L’Organisation de l’Islam en France et les problèmes religieux et socio-culturels des musulmans

Abdallah ZEKRI, Président de l’observatoire national pour la lutte contre l’islamophobie en Europe
Colloque; La géopolitique de l’islam
Académie de Géopolitique de Paris
Actes du colloque
Conference proceedings
Lundi 09 février 2015
Assemblée Nationale
Depuis quelques années, on assiste à l’émergence progressive d’un débat public autour de la présence de l’intégration et des modalités de gestion de l’islam en France.
Cette problématisation publique est intimement liée à la visibilité accrue de personnes et d’associations musulmanes sur la scène publique française.
Leurs prises de position, relatées par les médias et faisant l’objet de décisions légales ou politiques, ont contribué à rendre tangible ces deux dernières décennies la présence des musulmans en France. De simple catégorie démographique, ils se sont progressivement transformés en catégorie sociale et politique.
Ainsi des enjeux tels que les cimetières confessionnels, le voile islamique, l’abattage rituel de la viande halal, les cursus scolaires, les procédures de nomination et de formation des imams, les devoirs de réserve des fonctionnaires par rapport à leurs croyances religieuses, la compatibilité d’interprétations radicales de l’islam avec les valeurs démocratiques, etc., font de plus en plus l’objet de débats publics et médiatiques portés à travers tout le territoire français, aussi bien au niveau national, régional que local.
En effet, la prise de parole publique des musulmans a engendré un large questionnement concernant les implications de ces revendications sur les valeurs constitutives de l’Etat (comme la laïcité et la démocratie), sur la préservation des équilibres religieux.
Pour justifier ces lignes politiques, les polémiques relatives à la nature des prêches tenues par les imams ainsi qu’aux prises de positions publiques controversées de certains leaders associatifs ou intellectuels musulmans ont été largement exagérées et fortement médiatisées pour soutenir l’idée d’une crainte à l’égard du potentiel de mobilisation et de radicalisation identitaire que de tels discours pourraient avoir sur les musulmans, qualifiés de « modérés ».
On peut affirmer qu’une une grande et écrasante majorité des musulmans ne se reconnaît pas dans les demandes et prises de position articulées par les leaders associatifs ou religieux extrémistes ou radicaux s’exprimant au nom de la communauté ou de groupes musulmans.
Est-il nécessaire de remarquer que dans le débat public la dénomination de « musulman » est parfois employée et exploitée de manière arbitraire pour désigner des personnes provenant de pays musulmans. En effet, la provenance géographique ne permet pas de qualifier le degré de religiosité des différents individus.
L’intérêt de notre intervention est de mieux faire comprendre les inductions qui sous-tendent l’affirmation politique d’une image homogène des caractéristiques des musulmans et de les présenter comme « dangereux » pour la collectivité française et sa cohésion nationale.
En d’autres termes, le fait d’être musulman impliquerait un ensemble de valeurs et pratiques partagées et immuables, donc incompatibles avec les valeurs républicaines françaises.
Une telle perception homogénéisant renforce la stigmatisation des membres de la composante musulmane en France.
Nous trouvons ainsi, au cœur de plusieurs prises de position politiques concernant les musulmans, des représentations sociales et des stéréotypes fortement ancrés :
– A la liberté de la femme occidentale s’oppose « la soumission de la femme musulmane » ;
– A l’esprit démocratique des occidentaux s’opposent «l’autoritarisme et la vision théocratique des musulmans » ;
– A l’égalitarisme des hommes occidentaux s’oppose « le machisme anachronique des musulmans » ;
– Au caractère progressiste des occidentaux s’oppose « le conservatisme des musulmans » ;
– Ainsi, il devient nécessaire que les responsables politiques et les journalistes fassent des efforts d’honnêteté intellectuelle pour mieux connaître cette population afin de diminuer les risques de sa stigmatisation sociale et religieuse aux yeux de l’opinion et de la population française.
Pour cela, encore faudrait-il accepter qu’en France la parole soit donnée à des musulmans qui, généralement, ne l’ont pas particulièrement dans les médias.
Que la majorité « silencieuse » des musulmans puissent répondre à des questions telle que :
– Qu’est-ce que signifie vivre l’islam en France en dehors d’une logique théologique stricte ?
– Comment les musulmans perçoivent-ils leur intégration ?
– Comment se positionnent-ils par rapport à la citoyenneté?
– Comment vivent-ils et pratiquent-ils l’islam dans leur pays d’accueil ?
– Quelle est leur opinion concernant les décisions des autorités publiques et leur relation avec la population française ?
– Que pensent-ils de la compatibilité entre islam et valeurs démocratiques (par exemple en matière de mixité, de statut de la femme, de respect de la laïcité, etc.) ?
Jusqu’à la mise en place de l’Observatoire national contre l’islamophobie, il n’existait aucun organisme ou structure reconnu par les pouvoirs publics chargés du recensement des actes antimusulmans comme les témoignages des victimes et des témoins d’actes islamophobes ou les documents, les discours politiques et les textes qui prônent ou encouragent la haine des musulmans de France ou de leur religion.
Malheureusement, suite aux évènements dramatiques qu’a connus notre pays après les crimes abjects de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, les actes islamophobes ont atteint un sommet dans la haine à l’égard des Français de confession musulmane, jamais enregistré.
Du 7 au 20 juin 2015, c’est-à-dire en 12 jours, les services de police et de gendarmerie ont enregistré plus d’actes islamophobes que durant toute l’année 2014 et avec plus de violence.
L’islamophobie, via la cyber-haine, augmente fortement à travers les courriels en chaîne.
L’Observatoire est né de la volonté de la lutte contre les discriminations et le respect de la dignité humaine.
En effet, l’examen de la situation des citoyens Français de confession musulmane dans la société française débouche sur le constat suivant :
– L’image très négative de l’Islam et des musulmans véhiculée dans l’actualité médiatique, basée sur une information nationale et internationale exposant des situations graves, réelles ou présumées,
– La montée d’un certain radicalisme islamique qui nuit d’abord aux citoyens français de confession musulmane qui se sentent « otages » par des tentatives certes marginales mais fortement médiatisées d’imposer la vision d’un Islam présenté comme intolérant, belliqueux, voire sanguinaire, encourageant un repli sur soi, communautariste et exclusiviste, non représentatif des dynamiques sociales dans les communautés musulmanes,
– Un climat de méfiance mutuelle à l’échelle de la communauté nationale, directement lié à une méconnaissance des citoyens français de confession musulmane et de l’attente de la population d’une plus grande conformité culturelle de la part de leurs concitoyens musulmans ; le 11 septembre 2001 a été un de ces catalyseurs,
– La promotion de discours franchement populistes de certains leaders d’opinion, en recherche pour certains de victoire électorale, de visibilité politique et médiatique… Cette rhétorique, surfant très souvent sur les peurs, a engendré des clivages et des préjugés fortement ancrés dans la conscience collective rendant indéniablement plus difficile le dialogue,
– Les discriminations structurantes dans notre société dans les secteurs de l’enseignement, de l’emploi, du logement…qui deviennent des obstacles à la participation réelle de tous à la société.

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