Les défis à relever et les perspectives d’avenir du Qatar

Ahmed BERGAOUI

Juillet 2006

L’ambition d’un petit Emirat dans la sphère de la mondialisation

Consciente que la réalisation des ambitions et le progrès sur la voie de la réussite ne peuvent se faire sans une politique d’investissement sur tous les volets de développement, le Qatar a choisi depuis le changement du trône (l’arrivée de Hamed el Thani (2) au pouvoir en destituant son père), de mettre à contribution toutes les potentialités.

A cet effet les reformes engagées ont été menées sur deux axes simultanément : le développement du capital humain, et une stratégie économique globale qui est caractérisée par la libéralisation et l’invention de l’économie, l’encouragement de l’initiative privée, l’allégement des formalités et des contraintes administratives, la multiplications des projets, l’émancipation relative et limité de la femme.

Tous ses nouveaux choix s’inscrivent en fait dans une nouvelle politique. Une politique qui ne repose pas sur les normes classiques, conformistes telles qu’existaient d’ailleurs dans la région, mais qui a crée son dynamisme et suivi son propre cheminement. Une politique que l’on peut résumer en une approche globale pour gérer à la fois un Etat fort et une nation moderne.

Dans une perspective géostratégique, on peut considérer que le petit Emirat du Golfe, peuplée de 600.000 habitants dont la majorité sont des étrangers, a parfaitement réalisé son ambition en faisant parler d’elle et a su faire une place respectueuse sur le plan régional et international et ceci avec les conséquences qu’il a provoquées dans ses relations avec les pays voisins. La question qui soulève plus d’hypothèses et nécessite une réflexion profonde est celle de savoir par quel moyen un petit pays considéré comme minoritaire par sa taille dans le monde arabe exerce-t-il une influence importante qui a pour effet d’influencer la majorité ?

La réponse à cette problématique nécessite une analyse fine des données, et une approche psychosociologique et géostratégique qui permettent de mettre en évidence les mécanismes qui sous-tendent le comportement d’une population (considéré comme minoritaire) dans un processus de relation influente avec des sociétés considérées comme majoritaires par leurs masses. Selon des études avancées dans ce domaine, on a montré pour qu’un groupe minoritaire exerce une influence, il faut que celle-ci trouve sa source dans la consistance diachronique (répétition dans le temps du même système de réponses), et dans la consistance synchronique (consensus des membres entre eux). Une minorité qui veut bouleverser un ordre établi est alors, par définition, confrontée simultanément à la majorité dite silencieuse (la masse).

Certaines expériences sur les comportements en psychosociale (Doise. W, ont démontré comment une source minoritaire qui utilise un style flexible et négociateur exerce plus d’influence qu’une source utilisant un style rigide bloquant la négociation. Nous pouvons avancer l’hypothèse que le petit Emirat (le Qatar) réussisse convenablement ce genre de comportement. Nous considérons entre autre que le Qatar par le peu de moyens qu’il possède (à l’exception du pétrole et du gaz) si on le compare aux puissances industrielles, et l’étroitesse de son champs de manœuvre sur le plan régional et international, a bel et bien marqué sa différence politique.

Al-jazeera ou la vitrine controversée du Qatar

La chaîne Al-jazeera est plus qu’un moyen de communication et d’information. Elle est à la fois un pouvoir au sens large du terme, et l’organe médiatique privilégié du monde arabe. Au travers des années, Al-jazeera par le biais de son programme d’information et les émissions inspirées dans leurs majorités de celles diffusées en occident est devenu le porte parole de la société civile du monde arabe, et ceci en s’adressant à la fois aux peuples de ce monde très vaste (une population de 280 millions) et aux pouvoirs en place. Cette chaîne intéresse aussi les spécialistes en Occident.

L’impact médiatique a dépassé les aspirations de ceux qui l’on crée. Elle devient une plate forme autour de laquelle se tisse le dialogue entre les différents antagonistes (exemple, entre Israéliens et Palestiniens, entre les pouvoirs dans le monde arabe et leurs peuples, entre l’occident et le monde arabe. On peut même qualifier cette chaîne de carrefour de dialogue entre les civilisations.

