L’ingénierie démocratique appliquée à la réforme de l’ONU

Troy DAVIS

Novembre 2006

Si on essaye d’appliquer l’ingénierie démocratique à la réforme de l’ONU, il faut d’abord se souvenir de ses principes fondamentaux. L’ingénierie démocratique n’est qu’une méthode pratique de résolution de problèmes politiques et chacun peut choisir les principes qu’il voudra en utilisant la même méthode. Le succès de l’une ou l’autre modalités de l’ingénierie démocratique résultera de la pratique et de la capacité à durer des solutions ; comme dans n’importe quel autre domaine où des ingénieurs ou des architectes peuvent se tromper, créer de « bonnes » ou de « mauvaises » voitures ou des bâtiments qui inspirent leurs habitants ou qui leur font peur. Autrement dit, l’ingénierie démocratique en tant que méthode est hors toute considération de morale, et n’acquiert une moralité intrinsèque que selon les principes fondateurs qu’on lui assigne.

Personnellement, je choisis les principes suivants comme les plus fondamentaux, les plus substantiels et les plus féconds – en terme de puissance génératrice – comme base de ma version de l’ingénierie démocratique ; je veux par là évidemment distinguer ma vision de celle d’autres personnes qui pourraient utiliser le terme d’ingénierie démocratique, tout en le dévoyant, ce qui ferait du tort à la vision que je choisis :

1 – Tous les êtres humains possèdent la même dignité (un raccourci de l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.)

2 – La souveraineté appartient au peuple (ce principe qui est repris dans la plupart des constitutions du monde est également mentionné de manière différente dans la Déclaration universelle des droits de l’homme : Article 21.

La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics. Ces deux principes, quasiment universellement connus et appréciés, ne sont malheureusement pas utilisés de manière concrète et systématique quant il s’agit de résoudre des problèmes politiques. On les prend pour de beaux mots, des belles utopies mais sans réaliser leur incroyable fécondité potentielle. Pourtant, comme je l’ai montré précédemment dans Géostratégique3, il est possible d’élaborer des processus démocratiques spécifiques et inédits pour des situations complexes en utilisant ces principes, en les « opérationnalisant ».

En ce qui concerne l’ONU, une démarche scientifique veut que l’on se pose d’abord deux questions :

  1. pourquoi réformer l’ONU ? et 2. Pourrait-on atteindre les mêmes buts par d’autres méthodes que la dite réforme ? A priori pourquoi réformer l’ONU semble évident : l’ONU malgré certains succès a failli à sa mission fondamentale : « à préserver les générations futures du fléau de la guerre » (première phrase de la Charte de l’ONU), et si l’ONU était jugé comme une entité qui rendait vraiment des comptes à ses « clients », donc les citoyens du monde (si l’on excepte les quelques pays qui n’en sont pas membres), son conseil d’administration aurait sauté depuis longtemps.1

La plupart des progrès humains depuis 50 ans sont dus à la science et à l’augmentation du niveau de vie conséquence de la croissance économique, et non pas en raison de l’action de l’ONU. Je suppose donc que notre but au lieu de dire « la réforme de l’ONU » devrait être formulé plus exactement comme une variation des deux questions suivantes : « Quelle architecture politique mondiale est la plus adaptée au monde actuel étant donné que notre but fondamental est le respect de la dignité humaine ? Et comment la construire une fois que nous en aurons déterminé les grandes lignes ? ».

Mais revenons un peu en arrière pour essayer de comprendre pourquoi la « réforme de l’ONU » est une telle mantra et pourquoi presque personne ne se pose les questions plus fondamentales, et manifestement plus justes, exprimées ci-dessus. Autrement dit, pourquoi sommes-nous tellement obnubilés par l’ONU au lieu de nous consacrer au vrai but, qui est justement de réaliser concrètement ses objectifs (abolir la guerre), mais qui ne devrait pas être de sauvegarder en tant que telle une structure arbitraire datant de 1945.

