Libye : quelles issues ?

Jacques NGUYEN THAÏ SON

Diplomate et Président d’Interface Francophone.

3eme trimestre 2011

Afin de mieux envisager les issues du conflit libyen, il faut apprendre à mieux connaître ce pays ainsi que son dirigeant charismatique, orgueilleux et mégalomane le colonel Kadhafi qu’on connaît mal.

L’insurrection est passée en revue ainsi que la création du Comité National de transition (CNT) et le rôle primordial de la France dans l’intervention autorisée par la Résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’Onu. Il est envisagé trois issues possibles et probables : la formation à partir du CNT d’un gouvernement pro-occidental suite à l’effondrement prévisible du régime du Colonel Kadhafi et de ce dernier, son « frère guide » ; le par­tage du pays en deux entités distinctes si le conflit se durcit et se prolonge à cause de la résistance du colonel et de la survie de son régime et en 3ème lieu un probable modus vivendi entre Tripoli et Benghazi dans une sorte de coexistence pacifique indéterminée mais tolérée par les alliés.

De toute façon le sort du colonel Kadhafi est quasi réglé par les Occidentaux car ce der­nier, malgré certaines qualités reconnues n’a pas su connaître les limites de son pouvoir ni l’étendue de la puissance de l’Occident grâce à son organisation démocratique et à ses moyens somme toute énormes.

In order to better consider the issues of the libyan conflict, we must learn more about this country and its charismatic leader, the arrogant and megalomaniac Colonel Gaddafi whom many of us dontknow wellenough.

The article examines the insurgency and the creation of the National Transitional Council (NTC) and thepivotal role of France in the intervention authorized by the Resolution 1973 of the Security Council of the UN.

It is envisaged three possible and probable outcomes: the formation from the NTC of a pro­Western goovernmentfollowing the predictable collapse of the regime of Colonel Gaddafi and of the latter, the «Brother Guide»; the division of the country into two separate entities if the conflict continues and hardens due to the resistance of the colonel and the survival of his regime and thirdly; a Modus Vivendi between Tripoli and Benghazi in a sort of prolonged peaceful coexistence tolerated by the Allies.

In any case the fate of Colonel Gaddafi is almost settled by the Western Alliance: despite cer­tain known qualities he failed to recognize the limits of his power and the immense might of the West with its democratic organization and its enormous resources.

Se connaître et connaître autrui permettent de gagner cent batailles

(proverbe asiatique )

POSER LE PROBLÈME DE LA SORTE revient à se poser la question essentielle sur ce qui adviendra de la Libye et de son chef auquel ce pays est lié quasi charnellement depuis plus de 40 ans , le Colonel Mouammar Kadhafi ?

A notre avis, afin de pénétrer l’avenir si cela peut se concevoir, il conviendrait de bien connaître la Libye : sa géographie, sa composition ethnique, son histoire, surtout récente et la personnalité et le rôle exceptionnels du Colonel Mouammar Kadhafi. Mieux connaître ce dernier, son enfance ; ses rêves et ambitions ; son maître à penser, son idéologie ; ses faiblesses comme ses qualités de meneur d’hommes nous permettent de mieux cerner son comportement dans les jours qui viennent et, partant, mieux prévoir les issues qui attendent la Libye et le monde.

La Libye

La Libye, officiellement la Jamahiriya Arabe libyenne, en forme longue, la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste est un pays d’Afrique du Nord

Elle est bordée au nord par la Mer Méditerranée, à l’ouest par l’Algérie et la Tunisie, au sud par le Niger et le Tchad et à l’est par le Soudan et l’Egypte. Elle s’étend sur 1 759 540 kilomètres carrés, ce qui la place au quatrième rang africain et au dix-septième rang mondial en termes de superficie. Sa population est estimée entre 6 et 8 millions habitants. Elle se concentre sur les côtes, l’intérieur du pays étant désertique. Sa capitale, Tripoli, est également sa plus grande agglomération (1 682 000 habitants), devant Benghazi (1 180 000 habitants) et Misrata (400 000 habitants).

