-Quods, « Jérusalem » dont le nom est un programme en soi. Al Quods est affectée à des missions spéciales d’encadrement ou d’action. C’est Al Quods notamment, qui a instruit et encadré les troupes du Hezbollah libanais intervenues contre les Israéliens au Liban en 2006.

L’armée idéologique, les Pasdarans, ne peut être comprise comme une milice : elle est semblable à une armée régulière. Cependant, créée pour les besoins de la cause, à partir de volontaires, plus qu’une force idéologique, elle est une force po­litique. Elle tire de son origine plusieurs particularités, dont celles de contrôler des banques, des sociétés de production et de commerce. A ce titre, en sus d’être une force militaire, les Pasdarans, à l’image de l’armée chinoise, sont aussi une force éco­nomique, ce qui leur permet d’avoir une existence propre. En 2007, les Pasdarans sont commandés par le général Mohammad Ali Jafari, connu pour son idéologie intransigeante et pour avoir inspiré la tactique utilisée par le Hezbollah contre les Israéliens au Liban.

Les Pasdarans sont complétés par une milice, les Bassijis, armés eux à la légère. Quelque 50.000 hommes en permanence : une force d’infanterie, sans grande co­hésion tactique mais apte à mobiliser de 1 à 10 millions de membres. Les Bassidjis n’ont certainement pas une grande valeur combattante dans un combat classique. En revanche, en guérilla et avec leur capacité de mobiliser la population, ils repré­sentent un potentiel redoutable.

Une comparaison brutale des forces terrestres, américaines et iraniennes est vi­ciée. En effet, au seul décompte numérique des forces et encore plus en prenant en considération la qualité de l’équipement, la valeur de l’entraînement des troupes et la compétence du commandement, la seule perspective attendant la force terrestre iranienne est un anéantissement à brève ou à moyenne échéance sur un théâtre d’opérations opposant force à force.

Cependant, l’évaluation comparée des forces terrestres iraniennes et américai­nes doit être nuancée par leur disponibilité. En effet, si la disponibilité des forces iraniennes est totale, il n’en est pas de même des américaines, loin de là. L’Army et le Marines Corps entretiennent en permanence plus de la moitié de leurs effectifs en dehors du territoire des Etats-Unis. Le corps expéditionnaire américain en Irak atteint plus de 150.000 hommes, essentiellement des forces terrestres, sans compter les alliés et quelque 30.000 mercenaires des sociétés militaires privées. Les militaires toujours en opération, étaient assujettis à l’origine à des séjours de 6 mois, passés à 8 puis à de l’ordre d’un an. Il ne faut surtout pas oublier que ce sont des soldats de métier, qui ont des familles et qu’ils faut relever périodiquement, ce qui conduit à l’obligation de disposer de troupes nécessaires à cette relève. L’Irak fait ainsi appel à plus d’effectifs que ceux qui y sont directement engagés, soit au total près de 230.000 hommes. En dehors de l’Irak, les forces terrestres américaines mobilisent quelque 80.000 hommes, entre autres en Corée du Sud et au Japon. L’Europe, à elle seule, entre les bases en Allemagne, les pays de l’Est, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne notamment, nécessite la présence de près de 70.000 hommes dont une partie contrainte à des relèves périodiques et à des retours aux Etats-Unis pour reprendre l’instruction.

En définitive, au décompte, les Américains sont incapables de distraire de l’or­dre de 250.000 combattants des forces terrestres, ce que nécessite une invasion de l’Iran. Et une relève inévitable de ces forces doit être prévue à hauteur de 100.000 hommes, puisqu’il y a lieu de prévoir une force d’occupation permanente de ma­nière à contrer une guérilla très prévisible.

L’augmentation de la durée des séjours opérationnels a déjà amené des baisses du moral des troupes stationnées en Irak, d’autant plus que le nombre de pertes s’y accroît. Le commandement américain a dû faire appel aux réserves, ce qui aboutit à une conscription limitée. Des sénateurs ont proposé un accroissement du recru­tement qui fait déjà trop appel à des étrangers en échange de leur naturalisation ou même le retour à la conscription. Le dernier point soulève une réprobation de l’opinion publique dans sa majorité, conformément à une vieille tradition anglo-saxonne.

Il découle de l’analyse qu’en l’état, en 2007, il ne saurait être question pour les Américains de lancer une attaque terrestre sur un éventuel théâtre d’opérations iranien, faute de moyens humains.

Deux grandes options sont offertes aux Etats-Unis pour amener les Iraniens à résipiscence, voire à la capitulation : les sanctions ou l’intervention militaire ex­cluant les opérations terrestres, pour les raisons précitées. Les deux options ne s’ex­cluent pas l’une l’autre.