En créant Al-Jazeera le petit Emirat se propulse au devant de la scène internationale. Elle exerce une politique d’ouverture et développe une économie libérale qui attise les appétits des grandes entreprises du monde et plus particulièrement de l’occident. Le Qatar à coté du voisin les Emirats arabes unis devient au file du temps la Mecque du monde du show-biz et sa modernité intéresse la communauté internationale. Il a accueilli le sommet de l’organisation mondiale du commerce (OMC) en novembre 2001. Reste que le rapprochement stratégique avec les Etats-Unis, pour réel qu’il soit, n’est pas le choix qui réponde aux aspirations des pays de la région.

Le Qatar et l’alliance stratégique avec les Etats-Unis d’Amérique

Le pays sert de base à l’Etat Américain (centcom) responsable des opérations de guerre en Irak. Ceci est sans conséquence sur la stabilité sécuritaire dans le moyen orient et dans la région du Golfe en général. Le premier bénéficiaire de la présence américaine et sans doute l’Etat d’Israël. Ce centre constitue l’organe vital pour les intérêts des deux pays. De part les informations qu’il intègre, la politique des deux pays est entrain de modifier la morphologie géostratégique de la région. En effet les solutions préconisées par la maison blanche pour promouvoir à la fois la démocratisation et les intérêts des Etats-Unis, supposés indissociablement liés, s’appuient sur l’instrumentalisation du communautarisme (la guerre en Irak en est l’exemple) dans le cadre d’une stratégie dite d’instabilité constructive. Mais le choix du Qatar de tolérer ce genre d’activité sur son sol n’est pas celui du cœur, mais bien plus celui de la raison, voire même de contrainte. Le petit Emirat coincé entre l’Arabie saoudite, l’Iran et l’Irak se sent sans cesse menacé et à la merci d’une telle déstabilisation, qui pourrait nuire à l’économie et porter un coup fatal aux investissements de l’Emirat.

Consciente que la présence Américaine dans la région dépasse la logique militaire visant la chute du régime de Saddam Hussein et l’écartement de son pouvoir qui représentait une possible domination de la région. Cette présence se situe plutôt dans une logique de modification de la carte géopolitique. Le Qatar plus jamais pragmatique a manifesté son désir de coopérer sans complexe avec la nouvelle donne.

La présence Américaine ne se réduit pas à l’unique mission militaire. Elle s’élargit aussi à des responsabilités politiques (exemple l’ex-président Clinton est venu en 2004 participer à une conférence), aux affaires bilatérales (il y a quatre ans, le ratio entre les investissements américains et français était de 1 à 1 ; il est désormais de 5 à 1 en faveur des Etats-Unis), ainsi aux universitaires (quatre universités américaines sont d’ores et déjà installées sur un campus construit par la Fondation du Qatar) et des consultants (la RAND y a ouvert un bureau et travaille pour le compte de ministères), tous massivement présents.

La France, qui jusqu’ici fournissait 80 % des équipements de l’armée, tente de résister, alors que l’activisme américain remet en cause les situations acquises. Mais paradoxalement, le petit Emirat à l’instar de son rôle de propagation médiatique et financier, il sert la politique Américaine dans son hégémonie dans le monde Arabe.

Cette politique qui se présente comme un plaidoyer pour la démocratisation urgente du moyen orient et des pays du Golfe est considérée par certains observateurs en occident comme inquiétante voire dangereux. Le linguiste Newman Chomsky ne cesse d’ailleurs de qualifier l’administration Bush de menace pour la paix mondiale. En effet le proche orient est dans le statu quo. Tous les indices économiques, sociaux et politiques sont au rouge.

La présence américaine au Qatar et dans la région provoque des résultats contraires aux attentes de la communauté internationale. On a assisté par exemple, a un feedback négatif de la part du monde Arabe face à cette politique après la chute du régime de Saddam Hussein.

Dans ce climat de suspicion les observateurs de la communauté internationale commencent à douter de l’intention de l’administration Bush. Celle ci est entrain d’installer un état d’instabilité constructive qui empêchera toute tentative de développement économique dans le monde arabe. Dans la donne américaine la suprématie de l’Etat d’Israël est plus que stratégique elle est le facteur primordial dans cette hégémonie. Pour atteindre ses objectifs les Etats-Unis n’hésiterai pas à mettre en question le statu quo prévalent au proche orient depuis des décennies « quels que soient les risques à courir selon les termes de la secrétaire d’Etat Condoleeza Rice ».