Ce qui dérange en général dans les débats à propos de l’ONU c’est qu’au lieu de réfléchir aux problèmes fondamentaux, on ne réfléchit qu’aux problèmes cosmétiques et en fin de compte, on devient prisonnier d’expectatives minimales qui sont défendus au nom d’un mythique « réalisme » qui est profondément stérilisateur. Le réalisme est bon dans les moyens, mais l’idéalisme est nécessaire dans la formulation des buts. Aujourd’hui, on inverse ce principe : au nom du réalisme, on se défend surtout de définir les buts « utopiques » que serait la poursuite de la justice au plan mondial, de la création d’une démocratie mondiale (concept qui reste à définir dans un grand débat de société), de la défense des droits humains fondamentaux, mais par contre, pour les moyens, on retombe sans cesse dans le mythe de l’homme providentiel, du Messie, du « Big Man » qui aura la « volonté politique » de résoudre les grands problèmes mondiaux. Presque chaque discours et articles de politiciens et d’analystes politiques finit sur les vœux pieux « On pourra résoudre ces problèmes à condition d’avoir la volonté politique ! » C’est cela le vrai utopisme dangereux, car premièrement les politiciens ne sont pas des saints ni tous honnêtes, condition sine qua non pour que fonctionne bien le système mondial actuel basé sur l’arbitraire de la volonté politique, et deuxièmement, encore une fois dans le système mondial actuel, une imposition suffisamment puissante de la volonté politique qui serait nécessaire pour résoudre les grands problèmes équivaudrait à une imposition tyrannique d’une minorité infime, et donc engendrerait une violence dirigé contre cette volonté, même bien intentionnée.

Un exercice pratique de ce concept est édifiant : écoutez les discours politiques et remarquez que personne ne propose de solution systémique, mais attends que par miracle, il y ait une conjonction fortuite de la « volonté politique » des dirigeants. La probabilité qu’une telle conjonction ait lieu alors que les négociations mondiales ont lieu en « silos » étanches, est infime. Entre-temps, le statu quo est maintenu et des milliards d’êtres humains souffrent de manière totalement inutile du manque d’accord et de coopération internationale.

Cette analyse nous donne certains éléments de toutes solutions viables de l’architecture politique mondiale. Tout d’abord, le succès de négociations internationales ne doit pas dépendre de l’arbitraire de la diplomatie, de la marotte et des relations personnelles des dirigeants, de la seule volonté politique des uns et des autres, puisque la volonté politique de se mettre d’accord au plan international est une denrée rare.

Deuxièmement, il n’est pas sain pour l’humanité de séparer les problèmes mondiaux et de négocier chaque type de problèmes séparément, ce qu’on appelle la négociation en « silos » ou en « tuyaux d’orgues ». Puisque d’une part les problèmes de sécurité, d’économie, de climat etc. s’influent les uns les autres, et que d’autre part, l’histoire des 50 dernières années nous montrent que les négociations sectorielles trop étroites échouent souvent. On vient de le voir avec les négociations de l’OMC qui ont lamentablement échoués après des années, malgré la pratique de l’OMC d’essayer de relier des secteurs économiques différends et de négocier un accord global, alors que ce qui faudrait faire c’est élargir beaucoup plus le champs des négociations et relier entre eux les négociations mondiales de domaines dont les interrelations ne sont pas considérées aujourd’hui (sécurité, santé, économie, échanges, environnement etc.)

Un autre exercice pratique est édifiant pour démontrer notre cécité collective dans le domaine de la gouvernance mondiale : si on fait une recherche avec google sur les expressions suivantes, voici ce qu’on trouve : pour « architecture financière mondiale » 327 résultats, pour «architecture économique mondiale » 52 résultats et pour « architecture politique mondiale » 10 résultats (et 6 sites différents seulement). Donc l’architecture mondiale financière et économique totalise 379 résultats contre 10 résultats seulement pour l’architecture politique mondiale. En Anglais les résultats sont encore pires proportionnellement, 102 résultats pour « global political architecture » contre 556 résultats pour « global economic architecture » et 58,400 pour « global financial architecture » ! Résumons : en Français, les références à l’architecture politique mondiale sont 2.5 % de celles se référant au financier et à l’économique, tandis qu’en anglais, la politique ne pèse que 0.17 % par rapport au financier et à l’économique.

