L’OTAN FACE À LA CRISE DU MOYEN-ORIEN

Pierre RAZOUX

Responsable de recherches au Collège de Défense de l’OTAN (Rome).

Février 2009

L’OTAN, par SON implication en Méditerranée et au Moyen-Orient, que ce soit par le biais de ses programmes de coopération à destination des pays de la zone (Dialogue Méditerranéen & Initiative de coopération d’Istanbul), par sa gestion quotidienne de l’opération « Active Endeavour », mais aussi par son étroite implication en Afghanistan, est bien évidemment concernée par la crise du Moyen-Orient et par les enjeux géostratégiques que celle-ci induit. Plus du tiers des Etats membres de l’Alliance atlantique, et non des moindres, sont en effet riverains de la Méditerranée ou ont des bases dans la région. Les Etats-Unis considèrent cette région comme essentielle pour leur sécurité. La Turquie, membre de l’Alliance de­puis 1954, est voisine de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran, trois pays au cœur du conflit moyen-oriental. Quant aux autres pays membres qui paraissent moins présents dans la région, ceux-ci sont convaincus de l’intérêt de renforcer sa stabilité, ne serait-ce que pour des raisons économiques et sécuritaires.

L’OTAN est présente et active dans la région clé du Moyen-Orient élargi (for­mule officielle traduisant la notion consensuelle de Broader Middle East) depuis le début des années 1950. Son engagement régional n’a pas cessé avec la fin de la Guerre Froide, même si celui-ci a considérablement évolué depuis. L’Alliance, bien que sa vocation militaire persiste, s’est progressivement transformée en un forum de gestion de crises. Sa crédibilité en tant qu’outil de stabilisation post-conflit (expé­rience des Balkans), la réussite de ses programmes de coopération (Partenariat pour la Paix, Dialogue Méditerranéen) et ses ressources réelles font d’elle un acteur perti­nent pour s’intéresser au processus de résolution des crises dans la région. L’OTAN peut ainsi valablement apparaître à la fois comme un « pacificateur » et comme un « partenaire ».

L’OTAN fait face à des obstacles bien réels

L’Alliance fait toutefois face aujourd’hui à de réelles difficultés dans la région du Moyen-Orient. Ces difficultés sont dues à la conjonction de multiples fac­teurs. Tout d’abord, l’enlisement du théâtre afghan où plus de vingt mille soldats de l’OTAN sont engagés dans des opérations militaires très dures dans le cadre de la mission FIAS de stabilisation du pays. Cette opération est perçue comme d’autant plus importante que plusieurs pays membres de l’Alliance (notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Danemark – mais curieusement pas les Etats-Unis) considèrent que l’OTAN joue sa crédibilité en Afghanistan. Un match nul sur le terrain serait à la limite acceptable, mais une défaite ne le serait en aucun cas car elle entraînerait le délitement de l’Alliance. Seconde difficulté, la réticence de certains alliés à s’impliquer sur le terrain, à la fois pour des raisons de coût (chaque pays contributeur « paye » pour ses propres troupes) et de politique intérieure (les soldats tués en opérations n’améliorant pas l’image des gouvernants). Depuis 2001, chaque sommet de l’Alliance se transforme en une négociation de marchands de tapis pour convaincre les Etats membres de contribuer davantage aux opérations de stabilisation en cours.