Les Libyens sont en majorité de culture arabe et de confession musulmane sun­nite. Le produit intérieur brut de la Libye est l’un des plus élevés d’Afrique. Son économie repose en grande partie sur l’exportation du pétrole. Elle est membre, entre autres, de la Ligue arabe, de l’Union du Maghreb Arabe et de l’OPEP.

La Libye tire son nom d’une tribu berbère qui était nommée Libou, qui a donné le mot grec Libyè. Traditionnellement, on y distingue les régions de Tripolitaine, de Cyrénaique et du Fezzan. Peuplé originellement de Berbères, son territoire est colonisé pendant l’Antiquité par les Phéniciens, puis les Grecs, avant d’être conquis par l’Empire romain. Au Vie siècle, il fut envahi par les armées arabes, qui y ont imposé leur culture et leur religion. Après avoir été soumis à divers royaumes pen­dant le Moyen Âge, il passa sous le contrôle de l’Empire ottoman au XVIe siècle. La Régence de Tripoli devint un véritable Etat avant d’être directement reprise en main par l’Empire ottoman en 1835.

Dernière possession ottomane en Afrique, l’actuel territoire de la Libye fut conquis et colonisé par le Royaume d’Italie en 1912, à l’issue de la guerre italo-turque. Durant la Seconde Guerre Mondiale, la Libye fut envahie et occupée par les Allés. En 1951, elle proclama son indépendance sous la forme d’une monarchie dirigée par Idriss 1er. Celui-ci fut renversé par un coup d’Etat militaire en 1969. La Libye est depuis dirigée par Mouammar Kadhafi.

Début 2011, la Libye fut le théâtre d’une révolte populaire, dans le cadre des mouvements de protestations populaires arabes qualifiées depuis « de printemps arabe « La révolte libyenne a dégénéré alors en une véritable guerre civile, les camps anti et pro-Kadhafi n’hésitant pas à faire un usage massif d’armes lourdes, de chars et même, dans le camp du leader libyen, d’aéronefs de combat. En réaction, le 19 mars, plusieurs pays occidentaux et arabes menés par la France, le Royaume Uni et les Etats Unis sont intervenus militairement dans le ciel libyen avec l’autorisation de l’ONU, au titre de la Résolution 1973 et au nom de la protection des populations civiles.

Qui est le Colonel Khadafi ?

Mouammar Kadhafi, communément appelé le colonel Kadhafi, est un homme d’Etat libyen né le 19 Juin 1942 à Syrte.

Capitaine autoproclamé colonel, il est de facto le dirigeant de la Libye depuis le 1er Septembre 1969. En 1977, il a réorganisé les institutions politiques de la Libye en faisant du pays une Jamahiriya (littéralement un « Etat des masses »), théori­quement gouverné selon un système de démocratie directe : lui-même, en 1979, renonça au poste officiel de chef de l’Etat, tout en demeurant dans les faits aux commandes de la Libye. Officiellement, Kadhafi porte le titre de « chef et guide de la Révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste », plus généralement raccourci en « guide de la Révolution » ou en « frère guide ».

Kadhafi est le plus jeune enfant d’une famille de Bédouins du clan des Ghous, qui appartient à la tribu des Kadhafa (al-Kadhafi n’est pas un patronyme mais un nom d’usage signifiant de la tribu des Kadhafa). Il grandit dans la région désertique de Syrte et reçut une éducation primaire traditionnelle et religieuse. De 1956 à 1961, il suivait les cours de l’école préparatoire Sebha dans le Fezzan, fief tradition­nel de sa tribu où il forma le noyau d’un groupe de militants révolutionnaires ayant pour but de s’emparer du pouvoir inspiré du général égyptien Gamal Abdel Nasser en prônant l’unité arabe. En 1961, il fut exclu de l’école à cause de son activisme politique.

Kadhafi étudiait le droit à l’université de Libye puis entra à l’Académie militaire de Benghazi en 1963, où il organisait avec quelques militants un mouvement secret dans le but de renverser la monarchie libyenne pro-occidentale. Après l’obtention de son diplôme en 1965, il fut envoyé en Grande Bretagne pour suivre un entraîne­ment supplémentaire au British Army Staff College (ou Staff College, Camberley), et revint en 1966 en tant qu’officier dans le corps des transmissions

Coup d’État militaire

Le 1er Septembre 1969, à 27 ans, il mena avec un groupe d’officiers un coup d’Etat contre le roi Idris1er, âgé de plus de 80 ans, alors que celui-ci était en Turquie pour un traitement médical. Dans la journée du 1er septembre la monarchie fut abolie, la République proclamée, et le prince héritier jeté en prison.

