LES RELATIONS ENTRE LES ETATS DE L’UNION DU MAGHREB ARABE ET L’UNION AFRICAINE : COOPERATION OU CONFRONTATION ?

Pierre BERTHELOT

Docteur en Science politique de l’Université de Bordeaux III. Chercheur associé à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et Enseignant-chercheur au CERMAM (Centre d’étude et de recherche sur le monde arabe et musulman), à l’Université Paris II Panthéon Assas. Il est également Expert associé auprès de la FMES (Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques).

2eme trimestre 2011

Plusieurs pays d’Afrique du Nord connaissent actuellement des turbulences considé­rables et une majorité des anciennes possessions françaises du continent noir viennent de célébrer le cinquantenaire de leur indépendance l’année passée. Il apparait donc op­portun de dresser un bilan des relations entre deux organisations censées les représenter, l’Union du Maghreb arabe (UMA) et l’Union africaine (UA), qui ont été caractérisées par de vraies interactions mais aussi par d’importantes confrontations. La récente inter­vention de l’OTAN en Libye risque de conforter cette situation tout en fragilisant les deux organisations et leurs principaux membres.

Several North African countries expérience atprésent considérable turbulences and a majority of the former French possessions on the continent celebrated last year the fiftieth anniversary of their independence. It therefore appears timely to assess the relations between two organiza-tions supposed to represent the Arab Maghreb Union (AMU) and the African Union (AU), which have been characterized by real interactions but also by major confrontations. The recent NATO intervention in Libya may reinforce this situation, while weakening the two organizations and their principal members.

ALORS QUE LES PAYS D’AFRIQUE DU NORD connaissent actuellement des turbulences considérables et que la majorité des anciennes possessions françaises du continent noir viennent de célébrer le cinquantenaire de leur indépendance l’an­née passée, il n’apparait pas inutile de dresser un bilan des relations entre les deux organisations censées les représenter, l’Union du Maghreb arabe d’une part (en par­ticulier à travers l’étude du positionnement de ses principaux membres) et l’Union africaine (UA) d’autre part, respectivement créées en 1989 et en 2002.

Des relations contrastées

Le Maghreb a joué un rôle majeur dans l’évolution des organisations panafri­caines, mais de façon très contrastée, puisque d’un côté nous observons l’absence depuis plusieurs décennies d’un de ses membres les plus importants des instances continentales (le Maroc) et de l’autre l’implication souvent décisive de deux autres membres de la très virtuelle Union du Maghreb arabe (UMA) : l’Algérie et plus récemment la Libye1. Dans ce dernier cas, il s’agit presque d’une « conversion » par défaut aux vertus du panafricanisme, dans sa forme la plus radicale et la plus intégrée, puisque pendant très longtemps, l’imprévisible colonel Kadhafi, trublion de la scène internationale durant des décennies, a cherché de façon illusoire à nouer des alliances politiques fortes avec différents Etats, en tentant d’imiter son modèle, Gamal Abdel Nasser, chantre d’un panarabisme laïc et socialisant. Ainsi, tout juste installé au pouvoir, il envisage dès 1972 une « Union des républiques arabes » regroupant la Libye, l’Egypte et la Syrie et qui veut ressusciter d’une cer­taine manière la République arabe unie, qui regroupa un temps l’Egypte, la Syrie et le Yémen. Puis, dans la mesure où la précédente n’a jamais véritablement pris son envol (elle est définitivement enterrée en 1977 suite au rapprochement entre Sadate et Israël), Kadhafi envisage alors une union sinon une fusion avec son voisin tunisien en 1974, mais le projet, bien que très avancé, est annulé au dernier mo­ment. Il en de même avec le Tchad, un pays avec lequel les relations ont toujours été extrêmement complexes, puisque si plusieurs de ses dirigeants ont été appuyés par la Libye, cette dernière en a aussi combattu d’autres et a longtemps revendiqué la bande d’Aouzou, qui avait été cédée par l’Italie, l’ancienne puissance coloniale, à la France, lorsque cette dernière était installée à Fort Lamy (devenue entre temps N’Djamena).