Un autre obstacle découle de la multiplicité des initiatives politiques instituant des cadres de coopération concurrents vis-à-vis du Grand Moyen-Orient, qu’il s’agisse du processus de Barcelone fondé par l’Union européenne en 1993 (et qui a instauré depuis 1995 son propre mécanisme d’échanges sur la sécurité), du groupe de contact méditerranéen de l’OSCE fondé en 1995, du programme « 5+5 » dans le domaine de la sécurité et de la défense mis sur pied en 2003 par cinq Etats de la rive nord et cinq Etats de la rive sud de la Méditerranée, ou bien encore du projet d’Union pour la Méditerranée qui a vu le jour en juillet 2008 lors de la Présidence française de l’Union européenne. Et cette liste ne tient pas compte des initiatives propres aux organisations régionales telles que l’Union africaine, la Ligue arabe, l’Union du Maghreb arabe ou bien encore le Conseil de Coopération du Golfe. Ces différents partenariats impliquant les Etats du Moyen-Orient ont tous des contenus et des formats différents, ce qui ne facilite pas la coordination. Cette profusion d’initiatives accroît la perplexité des Etats partenaires (notamment ceux d’Afrique du Nord qui sont impliqués dans l’ensemble des partenariats), même si certains d’entre eux n’hésitent pas à instrumentaliser les rivalités bureaucratiques qui en résultent pour pousser leur propre agenda.

Au sein même de l’Alliance, les visions divergentes de l’espace méditerranéen constituent des freins puissants à la définition d’une politique commune qui per­mettrait d’harmoniser les agendas nationaux. Certains Alliés conçoivent avant tout la Méditerranée et le Moyen-Orient comme un axe de transit Ouest-Est permettant d’acheminer des troupes et des produits manufacturés dans un sens et des ressour­ces énergétiques dans l’autre. Cette approche utilitariste et globalisante télescope l’approche prônée par d’autres Alliés qui conçoivent cette même région selon une logique de coopération Nord-Sud fondée sur l’interdépendance économique (main d’œuvre, débouchés commerciaux) et sécuritaire (immigration illégale, terrorisme). Ces deux visions divergentes éclipsent la dimension socioculturelle, ce qui ne facili­te pas une meilleure compréhension de ce que recouvre le Moyen-Orient élargi par les nouveaux Alliés d’Europe centrale et orientale qui n’avaient traditionnellement que peu de liens avec cette région.

La poursuite d’agendas bilatéraux concurrents vis-à-vis de certains pays clés du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient constitue également un obstacle que l’on ne saurait nier. Les transactions énergétiques, de même que les ventes d’armes et les projets de coopération dans le domaine nucléaire civil, attisent les rivalités entre certains Alliés très présents dans la région.

Les obstacles auxquels fait face l’OTAN dans la région ne proviennent pas seu­lement de l’attitude de ses seuls membres. Le conflit israélo-arabe et israélo-pales­tinien continue d’empoisonner les relations entre les acteurs présents dans la zone, multipliant les idées préconçues et les incompréhensions mutuelles, handicapant par là même le développement d’un dialogue apaisé et confiant. Car il ne faut pas se leurrer, ce conflit reste central et tant qu’il subsistera, il continuera d’affecter l’ima­ginaire collectif et la perception que le monde arabe se fait de l’Occident. De même, la persistance de différends régionaux contribue à entretenir les rivalités internes au Sud de la Méditerranée, qu’il s’agisse de la question du Sahara occidental ou bien de celle des rivalités entre le Maroc et l’Algérie.

La difficulté principale à laquelle se heurte l’OTAN dans sa relation au Moyen-Orient reste toutefois son image négative au sein du monde arabo-musulman. Au-delà des déclarations enthousiastes prononcées lors de visites de délégations officielles, l’ensemble des témoignages de terrain convergent pour attester de cette image négative. Il suffit de se rendre dans ces pays et de sortir du cadre officiel pour s’en convaincre. Un exemple illustre le décalage entre le discours convenu et la perception qu’en a l’opinion publique. Les chefs d’Etats et de gouvernements des pays partenaires accueillent toujours avec bienveillance la visite d’une délégation de haut rang de l’Alliance. Si cette visite fait généralement l’objet d’un encart discret dans la presse officielle, cette information est en revanche peu relayée dans l’opi­nion publique qui se montre souvent critique sur les liens que leur pays entretient avec l’OTAN. Cette image est d’autant plus affectée qu’une large part de l’opinion publique arabe perçoit l’Alliance comme « le bras armé de la politique américaine en Méditerranée ». L’image de l’OTAN souffre également de la présence militaire américaine en Irak et de la bienveillance que témoignent les Etats-Unis à l’égard de la politique israélienne. L’Alliance a donc peu de chance de jouer un rôle construc-tif dans la région tant qu’elle n’aura pas redressé son image négative, et ce malgré son engagement indiscutable auprès des populations musulmanes du Kosovo et d’Afghanistan. Si l’OTAN ne parvenait pas à renverser la tendance, le syndrome du « deux poids, deux mesures » aurait de beaux jours devant lui, accélérant le décou­plage entre les pays arabo-musulmans et l’Occident. Le risque majeur serait dès lors de voir ces pays déçus tourner le dos à l’Occident, incitant leurs opinions publiques à prêter davantage l’oreille aux discours extrémistes.