Kadhafi s’octroya l’avancement du grade de capitaine au grade de colonel qu’il a gardé jusqu’à aujourd’hui. Grand admirateur du Rais Nasser et partisan du natio­nalisme panarabe et du socialisme arabe.

Installé à la tête de la Libye, il prôna à ses débuts le passage à un socialisme arabe d’Etat teinté de panarabisme. Il nationalisa certaines entreprises, notamment celles détenues par des ressortissants italiens. En 1977, il déclara la « révolution du peuple » : il changea le nom du pays de République arabe libyenne en Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste et mit en place des « comités révolution­naires », sorte de soviets, en lieu et place de partis.

Idéologie du colonel Khadafi

Le Livre Vert par le colonel Kadhafi, a été édité en anglais et en russe.

Il a écrit le Livre vert, en référence au Petit Livre rouge de Mao Zedong, dans lequel il explique de manière succincte ses solutions aux problèmes posés par la démocratie et l’économie. Il y fait l’apologie de la démocratie directe, y ôte toute légitimité aux autorités religieuses et y prône l’exclusion de l’usage des hadiths et de la sunna pour le droit musulman, consacrant ainsi le Coran comme son unique source. En plus de provoquer un conflit entre lui et les milieux traditionalistes libyens, ces pensées lui ont valu d’être déclaré « hérétique » (kafir) par les oulémas d’al-Azhar et d’Arabie saoudite. Il est adhérent au mouvement religieux Sénoussi.

Kadhafi reprit à son compte la portée nationaliste du nassérisme en souhaitant d’abord la réunification du monde arabe, fragmenté par les colonisations occiden­tales selon lui. Beaucoup d’observateurs estiment qu’il est préoccupé et obsédé de « laver l’affront de la présence coloniale en terre arabe ». De ce fait, il a toujours jugé illégitime l’existence d’Israël, dans laquelle il voit une réminiscence des occupations coloniales.

Suite aux échecs successifs de toutes les formes d’associations qu’il a proposées (avec l’Egypte, la Syrie et la Tunisie), Kadhafi prône le concept encore plus am­bitieux d’Union africaine (UA) sous forme fédérale. Elu par ses pairs à la tête de l’organisation panafricaine, il s’est aussitôt autoproclamé « roi des rois traditionnels d’Afrique ».

Politique étrangère

Le colonel, s’est montré fort actif et a profité pleinement de la guerre froide jusqu’aux années 1990 pour mener une politique étrangère généralement hostile à l’Occident. Il demanda aux Etats-Unis d’évacuer les bases militaires en Libye, en septembre 1970, et réussit à imposer pour la première fois une augmentation du prix du baril de pétrole, ouvrant la voie aux autres pays producteurs, et déséquili­brant la géopolitique du pétrole.

Conflit au Tchad et relations diplomatiques difficiles avec la France

Pratiquant une politique extérieure expansionniste, il annexa en 1973, de facto, la bande d’Aozou au Tchad, considéré comme un bastion de la françafrique, ce qui lui a valu l’inimitié de la France. Il envoya 3000 troupes en Ouganda en 1978-1979 pour y soutenir, sans succès, le dictateur Idi Amin Dada.

Le conflit entre Paris et Tripoli, au sujet du Tchad persistait tout au long des années 1980-90, Paris accusant en effet Kadhafi d’ingérence.

Les « États-Unis d’Afrique »

Kadhafi a tenté de convaincre les dirigeants des autres pays d’Afrique de créer les « Etats-Unis d’Afrique ». Il considère en effet que c’est le meilleur moyen de développement pour le continent africain. Ce projet passerait par la création d’une monnaie unique et d’une seule armée formée de 2 000 000 de militaires. Kadhafi porte souvent un badge représentant l’Afrique sur son uniforme.