Ce tropisme unitaire ira certes un peu plus loin avec un autre Etat maghrébin, le Maroc, qui voit là un moyen de briser son relatif isolement après son départ de l’OUA le 12 novembre 1984 et surtout une opportunité pour affaiblir les in­dépendantistes sahraouis jusque là activement soutenus par Tripoli. En effet, un accord est signé à Oujda en 1984 (c’est-à-dire aux portes de l’Algérie rivale, tout un symbole !) mais il fait long feu et l’union est dissoute dès 1986, rappelant au passage le caractère souvent éphémère des alliances de revers. Au final, face à toutes ces tentatives avortées, en particulier avec ses « frères arabes », Tripoli se tourne vers l’Afrique, en ambitionnant d’en révolutionner les pratiques tout en contribuant à son développement et à sa stabilité, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour ses nombreux contempteurs, puisque la Jamahiriya a souvent été ou est accusée d’être un véritable perturbateur continental, bien qu’elle ai tenté de venir à résipis­cence et de réintégrer la « communauté internationale » en revêtant les habits d’une plus grande respectabilité3.

L’autre protagoniste maghrébin le plus impliqué dans le panafricanisme est l’Al­gérie, ce qui ne surprendra guère dans la mesure où ce pays a d’une certaine manière été l’archétype de l’Etat qui après une âpre lutte contre son colonisateur en sort victorieux, et il jouit à cet égard et pendant longtemps d’un rayonnement et d’un prestige particulier. Ce rôle majeur tient aussi à la qualité des diplomates algériens (bien qu’il soit trop tôt pour se prononcer sur la pérennité de ce phénomène), leur influence ayant même souvent dépassé le seul continent noir avec notamment Lakhdar Brahimi (qui joua un rôle important lors du règlement des accords de Taëf en 1989 qui accélérèrent la fin de la « guerre civile » libanaise), Mohamed Sahnoun (co-auteur du fameux rapport sur « la responsabilité de protéger » avec Gareth Evans) ou encore Mohamed Bedjaoui (ancien ministre des Affaires étrangères, professeur de droit4 qui a été également président de la Cour Internationale de Justice)5. Rappelons aussi qu’à plusieurs sommets du G8, c’est l’Algérie qui est régu­lièrement conviée, notamment aux côtés du Nigéria et de l’Afrique du Sud, et que le président Bouteflika, qui fut auparavant ministre des Affaires étrangères, a joué un rôle important et efficace de médiateur il y a une dizaine d’années lors du conflit érythréo-éthiopien6 (avec l’appui des instances panafricaines), même si aujourd’hui ses problèmes de santé font qu’il n’est plus aussi actif sur la scène continentale ou au-delà. A la même époque, l’Algérie est également à l’avant-garde du projet MAP (Millenium African Plan), encore une fois avec deux des géants africains (dé-mographiquement et économiquement), l’Afrique du Sud et le Nigéria, qui allait fusionner avec le « plan Oméga » pour donner naissance au NEPAD, dont elle allait logiquement être l’un des principaux protagonistes, avec outre les deux pays déjà cités plus haut, le Sénégal. Cette prépondérance algérienne aura des conséquences décisives sur le devenir de la question sahraouie qui divise depuis plusieurs décen­nies les organisations continentales (OUA et UA) ou régionales (l’UMA).