L’OTAN pourrait toutefois renverser cette tendance Pour redorer son image et sa crédibilité et pouvoir ainsi jouer un rôle plus actif face à la crise du Moyen-Orient, l’OTAN, avec ses partenaires, s’efforce actuelle­ment de répondre à un certain nombre de questions cruciales.

  • Comment accroître la coopération avec les autres acteurs impliqués dans la région (ONU, UE, organisations régionales) ?

Une concertation accrue s’impose en premier lieu avec l’ONU. Outre l’interac­tion de plus en plus grande entre les acteurs militaires et civils présents sur les théâ­tres d’opération (notamment les agences à vocation humanitaire), il est important que l’OTAN coordonne plus étroitement ses actions avec l’ONU car les Alliés et les pays partenaires susceptibles de participer à d’éventuelles opérations de stabili­sation de l’OTAN en Méditerranée attendent désormais que de telles opérations soient systématiquement fondées sur des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Peut-être conviendrait-il, pour y parvenir, de renforcer les contacts entre experts et officiers traitant des deux organisations, afin de finaliser les projets de déclaration conjointe entre les Secrétaires généraux des deux organisations et de memorandum of understanding (MOU) prévoyant les modalités pratiques de la coopération, qui patientent dans les tiroirs de l’administration onusienne depuis le mois de septembre 2005.

Une coopération renforcée est indispensable avec l’Union européenne (UE). Une coopération plus active entre l’OTAN et l’UE permettrait d’accroître les sy­nergies pour mieux rentabiliser les investissements consentis, évitant par là même les duplications inutiles et les rivalités contre-productives. A l’inverse, le refus de coopération entre les deux organisations n’est pas sans risques. Les pays membres du Dialogue Méditerranéen et du Processus de Barcelone ne comprennent pas la rivalité entre les deux organisations car ils aspirent à la coordination des offres de coopération qui leurs sont proposées. Ils interprètent l’absence de coordination ac­tuelle comme une preuve de faiblesse des Européens et comme un signe hégémoni­que des Américains. Pour eux, il est clair que l’absence de dialogue triangulaire avec l’OTAN et l’UE ne peut qu’aboutir à l’essoufflement des partenariats et à la dégra­dation de l’image de ces deux organisations. Le maintien d’une rivalité entre elles semble d’autant plus dépassée, voire néfaste, que se profilent déjà deux nouveaux acteurs, la Russie et la Chine, bien décidés à jouer un rôle important dans la région et dont les intérêts et les valeurs ne convergent pas forcément avec ceux des pays ara­bes et occidentaux. La coopération entre les deux organisations serait d’autant plus bénéfique que l’UE est perçue en Afrique du Nord et au Moyen-Orient comme un intermédiaire impartial, ce qui lui permet de véhiculer plus aisément les valeurs communes de l’Occident.