Le 2 Février 2009, il fut élu président de l’Union Africaine pour un mandat d’un an, lors du sommet d’Addis-Abeba, en Ethiopie.

Fusion avec la Tunisie

Il a tenté d’établir une union tuniso-libyenne en 1973-1974, véritable fusion des deux pays. Après l’accord initial donné par Bourguiba, rencontré au pied levé par Kadhafi, cette union ne s’est pas faite.

Menace de djihad (guerre sainte) contre la Suisse

Le 25 février 2010, suite à l’initiative populaire suisse « contre la construction de minarets », il a appelé au djihad contre la Suisse.

Soutien aux terroristes

Par ailleurs, Kadhafi a été soupçonné de soutenir de nombreuses organisations armées accusées d’actes de terrorisme et d’être directement impliqué dans plusieurs actes terroristes notamment l’attentat de Lockerbie (1988) et celui contre le vol 772 UTA (1989). Il a été alors mis au ban de la « communauté internationale», surtout à l’Ouest, et subi des représailles de la part des Etats-Unis.

Le 23 février 2011, l’ancien ministre libyen de la Justice Mostafa Mohamad Abdeljalil, qui avait démissionné de son poste deux jours plus tôt, a affirmé, concer­nant l’attentat de Lockerbie : « Kadhafi a donné personnellement des instructions

aux agents ».

Ruse ou sagesse ?

À partir du milieu des années 1990, Kadhafi a œuvré pour que son pays re­trouve une place moins inconfortable d’un point de vue diplomatique. Ainsi en 1999, les agents des services secrets suspectés de l’attentat de Lockerbie ont été livrés à la justice écossaise, ce qui a provoqué la suspension des sanctions de l’ONU envers le pays et le rétablissement des relations diplomatiques avec le Royaume Uni.

En parallèle, Kadhafi a entamé des négociations diplomatiques, pendant toute l’année 2003, entre responsables libyens, britanniques et américains, et annoncé en décembre de la même année qu’il renoncerait officiellement à son programme d’armes de destruction massive. Enfin, en mars 2004, il signa le protocole addition­nel du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Selon beaucoup d’observateurs occidentaux, la Libye s’efforçait de renouer les liens avec l’Occident : « il n’est pas sûr que ce soit Kadhafi, mais le cercle de pouvoir autour de lui a pris conscience que jouer au grand perturbateur n’était pas forcément payant. L’Irak en a été la démonstration ».

Il instaura par ailleurs une politique d’assouplissement de la réglementation libyenne en matière économique, permettant l’ouverture du marché local aux en­treprises internationales, ce qui a aidé à la survie du régime. Il est parvenu par là même à se rapprocher des puissances occidentales et particulièrement de certains pays européens, comme le Royaume Uni, la France, l’Espagne et l’Italie. Ainsi, Kadhafi déclara désormais qu’il entendait jouer un rôle majeur dans la pacification du monde et la création d’un Moyen-Orient sans armes de destruction massive.

L’Insurrection Populaire de 2011

En février 2011, il dut lui aussi faire face à une révolte populaire, qu’il a tenté de réprimer par des tirs à balles réelles et des bombardements aériens sur la popula­tion. Le 22 Février, Mouammar Kadhafi prononça un discours télévisé dans lequel il promit de réprimer la contestation, qu’il a attribuée à des « mercenaires », des « bandes criminelles » et des « drogués », et s’est dit prêt à mourir en « martyr ». Malgré tout, le mouvement de contestation a pris de l’ampleur et s’est mué en véritable révolte armée. Kadhafi a été lâché par une partie de l’armée, par plusieurs membres de son gouvernement et par des diplomates en poste à l’étranger qui ont demandé sa condamnation par la Cour pénale internationale (CPI). En raison de la répression sanglante, son pouvoir s’est effrité de jour en jour, au point de ne plus guère contrôler le 26 février que Tripoli, la capitale libyenne, Syrte, sa ville natale, et Sebha, capitale du Fezzan, fief de la tribu Kadhafa, dont il est issu. Alors que la ca­pitale libyenne fut encerclée et que certains quartiers étaient aux mains des insurgés, Mouammar Kadhafi déclara lors d’une interview accordée à la chaîne américaine ABC le 28 Février 2011: « Mon peuple m’adore. Il mourrait pour me protéger ».