Elle souligne ce second paradoxe maghrébin qui aboutit à la non participation du Maroc à l’Union africaine7. Ce dernier considéra que l’admission de la RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique) comme un affront inexcusable et une injustice8, d’autant plus qu’à l’époque le courant indépendantiste sahraoui connait un déclin militaire suite à la construction de murs défensifs qui se révèlent très efficaces9. Paradoxe, puisque le Maroc fut l’un des tous premiers pays africains à s’affranchir d’une tutelle étrangère, dès 1956, au terme d’une authentique lutte de libération nationale, même si elle fut plus courte et moins heurtée que celle des indépendantistes algériens, qui reçurent en outre un important appui du royaume chérifien. De plus, c’est à Casablanca qu’eut lieu en 1961 l’une des toutes premières conférences panafricaines, proposant une ambitieuse forme de fédération (on parle du groupe des progressistes), à laquelle succéda quelques mois plus tard le congrès de Monrovia, rassemblant des pays plus enclins à une forme plus douce d’intégra­tion (le groupe des modérés). Le Maroc fut également présent à Accra en 1958, où se réunit un rassemblement d’Etats pionniers qui posèrent les bases du projet d’organisation continentale.

En intégrant la RASD de justesse en 198210, les Etats soutenant cette position estimèrent qu’ils ne firent que respecter les principes adoptés de façon consensuels au moment des indépendances, à savoir que l’on proclamait celles-ci sur la base du territoire occupé par les anciennes puissances coloniales, et que l’on devait privi­légier le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes11, à travers l’autodétermination (qui est aujourd’hui l’un des principaux obstacles au règlement de cette question saharienne puisqu’il n’existe pas de consensus sur la qualité des votants potentiels qui pourraient se prononcer) et d’une certaine façon l’intangibilité des frontières. Dès lors, et à partir du moment où un mouvement indépendantiste revendiqua après et même avant le départ de l’Espagne le Sahara occidental, il apparu, malgré toutes les précautions prises par la CIJ dans son désormais célèbre avis consultatif12, que les prétentions marocaines, et mêmes mauritaniennes dans un premier temps, étaient nulles et non avenues au regard d’une partie de l’OUA, qui a été d’autant plus encline à soutenir la RASD que Rabat incarnait pour beaucoup le camp « pro­occidental »13, alors que pendant des décennies l’organisation panafricaine a été im­prégnée d’une forte culture tiers-mondiste et socialisante. Mais pour les défenseurs de la position marocaine, il existe une crainte que ne puissent à l’avenir se manifes­ter des mouvements indépendantistes, séparatistes ou sécessionnistes, sur la base de légitimités incertaines, ouvrant ainsi une véritable boite de pandore, susceptible de menacer des unités déjà fragiles, sinon factices.

L’ultime paradoxe maghrébin, c’est que la RASD, qui est le membre de l’Union africaine (avec probablement la Somalie14) qui a le moins de contrôle sur le terri­toire qu’il est censé représenter, est aussi l’un des plus impliqués dans les structures continentales, et il joua un rôle important lors de la création de la dernière en date, en devenant son septième membre fondateur (ce qui rend son exclusion encore plus difficile, si l’on y ajoute le fait que rien n’est prévu en ce cens par l’Union africaine). De plus, alors que dans son acte de naissance, elle met en avant une identité avant tout arabe et non africaine, c’est pourtant de ce côté qu’elle a trouvé le plus de sou­tien, alors que la Ligue arabe ou encore l’Organisation de la conférence islamique (où les pays arabes pèsent d’un poids décisif) n’ont jamais reconnu ses prétentions, malgré l’appui algérien et libyen à un certain moment15. En 1998 a bien eu lieu une tentative visant, sous l’impulsion du Burkina-Faso, du Sénégal ou du Gabon, à po­ser la question de la réintégration du Maroc, alors que le nombre de reconnaissances de la RASD était en diminution16 (tant en Afrique qu’à l’étranger), en partie à cause des retraits progressifs, après la chute du mur de Berlin, des soviétiques et de leurs alliés cubains, ces derniers étant des soutiens inconditionnels des indépendantistes sahraouis, mais ce fut un coup d’épée dans l’eau.