Pour agir ensemble efficacement dans cette région, l’OTAN et l’UE doivent s’entendre sur une « vision commune pour la Méditerranée » qui leur permette de mieux coordonner leurs efforts afin de pouvoir identifier d’éventuels champs de coopération. Pour y parvenir, ces deux organisations doivent s’affranchir des stéréo­types, s’efforcer de comprendre l’autre sans lui imposer un modèle préconçu, penser « régionalement » et non pas « globalement », tout en préservant leurs spécificités et leurs savoir-faire respectifs. Elles ne doivent donc probablement pas chercher à définir un partage rigide des tâches, mais plutôt réfléchir comment instituer un partenariat « gagnant-gagnant », qui puisse faire école ailleurs. Il leur faut de toute urgence instituer des contacts plus réguliers entre elles pour leur permettre d’une part de mieux se connaître, d’autre part de définir des champs d’action communs. De l’avis des parties concernées, une chose est sûre : la coopération entre l’OTAN et l’UE, tout particulièrement en Méditerranée, devra être pragmatique, répondre à des attentes concrètes et avoir un impact visible auprès des opinions publiques. C’est pour l’instant dans le domaine de la sécurité que les champs de coopéra­tion semblent les plus prometteurs, qu’il s’agisse de la lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale, ou bien encore du renforcement de la sécurité maritime et énergétique.

La multiplication des contacts apparaît également nécessaire entre l’Alliance et trois des organisations régionales les plus actives au Moyen-Orient : la Ligue arabe, l’Union africaine et le Conseil de coopération du Golfe. La Ligue arabe s’impose de fait comme un interlocuteur incontournable pour qui veut promouvoir le dialogue au sein du monde arabe, malgré les difficultés qu’elle peut connaître (financement, rivalités internes) et qui transparaissent régulièrement lors de ses sommets. Elle dispose de puissants relais d’influence qui peuvent se révéler utiles aussi bien sur le plan du dialogue politique que sur celui de la coopération pratique (notam­ment pour l’organisation de séminaires). Si jusqu’à présent la Ligue arabe a toujours adopté une attitude très réservée à l’égard de l’OTAN, il semblerait qu’elle soit aujourd’hui plus réceptive à un éventuel rapprochement des deux organisations, grâce notamment à l’action diplomatique de l’Egypte qui accueille le siège de cette organisation.

L’Union africaine représente pour sa part un forum de discussions et d’échanges d’autant plus pertinent que l’Alliance pourrait être tentée de s’impliquer davantage en Afrique, comme l’a montré sa récente contribution à la mission de maintien de la paix de l’Union africaine et des Nations Unies au Darfour (MINUAD). De juillet 2005 à décembre 2007, l’OTAN a en effet coordonné le transport aérien sur place de plus de 31 500 soldats et policiers civils originaires de pays d’Afrique et a assuré la formation de plus de 250 responsables au quartier général de la Force. La coopération entre l’Union africaine et l’OTAN ne sera toutefois possible que si un intérêt commun peut être dégagé sans ambiguïté et si une valeur ajoutée effective peut être détaillée au bénéfice des deux structures. Là encore, les rigidités structu­relles restent pesantes.

Quant au Conseil de coopération du Golfe, celui-ci apparaît comme un inter­locuteur naturel de l’Alliance à travers l’Initiative de Coopération d’Istanbul (1994) ouverte à l’ensemble de ses membres. Quatre d’entre eux (Koweït, Bahreïn, Qatar et EAU) ont pour l’instant répondu à la proposition de dialogue et de coopération de l’OTAN. Un dialogue intensifié avec le CCG pourrait permettre d’engager à terme l’Arabie saoudite et Oman, renforçant par là même la sécurité de la région du Golfe.

 

L’OTAN face à la crise du Moyen-Orient • Comment établir des partenariats plus
équilibrés ?