Le 3 mars 2011, la Cour Pénale Internationale (CPI) annonça l’ouverture d’une enquête visant Mouammar Kadhafi et son entourage. Interpol, le même jour, sui­vit en diffusant une alerte orange à l’encontre de Mouammar Kadhafi et quinze membres de son entourage.

Au mois de mars, les troupes fidèles à Kadhafi ont réalisé une contre-offensive et repris une grande partie des territoires conquis par l’insurrection.

Le 17 Mars 2011, le Conseil de Sécurité de l’ONU a autorisé le recours à la force contre les troupes gouvernementales libyennes et passé sans opposition la Résolution 1973 autorisant une zone d’exclusion aérienne au dessus de la Libye aux fins de protéger la population civile. Kadhafi annonça alors un cessez-le-feu, mais celui-ci n’a pas été respecté. Le 19 mars, les opérations militaires des forces alliées sous l’égide de l’ONU ont débuté et conduit à une internationalisation du conflit.

Le grand succès de la stratégie d’intervention de la France, de l’OTAN et des Etats-Unis

Malgré quelques difficultés initiales fort sévèrement critiquées, l’opération a été rondement menée par Paris, en concertation étroite avec Washington et Londres. L’expérience de la politique arabe et africaine de la France a joué à fond : Paris, avec son nouveau Ministre des Affaires Etrangères Alain Juppet, homme de convic­tion et d’expérience, cherchait à associer avec beaucoup de succès les pays arabes et l’Union africaine surtout au niveau politique tout en concédant un rôle militaire primordial à l’Otan pour ne pas froisser ses alliés occidentaux.

D’ailleurs, comme La France avait réintégré la structure militaire de l’OTAN et obtenu des commandements importants ; les Américains se sont montrés confiants et coopératifs, d’autant plus que le Président B. Obama, homme intelligent et mo­déré ne se sentait pas prêt pour diriger une 3ème guerre contre un pays
musulman !

Depuis plus de 3 mois, la stratégie globale consiste d’abord à assurer la zone de l’exclusion aérienne afin de protéger la population civile et apporter à celle-ci toute l’aide humanitaire nécessaire conformément à la Résolution 1973.

Parallèlement, la coalition, à l’initiative de Paris a encouragé et reconnu le Conseil National de Transition (CNT) pièce maîtresse pour préparer l’avenir du pays dans les mois qui viennent.

Le Conseil national de transition est une autorité politique de transition créée le 27 février 20111 pour coordonner les différentes villes tombées aux mains des insurgés. Le Conseil est aussi appelé, par certains médias, Conseil national anti­Kadhafi et Conseil national libyen :

Plusieurs pays ont reconnu le CNT comme l’autorité légitime de la Libye : d’abord la France (le 10 mars), puis l’Italie, le Qatar (le 28 mars), la Gambie, le Royaume Uni, la Jordanie, les Maldives, le Sénégal et la Pologne.

Récemment, les Etats-Unis et l’Union européenne ont exprimé leur désir d’envoyer des représentants à Benghazi et d’aider le CNT et la tendance générale est plutôt favo­rable à la reconnaissance internationale du CNT.

La Ligue arabe ainsi que Conseil de Coopération du Golfe ont tous les deux déclaré le pouvoir du colonel Kadhafi illégitime et qu’ils allaient établir les relations avec le CNT.

Légitimité reconnue

Le Groupe de contact (politique) de la Coalition a également reconnu le CNT comme le représentant « légitime » du peuple libyen et réitéré la nécessité du départ du colonel Kadhafi pour mettre un terme à la crise.

Ibrahim Al-Dabashi, vice-ambassadeur libyen auprès des Nations Unies ainsi que Muhammad Al-Sanussi, prétendant au trône libyen ont déclaré soutenir le CNT.

