La gestion onusienne du conflit israélo-palestinien : la défaite du droit

Mohamed Fadhel TROUDI

Novembre 2006

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les vainqueurs meurtris adoptent la Charte des Nations unies à San Francisco le 26 juin 1945, qui marque un tournant radical dans l’histoire des relations internationales ou du moins le pense-t-on. Cette organisation vouée comme le formula plus tard Henry Cabot Lodge, l’ambassadeur américain auprès des Nations unies, non pas « à nous emmener au paradis mais à nous sauver de l’enfer ».

Dans les années soixante du temps de la guerre froide et du monde bipolaire, le grand Raymond Aron pour dire l’état du monde, avait lancé la célèbre formule, rapidement devenue réalité constante « paix impossible, guerre improbable », on pourrait l’utiliser aujourd’hui en ces termes : paix moins impossible, guerres moins improbables.

Les imperfections de l’ONU furent manifestes dès sa fondation qui reposait sur des contradictions patentes, poussant à l’échec de l’organisation à bannir la guerre, même si elle demeure indispensable à la recherche de la paix. En dépit de leur rigueur, les nouveaux principes de sécurité commune introduits par la Charte n’ont pas empêché le déclenchement de nombreuses guerres souvent fratricides en dehors des mécanismes prévus par la Charte.

C’est au non de « justes causes », que l’Union soviétique et les États Unis ont entrepris des actions militaires unilatérales en Hongrie (1956), en Tchécoslovaquie (1968) ou en Afghanistan (1979) pour les Soviétiques, au Nicaragua (1980), à la Grenade (1983) ou au Panama (1989) et en Irak en (2003) pour les Américains. On relève également une multiplication partout au Sud des conflits de « basse intensité » sans oublier bien évidemment la situation tragique du peuple palestinien et la dureté de l’occupation israélienne de ce territoire en violation de toutes les résolutions onusiennes.

Créer pour assurer l’équilibre mondial, l’ONU a été instrumentalisée par les grandes puissances, et justifie dès lors des opérations militaires sélectives, tandis que la passivité pour ne pas dire la complicité prévaut dans d’autres situations, comme dans le cas de l’occupation de la Palestine par Israël.

Le Moyen-Orient offre aujourd’hui par conséquent un cadre idéal de constatation de l’échec manifeste du droit et de l’ONU. Depuis plus de 50 ans l’Histoire bégaie dans cette région poudrière et si difficile. Depuis plus de 50 ans une tragédie a pris forme lentement mais sûrement dont personne n’a su réellement cerner tous les dangers et les enjeux. Nous sommes aujourd’hui face à une tragédie sans un dénouement prévisible bien au contraire.

Depuis 1948 date de naissance de l’État israélien, un autre État arabe palestinien devrait également voir le jour comme le prévoyait le partage de l’ONU de 1947. Mais depuis 1948, c’est surtout une succession de guerres asymétriques entre un État constitué et fortement armé et un peuple dépourvu de souveraineté, en quête d’indépendance qui s’offre à nous.

La situation qui prévaut dans la région, que ce soit en Irak ou dans les territoires dits « autonomes » est probablement la pire qu’on ait connue depuis plus de 30 ans. En effet, il faut remonter à l’opération israélienne dite de « paix en Galilée » d’invasion du Liban en 1982 et ses conséquences notamment l’occupation du sud Liban – libéré depuis par la résistance libanaise menée par le Hezbollah – pour trouver une configuration aussi grave pour la paix et la stabilité régionale et internationale.

Cette situation est d’autant plus tragique, compliquée par une guerre cruelle et criminelle, en violation du droit international et du droit humanitaire menée par Israël contre le Liban et ses infrastructures qu’elle intervient après des années d’espoirs et de patientes négociations israélo-palestiniennes et d’évacuation du sud libanais par l’armée israélienne -exception de la zone de Chabâa » qui a laissé entrevoir un début d’espoir et de paix entre les deux pays..

Le bilan est terrible: plus de dix années d’attente pour en arriver à plus de morts et de blessés surtout coté palestinien et des destructions à grande échelle.

Cette politique très militariste d’Israël avec l’appui politique et militaire américain et en l’absence d’une position franche et courageuse de l’Europe réduite à accepter son rôle de simple observateur de la dégradation de la situation d’une année à l’autre, nous pousse à craindre le pire pour les deux peuples israélien et palestinien en ce sens qu’ils vont vers une forme de suicide.