Ce développement, à propos de l’un des derniers territoires à avoir été abandon­né par une ancienne puissance coloniale (auquel s’ajoutent principalement ceux qui étaient anciennement sous domination portugaise) permet de rappeler que sub­siste encore une présence européenne à travers l’ile de la Réunion, Mayotte, les iles Canaries, et surtout Ceuta et Melilla, situées en territoire marocain. Mais la plupart préfèrent rester dans le giron occidental17, bien que l’Union africaine considère que certains soient de fait illégalement occupés, des convergences pouvant ainsi être établies entre les positions de l’organisation continentale et l’UMA.

Une intervention en Libye qui hypothèque l’avenir des relations UMA-UA

La récente intervention de la coalition à dominante occidentale risque de porter un coup de grâce à une UMA presqu’aussi inexistante que l’Union pour la Méditerranée (UpM), affaiblissant concomitamment l’Union africaine, et par conséquent les relations entre les deux organisations. En effet, il sera intéressant d’observer quelle attitude adopteront les pays membres de l’UMA face à la crise libyenne : vont-ils continuer à considérer que le régime encore en place à Tripoli, la capitale, est le seul qui soit légitime, ou est-ce qu’à l’inverse c’est le CNT basé à Benghazi qui incarne à leurs yeux l’avenir ? Accepter la partition, à moins de parier sur une prise de contrôle totale du pays par la rébellion, ou d’envisager son anéantissement par les « forces loyalistes » (deux hypothèses qui semblent aussi improbables l’une que l’autre), c’est encourager sur son propre territoire de telles perspectives. On pense à cet égard au conflit oublié mais néanmoins vivace du Sahara occidental déjà évoqué, ou encore au mouvement autonomiste berbère en Kabylie, ce qui expliquerait le soutien supposé ou tacite de l’Algérie à Mouammar Kadhafi, sans compter que des soupçons d’infiltration de groupes djihadistes pèse sur les insurgés du CNT, ce qui ne peut que susciter de vives inquiétudes à Alger ou au delà. De plus, on peut craindre que de part son origine majoritairement cyrénaïque (soit l’est du pays), la rébellion, si elle arrivait finalement à conquérir le pouvoir ne s’éloigne presque définitivement de l’UMA en lorgnant davantage vers l’Est et l’Egypte. En outre, alors que la Lybie apportait potentiellement un certain contrepoids à la rivalité algéro-marocaine, les deux piliers de l’UMA, on risque d’en revenir à ce tête à tète paralysant.

L’Union africaine est de son côté dans une situation tout aussi déstabilisante que l’UMA voire davantage puisque le rôle influent, jusqu’à ce jour, de la Libye au sein de l’organisation panafricaine a été rappelé. Financièrement cela risque d’être une perte considérable et politiquement on peut craindre un affadissement du message unitaire dont la Lybie de Kadhafi se faisait le chantre, malgré les critiques parfois justifiées dont il a pu être l’objet. Sans compter que la situation toujours incertaine qui prévaut en Tunisie et ses risques de contagion au Maroc vont probablement amener ses dirigeants à reléguer au second plan l’UMA18 alors qu’on ne peut exclure une relance de l’UPM (dont le secrétariat général devrait échoir à un marocain) dans une forme édulcorée ou amputée (qui gèlerait par exemple la présence de certains Etats qui sont autant de sources de blocage) car les Etats du Maghreb sont demandeurs afin de renforcer la coopération économique et sécuritaire avec les puissances de l’autre rive. On soulignera au passage que l’UA a tenté une médiation qui n’a pas été couronnée de succès dans la crise libyenne puisqu’une délégation de plusieurs chefs d’Etats s’est rendu auprès du Guide libyen pour le convaincre de la nécessite d’aboutir à un cesser le feu. Mais dans le même temps, les rebelles ont refusé de rencontrer le groupe de médiateurs dans la mesure où le préalable qu’ils exigeaient n’était rien de moins que le départ du chef de la Jamahiriya, demande totalement irrecevable pour ce dernier ou ses partisans.