Le 24 février 2011, les principaux leaders de l’opposition, les anciens officiers militaires, les chefs tribaux, les universitaires et les hommes d’affaires ont tenu une réunion dans la ville de El Beida. Elle fut présidée par l’ancien ministre de la Justice Mustafa Mohamed Abud Al Jeleil, qui avait fait défection du gouvernement quelques jours auparavant. Le drapeau hissé lors de la réunion était celui datant de la période pré-Kadhafi.

Le 25 février 2011, la chaîne Al-Jazeera a signalé que des discussions avaient lieu entre des « personnalités de l’est et de l’ouest de la Libye » pour former un gou­vernement d’intérim pour l’après Kadhafi. Le 26 février, il fut signalé que l’ancien ministre de la Justice Mustafa Mohamed Abud Al Jeleil menait le processus visant à former un organe d’intérim, basé à Benghazi

Établissement du Conseil

Dans l’intention de ces fondateurs, le Conseil national de transition créé le 27 fevrier 2011-doit être « le visage politique de la révolution ». Sa mise en place fut an­noncée par son premier porte-parole, l’avocat spécialisé dans les droits de l’homme Abdelhafez Ghoqa. Ce dernier annonça que le Conseil fusionnait avec le gouverne­ment provisoire de l’ex-ministre de la Justice Moustafa Mohamed, Aboud al-Dje­leil. Ce dernier devint le président du Conseil national de transition et Abdelhafez Ghoqa le vice-président.

Composition du Conseil

Le Conseil national de transition est un organe de 31 membres qui déclare être « le seul organe légitime représentant le peuple libyen et l’Etat libyen ». Al Jazeera English a rapporté que chaque ville sous contrôle de l’opposition se voyait accorder cinq sièges au Conseil et que des contacts seraient établis avec chaque nouvelle ville qui tomberait sous leur contrôle pour leur permettre de rejoindre le Conseil.

L’identité des membres n’a pas été révélée lors de la première réunion qui se tint le 5 mars 2011. Cependant, il fut révélé que le Conseil se composait de 31 membres.

Les membres connus du Conseil sont :

  • Président du Conseil : Moustafa Mohamed Aboud Al-Djeleil
  • Région de Boutnan : Othman Suleiman El-Megyrahi
  • Ville de Derna : Ashour Hamed Bourashed
  • Région de Al Qubah : Dr. Abdelallah Moussa El-myehoub
  • Représentant des prisonniers politiques : Zubiar Ahmed El-Sharif
  • Ville de Benghazi : Ahmed Abduraba Al-Abaar, Dr. Fathi Mohamed Baja, Abdel-Hafiz Ghoqa
  • Représentant des jeunes et femmes : Fathi Tirbil et Dr. Salwa Fawzi El-Deghali

Le porte-parole du Conseil est l’avocat Abdel-Hafiz Ghoqa. Le Conseil a aussi annoncé que Omar Al Hariri serait responsable des Affaires militaires du Conseil, et que Mahmood Jibril et Ali Al Issawi seraient responsables des Affaires étrangères et des relations internationales.

Les noms de certains de ses membres sont gardés secrets pour des raisons de sé­curité. Il s’agit notamment des représentants des villes d’Ajdabiya, Al Kufrah, Ghat, Nalut, Misratah, Az Zintan et Az Zawiya.

Comité de crise

La première réunion du Conseil se tint dans un lieu secret. Il se proclama « seul représentant » du pays. Le même jour, il élit en son sein un « comité de crise » afin d’accélérer les prises de décisions. Il est composé des trois personnalités suivantes :

Mahmoud Djebril, qui a participé avant la révolte avec un groupe d’intellectuels au projet « Vision libyenne » dans le but d’établir un Etat démocratique ; Il a été nommé chef de ce comité de crise.

Omar Hariri, officier qui avait participé au coup d’Etat de colonel Kadhafi en 1969 avant d’être emprisonné ; il a été nommé chef des affaires militaires.

Ali Essaoui, ancien ambassadeur en Inde qui avait démissionné en février 2011 ; il a été chargé des Affaires étrangères.

Quelles issues ?

Au vu de la composition du CNT et de son statut grandissant depuis sa création à peine il y a 3 mois ; on voit le rôle que les alliés, plus particulièrement la France, cherchent à préparer pour lui dans tous les cas de figure, au mieux comme au pire ainsi que dans le cas indécis intermédiaire.