Comment cette situation a-t-elle duré plus de cinquante ans durant ? Pourquoi ce silence complice des Nations unies ? Pourquoi L’ONU est-elle incapable d’appliquer des résolutions qu’elle a votées par ailleurs ? En somme pourquoi nous assistons depuis plus de cinquante ans à une défaite du droit ?

L’ONU ne joue-elle pas sa crédibilité au Moyen-Orient et précisément en Palestine ? L’organisation a-elle les moyens de rebondir après son échec durant toutes ces décennies écoulées ? Au contraire restera-elle encore pour longtemps l’instrument de validation d’une politique étrangère américaine agressive et militariste inaugurée par les nouveaux conservateurs après les tragiques évènements de septembre 2001 ? Dans ces conditions, à quoi sert donc l’ONU?

Pourquoi l’Europe est-elle restée longtemps absente dans cette région ?

Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas cherché à s’opposer à cette main-mise américaine sur l’Organisation internationale ? D’ailleurs en a t-elle réellement les moyens ? Pourquoi ce silence complice face à ces crimes abominables et face à une destruction criminelle menée par Israël au Liban en violation totale des principes les plus élémentaires du droit international ? Cette guerre illégale et volontairement destructrice n’est-elle pas une terrible épreuve de vérité pour l’ONU et pour l’Union européenne, pour sa politique extérieure en général et sa politique au Proche-Orient en particulier ? Comment dans ces conditions de dysfonctionnement grave de l’organisation mondiale, dire que la paix au Moyen-Orient passe par l’ONU ? Que peut espérer des Nations unies, certes aujourd’hui largement discréditées, le peuple palestinien soumis à l’occupation ? Eléments d’analyse.

Le plan de partage de 1947: une erreur historique

La Grande Bretagne impuissante devant la montée des tensions à la fin de la Seconde Guerre mondiale et après une période de mandat mouvementée (1920-1948) qui a vu l’administration militaire de la Palestine par les Britanniques, appelée « Administration des territoires ennemis occupés » (O.E.T.A, Occuped Enemy Territory Administration), s’en remet à l’ONU dès 1947 et la charge de trouver une solution à un problème devenu insurmontable pour la puissance mandataire. Pas moins de sept haut-commissaires se sont succédés1 pendant cette période d’administration britannique, jouissants d’une large autonomie d’action et d’autorité dans presque tous les domaines du gouvernement local, bien qu’en définitive les décisions sont prises par le Gouvernement de sa majesté. Lorsque le gouvernement britannique présente le problème de la Palestine aux Nations unies, cette dernière nomme une commission d’enquête internationale, l’UNSCOP (Comité Spécial des Nations unies en Palestine). Le rapport final de l’UNSCOP recommande notamment la fin du mandat britannique et le partage de la Palestine en deux États, l’un juif et l’autre arabe et un statut international pour la ville sainte Jérusalem. C’est ce rapport qui est présenté à l’Assemblée générale de l’ONU le 29 novembre 1947, qui est adopté comme la première résolution 1812 votée par trente-trois pays, treize autres

se sont abstenus. Ce partage se fera en trois parties :

  • un État juif de 14 000 km2 avec une population de 558 000 Juifs et 405 000 Arabes ;
  • un État arabe de 1 1 500 km2 avec 804 000 Arabes et 10 000 Juifs, formé de trois parties séparées : Gaza, la Cisjordanie et la partie nord voisine du Liban ;

–  enfin une zone sous régime international particulier comprenant les lieux saints, Jérusalem et Bethléem avec 106 000 Arabes et 100 000 Juifs. Il faut rappeler ici que l’ONU a accordé à l’État juif plus de pourcentage que le plan de partage de Peel de 1937 soit 60 % du territoire alors qu’ils n’avaient jusqu’alors que 7 % de la propriété foncière, sans oublier également que ce territoire comporte 80 % des terres fertiles de la Palestine et 40 % de ses infrastructures industrielles.

Après un vote mouvementé et une bataille riche en manoeuvres, chantages, pressions et menaces exercées sur les représentants de l’ONU notamment les plus faibles – le cas de la Grèce et du Libéria, qui récalcitrants au début des votes, deviennent favorables au partage, d’autres comme les Philippines ou encore Haïti se voient accorder des prêts pour leur développement… – à la fois par le Congrès américain, l’Administration et le Parti démocrate -, est scellé l’avenir de la Palestine et les populations qui s’y trouvaient.

Ainsi en ne retenant du mouvement sioniste que sa louable intention bien affichée de garantir la sécurité des Juifs, en ignorant le potentiel raciste anti « non Juifs » de ce mouvement, en ayant fait peu de cas du sort des populations non juives de Palestine, les Nations unies se sont volontairement ou involontairement laissées dominer par un puissant lobby considérant la Palestine comme la terre promise des Juifs selon l’idéologie sioniste en pleine essor à cette période.