Par ricochet, ces deux organisations affaiblies risquent d’avoir le plus grand mal à travailler ensemble d’autant plus que le pays le plus riche et le plus peuplé de l’UMA, l’Algérie, pourra objecter que les évolutions récentes concernant aussi bien la Méditerranée, l’UMA que l’Afrique s’inscrivent dans une stratégie de reprise en main voire d’élargissement de son pré carré par la France, pays avec lequel elle en­tretient des relations extrêmement ambigùes et complexes , puisque si la proximité économique et les liens culturels sont très intenses entre les deux Etats, l’hostilité reste considérable d’un point de vue mémoriel et politique. En effet, Paris a été en pointe pour appuyer la rébellion libyenne et celle-ci semble lui en être particuliè­rement reconnaissante jusqu’ici, puis, comme cela a été précisé, c’est à un maro­cain (l’ennemi héréditaire) que devrait être confié le poste de secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, alors qu’en Afrique, Nicolas Sarkozy a déclaré lors de l’investiture du Président Ouattara en Côte d’Ivoire que la France garderait ses bases pour toujours dans ce pays.

Par ailleurs, les combats qui sévissent en Libye amènent à s’interroger sur le concept de « responsabilité de protéger » (qui prolonge le débat sur « l’ingérence humanitaire ») et qui a été d’une certaine manière consacrée en 2005 lors du 60ème sommet des Nations Unies, à l’issue de nombreux travaux et rapports. En effet, il convient de souligner que pour la première fois, une couverture légale a été donnée à ce concept et à sa mise en œuvre, alors qu’au Darfour un consensus n’a pas pu se dessiner pour une intervention massive19. Ce principe veut aboutir à un dépasse­ment des antagonismes entre la souveraineté et l’intervention, qui avaient dominé les années 1990, en changer les termes du débat, grâce à la promotion de trois idées : la responsabilité de protéger, via la prévention, mais aussi la « responsabilité de réagir » et la « responsabilité de reconstruire ». La responsabilité de protéger est le dernier avertissement avant la mise en place de sanctions ou l’éventuelle inter­vention de forces armées pour contraindre les parties incriminées à arrêter leurs exactions. Il est en effet préférable et moins coûteux de tenter de dissuader les belli­gérants que de lancer ensuite de lourdes et parfois inefficaces missions de maintien de la paix.

La responsabilité de protéger est aussi un outil de pression et de négociation par rapport à l’attitude des protagonistes d’un conflit en cours puisque les poursuites peuvent être suspendues sous l’impulsion du Conseil de sécurité, dont l’action peut être considérée en l’espèce (et une fois n’est pas coutume) comme non passive, ce qui enlève des arguments aux partisans d’actions plus unilatérales, en dehors des enceintes internationales. Kofi Annan avait clairement expliqué la philosophie qui sous tendait cette nouvelle approche lorsqu’il écrivait que « les conséquences pour la paix et la sécurité internationales des violations des droits de l’homme ainsi que des flux de réfugiés et des autres phénomènes migratoires nous obligent à reconsidérer la souveraineté sous un angle nouveau : la souveraineté cesse d’être un simple pouvoir, pour devenir aussi une responsabilité »19. Mais là ou le bât blesse, c’est que l’opération en cours en Libye risque d’affaiblir ce concept et de confirmer les craintes de ceux qui n’y voyait qu’un prolongement de l’ingérence tradition­nelle des Etats les plus puissants sur les plus faibles, ce qui aura deux conséquences redoutables : d’une part le renforcement du potentiel militaire d’Etats pouvant craindre de futures interventions, les immunisant en quelque sorte contre toute menace quand bien même ils attaqueraient leurs propres ressortissants (Corée du Nord, Birmanie… ) et d’autre part un accroissement des réticences des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU (qu’ils soient permanents ou non) qui pouvaient déjà sceptiques faces à de tels projets (la Chine et la Russie en particulier). Mais nombre d’Etats africains risquent de les rejoindre, l’UA devant alors leur emboiter le pas, pour ne pas parler de l’UMA.