Au mieux ; d’ici quelques mois, le CNT serait le noyau à partir duquel serait constitué un gouvernement national intérimaire au service des alliés, à la faveur de l’effondrement du régime de Tripoli consécutif à une disparation fort vraisemblable du colonel Kadhafi, pour laquelle tous les moyens sont bons : bombardements par l’aviation de l’OTAN ; attaques rapprochées par hélicoptères franco-britanniques plus efficaces car plus proches du terrain urbain, pressions de la CPI et de l’Interpol sur le colonel et son entourage ; démissions et fuites provoquées de l’entourage ; trahisons et attentats incités sur la personne du colonel Kadhafi…

Face à cette éventualité, on voit mal comment le Colonel Kadhafi pourrait trouver une issue honorable car ses forces armées sont affaiblies à vue d’œil, voire réduites à des actions de commandos par manque de moyens humains et matériels. Ses soutiens extérieurs, surtout du côté de l’Afrique où il avait beaucoup investi sont quasi inexistants face à la puissance dominante des alliés. Ses ressources finan­cières basées sur l’exportation du pétrole et le placement de ses actifs tarissent jour après jour à cause de la surveillance et des sanctions imposées par la coalition dans le monde entier à l’encontre de la Libye.

Le 22 Juin 2011, excédé et probablement désespéré à la suite de la mort d’un de ses proches compagnons au cours d’un bombardement allié, le colonel Kadhafi s’est exclamé pathétiquement en public : « Oui, nous sommes dos au mur mais ne craignons pas la mort et notre combat se poursuivra jusqu’ à l’au-delà !! ».

Dans ces conditions le colonel Kadhafi pourrait soit disparaître physiquement soit se voir obligé de se rendre à la coalition sans conditions ce qui ouvrirait la voie à la formation du gouvernement national provisoire sous l’égide des alliés et avec le CNT qui, par ailleurs a prévu cette éventualité en réservant des places en son sein pour les représentants des villes et régions de l’ouest.

Aux dernières nouvelles ; les kadhafistes seraient en négociation avec les insurgés du CNT à Paris sous l’égide de la France mais les positions de part et d’autre res­tent encore trop divergentes pour produire à court terme un compromis politique acceptable ; cependant que sur le terrain les partisans du colonel Kadhafi résistent encore vaillamment alors que les insurgés, malgré l’appui efficace des hélicoptères britanniques et français n’arrivent pas à avancer vers l’ouest d’une manière décisive car leurs troupes restent mal équipées et médiocrement entraînées et commandées.

Dans ces conditions, l’issue à moyen terme serait la création d’un Etat libyen pro-occidental et plutôt favorable aux intérêts de l’Europe et plus particulièrement de la France qui a su prendre des risques au bon moment.

Alternativement, au pire, le CNT devrait servir de noyau sûr et dur pour former un gouvernement pro-occidental d’un nouvel état distinct et rival avec l’état libyen actuel tel que représenté par Tripoli, consécutivement à une division pure et simple de la Libye en 2 pays.

Cette éventualité pourrait se produire si, par miracle, le colonel Kadhafi réussis­sait à maintenir à flot le régime apparemment chancelant de Tripoli en y organisant la guérilla en ville et dans le désert, parmi les siens et avec le soutien de certains clients et partisans africains fidèles compte tenu de son statut de « frère guide » de l’Afrique et de président de l’Union Africaine qu’il avait financée ; d’après certaines rumeurs à 80 % ! La guérilla risquant de durer avec tous ses risques et périls, les alliés ; notamment les américains déjà surendettés et fatigués des guerres coûteuses pourraient envisager de se retirer comme ils l’ont fait au Vietnam en 1975, l’opi­nion publique versatile aidant.

Ce cas de figure pourrait se concrétiser si l’opinion africaine et arable et interna­tionale, notamment des BRICS condamnait toute intervention terrestre brutale de la part de la coalition qui, pour en terminer avec la guérilla, serait tentée d’envoyer des troupes sur le terrain pour en découdre avec les guérilleros kadhafistes.