C’est une violation des droits des peuples à disposer d’eux mêmes contenus dans la Charte du 26 juin 1945, notamment son artcile 12 qui stipulait : « l’égalité du droit des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes ». De ce point de vue les droits dits « historiques » entretenus par le mythe sioniste sur la Palestine basés sur des éléments du passé religieux ou dynastiques causant incompréhensions, tensions, violences et guerres interminables, devaient laisser place à la raison et à la recherche mutuelle des solutions négociées et acceptables juridiquement par les deux parties dans l’esprit de la Charte et du respect des principes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, par le moyen d’une expression démocratique de la communauté internationale, seule habilitée à en établir les faits.

Or il s’avère que L’ONU n’a pas respecté ces principes établis par sa Charte. Ce faisant, elle n’a fait qu’autoriser ces deux peuples à exister juridiquement et par conséquent à se battre.

En négligeant sa propre charte, elle a trahit l’un des principes fondateurs de son existence et plus particulièrement du droit international, celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes c’est-à-dire à l’autodétermination.

Israël accepte sans conditions le plan de partage qui confirme l’idée de la création d’un État juif en Palestine et de surcroît il lui a été plus favorable, en dépit d’une population majoritairement palestinienne et arabe, comme l’a confirmé le plan de partage Peel en 1936, en même moment les autorités des pays arabes voisins le refusent comme ils ont refusé le plan de partage de la commission PEEL3. La conséquence immédiate en a été la première guerre israélo-arabe de 1948 et le début de la « Nebka du peuple palestinien ». Pour les mouvements sionistes, ce vote de novembre 1947 est une énorme victoire en ce sens qu’il consacre définitivement la reconnaissance de la fondation de l’État d’Israël en Palestine, il constitue également pour ces mouvements extrémistes le point d’appui vers de futures conquêtes territoriales par la force.

Ces conquêtes effectuées en violation totale du droit et de la légalité internationale, ont discréditées l’Organisation internationale et ont mis le doute quant à sa capacité de bien gérer ce conflit -alors qu’il en constitue un vrai danger pour la stabilité régionale et internationale- Il est même possible de parler de complicité volontairement ou involontairement de l’Organisation.

On espérait ainsi régler le problème de la question juive au moyen de cette recommandation de l’Assemblée générale de l’ONU qui prendra par la suite le nom de la résolution de 181.

Mais cette résolution pouvait-elle aboutir à la création d’un État israélien sans l’accord du peuple palestinien, titulaire de la souveraineté, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est là le point d’achoppement depuis 1948. Il était normal que les Palestiniens soient révoltés par cette proposition de partage. Il fallait au moins négocier avec eux et savoir attendre leur acquiescement, indispensable en droit plutôt que de leur en imposer le principe du partage.

L’erreur dramatique commise en 1947-1948 a été de ne donner aux Palestiniens aucun motif, aucune explication d’acceptation du plan de partage présenté par l’Organisation, la faute est d’autant plus dramatique

pour les Palestiniens que le partage allait amputait de la moitié voire plus leur territoire. Il aurait fallu négocier politiquement pour respecter les droits garantis par le mandat et offrir une compensation du moins économique et une aide administrative pour aider les populations arabes à supporter ce traumatisme collectif encore très visible aujourd’hui. C’est cette erreur monumentale, cette violation flagrante du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que l’ONU a cautionnée sans se soucier des conséquences graves qui se résument aujourd’hui en pas moins de cinq guerres israélo-arabes et israélo-palestiniennes sans aucune solution ou alternative crédible pour sortir de ce cercle endémique de la violence.

C’est ainsi que l’État d’Israël s’est fait sur un malentendu et avec la collusion de la communauté internationale y compris l’ONU, qui n’ont pas respectivement pris le temps nécessaire pour faire approuver le plan de partage par les Palestiniens qui jouissaient de la souveraineté sur ce territoire.

Pire encore tout le monde a très dangereusement, sous estimé la volonté hégémonique du nouvel État israélien et sa volonté d’expansion territoriale bien au-delà du plan de partage dès le début. En effet, les israéliens ne se sont considéré à aucun moment liés d’une manière ou d’une autre par les éléments territoriaux contenus dans la résolution 181 qui n’a jamais été d’ailleurs appliquée.