Les Etats du Moyen-Orient se plaignent régulièrement du caractère déséquilibré de leur relation avec l’OTAN. Ils perçoivent la coopération comme étant essen­tiellement à sens unique et souvent focalisée sur des thématiques sécuritaires qui soulignent les carences de leur propre système (notamment en matière de lutte contre l’émigration clandestine, les trafics et le terrorisme). Ils arguent du fait que l’Alliance ne s’investit pas toujours comme elle le pourrait pour comprendre leur mentalité et leurs particularismes, même si une partie du site Internet de l’Alliance est désormais traduite en arabe. Ils souhaiteraient enfin que les propositions de coopération prennent davantage en compte leurs besoins qui ne recouvrent pas nécessairement ceux de leurs interlocuteurs. La réponse à leur attente est parado­xalement simple dans son principe, mais plus difficile à mettre en œuvre dans son exécution. Elle consiste à prendre davantage en compte l’approche socioculturelle, comme l’ont démontré les conclusions de plusieurs séminaires internationaux orga­nisés au Collège de Défense de l’OTAN1. Elle consiste également à élargir le champ de la coopération (gestion conjointe des réponses aux catastrophes naturelles au Moyen-Orient, partenariats dans le domaine de la communication et des médias). Elle consiste aussi à aider les pays partenaires du Moyen-Orient et les Alliés d’Eu­rope centrale et orientale qui jouent un rôle croissant au sein de l’Alliance, à mieux se connaître et s’apprécier réciproquement. Elle consiste surtout à promouvoir par tous les moyens possibles le principe de réciprocité qui, seul, peut convaincre nos partenaires de notre bonne volonté. Sur ce dernier point, deux mesures concrètes pourraient être prises pour faire valoir l’esprit d’ouverture de l’Alliance. D’une part, l’envoi de personnels civils et militaires de l’OTAN dans des centres de formation situés dans des pays partenaires qui se porteraient volontaires pour organiser des curriculum adaptés (de quelques jours à quelques semaines, en langue anglaise ou française). D’autre part, des visites plus régulières des pays partenaires par les sta­giaires suivant des cursus de formation au sein des structures de l’OTAN.

Une initiative récente répond au nécessaire rééquilibrage du Dialogue entre l’OTAN et les pays du Moyen-Orient : la nouvelle initiative de coopération en ma­tière de formation (NTCI) décidée lors du sommet des chefs d’Etats de l’Alliance réunis à Riga (28-29 novembre 2006), qui offre l’opportunité de créer un outil de formation adapté qui réponde véritablement aux attentes des pays partenaires. A condition bien sûr que ces derniers s’y intéressent et désignent des candidats de bon niveau. Car là encore, l’effort ne doit pas être à sens unique. Les pays parte­naires pourraient s’impliquer davantage dans le suivi de la coopération. Ceux qui ne le sont pas déjà devraient s’engager dans un programme de coopération indivi­duel avec l’OTAN2. Ces pays pourraient également contribuer plus activement aux opérations de stabilisation de l’OTAN, concourant ainsi à mieux cerner la culture opérationnelle de l’Alliance tout en améliorant l’interopérabilité de leurs propres forces armées. Cette coopération apparaît d’autant plus utile que les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ne disposent en général ni des forces militaires in­tégrées dans des structures régionales, ni des forces de réaction rapide capables de faire face à des crises subites en Méditerranée. Enfin, leurs autorités devraient faire preuve de davantage de pédagogie et avoir le courage d’expliquer à leurs élites et à leur opinion publique l’intérêt d’un partenariat avec l’OTAN.

  • Comment ouvrir ces partenariats à d’autres pays ?

