Essai d’analyse des services de renseignement et de sécurité en Afrique du Nord (Égypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc) depuis l’époque de la décolonisation

Roger TEBIB

Professeur des Universités (sociologie). Il est auditeur à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, président de la section Champagne-Ardennes du Haut Comité Français pour la Défense civile. Il a obtenu pour ses travaux les prix de la Société des Arts et Lettres de France, de l’Académie de droit de Toulouse et du Conseil Général de la Haute Marne.

3eme trimestre 2011

Quel impact des troubles actuels sur les services de renseignement au Maghreb, long­temps considérés comme le pivot des régimes autoritaires ? L’article tente d’élucider la structure interne des services de renseignement et de faire des analyses sur les activités du renseignement en Afrique du Nord compte tenu surtout de la continuité des boule­versements actuels.

What is the impact of the current turbulences on the intelligence services in North Africa, long time considered the backbone of the authoritarian regimes? The article attempts to elu-cidate the internal structure of intelligence and to analyse the intelligence activities in North Africa, especially in view of the continuation of the current turbulences .

Dans ces services de renseignement, le militaire a une place importante en principe pour deux raisons : d’une part, les officiers sont souvent issus de la petite bourgeoisie et l’armée constitue, pour cette classe sociale, une chance de pro­motion ; d’autre part, les conflits dans le Proche-Orient et l’Afrique du Nord font que renseignement militaire et renseignement politique vont de pair.

Dans certains de ces pays, comme en particulier l’Egypte et le Maroc, les ser­vices sont de haut niveau et ont de bonnes relations avec les pays européens.

Il a donc semblé intéressant de faire des analyses sur les activités des services de renseignement en Afrique du Nord compte tenu surtout des troubles actuels.

En 1954, le président Nasser publia la Philosophie de la révolution qui assignait à son pays la politique des « trois cercles », arabe, africain, islamique.

Cette entreprise ambitieuse exigeait des services de renseignement qui fussent à sa mesure. C’est pourquoi de nouvelles structures furent créées pour remplacer les anciens services secrets qui avaient été constitués dans les années 50 grâce, en particulier, à l’aide du général allemand Reinhard Gehlen.

L’Egypte a pu ainsi disposer des services de renseignement les plus efficaces du monde musulman, qui se montrèrent très actifs dans la zone méditerranéenne.

  1. Ils comprenaient plusieurs organismes :
  • la Direction des services militaires (Mukhabarat al-Askariahh) ;
  • la Direction des renseignements généraux (Idarat Mukhabarat al-Aam) ;
  • le Bureau de sûreté de l’Etat (Mabhath Amn al-Daoula) ;
  • le Département des recherches (Al-Mukhabarat al-Ammah).
  1. Ils ont, normalement, quatre types d’activité à l’étranger :
  • surveillance des représentants officiels égyptiens et de certains ressortis­sants particuliers comme les hommes d’affaires, les touristes et les étudiants ; également les personnes appartenant aux minorités établies en Egypte -Italiens ou Grecs, par exemple – qui vont en visite dans leur pays d’origine ;
  • surveillance des comptes bancaires des ressortissants égyptiens dans cer­taines banques européennes, surtout en Suisse, dans l’espoir de découvrir les personnes essayant de sortir leurs capitaux d’Egypte ; ils surveillent aussi et surtout les Egyptiens travaillant pour les services secrets étrangers, dont la rémunération est évidemment versée dans un autre pays que l’Egypte, à cet effet, celle-ci envoie en Europe et dans les Etats arabes, des spécialistes d’ana­lyses bancaires ;
  • surveillance des groupes d’exilés qui s’opposent au régime en place et qui ont trouvé refuge dans un autre pays ; il s’agit essentiellement des membres de l’association des Frères musulmans (Ikhwan al-Muslimun) ;
  • surveillance des services secrets israéliens, en essayant d’identifier les lieux, organisations ou situations propices au recrutement de citoyens égyptiens par l’espionnage israélien. De ce point de vue, les ambassades égyptiennes à l’étranger sont particulièrement surveillées par leurs agents de leur propre pays.