Nombreuses sont les résolutions qui ont été adoptées par L’ONU depuis la création de l’État juif. Du fait de son incapacité de les faire respecter et appliquer, elles sont toutes restées lettre morte, nourrissant ainsi le sentiment des peuples arabes de deux poids deux mesures et le manque d’impartialité dans le traitement et la très mauvaise gestion de ce conflit par l’Organisation dès le début.

L’ONU incapable de faire respecter toutes ces résolutions

S’il est probable que l’ONU ne disparaisse pas réduite à son plus simple rôle de lutte contre le sida, la malaria et autre maladies graves, de lutte pour la défense des droits de l’enfant et plus généralement des droits humains, la réticence du Conseil de sécurité à entériner l’usage de la force pour appliquer ses propres résolutions notamment celle impliquant l’État hébreu, sonne le glas du fantasme vieux de plusieurs décennies qui considérait l’ONU comme l’ossature de l’ordre mondial née à Yalta à la fin de la deuxième guerre mondiale. Comment des dizaines de résolutions votées par l’organisation et notamment par le Conseil de sécurité pendant les cinquante dernières années relatives au conflit israélo-arabe peuvent-elles être fausses ou inapplicables sur le terrain simplement parce que les États-Unis alliées d’Israël refusent leur approbation ?

Dans ces conditions, le Conseil de sécurité peut-il représenter encore l’institution intrinsèque seule compétente pour garantir un ordre mondial auquel les pays du sud n’ont pas pris part et nous sauver ainsi de l’anarchie et de l’instabilité ? L’histoire nous enseigne que non.

L’ONU est née des cendres d’une guerre que l’ancêtre la SDN s’était révélée incapable de prévenir, comme elle était incapable de prévenir l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie et encore moins, si elle avait survécu à cette débâcle de lutter contre le fascisme et le nazisme, deux fléaux du début du vingtième siècle.

Dans l’euphorie de la victoire contre l’Allemagne nazie, l’espoir de rendre la sécurité du monde plus collective, fut placé entre les mains du Conseil de sécurité de l’ONU et pour des biens maigres résultats. En effet pendant la guerre froide, le Conseil de sécurité se révéla complètement paralysé par l’usage abusif du droit de veto. En 1967 et en 1973, l’ONU s’est retirée du Moyen-Orient, laissant à l’État hébreu tout loisir de violer régulièrement et en tout impunité toutes les résolutions internationales. Dans sa totale faiblesse, l’Organisation mondiale a accepté Israël comme membre à part entière en 1949. Ce faisant, elle a cautionnée depuis plus de cinquante ans plusieurs violations successives et en toute impunité de sa charte.

En voici quelques unes les plus indiscutables :

– La violation permanente des frontières, l’application ininterrompue d’une politique d’élimination, d’annexion, d’expansion et de colonisation, alors que le Tribunal international organe juridique par excellence de l’Organisation, assimile la colonisation à un « crime de guerre ».

  • La prétention d’Israël de vouloir résoudre seul en dehors de toute intervention de l’ONU les conflits qu’il a lui même provoqués ce qui disqualifie l’institution d’une quelconque intervention ou recherche de solution
  • La violation permanente des droits de la personne tels qu’ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, notamment la torture, la prise d’otages ou encore la liquidation physique des militants palestiniens et notamment du Hamas et du Djihad islamique
  • Le non respect de la Convention de Genève de 1949 et ses annexes dans les territoires occupés alors qu’elle est la force occupante et de ce faite l’obligation de protection des civils lui incombe.
  • Le refus de tout contrôle de l’Agence Internationale de l’Energie atomique et la production des armes chimiques et biologiques en toute illégalité avec la bénédiction américaine et européenne 4.

Comme l’écrit l’écrivain argentin Miguel Bennassayag5 : « L’État d’Israël justifie à l’avance chaque nouvelle exaction par un supposé droit à la survie, dont l’holocauste est l’argument majeur et imparable. Ainsi une barbarie pourrait en légitimer une autre ! La vérité, si simple et pourtant rarement énoncée, réside dans le fait que la brutalité de l’État d’Israël ne l’érige pas héritier du ghetto de Varsovie mais plutôt de ses bourreaux » conclut-il.

Car si l’on pouvait accorder quelques circonstances atténuantes à l’ONU dans sa funeste erreur de 1947 (en l’occurrence son défaut de jugement quant à la malignité potentielle de l’idéologie sioniste), cette excuse n’existe plus depuis longtemps, et devant l’état de guerre permanente qui en est résulté dans cette région et devant le mépris affiché d’Israël pour la communauté internationale.

Israël n’a jamais respecté ni appliqué les résolutions de l’ONU sur la Palestine, cette attitude sera constante depuis l’entrée de l’État israélien à L’ONU en 1949 jusqu’à nos jours.

