L’Entretien de Géostratégiques L’IRAN POLITIQUE ET GEOSTRATEGIQUE

Avec Monsieur le ministre Roland DUMAS

Janvier 2008

Entretien conduit par Ali RASTBEEN

Géostratégiques : Quelles sont les forces et contrepouvoirs qui comptent encore dans le paysage politique, social et religieux de l’Iran actuel ?

Roland DUMAS : L’Iran est un Etat original qui tout en répondant à des critères démocratiques, bénéficie d’une division des forces en présence. Le Majlis correspond à un Parlement qui rappelle les Parlements occidentaux. Le caractère religieux de l’Etat ne laisse place à aucune équivoque. Le Comité des Experts qui comprend plus de 60 membres et qui est présidé par le Président Rafsandjani contrôle les actions et décisions du « Guide » qui dispose du pouvoir suprême. Cet ensemble constitue un équilibre assez spectaculaire qui donne lieu à des discussions souvent ardues.

Géostratégiques : La transformation de la société iranienne avait induit des chan­gements dans l’orientation de sa politique étrangère. Quels sont les acteurs de cette politique ? Quels sont leurs leviers respectifs ?

Roland DUMAS : L’Iran en raison de son enclavement et de sa proximité géogra­phique avec d’une part les Etats arabes et d’autre part avec Israël est exposé à tous les courants du dehors. Les religieux occupent certes la première place mais la po­litique étrangère est dirigée par le Guide suprême qui imprime sa marque dans les directions diverses. La grande controverse aujourd’hui repose sur l’atome. Il faudra en discuter calmement avec raison.

Géostratégiques : L’arrivée de Khatami au pouvoir en 1997 avait marqué la diplomatie iranienne qui connut alors un rebondissement important et une période d’ouverture et de dialogue. Quels seraient les éléments phares de la diplomatie iranienne ? Serait-elle aujourd’hui puissante pour gérer et résoudre le conflit du nucléaire ?

Roland DUMAS : Il faut observer que le peuple iranien est très patriote et qu’il considère que l’uranium et son enrichissement font partie du patrimoine national. Il est probable que devant l’acharnement de l’occident à remettre en question cette progression, tout cela contribuera à renforcer le sens national des iraniens.

Géostratégiques : Pour autant que l’on puisse en juger, comment vous semble-t-il que la population iranienne ressent et les risques et les enjeux de la situation actuelle ?

Roland DUMAS : Le vrai débat se passe au niveau politique. C’est au Majlis que les choses sont discutées. C’est aussi dans les instances gouvernementales et au niveau des dirigeants les plus élevés.

Géostratégiques : La France et l’Iran entretiennent des relations d’amitiés, de coopération économique et culturelle, importantes. Comment en qualifiez-vous l’évolution ? Et quel est l’élément politique et diplomatique qui la renforce ?

Roland DUMAS : La France et l’Iran ont une histoire mêlée depuis très longtemps. J’ai connu l’époque du Président Mossadegh où il avait tout le pays derrière lui lorsqu’il a nationalisé l’industrie du pétrole. La France a apporté sa contribution à l’époque. Elle était beaucoup plus modérée que les Etats-Unis et l’Angleterre. C’est le même schéma qui existe aujourd’hui. La relation bilatérale est forte mais elle peut encore se renforcer.

Géostratégiques : La France a toujours privilégié la voie du dialogue avec Téhéran, l’expérience du dialogue critique entre l’Union européenne et l’Iran a été un élément crucial de la diplomatie française. Selon vous, quelle sera l’évolution de cette relation après la crise nucléaire ?

Roland DUMAS : C’est exact. La politique du Président Mitterrand d’abord, celle du Président Chirac ensuite et enfin celle du Président Sarkozy vont dans ce sens du dialogue avec Téhéran. Il n’en est pas tout à fait de même avec L’union Européenne qui existe dans sa diversité et qui est à la recherche de sa politique étrangère.

Géostratégiques : A travers une diaspora riche et cultivée, l’économie iranienne s’implante dans le golfe Persique, dans les pays arabes ; un Iran nucléaire serait-il conséquent sur les relations irano-arabes ?

Roland DUMAS : Non seulement l’Iran s’implante dans le golfe Persique, mais également en Asie centrale. Pour y avoir voyagé à plusieurs reprises, j’ai pu constater que les grandes entreprises iraniennes prenaient leur part dans les constructions, les travaux publics, les voies de communications, les voies d’eau et les chemins de fer. L’Asie centrale est un champ d’action de l’activité économique iranienne. A la condition toutefois que les pressions venant de l’occident n’empêchent pas ce déve­loppement de se faire sur une grande échelle.

Géostratégiques : Comment qualifier l’ambition de l’Iran dans le golfe Persique et dans les affaires régionales ?

Roland DUMAS : Personne ne peut contester à l’Iran son rôle de puissance régio­nale. Certes, il existe des luttes ancestrales entre les peuples arabes et l’Iran mais le monde évolue et les solutions deviennent évidentes. La zone d’influence de l’Iran est dans le golfe Persique et au-delà du golfe Persique. Il existe encore quelques sources de conflits notamment les iles qui sont dans le golfe Persique mais tout cela s’atténuera avec le temps.

Géostratégiques : L’Iran aurait-il un projet pour le Moyen-Orient ?

Roland DUMAS : Il est certain que si l’Iran accédait à l’arme atomique, cela chan­gerait l’équilibre de la région. J’ai toujours pensé qu’un équilibre des forces serait utile à la paix. Regardez ce qui se passe entre le Pakistan et l’Inde. L’armement conséquent dans cette région contribuerait à rétablir les équilibres rompus et ne serait pas un facteur de conflit, au contraire.