A la faveur d’un éventuel durcissement de la guerre sur le terrain, le colonel ; fin manœuvrier et personnage charismatique ; peut être encore auréolé, auprès des masses africaines et même arabes de son statut de héritier Gamal Nasser et de guide éclairé d’Afrique ; pourrait faire appel à la fibre panarabe et panafricaine et obtenir des soutiens soit politiques soit diplomatiques et moraux de la part de ses anciens partisans et obligés arabes et africains voire de pays plus lointains comme Cuba, Venezuela et pour quoi pas la Chine ? Dans ce cas, les démocraties occidentales ; beaucoup plus sensibles à leur opinion publique seraient tentées de se contenter d’une solution de la facilité relative à savoir le partage.

Compte tenu de la situation actuellement indécise sur le terrain,nous ne pen­sons pas qu’une intervention terrestre soit probable ni la meilleure solution car elle pourrait entraîner des pertes importantes dans les rangs des alliés et éventuellement un enlisement fort risqué et donc difficilement acceptable par l’opinion publique occidentale. Par ailleurs les campagnes présidentielles doivent arriver prochaine­ment tant aux Etats Unis qu’en France, les deux puissances principales les plus engagées dans ce conflit et devraient inciter leurs dirigeants à la prudence.

Une solution intermédiaire pourrait aussi s’envisager à savoir un arrangement modus vivendi entre le CNT et les éléments modérés de Tripoli , sans le colonel Kadhafi qui serait amené à partir ou disparaître d’une manière ou d’une autre du devant de la scène. Cette solution résulterait d’un marchandage entre les modérés des deux côtés qui souvent se connaissent et sous l’égide des alliés. Elle tiendrait compte du rapport de force indécis entre les deux camps au jour J dans l’attente d’une décision plus tranchée qui pourrait ne jamais arriver.

Elle dépend aussi de la situation de l’économie mondiale qui souhaiterait bé­néficier de davantage de stabilité dans l’approvisionnement en pétrole pour se dé­velopper.

Les deux capitales provisoires Tripoli et Benghazi pourraient ainsi reprendre leur vie normalement et exporter leur pétrole vers le monde jusqu’à une date indé­terminée.

En guise de conclusion, il serait utile de mentionner ici que depuis quelques mois le vent semble avoir bien tourné pour les démocraties occidentales après une longue période de crise économique et sociale.

Les Etats-Unis d’Amérique viennent de marquer un coup significatif dans la guerre contre le terrorisme avec la mort de Ben Laden. La situation en Tunisie et Egypte semblent s’être orienté grosso modo vers un léger mieux avec l’UE et le G8 disposés à mettre en place une sorte de nouveau « Plan Marshal » pour les aider ainsi que les démocraties du printemps arabe. L’occident, représenté dans le G8 ressem­blerait au Concert des nations qui régissait le monde jusqu’à la fin du XIXe siècle

Le monde d’aujourd’hui demeure dominé par l’Occident pour le meilleur comme pour le pire. La chance ne sourit donc pas au colonel Kadhafi, qui malgré ses qualités de « frère guide » orgueilleux et charismatique auprès des masses afri­caines et arabes, n’a pas su connaître ses limites ni ceux du pouvoir de ses adversaires occidentaux.

A mon avis, le monde du XXIe siècle reste régenté encore fort longtemps par les démocraties occidentales et leurs alliés et partenaires de par le monde car elles disposent encore des moyens financiers, scientifiques, techniques et technologiques puissants pour se développer et contrôler la planète.

En 1980, le colonel Kadhafi avait pu s’en sortir en manoeuvrant plus ou moins habilement avec l’URSS et la Chine mais de nos jours il ne peut plus compter ni sur la Russie, ni sur la Chine qu’il avait malencontreusement froissée ni sur les Brics en tant que groupement d’intérêt particulier car ceux-ci sont encore loin de pouvoir entamer l’influence primordiale des pays occidentaux.

Ainsi serais je enclin à penser qu’en définitive le sort du colonel Kadhafi est déjà presque réglé comme celui de Saddam Hussein d’Irak qui n’avait non plus su connaître ses limites et celui de Ben Laden qui était allé trop loin pour le goût des maîtres du monde.

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