Rappelons tout de même que lors de la séance d’admission d’Israël, l’Assemblée générale a exigée des garanties et l’engagement d’Israël à respecter la Charte et l’application de toutes les résolutions déjà votées notamment la résolution 1946 qui ne sera jamais suivie d’effet sur le terrain -comme toutes les autres d’ailleurs alors qu’Israël est déjà membre de l’ONU.

Ce qui veut dire que l’État hébreu s’est engagé sur le droit au retour que personne ou presque ne rappelle aujourd’hui. Ce qui veut dire que l’admission d’Israël a été politiquement conditionné à l’acceptation du caractère international de la question des réfugiés. Cette condition impliquant également le renoncement israélien à opposer l’article 2 de la Charte selon lequel les États peuvent réserver les questions relevant de leur compétence nationale et refuser qu’elles soient traitées par les Nations Unies. Le droit inaliénable au retour des réfugiés palestiniens chassés de leurs terres en 1948 est une des questions centrales restées aujourd’hui en suspens.

Outre les résolutions 181 et 194 relative au droit du retour des réfugiés palestiniens qui est un droit inaliénable et imprescriptible, ou pour ceux qui le souhaitent, le droit à des compensations financières, on peut évoquer la résolution 2427, la résolution 3388, la résolution 4659, la 47810 ou encore la résolution 132211. Toutes ces résolutions ont restées lettre morte, à cause de l’utilisation massive et abusive au Conseil de sécurité du droit de veto par les États-Unis empêchant le vote de plusieurs résolutions notamment celles condamnant les colonies de peuplement israéliennes dans les territoires occupés, de même que les multiples condamnations formulées à l’encontre d’Israël, en voici quelques exemples :

En 1975, la résolution 3379 de l’Assemblée générale des Nations Unies

condamne l’idéologie sioniste et l’assimile à une « forme de racisme et de discrimination sociale », à la suite de l’effondrement du bloc soviétique, les Israéliens et leurs protecteurs américains parviennent à modifier la répartition des votes et à faire annuler la condamnation précédente par la résolution 4686 du 16 décembre 1991 qui inverse les priorités du moment et demande quoique sans succès la condamnation de l’antisionisme.

En 1990, à la suite de la tuerie dite « des mosquées » par l’armée israélienne, l’ONU nomme une commission d’enquête à la quelle Israël a opposé une fin de non recevoir et de nouveau l’ONU reste sans réaction. On

peut de cette façon, multiplier les exemples dont peut être le plus douloureux pour les Palestiniens, l’attaque du camp de réfugiés palestinien de Jénine qui a été soumis à des destructions massives de la part de l’armée israélienne. Le degré de la destruction et du massacre dépasse l’imagination.

À cet égard, l’envoyé spécial de l’ONU au Proche-Orient, horrifié par ce qu’il a découvert déclare alors : « Ce que j’ai vu est absolument inacceptable, une horreur qui dépasse l’entendement. Les experts qui sont avec nous et qui

ont l’habitude des guerres et des tremblements de terre, disent qu’ils n’ont rien vu de tel. Il est inacceptable que le gouvernement israélien n’ait pas

autorisé onze jours durant les équipes de sauvetage à entrer dans ce camp. C’est moralement répugnant ». Les critiques fusent de partout et les déclarations indignées se succèdent comme celle du secrétaire d’État adjoint américain chargé du Proche-Orient, William Burns qui déclare : « il s’agit d’une tragédie humaine pour des milliers de Palestiniens innocents ». Encore une fois la réaction de l’ONU est sans commune mesure avec l’étendue du drame et des crimes commis à Jénine. Elle se contente de désigner le 28 novembre une commission d’enquête qui finit comme les précédentes c’est à dire en annulation- à cause du refus de l’État hébreu de la recevoir.

Je ne peux en évoquant la liste combien exhaustive des violations répétées des résolutions et des condamnations dont a fait l’objet Israël ne pas faire allusion à la décision de la Cour Pénale Internationale du 20 juillet 1998 relative à la construction du mur de séparation avec les Palestiniens. La motion émise par la cour stipule que « la colonisation de territoires par une puissance occupante doit être assimilée à un crime de guerre ». Cette décision courageuse de la Cour que certains observateurs voyaient comme un tournant dans le traitement du conflit israélo-palestinien par l’ONU, a été suivie par une condamnation de l’Assemblée générale des Nations Unies qui demande le démantèlement du mur et l’indemnisation des Palestiniens.

Qu’adviendra-il de cette condamnation ?