On voit donc que les enjeux maghrébins influenceront très probablement la position des institutions africaines, qui seront alors plus réticentes à imposer leur point de vue à leurs différents membres. Quant à l’UMA, elle devra de toute façon, et à l’instar d’autres organisations africaines régionales, sous-régionales, voire « mi­cro-régionales » développer un véritable processus de rationalisation ( pour éviter des actions qui feraient double emploi avec celles de l’UPM par exemple ou de l’UA) et de rapprochement avant de pouvoir réellement prétendra à ce rôle complé­mentaire vis-à-vis des instances d’Addis Abeba, car pour l’instant, le morcellement observé sur le continent aboutit à un manque de cohérence général et constitue souvent davantage un frein qu’un atout pour l’Afrique.

En conclusion, un bref rappel de l’histoire mouvementée qui a jalonnée les relations entre les pays formant l’ensemble grand-maghrébin et les institutions pa­nafricaines (OUA, puis UA) montre qu’a abouti à des résultats paradoxaux, avec d’une part une implication intense de certains Etats (Algérie, Lybie) et d’autre part un retrait progressif puis définitif pour le Maroc. Par ailleurs, il apparait que les évènements qui ont récemment marqué l’Afrique du Nord, et plus particulièrement plusieurs Etats membres de l’Union du Maghreb arabe risquent d’influencer pro­fondément tant l’avenir de la fragile organisation sous régionale que ses relations avec l’Union africaine, dont elle est en théorie la composante la plus prospère, d’un point de vue économique. On peut également craindre que ces évolutions récentes affaiblissent les institutions panafricaines qui ont une fois de plus montré leur inca­pacité à agir positivement pour une sortie de crise, avec l’affaire libyenne. Enfin, la responsabilité de protéger (ou ses différentes déclinaisons), risque plus que jamais d’être rejetées tant par l’UMA que l’UA tant elle a été mise en application, et pour la première fois avec l’aval de l’ONU (mais sans accord africain ), de façon confuse, dans le cadre d’une intervention qui s’apparente parfois, pour ses détracteurs, à une forme d’ingérence extérieure.

 