A l’origine, le Dialogue méditerranéen mis en place par l’OTAN était ouvert à l’ensemble des pays de la rive sud de la Méditerranée. Certains s’y sont agrégés, d’autres ont préféré ne pas y adhérer. Aujourd’hui, si l’on examine la situation sous le double angle géographique et politique, il pourrait être opportun d’élargir le Dialogue à plusieurs Etats, notamment à la Libye. Du point de vue géographique, l’intégration de la Libye permettrait de réunir territorialement les deux composan­tes nord africaine et proche-orientale du partenariat. La Libye retrouverait ainsi pleinement son rôle de « pont » entre le Maghreb et le Machrek et l’ensemble des Alliés et des partenaires disposeraient d’un point d’appui solide pour contribuer à la stabilisation du continent africain. D’un point de vue politique, plus rien ne s’oppose à l’entrée de la Libye dans le Dialogue Méditerranéen depuis que le pays a réintégré le concert des Nations. Seule la volonté de son dirigeant de demeurer pour l’instant à distance de l’Alliance semble constituer un obstacle à cet élargisse­ment. Mais rien ne dit que ce dirigeant, coutumier de revirements imprévisibles, ne décidera pas finalement de rejoindre ce partenariat qui lui permettrait de lutter plus efficacement contre les facteurs externes menaçant la stabilité de son pays confronté à la montée en puissance des réseaux terroristes internationaux et aux crises qui se­couent son voisinage africain, du Sahel au Darfour en passant par le Tchad. Même si le guide de la Jamahiria arabe libyenne persistait dans sa position, tout indique que ses successeurs potentiels, beaucoup plus ouverts sur l’Occident, adopteraient très certainement une attitude plus conciliante. En attendant, l’OTAN et les pays du Dialogue Méditerranéen devraient s’attacher à maintenir une politique de « por­te ouverte » à l’égard de la Libye, n’hésitant pas à multiplier les démarches diplo­matiques et pédagogiques, afin qu’en temps voulu, l’élargissement à ce pays puisse s’opérer rapidement.

La question de l’élargissement à la Syrie, au Liban, au futur Etat palestinien, voire même à l’Irak, n’est pour l’instant pas d’actualité. Elle pourrait se poser à terme si ces Etats et l’ensemble des factions qui les composent s’engageaient ferme­ment sur la voie du processus de paix. Un accord en ce sens pourrait alors permettre d’entamer des discussions visant à élargir le partenariat à ces pays, s’ils le désiraient bien évidemment.

S’agissant du Golfe, l’élargissement du partenariat de l’OTAN à l’Arabie Saoudite et à Oman reste toujours possible puisque ces deux Etats, invités dès l’ori­gine, n’ont jamais repoussé l’offre de coopération, se contentant de « l’étudier » depuis plus de quatre ans. Pour l’Arabie Saoudite, il s’agit de déterminer en quoi l’offre de l’Alliance lui apporterait davantage que le partenariat poussé qu’elle entre­tient déjà avec les Etats-Unis. Pour Oman, il s’agit de ne pas fâcher l’Iran avec lequel le Sultanat entend conserver d’excellentes relations (Oman restant le « gardien » du détroit d’Ormuz). Ces deux Etats craignent en outre qu’un partenariat avec l’OTAN réduise leur autonomie décisionnelle. Avant de se prononcer sur d’éven­tuels liens avec l’Alliance, ils veulent attendre de voir comment évolueront les rela­tions entre les Etats-Unis et l’Iran.

  • Comment contribuer plus activement au processus de règlement des conflits en Méditerranée ?

La plupart des Etats partenaires de l’OTAN au Moyen-Orient appellent de leurs vœux une telle évolution, insistant sur le fait qu’une contribution active et impartiale de l’Alliance au processus de règlement du conflit du Proche-Orient ne pourrait qu’améliorer son image et accroître sa crédibilité vis-à-vis des pays de la région. Les Israéliens se montrent pour leur part très réservés vis-à-vis de cette hypothèse, même si leur perception de l’OTAN s’est considérablement améliorée depuis quelques années. Ils craignent en effet que la présence de troupes de l’OTAN ne les empêche d’agir à leur guise. Ils soulignent en outre les risques de dérapage qu’entraînerait la présence éventuelle de troupes arabes sur place. L’expérience posi­tive de la FINUL II déployée à la frontière israélo-libanaise depuis l’automne 2006 semble toutefois les convaincre que la présence de troupes occidentales sur le terrain présente également un certain nombre d’avantages.