Comme à son habitude Israël fait fi de la décision et accentue la construction du mur, occupant davantage de terre des Palestiniens, séparant dans la douleur des villages entiers en toute impunité. En dépit de la petite victoire que représente la saisine par l’Assemblée générale de l’ONU de la Cour de la Haye pour poser la question de la légalité du mur, on notera la persistance d’une politique américaine qui apporte un soutien inconditionnel à Israël quelles que soient les prétentions inqualifiables et inacceptables de celle-ci, la faiblesse voire l’absence de réactions européennes et la démission d’une majorité d’États arabes les plus influents sur la question palestinienne. Ces quelques exemples et d’autres montrent bien la nature réelle de l’État hébreu et de ses dirigeants qu’ils soient de gauche ou de droite, qui s’en moquent réellement de la légalité internationale, qui ont toujours fait fi des résolutions et des condamnations de l’ONU avec un constant cynisme. J’en prendrais pour une preuve, cette phrase célèbre du père de l’État israélien Ben Gourion : « peu importe ce que disent les Gentils, l’important c’est ce que font les Juifs ». Cette phrase est même reprise dans les manuels scolaires et connue de tous les écoliers israéliens à en croire le journaliste israélien à Jérusalem Ammon Kapeliouk. C’est dire combien la démission de l’ONU face à Israël était et demeure constante .A quoi donc sert l’ONU ? Question légitime de la part de tous les citoyens sensibles à ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient et surtout au Liban.

Comment dans ces conditions imaginer un quelconque changement dans la gestion du conflit par L’ONU tant elle a été longtemps utilisé comme un instrument d’exécution de la politique étrangère américaine, surtout avec l’actuelle administration dominée par les néo-conservateurs évangélistes qui n’ont de cesse de parler d’une mission divine d’évangélisation du monde notamment par la force. En d’autres termes, la structure de cette Organisation dans son mode d’emploi et dans son action est largement influencée et parfois même imposée (comme ce fut dans le cas de l’invasion de l’Irak au mépris du droit international) par certains gouvernements puissants soucieux de réaliser des intérêts à court ou moyen terme.

Dans un monde dominé par des nouvelles et multiples menaces à la sécurité et la stabilité, et qui exigent une redéfinition plus large de la sécurité en termes humains, l’urgence d’une réponse collective et la nécessité pour les Américains de revoir leur politique étrangère et de procéder à d’importante réforme, l’ONU devrait jouer un rôle central par une redynamisation de l’Organisation internationale. Il faut que les valeurs universelles énoncées dans la Charte des Nations Unies servent réellement de jalons moraux à l’établissement d’un meilleur ordre mondial basé sur l’égalité et le respect des différences parce que notre monde est pluriel.

L’ONU: se réformer ou disparaître

En vertu de sa Charte, l’ONU comme on l’a rappelé, s’efforce d’être un lieu ou se bâtit un avenir meilleur pour tous en maintenant et en consolidant

trois objectifs essentiels :

  • Maintenir la paix et la sécurité internationale.
  • Développer des relations amicales et régulières entre les nations.
  • Encourager la coopération internationale et la lutte contre les inégalités.

Or il s’avère que l’ONU a faillit à son rôle par son immobilisme voire sa démission au Moyen-Orient comme elle l’a été très longtemps durant la guerre froide. En effet, l’ONU est confrontée à ses propres difficultés et elles sont nombreuses. Comment dès lors envisager un meilleur avenir pour l’Organisation autrement que par des réformes en profondeur de son fonctionnement ? En somme l’ONU doit changer, seule une Organisation internationale forte et revigorée pourra être la meilleure assise sur laquelle construire l’avenir.

Jusqu’à maintenant ces réformes ont été repoussées, mais le problème de budget et celui du fonctionnement du Conseil de sécurité qui dans sa configuration actuelle n’est plus représentatif de la réalité de notre monde.

Par conséquent l’arrivée de nouveaux membres permanents et l’extension de son domaine de compétence deviennent de plus en plus pressantes.

En 1945, les États membres du Conseil de sécurité représentaient les trois quarts de la population mondiale. Aujourd’hui l’Europe est surreprésentée avec trois sièges sur cinq alors qu’elle ne forme que le1/5 de la population mondiale, au même moment l’Asie est sous représentée ou encore le continent africain qui n’a eu de cesse de réclamer une place en rapport avec sa taille démographique et géographique. La composition du Conseil ne reflète plus le système international actuel, ni en terme démographiques, ni en terme de puissance.