Notes

  1. On soulignera en revanche la grande discrétion de la Tunisie et de la Mauritanie tant vis-à-vis des rivalités opposants les trois autres Etats cités (probablement par crainte de retombées négatives sur leur propre stabilité) que dans leurs rapports avec l’Union africaine au sein de laquelle ils ne jouent pas un rôle de premier plan.
  2. Luis Martinez, « Libya : The conversion of a ‘terrorist’ state », Mediterranean Politics, 11, n° 2, july 2006, pp. 151-165 ; Mouammar Khadafi, Dans le concert des nations (Libres pro­pos et entretiens avec Edmond Jouve), Paris, l’Archipel, 2004.
  3. On pourra consulter la somme qu’il a dirigé : Droit international (Bilan et perspectives), Tomes 1 et 2, Paris, Editions Pédone et Unesco (Edition française), 1361 pages, 1991.
  4. D’autres pays africains ont su mobiliser leurs talents pour qu’ils puissent rayonner au plus haut niveau international. L’Egypte avec Boutros Boutros-Ghali et le Ghana avec Kofi Annan, tous deux secrétaires généraux de l’ONU (respectivement sur les périodes 1992-1997 et 1997-2007), ou encore avec le Sénégal avec Jacques Diouf, à la tête de la FAO.
  5. Un accord de paix est signé à Alger le 12 décembre 2000.
  6. De façon inversée, l’Algérie est la grande absente d’une autre organisation internationale où elle aurait toute sa place, l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), étant donné le potentiel important qui y existe. Mais les conditions de cette absence sont diffé­rentes, car elle tient plus à la volonté d’Alger de se tenir éloignée d’une institution qui aurait des relents de colonialisme, alors que presque tous ses Etats membres souhaitent sa présence.
  7. Pour une synthèse de ce conflit désormais gelé, on pourra se reporter à l’ouvrage de Khadija Mohsen-Finan, Sahara Occidental : les enjeux d’un conflit régional, Paris, Cnrs Editions, 1997.
  8. Voir sur ce point le développement qui lui est consacré dans un récent ouvrage spécialisé d’Alexandra Novoseloff et Franck Neisse, Des murs entre les hommes, Paris, La Documentation française, 2
  9. Fin novembre 1982. Elle siège pour la première fois fin novembre 1984, entraînant le départ immédiat du Maroc de l’OUA.
  10. Voir sur ce point l’ouvrage de référence d’Edmond Jouve, Le droit des peuples, Paris, PUF (Collection « Que Sais-je ? »), 1986.
  11. Du 16 octobre 1975. Pleine d’ambigùité, elle souligne qu’il existait des liens d’allégeance entre certaines tribus du Sahara Occidental et le Sultan du Maroc avant la conquête espa­gnole (ce que ne manque pas de rappeler fort opportunément et logiquement de façon répé­tée Rabat), mais qu’on ne peut cependant retenir que le royaume chérifien ait pour autant exercé une véritable et durable souveraineté sur l’ancien « Rio de Oro ».
  12. Etant donné les très bonnes relations entretenues avec la France, les Etats-Unis (le Maroc fut le premier Etat au monde à reconnaitre la jeune démocratie américaine) voire Israël (les juifs marocains présents au sein de l’Etat hébreu représentant la première communauté sépharade, et étant reconnaissant au grand-père du souverain actuel pour les avoir protégés pendant la seconde guerre mondiale). Le Maroc apparait également comme l’un des points avancés d’une lutte sans merci contre toute forme de sécessionnisme et de subversion marxiste, en envoyant par exemple des soldats à Kolwezi en 1978 ( ex-Zaïre )
  1. Mais pour celle-ci cette situation ne date que de 1991.
  2. Pas plus que n’ont fonctionné les parallèles audacieux que certains détracteurs du Maroc ont tenté d’établir entre la situation des réfugiés palestiniens et sahraouis.
  3. Albert Bourgi, « Voyage à l’intérieur de l’OUA », Politique étrangère, Hiver 1998-1999,
  4. 781.
  5. Ainsi, c’est à Mayotte et à la Réunion, que le sentiment indépendantiste est le moins présent au sein des territoires ultramarins français (avec probablement Saint Pierre et Miquelon et Wallis et Futuna, qui ont toutefois une population infiniment plus modeste).
  6. Très récemment a ainsi été évoquée une perspective d’un rapprochement entre le CCG (Conseil de coopération du Golfe) et la Jordanie, voire le Maroc. Si on saisit le dessein politique de cet élargissement (une alliance renforcée entre des monarchies conservatrices sunnites) on peut en revanche rester sceptique sur sa cohérence géographique, mais cela suffit à souligner le peu d’attrait que représente l’UMA pour Rabat, bien que cela ait, semble-t-il, abouti à un rapprochement inattendu entre le Maroc et l’Algérie (qui a pu craindre de se retrouver isolée) avec la perspective de réouverture de frontières fermées depuis 1994.
  7. Pierre Berthelot, « La CPI face à la tragédie au Darfour », Géopolitique africaine, n° 35, juillet-septembre 2009, pp. 235-252. On notera que la Libye n’avait menacé ou attaqué aucun des Etats de la coalition atlantiste, du moins cette fois-ci.
  8. « Maintien de la paix, intervention militaire et souveraineté nationale dans les conflits armés internes », in Des choix difficiles, les dilemmes moraux de l’humanitaire, Jonathan Moore (dir.), Paris, Gallimard, 1999, p. 107.
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