On voit donc bien les priorités actuelles, mais ce qui est fascinant est que la société civile mondiale dont on vante tellement l’ascension et les vertus, jouent le jeu des priorités financières, finalement contre la priorité des droits humains. On pourrait arguer que réformer l’architecture financière mondiale serait une bonne manière de protéger la dignité humaine de tous, mais est-ce une telle bonne tactique qu’on passe aux oubliettes la création d’une architecture mondiale politique ? Après tout, s’il n’existe pas de loi fondamentale mondiale qui protège la dignité humaine, comment défendre cette dernière ? Et ne serait-il pas plus facile du point de vue pratique de passer une loi mondiale défendant la dignité humaine (qui vraiment oserait être contre, même si l’application d’une telle loi serait difficile et ne serait que symbolique au départ) ? Et ne serait-il pas plus facile tactiquement par la suite de réformer l’architecture mondiale financière en se fondant sur la loi sur la dignité humaine?

C’est donc pour des raisons purement psychologiques qu’au lieu de se poser les vraies questions, on ne se pose que la question de la réforme de l’ONU, comme si le salut ne pouvait venir que d’une telle réforme, sans même considérer les alternatives potentielles à l’ONU elle-même. Autrement dit, une certaine conception du «réalisme» fait que l’ONU actuelle accapare tellement les esprits que ceux-ci ne sont plus libres de réfléchir de manière objective. Ironiquement, les créateurs de l’ONU eux-mêmes s’étaient accordés la liberté psychologique de faire table rase de la première génération (la Société des Nations) pour créer la deuxième génération d’organisations mondiales. Aujourd’hui, alors que la mondialisation a changé la donne, et que nous sommes confrontés à des problèmes qui affectent potentiellement la survie de notre civilisation toute entière (à cause des changements climatiques mondiaux), ne devons-nous pas mettre tous les scenarii sur la table ? Et une fois ces scenarii objectivement rassemblés, ne devons-nous pas faire une analyse rigoureuse pour chaque scénario de ses avantages et de ses inconvénients, de ses coûts et pas seulement ce que chaque scénario nous permettrait de réaliser, mais aussi ce que chaque scénario nous empêcherait de faire, c’est-à-dire du coût d’opportunité de chaque scénario ?

Voilà la méthode de l’ingénierie démocratique appliqué à la gouvernance mondiale en générale et pas seulement au sous-problème qu’est celui de la réforme de l’ONU (qui n’en serait plus un si nous concluions qu’il vaut mieux dissoudre l’ONU et «recycler» ses bâtiments et ses fonctionnaires dans une nouvelle organisation mondiale basée sur la dignité humaine égale de tous les citoyens du monde et non plus sur les États).

Notre première tâche est donc de lister les diverses familles de scenarii possibles d’une architecture politique mondiale basée sur la dignité humaine. Je vais tenter d’en lister quelques-unes mais évidemment cette liste ne serait être exhaustive et ce processus nécessite un travail plus profond. Je dirais même que le processus en lui-même de la réforme de la gouvernance mondiale devrait être ouvert et participatif, surtout à l’heure de la mondialisation, de l’internet et étant donné la nature humaine, qui a tendance à plus respecter les résultats obtenus par un processus participatif qu’élitiste.2