La politique des sanctions, déjà bien entamée, a encore été durcie en octobre 2007. Mise en œuvre par Washington, elle est vigoureusement soutenue par ses al­liés britanniques, australiens, canadiens et français et plus généralement par l’Union européenne. Il s’agit de frapper d’embargo les exportations et les importations ira­niennes de manière à asphyxier le pays. Plus précisément, certaines personnalités et institutions ont été prises spécifiquement pour cibles. C’est ainsi que des responsa­bles iraniens ont été privés de toute obtention de visa pour séjourner aux Etats-Unis ou dans d’autres pays et leurs avoirs bancaires aux Etats-Unis ont été gelés. Ce gel a été étendu à trois banques iraniennes considérées comme étant le soutien finan­cier des Pasdarams et d’Al-Quods. L’interdit a touché les banques Mellat, Melli et Saderat, offrant leurs services aux institutions diverses impliquées dans les program­mes nucléaires et balistiques, ainsi qu’un soutien financier complet au Hezbollah sous l’égide des Pasdarans. Pour le moins, la banque Mellat assure la gestion des comptes de l’Organisation de l’énergie atomique de l’Iran (OEAI). L’efficacité im­médiate de ces gels est certaine ; cependant, à terme, existent des possibilités de contournement.

Les sanctions à l’importation empêchent l’acquisition de pièces de rechange, notamment nécessaires au fonctionnement d’équipements industriels achetés aux Occidentaux, des équipements de forage pétrolier ou indispensables au fonction­nement des raffineries. Les mêmes mesures touchent naturellement les industries nucléaires.

Cependant, cette politique a ses limites comme l’a rappelé Saïd Jalili, nommé en octobre 2007, nouveau responsable de l’industrie nucléaire iranienne. Il est signifi­catif que ce soit le responsable en chef du programme nucléaire qui proclame que la politique en la matière resterait inchangée, s’attirant les reproches d’isolement international croissant du principal parti réformateur, le Front de participation. En effet, l’embargo est tourné partiellement, non sans difficultés, par le maintien de liens commerciaux avec la Chine et la Russie.

L’option militaire, en l’occurrence des frappes, pouvant aller jusqu’à l’usage des armes nucléaires miniaturisées, les mininukes, à titre préventif est formellement autorisée par le Congrès des Etats-Unis, au titre de la Nuclear Posture Review adoptée formellement en 2002. Même si ce système de frappes préventives ne figure pas dans la Charte de l’ONU, notamment dans les articles 41 et 51 qui ne justifient l’action militaire qu’en tant que représailles ou défense à la suite d’une agression caractérisée ! Or, l’Iran est accusé d’une intention de violer le TNP, non d’une violation avérée. En outre, une violation du TNP demande une exégèse pour être taxée d’agression.

Le Pentagone prend l’option d’appliquer des frappes ajustées, de précision chirurgicale, sur des cibles parfaitement reconnues et topographiquement absolu­ment déterminées. Il y a déjà eu des précédents à de telles frappes sur les Iraniens : celles pratiquées par les Israéliens sur le site nucléaire de Osirak, en 1981, celles opérées par les Irakiens en bombardant six fois le site de Bushehr de 1984 à 1987.

Or, les sites de recherche sensible de capacité nucléaire militaire iraniens sont, selon toute vraisemblance, situés dans des bunkers enfouis dans le sol à grande profondeur.

Le principe d’utilisation est l’emploi d’armes de très forte pénétration dans le sol, aptes à atteindre les bunkers profondément enterrés. Ces armes seraient d’une puissance conventionnelle très forte ou nucléaire très faible, de l’ordre de 0,1 à 5 kt au plus, de manière à limiter les effets collatéraux au profit de la seule destruction du bunker visé. L’arme B 61-11 est la version nucléaire de l’arme conventionnelle BLU-113, parmi les systèmes , en 2007. Cependant leur capacité de pénétration dans le sol n’a pas excédé 20 pieds, donc de l’ordre de 6,5 mètres, lors des essais dans un terrain sec et largué à une altitude de 40.000 pieds, soit 13 km. Une pé­nétration supérieure est possible mais au-delà de 2020. Ces armes ont été étudiées pour la destruction des pistes d’envol des terrains d’aviation et cet objectif est at­teint. En revanche, une pénétration dans le sol à grande profondeur, au-delà de la destruction d’une piste d’envol, visant un bunker enterré, nécessite des études et des expérimentations poussées. Durant la guerre froide, les études appliquées aux systèmes sensibles soviétiques enterrés n’avaient pas abouti. Elles n’en ont pas moins été poursuivies.

 

Il en résulte qu’une frappe de nature aéro-navale, conventionnelle ou nucléaire, ne peut avoir qu’un rendement faible, étant entendu encore que la cible est déter­minée avec une précision de l’ordre de la dizaine de centimètres. Cependant, les cliquetis d’armes et les menaces de frappes font partie tant de la dissuasion que de l’intimidation. Si ces menaces sont vaines, ce ne sont alors que des rodomontades. Et Malbrouk s’en va-t-en guerre !