L’Alliance se montre elle-même très prudente sur ce sujet. Son Secrétaire géné­ral, Jaap de Hoop Scheffer, rappelle régulièrement les trois conditions sans lesquel­les l’OTAN ne saurait s’impliquer sur place3 :

  • L’existence d’un accord de paix effectif entre les parties ;
  • Un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies permettant d’agir ;
  • Une requête officielle des parties en présence demandant l’implication de l’Al­

Il est vrai que les membres de l’Alliance sont partagés. Certains verraient bien l’OTAN jouer un rôle plus actif dans le processus de paix, soulignant les avantages d’une telle posture en termes diplomatiques, stratégiques, militaires, voire même économiques. D’autres, au contraire, y sont réticents, rappelant que le Proche-Orient a souvent constitué une région de fracture entre les politiques américaine et européenne, qu’une telle opération demanderait d’importants moyens (alors même que les Alliés peinent à engager des troupes en Afghanistan), que ces troupes se trouveraient dangereusement exposées au terrorisme et qu’au bilan, l’image même de l’Alliance pourrait en pâtir, aboutissant ainsi à un résultat contre-productif. En attendant qu’un consensus se dégage sur cette question délicate, les Alliés pour­raient réfléchir à des solutions alternatives dans lesquelles l’OTAN n’interviendrait pas seule, mais en appui d’autres organisations internationales.

Au-delà du seul processus de paix au Proche-Orient, les pays membres de l’OTAN, en étroite concertation avec leurs partenaires du Dialogue Méditerranéen, pourraient s’impliquer davantage dans la résolution d’autres différends moins mé­diatisés mais qui n’en affectent pas moins la sécurité et la stabilité du bassin médi­terranéen. Tel est le cas du conflit du Sahara Occidental, actuellement bloqué, qui contribue à entretenir un climat de suspicions et de rivalités entre les pays d’Afrique du Nord. L’implication de l’Alliance dans le processus de résolution de ce conflit moins complexe que celui du Proche-Orient, peut-être dans un format sous-régio­nal, pourrait lui permettre de faire ses preuves et de démontrer sa crédibilité d’in­termédiaire impartial, rehaussant par là même son prestige régional. L’implication de l’OTAN dans la crise irakienne, voire même dans la crise iranienne, ne semble pour l’instant pas d’actualité. D’autant qu’un certain nombre de pays membres de l’Alliance semblent décidés à bloquer tout engagement de l’Alliance dans ces deux dossiers.

Pour conclure, l’avenir des relations entre l’OTAN et les pays du Moyen-Orient dépendra certes de l’offre de coopération que l’OTAN voudra bien mettre sur la table, mais il dépendra surtout du niveau d’engagement des pays partenaires et de leur volonté d’aplanir leurs rivalités. Car le renforcement de la coopération passe aussi par la relance du dialogue Sud-Sud. L’avenir de ces relations dépendra égale­ment des choix du futur locataire de la Maison Blanche sur les dossiers du Proche et du Moyen-Orient, et de l’attitude des Alliés européens tiraillés par des inté­rêts parfois contradictoires. De ce point de vue, l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants européens favorables au rétablissement d’un lien transatlantique apaisé pourrait permettre au pilier européen de l’Alliance de pérenniser en Méditerranée et au Moyen-Orient les valeurs véhiculées par le lien transatlantique, à l’heure où l’influence américaine est en net reflux dans cette région. Chacun se trouve donc désormais face à ses propres responsabilités.

Notes

  1. Confer notamment le séminaire international « Which future for the NATO Mediterranean Dialogue and ICI ? » qui s’est tenu à Rome au Collège de défense de l’OTAN du 6 au 8 mai 2008.
  2. Seuls l’Egypte et Israël bénéficient pour l’instant d’un programme de coopération individualisé

avec l’OTAN.

  1. Conférence de presse de Jaap de Hoop Scheffer suivant la réunion des ministres des affaires étrangères de l’OTAN à Bruxelles, le 9 février 2005(nato.int/docu/speech/2005/ s050209a.htm).

 

 

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