  1. Une famille de scenarii consiste donc en la réforme de l’ONU, qui inclue tous les différents scenarii de réformes. La plupart des articles sur le sujet traitent de scenarii de cette famille, je ne m’y attarderais donc pas.
  2. Une autre grande famille de scenarii est la création d’une organisation mondiale adossée ou apparentée à l’ONU qui serait basée sur les principes de la dignité humaine et de la souveraineté des peuples qui remplacerait celui de la souveraineté des États (qui ne disparaîtrait pas mais qui deviendrait un sous-principe du principe de la souveraineté des peuples valable uniquement si l’État était basé sur un contrat social librement consenti, ce qui permettrait de décider plus objectivement des critères d’interventions humanitaires pour protéger les populations des exactions de leurs propres gouvernements)
  3. Une troisième grande famille de scenarii est la création du même type d’organisation que la précédente mais indépendamment de l’ONU, tel un Parlement Mondial ou une Assemblée Parlementaire Mondiale indépendante. Le premier essai de la création d’un vrai Parlement Mondial date de 1950 (Assemblée Constituante des Peuples).
  4. Une autre grande famille de scenarii sont ceux qui consisterait à «nationaliser» les principes universels (ou cosmopolites) de diverses manières4,
  5. Une autre famille de scenarii concerne tous ceux basés sur les groupes ou réseaux d’experts, publics et privés. Un des défenseurs de ce type de scénario est Jean-François Rischard, Vice-Président pour l’Europe de la Banque Mondiale jusqu’en 20055. Apparentés à ces scenarii se trouvent les multiples propositions d’organismes internationaux de « Sages », tels que le World Future Council proposé par Jakob von Uexkull, le World Wisdom Council, ou le Collegium international, éthique, politique et scientifique6, etc.
  1. Finalement, une autre famille de scenarii concernent toutes les tentatives de rassembler la société civile mondiale, dans une sorte d’Assemblée Mondiale qui représenterait les peuples. Ces scenarii sont souvent rajoutés à ceux proprement onusiens ou y sont parfois intégrés comme l’idée de créer une assemblée mondiale des peuples à l’ONU. Certains d’entre eux se rapprochent des scenarii de parlement mondial. Chronologiquement, ces scenarii ont culminés vers la fin des années 90 (avec la World Civil Society conference en 1999) et pour l’an 2000, avec le Forum du Millénaire à l’ONU et la proposition de l’Assemblée Mondiale des Peuples, ou encore le Forum Mondial de la société civile7.

Une fois ces familles établis, il faudrait élaborer la liste des scenarii précis, puis les étudier un par un, et en faisant un tableau comparatif.

Mais on peut d’ores et déjà émettre des critiques fondamentales à propos de telle ou telle famille de scenarii pour ensuite se concentrer sur ceux qui me semblent les plus porteurs car les plus capables de reconnecter le citoyen à la politique, surtout mondiale.

Pour tous les scenarii de réforme à l’ONU, le problème est que ce souci existe depuis le début de la création de l’ONU, et que le bagage historique est tel qu’il est naïf et illusoire de penser que des réformes suffisantes puissent se faire assez rapidement pour vraiment changer les choses. De plus les désastres de l’ONU représentent une telle banqueroute morale et politique (Srebrenica, Rwanda, l’Irak, Darfour) que de vouloir sauver une telle organisation est une chimère d’élites confortables ou d’idéalistes aveugles qui oublient l’existence d’alternatives.

Pour le scénario de la « nationalisation » des principes universels, celui-ci est fondamentalement contradictoire s’il n’existait pas d’institutions mondiales légitimes qui disent le droit, et qui définissent la loi, donc s’il n’existait  pas  un  parlement  mondial  démocratique.  Sinon cette nationalisation forcément anarchique viole un de nos principes fondamentaux : la dignité égale de tous, car seuls les pays déjà démocratiques et respectant les droits humains mettrait en application les principes universels, et encore. On verrait alors les E.U. clamer, comme le gouvernement le fait maintenant, que les principes de droits universels ne s’appliquent pas dans un monde sauvage et donc il est normal et obligatoire de les violer. Cette idée est donc excessivement mauvaise et reflète une pusillanimité psychologique devant l’ampleur de la tâche et une incompréhension basique de la philosophie humaniste et du principe élémentaire du droit qui est l’égalité devant la loi. De plus elle est dangereuse car par sa mauvaise application de «bons» principes, elle déconsidère les principes mêmes.