Par conséquent sa légitimité est considérablement entamée. Des pays comme l’Afrique du Sud, l’Allemagne, le Brésil, l’Egypte, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, le Nigeria ou encore l’Italie veulent ainsi devenir membres permanents, ce qui donnerait un peu plus de crédibilité au Conseil et à son rôle qui est comme le lui a fixé la Charte et plus particulièrement les dispositions du chapitre V et VII de « maintenir la paix et de la sécurité internationale ».

Faut-il le rappeler le maintien de la paix mondiale, dépend intrinsèquement de la réalisation de la paix au Moyen-Orient qui passe par un seul et unique chemin, le retour à l’application des résolutions onusiennes et à la légalité internationale. Or il se trouve comme le dit l’ancien Secrétaire général de l’ONU (J.P. De Cuellar), « les membres permanents sont passés en dix ans de l’inaction à l’omnipotence ». L’utilisation excessive et abusive du droit de veto notamment quand il s’agit de résolutions condamnant Israël est une entorse à l’égalité souveraine des États-membres proclamée par la Charte de San Francisco. Si certains pensaient que ce droit de veto visait à éviter une guerre nucléaire pendant les années de la guerre froide et de rivalités entre les deux puissances mondiales, beaucoup pensent qu’il ne se justifie plus dans le nouvel environnement international.

Le Conseil de sécurité a été et reste inefficace notamment sur le conflit israélo-arabe. Il est un « directoire du monde au pouvoir très fragile »

(P. Teixeira), l’ordre du jour se limite aux conflits qui affectent les intérêts des membres permanents, et le veto rend impossible la condamnation ou encore les interventions dans les guerres ou l’un de ces membres est engagé.

Rappelons à titre d’exemple, que les États-Unis ont mis trente trois veto sur la question israélo-arabe ce qui dépasse l’entendement. La réforme des Nations Unies et plus particulièrement de son organe essentiel le Conseil de sécurité, devient de plus en plus urgente pour retrouver un peu de légitimité et de crédit.

Réforme quant à sa composition qui ne reflète plus la réalité actuelle de notre monde, un élargissement s’impose aujourd’hui pour améliorer un peu plus sa représentativité; réforme du droit de veto notamment par sa restriction aux questions de recours à la force et l’obligation à motiver sa mise en oeuvre pour remédier à l’immobilisme, comme il l’a proposé l’ancien ministre français de la défense Paul Quilès en 2000.

Seulement des obstacles majeurs demeurent quant à une véritable réforme du Conseil de sécurité : à la fois la procédure de la Charte qui est en effet très contraignante, et surtout le fait qu’il faut un vote à la majorité des deux tiers de l’Assemblée générale et surtout l’accord des cinq membres permanents. L’ONU souffre également de la faiblesse actuelle de l’Assemblée générale. C’est pourtant ici que doit s’organiser le débat et se forger le consensus sur les solutions aux grands problèmes du moment dont la question palestinienne.

Dans un rapport à l’Assemblée générale datant du 7 mars 2006, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a proposé aux États membres une vaste réforme de l’Administration de l’ONU après que l’organisation eut été secouée par une série de scandales notablement celui du « pétrole contre nourriture » de l’ONU en Irak et lorsqu’une enquête interne à révélée les pratiques contestables dans le secteur du maintien de la paix, ayant entraîné des dizaines de millions de dollars de pertes pour l’Organisation. Intitulé « Investir dans l’Organisation des Nations Unies pour lui donner les moyens de sa vocation mondiale », il reconnaît l’inadaptation des structures administratives actuelles aux défis que l’ONU est censée relever plus de soixante après sa création

Après tout, les Nations Unies, qui ont voté le 29 novembre le plan de partage de la Palestine mandataire entre un État arabe et un État juif, n’ont pas réellement mesuré sa gravité, ni empêcher la région d’aller de guerre en guerre cinquante durant. Il est du devoir de l’Organisation d’assurer sa tutelle sur les territoires occupés, de déployer une force internationale massive comme elle l’a fait dans d’autres régions du monde pour assurer la sécurité des deux peuples et contribuer avec d’autres solutions avancées notamment l’accord de Genève12 à la création d’un État palestinien indépendant, autonome politiquement et viable économiquement aux côtés d’Israël.

Faire de l’ONU un véritable outil multipolaire des relations internationales, c’est d’abord revenir au texte fondateur : la Déclaration universelle des droits de l’homme et le droit des peuples à disposer d’eux mêmes. J’y vois là deux outils révolutionnaires susceptibles d’aider l’Organisation à dépasser son statut de 1945.