Cette thèse considère le monde arabe comme un agrégat de minorités religieuses et ethniques incapables de vivre ensemble dans des entités Etatico-nationales. Les scénarios préparés pour entrevoir la démocratisation tout en préservant les intérêts des Etats-Unis, s’appuient sur la manipulation du facteur appartenance ethnique déjà encré dans la tradition des populations de la région, dans le cadre d’une stratégie qu’on a qualifiée auparavant « d’instabilité constructive ».

Les limites de la similitude entre le modèle japonais et le modèle qatari

La chute du régime de Bagdad, la présence Américaine sur leur sol a réjouit certes les dirigeants qataris qui pensent, que celles-ci ont diminué les dangers stratégiques à court et a moyen termes.

Pour autant, ils ne sont pas persuadés que l’administration Bush est capable de maintenir une paix durable dans la région. Pour respecter son engagement envers le conseil des pays du Golfe et préserver sa place au sein du monde arabo-musulman, le Qatar plaide pour que la guerre contre le terrorisme soit traitée tant sur ses effets que sur ses causes, notamment l’absence de règlement du conflit israélo-palestinien.

Devant le fait accompli, les dirigeants qataris ont su transformer la présence américaine en une coopération utile dans le domaine technologique ou éducatif. Cet apport est manifeste dans l’ouverture de cet Emirat à l’étranger. En diversifiant les initiatives pour concrétiser cette ouverture le Qatar n’a pas hésité à accorder la nationalité à l’athlète Kenyan Stephen Chereno pour que celui-ci ramène en contre partie une médaille d’or aux championnats du monde d’athlétisme de Paris 2003. Par ailleurs, le Qatar se veut servir de modèle qui réussit pour ses voisins au premier plan et puis pour le monde arabe. On commence à le comparer au Japon qui constituait un modèle économique pour les pays asiatiques. Les revenues pétroliers et gaziers ont permis une croissances de 7.5% pour 2004. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant dépasse 30 000 dollars par an. Le Qatar détient la troisième réserve de gaze dans le monde, âpres la Russie et l’Iran, et dispose de réserves pour plus de deux cents ans.

Les lourds investissements dans ce domaine sont déjà quasi remboursés. L’Emirat a connu au cours de l’année 2004-2005 d’importants excédents financiers. On ironise actuellement sur des investissements au cœur de l’économie américaine.

L’élite ou les autocrates éclairés autour du prince Hamed el Thani (2) qui dirigent le pays sont partisans aux bienfaits de l’ouverture et de la démocratisation. La vision de l’émir se veut anticipant et être en avance sur la société pour la faire bouger. Il faut noter que l’Emirat entretien une relation semi-officielle mais substantielle avec l’Etat hébreu. Son ministre des affaires étrangères Jacem Hamed n’hésitait pas à encourager les pays arabes d’entrevoir un dialogue avec l’Etat d’Israël.

En dépit de l’affirmation de l’existence d’un « choc de civilisations » entre l’occident et le reste du monde, notre recherche a révélé aussi que la démocratie, le mode de vie occidental a une image extrêmement positive au Qatar. Dans ce pays ou la tradition musulmane est très présente, on découvre à quel point l’aventure politique et l’adaptation d’une économie libérale peut changer le paysage d’une région.

Un des éléments les plus frappants est que le Qatar a su adapter ces ressources au fur et à mesure de ses ambitions. On pense qu’il représente réellement un modèle à suivre dans le monde arabe, au moment où ce dernier est a la recherche d’une issue.

* Président du Centre d’Etudes et de Recherches stratégiques du Monde arabe – Paris

Notes

  • Walid Charara, « Des Mots pour comprendre », Le Monde diplomatique,

juillet 2005

  • Edward W. Said, « L’opinion musulmane rejette-t-elle la démocratie ? » Le Monde diplomatique, juillet 2005
  • Nicolas Sarkis, « Aux origines de la nouvelle crise pétrolière », Le Monde diplomatique juillet 2004
  • Pascal Boniface, « Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe », Le Monde diplomatique, juin 2004
  • Noam Chomsky, « L’autisme de l’Empire », Le Monde diplomatique mai

2004

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