La famille de scenarii basés sur les groupes ou réseaux d’experts, publics et privés, a comme point faible que aucun de ces groupes ne possède de légitimité suffisante pour faire évoluer les choses. Ce genre de groupe et de réseaux élitistes peut être utile s’il existent de vrais institutions mondiales légitimes aux rênes, et que ces institutions leur demandent conseils, mais autrement ces groupes ne feront que renforcer la méfiance des citoyens de base qui y verront des essais de contrôle par des groupes d’idéologies spécifiques. Ces scenarii sont dangereux s’ils nous empêchaient de considérer la création d’institutions mondiales vraiment légitimes. Que veut dire légitime ? Pour répondre, il nous suffit de revenir à l’un de nos deux axiomes fondamentaux : la souveraineté appartient au peuple. La légitimité mondiale ne peut donc que venir du peuple mondial en son entièreté. Concrètement, comment la traduire et la représenter devient la tâche de l’ingénierie démocratique. Par contre, ce genre de groupes, s’il est formé de personnes quasiment universellement respectés, peuvent être les garants, les initiateurs, les inspirateurs d’un processus mondial participatif qui conduirait in fine à la création d’une gouvernance mondiale démocratique. Par exemple, ce genre de groupe pourrait servir de commission mondiale électorale pour un parlement mondial, ou pour démarrer un processus constitutionnel mondial.

La famille de scenarii basés sur le rassemblement mondial de la société civile souffre des même problèmes d’absence de légitimité intrinsèque que les réseaux d’experts et donc ici aussi est dangereuse si elle nous empêchait de réfléchir à la création de vrais institutions légitimes. Mais si ce genre d’assemblée mondiale de la société civile devient une sorte de proto­ constituante mondiale ou de proto-parlement mondial, alors là aussi elle a son utilité, mais elle doit alors avoir la volonté de s’élargir au-delà de ses initiateurs, sinon sa légitimité en pâtira et là encore elle nuira à l’objectif d’une gouvernance mondiale démocratique et légitime.

Les lecteurs auront compris maintenant que les seuls scenarii que je considère compatibles avec l’objectif d’une gouvernance mondiale légitime et démocratique sont ceux qui cherchent à inventer, concevoir, créer une organisation mondiale qui serait basée sur les principes de la dignité humaine et de la souveraineté des peuples, donc le contraire de l’ONU. Un parlement mondial en quelque sorte.

Pour des tas de raisons (surtout car leurs principes fondateurs sont opposés), il vaudrait mieux qu’une telle organisation ne soit pas adossée à l’ONU. Mais même si on accepte donc que ces scenarii sont les meilleurs, il existe beaucoup de manières de créer de telles institutions. Nous devrions donc évaluer chaque scénario selon les mêmes critères et pour empêcher la manipulation de cette évaluation, nous devrions décider des critères à l’avance. Le mécanisme de décision des critères est lui-même important, et on tombe dans le problème de la poule et de l’œuf. Qui au départ a la légitimité de prendre les décisions qui démarreront le processus ? Il est évident que le processus devra être itératif, et que puisque les gouvernements ne commenceront probablement d’eux même, que des personnalités, la société civile, les médias devront les y pousser. Ensuite, même lorsque les gouvernements s’y mettront, il est crucial que le processus ne soit pas simplement diplomatique, intergouvernemental et élitiste. Il faut en inventer un mondial plus participatif, plus démocratique, plus ouvert, plus transparent, et qui passionne donc des millions des gens à travers le monde, un processus historiquement unique.

Le processus de redéfinition et de reconstruction d’une gouvernance mondiale démocratique doit être un processus de négociation explicite d’un contrat social mondial, dans le sens noble et philosophique du terme. Il doit être tel que les citoyens du monde auront de l’espoir, seront motivés et enthousiastes, auront enfin pour une fois la sensation que le vieux rêve de la paix mondiale est à portée de main, pas une paix fondé sur la domination d’un groupe sur les autres, d’un pays sur les autres, mais une paix juste et durable fondé sur l’égalité de la dignité humaine de tous.

Certaines questions devront être posées :

  1. Quels sont les différents moyens de créer de nouvelles institutions mondiales démocratiques ?
  2. Parmi ceux-ci, quels sont ceux qui respectent le plus les principes et les conditions que l’on aura précédemment établi ?
  3. Avons-nous besoin d’un document de base telle une constitution mondiale, et si oui comment la créer, comment la négocier ?8
  4. Quels sont les scenarii et les «feuilles de route» possible pour la création d’institutions mondiales démocratiques ?
  5. Quels sont les avantages et les inconvénients de chaque scénario selon les critères que nous aurons choisi ?
  6. Est-il nécessaire d’obtenir «l’autorisation» des États-nations, ou est-ce que la volonté déclaré du peuple est-elle suffisante ?