Géostratégiques : Afin de faciliter ses investissements dans le secteur énergétique et pour préserver ses intérêts stratégiques, Washintgon souhaite la stabilité du Caucase du sud, et, de ce fait, milite pour une résolution des conflits du Haut-Karabakh et des régions géorgiennes séparatistes dAbkhazie et dOssétie du sud. Le bras-de-fer russo-américain dans le Caucase du sud et en mer Caspienne pourrait-il connaître un fléchissement avec un Iran puissance nucléaire ?

Roland DUMAS : Il est exact que l’Iran déjà du temps du Shah avait engagé une politique nucléaire énergique. Cette décision repose sur le fait que les iraniens pen­sent qu’ils épuiseront les ressources du pétrole d’ici une soixantaine d’années. Il faudra dans ces conditions recourir à de l’énergie qui sera autre que le pétrole. Cette énergie ne peut être que l’atome. L’Iran est un grand pays qui veut soigner son dé­veloppement. Il n’a pas d’autre solution que celle-ci.

Géostratégiques : Vous suivez depuis plusieurs années la politique internationale de l’Iran. Comment expliquer son ambition de développer la technologie nucléaire civile ?

Roland DUMAS : L’Iran est un facteur d’équilibre dans la région.

Géostratégiques : Quel est selon vous le rôle de l’Iran dans la situation politique et de sécurité actuelle du Moyen-Orient et du monde ?

Roland DUMAS : Je pense que l’Iran en raison de la campagne internationale qui le vise ira très loin dans la recherche de nouvelles sources d’énergie. Mais, je note aussi que les services de renseignements américains (au nombre de 15 ou 16) ont annoncé que l’Iran avait cessé depuis 2003 l’enrichissement de son uranium. Ce geste n’est pas gratuit. Il dénote la volonté de l’Iran de ne pas bouleverser les choses et de travailler paisiblement à son équilibre énergétique.

Géostratégiques : En votre qualité de spécialiste des doctrines stratégiques du monde iranien, jusqu’à quel degré de risques pensez-vous que les responsables iraniens soient prêts à aller pour assurer l’achèvement de leur programme nucléaire ?

Roland DUMAS : J’ai déjà répondu à cette question. Je pense en effet que si l’Iran possédait la bombe atomique ce qui n’est pas probable dans l’immédiat et d’après les derniers éléments qui nous viennent des services de renseignements américains, cela contribuerait à établir un équilibre dans la région.

Géostratégiques : Vous avez estimé dans une interview sur France Inter le 05 février dernier, que la détention par l’Iran de la bombe atomique serait « un élément d’équilibre dans la région ». Comment explicitez-vous cet élément stratégique, et quel type d’équilibre géostratégique apporterait la bombe iranienne au Moyen-Orient ?

Roland DUMAS : Les choses ne sont pas suffisamment avancées pour que nous ayons une idée claire et nette sur l’état des négociations sur le nucléaire iranien.

Géostratégiques : Pouvez-vous évaluer la négociation sur le dossier du nucléaire iranien ?

Roland DUMAS : L’Iran a signé depuis très longtemps le Traité de Non Prolifération (TNP). Il est donc en droit, au même titre que les autres puissances et notamment les puissances occidentales à se prévaloir de cette signature qui n’a pas été remise en question pour poursuivre son enrichissement d’uranium à des fins pacifiques.

Géostratégiques : A votre avis, en tant que juriste et diplomate et au vu des engagements internationaux de l’Iran, notamment son adhésion au TNP, a-t-il droit à la technologie nucléaire ?

Roland DUMAS : Cela est le résultat de la tension qui existe dans le monde et en particulier dans la région du Proche et du Moyen-Orient. C’est moi qui ai négocié le remboursement de la dette iranienne dans Eurodif. L’Iran dispose encore d’une part infime dans ce consortium. Cela peut constituer un moyen de négociation pour permettre le contrôle des puissances occidentales sur l’armement nucléaire iranien, si tout le monde en était d’accord.

Géostratégiques : La France a joué un rôle crucial dans le développement de cette technologie (par exemple : la participation iranienne dans lEurodif) ; pourquoi aujourd’huiparle-t-on de la menace nucléaire (bombe) tout e négligeant les droits des parties du TNP à la technologie nucléaire ?

Roland DUMAS : En réalité, le dialogue n’a jamais cessé mais… c’est un dialogue de sourds. A plusieurs reprises l’Iran a proposé aux Etats-Unis l’envoi de spécialistes pour vérifier les travaux iraniens. Ces demandes ont été adressées à la France égale­ment. Elles sont restées sans réponse.

Géostratégiques : Les Etats-Unis tentent de négocier avec l’Iran sur le dossier nucléaire. Ces deux pays sont-ils prêts à sortir de la crise par le dialogue ? Et comment le dialogue pourrait-il être renoué ?

Roland DUMAS: « Hope for the best and be ready for the worst » dit le proverbe. J’espère que l’on n’en arrivera pas là. Que la raison l’emportera et le dialogue sera renoué.

Géostratégiques : Dans l’hypothèse d’un Iran puissance nucléaire dont l’ampleur de dissuasion serait l’instrument le plus fiable de sa politique étrangère, quel regard portez-vous sur ses futures alliances géostratégiques régionales et internationales ?

Roland DUMAS : Les Iraniens sont d’excellents négociateurs. L’Iran est prêt à né­gocier car c’est la sagesse qui permettra de maintenir la paix.

*Ministre d’Etat, ancien ministre des Affaires étrangères, président honoraire du Conseil Constitutionnel depuis 2002, il est également avocat et journaliste.

 

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