L’avenir sera prometteur si nous parvenons à avoir une ONU courageuse et militante, capable d’assurer la paix et de servir de « contrepoids démocratique » face au multilatéralisme américain et à la globalisation, deux belles et louables idées qui ne sont peut être que des illusions. En effet, tant

qu’il n’existera pas un organisme politique unique capable de produire et de faire exécuter des règles juridiques qui reposent sur une cohésion idéologique, le droit international restera dépendant de rapports de forces conjoncturels, dans son élaboration comme dans son application. Il faudrait une Organisation internationale forte capable de se légitimer politiquement et de s’imposer à l’ensemble des États qui la composent.

Il faut espérer que le droit international qui est avant tout un langage commun, puisse par un combat politique constant, contribuer à empêcher la guerre ou du moins à limiter ses effets destructeurs comme ce fut malheureusement la cas récemment au Liban.

Que du chemin encore à parcourir ! Mais il vaut mieux tard que jamais car il y va de la paix et de la sécurité mondiale.

* Chercheur à l’Université de Paris XII – Val-de-Marne et vice-président du Centre d’études et de recherches stratégiques du Monde arabe – Paris.

Notes

  1. Les sept commissaires sont : Sir Herbert Samuel, Lord Polener, Sir John Chancellor, Arthur Wawchope, Sir Harold Mac Micheal, Lord Gart, Sir Alan Cunningham
  1. La résolution 181 de l’ONU instituant le partage de la Palestine en trois parties, a été refusé par les dirigeants arabes qui poursuivront la lutte armée sur le terrain.
  1. La commission dont le nom formel est Commission Royale pour la Palestine était une commission d’enquête britannique mise en place en 1936 afin de proposer des modifications au mandat britannique sur la Palestine à la suite du déclenchement de la grande révolte arabe. Elle était dirigée par Lord William Peel.
  1. C’est en effet Israël qui a introduit l’arme nucléaire dans la région avec la complicité occidentale et américaine devenant ainsi une puissance nucléaire après qu’il a refusé de signer le traité de non prolifération nucléaire en 1968. On estime le nombre de têtes nucléaires israéliens entre 200 et 300 têtes d’après l’état mondial des forces nucléaires au 1er janvier 2006.
  1. Ecrivain et philosophe argentin, il est l’auteur du livre « contre pouvoir » janvier 2001.
  1. Résolution du 11 décembre 1948 (votée après la guerre de 1947-1948) par l’Assemblée générale des Nations Unies lors de sa troisième session ordinaire, elle stipule le droit inaliénable du retour de Palestiniens (environ 750.000) chassés de leurs terres en 1947, elle prévoit également des réparations financières pour ceux qui ne le souhaitent pas. Elle prévoit également la démilitarisation et l’internationalisation de Jérusalem, ainsi que la protection des lieux saints de Palestine et leur liberté d’accès.
  1. Adoptée par le Conseil de sécurité le 22 novembre 1967 (après la guerre israélo-arabe de 1967 après de longues et âpres négociations. Cette résolution a posé les principes d’un règlement pacifique au Moyen-Orient qui passe par le retrait israélien des territoires occupés pendant la guerre dite de « six jours » et le respect de la souveraineté et de l’intégralité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région.
  1. Adoptée par le Conseil de sécurité le 22 octobre qui réaffirme la validité de la résolution 242 et appelle au cessez-le-feu (après la guerre de 1973) et à des négociations en vue « d’instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient ».
  1. La résolution 465 du 1er mars 1980, condamne la politique de colonisation d’Israël et demande le retrait immédiat des territoires occupés.
  1. La résolution 478 du 20 août 1980, elle est la réponse de l’ONU au décret israélien du 30 juillet 1980 instituant Jérusalem comme « capitale éternelle de l’État d’Israël ». Elle dénonce « une violation du droit international » et déclare cet acte de force de la puissance occupante comme « nul et non avenu ». L’ONU s’est encore contentée de déplorer cette violation israélienne de la Charte et de déplorer que certains États aient accepté de transférer leurs missions diplomatiques à Jérusalem au mépris de la résolution 478 du Conseil, de sécurité, et qui vaut à une reconnaissance du fait accompli sur le terrain
  1. La résolution 1322 du 7 octobre 2000, condamne les actes de violence disproportionnée d’Israël contre les Palestiniens.
  1. Cet accord est l’aboutissement d’une véritable négociation entre un groupe de Palestiniens et d’Israéliens menés respectivement par Yasser Abed Rabbo et Yossi Beilin. S’inscrivant dans l’esprit de la Charte de l’ONU et du droit international, ce texte a suscité beaucoup d’espoir tant il laissait entrevoir une solution finale au conflit.
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