 

En revanche, l’Iran n’est pas dénué de capacités de représailles, ne serait-ce qu’en activant le terrorisme qu’il contrôle ! Ne serait-ce qu’en frappant des cibles améri­caines en Irak ou israéliennes ! Ne serait-ce qu’en ouvrant une campagne de soutien encore plus active en faveur des chiites irakiens. La catastrophe serait une erreur d’appréciation conduisant à un tir injustifié. Les Américains se sont déjà trompés en ce qui concerne l’Irak qui, en 2003, lors de son invasion, n’avait plus de programme d’obtention d’armes de destruction massive. L’acquisition d’une capacité militaire nucléaire par l’Iran relève de l’ambiguïté. Rien n’est prouvé. Or, il le faudrait, pour qu’une action militaire américaine n’entraîne pas des représailles en cascade, au moins au sein du monde musulman.

Les ambitions nucléaires militaires iraniennes sont vraisemblables, en ce sens qu’elles entrent dans le domaine des possibilités concrètes. Cependant, l’affronte­ment irano-américain n’est pas causé uniquement par ces ambitions, puisque l’Iran du Shah avait développé un programme nucléaire visant l’autonomie énergétique en remplacement de l’utilisation des hydrocarbures réservés pour l’exportation et susceptibles de raréfaction avec l’épuisement des gisements. Par ailleurs, les visées nucléaires militaires du Schah n’avaient pas provoqué de violentes réactions. Les motifs de l’affrontement sont à rechercher dans un militantisme conquérant du chiisme iranien s’opposant au concept américain du Great Middle East.

Comme les Nord-Coréens, les Iraniens souhaitent un système de dissuasion. Quel système est meilleur qu’une arme nucléaire ? Cette arme, au moins, met à l’abri d’une invasion terrestre puisque celle-ci doit inévitablement débuter par une phase de concentration des troupes d’invasion lors de leur débarquement ou de leur offensive aéro-terrestre à partir de l’Irak. Les Iraniens ont dans la mémoire leur guerre avec l’Irak tout comme la stratégie développée par les Américains à l’encon-tre des Irakiens.

Les Iraniens ont certes besoin d’avoir des moyens de dissuasion à l’égard des Américains mais aussi à l’encontre des Pakistanais qui possèdent une capacité mi­litaire nucléaire. Ceux-ci ont déjà soutenu en Afghanistan le mouvement taliban, profondément antichiite. En perspective, le Pakistan, de son initiative propre ou poussé par Washington, ce qui serait de bonne guerre, pourrait entamer une action offensive contre l’Iran.

Au-delà du cas iranien, le problème de la prolifération de l’arme nucléaire se pose avec acuité. Le nombre des Etats du seuil s’accroît. Le TNP est un frein, non un mur d’airain. Le souci de son maintien devient même un motif de guerre, ainsi que le démontre le cas iranien.

En définitive, la meilleure défense contre l’arme nucléaire, reste la dissuasion nucléaire elle-même, améliorée par la possession de boucliers anti-missiles straté­giques et tactiques. Triste à constater que la persistance des rapports de force dans l’arène internationale ! Par ailleurs, la possession d’un bouclier n’est pas une garan­tie pacifique. En effet, un bouclier peut aussi avoir pour fonction de protéger contre des représailles consécutives à un acte agressif !

Le 3 décembre 2007, intervient un coup de théâtre : l’ensemble de la commu­nauté américaine du renseignement rend publique un rapport sur l’avancement du programme des armements nucléaires iraniens qui s’inscrit en opposition à un rapport datant de 2005. Aux termes de celui de 2007, l’Iran avait procédé à l’inter­ruption de son programme militaire nucléaire à l’automne 2003. L’option nucléaire militaire iranienne reste pourtant ouverte, mais en cas de reprise du programme, son aboutissement ne pourrait intervenir avant 2009 au plus tôt et plus probable­ment vers 2015.

La publicité donnée à l’information s’explique par les mécomptes encourus par la CIA rendue responsable de l’inexactitude d’une information faisant état d’un programme nucléaire iranien, ce qui avait servi de prétexte à l’invasion de l’Irak.

Une notable partie de la classe dirigeante américaine se trouve, alors, en porte-à-faux en maintenant un discours belliqueux, notamment la Maison Blanche et le président George Bush. Il en découle une première conclusion d’importance significative : la raison primordiale de l’affrontement américano-iranien se trouve dans les ambitions iraniennes de jouer un rôle de grande puissance régionale. Par là même, l’Iran s’oppose au projet américain de Grand Moyen-Orient.

Deuxième conclusion, le concept de bouclier antimissile était dirigé contre les « Etats voyous », dotés de l’arme nucléaire, au premier rang desquels figurait l’Iran, et non la Russie ou la Chine, affirmaient hautement les dirigeants américains. Qu’en est-il désormais ?

Troisième conclusion, où en est désormais Israël qui embouche les trompettes guerrières de George W. Bush ? Est-ce de la bonne politique et une stratégie cor­recte ? Vraisemblablement pas. Mais l’inquiétude d’Israël se comprend. C’est alors, à l’Iran, de calmer cette inquiétude, voire ce désarroi belliciste, en reniant ou en réajustant des proclamations antisionistes, frisant largement l’antisémitisme.

* Président du cercle de réflexion politique DEMOCRATIES.

 

 

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