 

D’autre part, en ce qui concerne les différents modèles d’institutions même, on devra se poser d’autres questions :

  • Quelle sera leur représentativité ?
  • Comment rendront-ils des comptes envers les citoyens de la planète ?
  • En quelle mesure sont-ils indépendants des institutions existantes ?
  • En quelle mesure réussiront-ils à faire en telle sorte que les autres institutions mondiales lui rendent des comptes (de manière pratique et avérée et non pas seulement formellement et théoriquement) ?
  • Comment communiqueront-t-ils avec les citoyens du monde ?
  • Comment maintiendront-ils la confiance des citoyens du monde envers eux-mêmes ?
  • Seront-ils transparents et à quel point ?
  • Seront-ils proche des citoyens? Seront-ils facilement «accessibles» ?
  • Seront-ils capables d’influencer l’opinion publique mondiale et est-ce que leurs recommandations et décisions seront suivies d’effets ?
  • Seront-ils faciles ou difficile à établir ?
  • Combien de temps faudrait-il pour les établir ?
  • Comment pourra-t-on éviter que le processus de leurs créations ne soit « contaminé » par le bagage historique des institutions existantes ?
  • Comment réagiront-ils au changement ?
  • Comment éviteront-ils la sclérose institutionnelle ?
  • Comment y inclure un mécanisme interne correcteur qui leurs permettrait d’évoluer et de s’améliorer ?
  • Quel est le retour sur l’investissement ?
  • Le ratio coût/bénéfice ? Quel est le coût d’opportunité ?

Finalement, qui est ce «nous» qui devrait faire tout cela ? Ceci nous ramène au problème du processus de création, de conception, de décision d’une nouvelle gouvernance mondiale plus démocratique. Le sujet des acteurs de la gouvernance mondiale est en soi un sujet fondamental et qui doit être traité de manière détaillée. Je ne dirais que traditionnellement, les acteurs principaux des relations politiques internationales étaient, et sont toujours formellement, les diplomates. Malheureusement la diplomatie ne fut pas conçu à l’origine pour faciliter la communication politique, mais pour la rendre plus lente, plus difficile, pour la complexifier. Rufo Guerreschi, de PARTECS en Italie9 réfléchit depuis plusieurs années aux problèmes de processus mondiaux constitutifs, et est l’un des experts en matière de processus démocratiques mondiaux. Ses questions suivantes sont très pertinentes :

  • Quels acteurs devraient avoir des pouvoirs délibératifs ou consultatifs ?
  • Est ce que les exécutifs et parlementaires nationaux devraient être les principaux acteurs à pouvoirs délibératifs ?
  • Est ce que les acteurs devraient voir leur «poids» pondéré par des normes de représentativité et de responsabilité ? Comment définir et maintenir ces normes ?
  • Quelle devrait être la durée de ce genre de processus en mois ou année ?

La question du meilleur processus en elle-même mérite une discussion séparée plus approfondie. La discussion dans cet article a été assez formelle et donc nécessairement elle risque de rater des scenarii hors normes. Je finirais en citant un de ces scenarii inédits qui vient d’être proposé par Olivier Giscard d’Estaing de s’inspirer de la construction européenne pour construire une communauté mondiale démocratique10. La grande différence est que cette communauté mondiale démocratique aurait dès le départ un parlement mondial, et que donc elle serait une expérience grandeur nature de démocratie mondiale. D’autre part, comme tout le monde connaît la construction européenne, et que la communauté mondiale commencerait avec une vingtaine d’États de trois continents au moins avec au moins un milliard d’habitants, c’est une proposition faisable, imaginable, concrète et qui pourrait être le début d’un processus historique de l’unification démocratique du monde.

En conclusion, la seule question de la réforme de l’ONU est une question bancale qui nous empêche de voir ce que nous devons absolument voir : que la survie de l’Humanité dépendra de notre capacité collective de concevoir et d’inventer par un processus rationnel d’ingénierie démocratique des institutions mondiales suffisamment légitimes qu’elles n’auront pas besoin de recourir à la force pour imposer les décisions nécessaires. La négociation explicite et volontaire d’un contrat social mondial basé sur la dignité égale de tous les humains est la condition de notre survie. Une alternative probable est le scénario cauchemardesque d’une future dictature mondiale qui au nom de l’intérêt supérieur de l’Humanité l’asservira avec des technologies avancées (eugénisme et manipulations génétiques, contrôle total informatique etc.).

*Ingénieur-conseil en démocratie

Notes

  1. L’ONU a montré son impuissance plusieurs fois en 2006, lors de la guerre Israélo-Libanaise, et du génocide du Darfour, sans oublier bien sûr l’Irak où elle a tellement lamentablement échoué que l’on oublie même qu’elle avait été un acteur important après la guerre. Malheureusement des hommes comme Sergio Viero de Mello et d’autres ont payé de leur vie le manque de compétence et d’intelligence de l’ONU. D’autre part, personne n’a jamais expliqué comment les forces US ont pu traverser la frontière entre le Koweit et l’Ira, un mouvement qui était interdit par la Résolution 687 de 1991 du Conseil de Sécurité, et dont plus de mille casques bleux étaient soit-disant garants. Est-ce que l’ONU, et Kofi Annan dont c’était la responsabilité personnelle, a secrètement et illégalement permis la guerre préventive contre l’Irak, surtout que le front nord était coupé par la décision souveraine du Parlement Turque? Les provisions exactes de la Résolution 687-1991 qui semblent avoir été violées sont les suivantes : Le Conseil de Sécurité 4. décide de garantir l’inviolabilité de la frontière internationale susmentionnée (entre l’Irak et le Koweït) et 5. …de prévenir des violations de la frontière par sa présence dans la zone démilitarisée [note : 10 km à l’intérieur de l’Irak et 5 km à l’intérieur du Koweït] et par la surveillance qu’il [le Secrétaire Général] y exercera et d’observer tout acte hostile ou potentiellement hostile commis à partir du territoire d’un État à l’encontre de l’autre, et prie également le Secrétaire Général de rendre compte régulièrement au Conseil de sécurité des opérations du Groupe (d’observateurs des Nations Unies) et de le faire immédiatement s’il y a de graves violations de la zone ou des menaces potentielles à la paix. Malgré tout cela, les USA ont lançé à partir du territoire koweïtien une guerre contre l’Irak en 2003, sans autorisation du Conseil de Sécurité et sans que Kofi Annan ne « rende compte » de ces actes manifestement hostiles. Complêtement indépendemment du bien-fondé ou non de la guerre préventive des USA contre l’Irak, cela pose la question toute simple de la crédibilité morale et politique de l’ONU et de son Secrétaire Général.
  1. Beaucoup d’observateurs disent que la raison principale du rejet du projet de Traité constitutionnel européen fut que beaucoup de citoyens ont eu l’impression qu’on essayait de leur imposer un projet élaboré sans leur participation.
  2. mes deux contributions dans les numéros précédents de Géostratégique (traitant du Moyen-Orient et de l’Irak)
  3. par exemple, Justice et droits à l’échelle globale, Stéphane Chauvier,

Vrin/EHESS, 2006

  1. Vingt défis pour la planète, vingt ans pour y faire face, Actes Sud, 2003
  2. World Future Council: http ://worldfuturecouncil.org/, World Wisdom Council: http://www.clubofbudapest.org/World%20Wisdom %20Council/WWC.htm, Collegium International: http://www.collegium-international.org/
  1. http ://worldcivilsociety.org/pages/34/fr/presfor.htm
  2. Une constitution mondiale ne doit surtout être négocié de la même manière que le traité constitutionnel Européen fut négocié. La négociation participative de la constitution de l’Afrique du Sud post­apartheid serait un meilleur modèle. On peut voir un parallèle entre le monde et l’Afrique du Sud, avec une sorte d’Apartheid mondial en train de se construire; une minorités de blancs riches construisant des murs autour de leurs territoires et contrôlant les institutions de gouvernance mondiale, en essayant de garder les « basané » hors de leurs territoires.
  3. http ://partecs.com/
  4. Après l’Amérique, un monde nouveau, les défis et les institutions de la communauté mondiale, Editions Charles Léopold Mayer, 2006
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