Libye

À son arrivée au pouvoir en 1969, le colonel Kadhafi s’empresse de mettre en place des services de renseignement et de sécurité qui devaient être avant tout un moyen de préserver le régime à l’étranger et sur le sol national.

  1. Les services créés – qui changent souvent de noms et de responsables – sont les suivants :
  • le Bureau pour l’exportation de la Révolution (Maktab Tasdir al-Thawara) ;
  • les Relations arabes ;
  • les Liaisons étrangères ;
  • le Bureau de sécurité du Guide (Maktab Maaloumat al-Caïd) ;
  • l’Office de sécurité extérieure (Mathaba al-Tauriya al-Alamiya) ;
  • le service de renseignement militaire (istikbharat Askariya).
  1. En 1978, pour orienter ses actions vers l’Afrique subsaharienne – le Tchad en particulier – et les groupes terroristes internationaux, le colonel Kadhafi créa les comités révolutionnaires ayant, entre autres, pour fonction la collecte des informations et leur transmission aux services spécialisés.
  2. La Libye fournit un appui financier, logistique et de formation à de nombreux groupes révolutionnaires dans le monde. Des antennes appelées bureaux du peuple libyen ont été créées dans ses ambassades à l’étra Ils servent à aider « la révolution islamique et servent de soutien aux pays en lutte contre l’impé­rialisme occidental. »
  3. Dans le monde islamique, la Libye soutient, entre autres,
  • en Arabie saoudite, en 1984 à La Mecque, des groupes de pèlerins armés, pour déstabiliser le régime ;
  • au Niger, les mouvements touareg, auxquels elle a fourni des armes1 ;
  • au Pakistan, les groupes Al Zulfiquar et Harakat-al-Madjaheddine2 ;
  • au Yémen, Al Islah et le Front national démocratique .
  1. La Libye a également, sur son territoire, du terrorisme d’opposition au colonel Kadhafi. Ces mouvements, pour la plupart intégristes islamistes, étaient finan­cés surtout par l’Arabie saoudite : Al-Djihad, Al-Dawa, Takfir wa al Hedja, Al-Gamaa al-Islamiya… Comme on le voit, ils se rattachaient, par leurs noms et leurs actions, aux Frères musulmans.

Tunisie

  1. Cet Etat dispose de deux services de renseignement et de sécurité :
  • la Sécurité militaire (El-Amn Askari), créée en 1966 et tournée surtout vers le renseignement extérieur ;
  • la Sûreté nationale (El-Amn al-Watani) qui s’occupe des problèmes politiques et des mouvements subversifs.
  1. Surtout à cause des infiltrations des groupes islamiques, la Tunisie cherche à se prémunir contre les effets directs du terrorisme par la fermeture des frontières, la chasse au trafic d’armes dans le sud saharien et une surveillance accrue des inté­ Une coopération étroite existait entre Tunis et La Caire pour lutter contre le terrorisme islamique.
  2. Il faut noter également les regroupements qui se font dans les pays européens et dont voici quelques exemples :
  • les dirigeants du Parti de la libération islamique, installés en Allemagne, d’où ils diffusent des tracts signés parfois « Hizballah international » ;
  • la Bande Sfax (Jihad islamique), démantelée en Tunisie en 1992 mais dont certains de ses membres armés se sont installés en Iran, Afghanistan et Libye ;
  • le Mouvement de la tendance islamique, devenu En Nahda, qui avait été créé par Rachid Gannouchi, affilié aux Frères musulmans, et qui avait été subven­tionné jusqu’en 1990 par l’Arabie saoudite puis le Soudan, par l’intermédiaire de l’Iran.

Bien que les services de sécurité bénéficient, en particulier, de l’aide algérienne, les opposants tunisiens arrivent à rejoindre l’Europe en passant par l’Algérie.

Un spécialiste a précisé : « Il convient cependant de rappeler qu’à l’échelle du Maghreb, c’est d’abord en Tunisie que s’est installé le premier mouvement islamiste dans les années 70. Aussi ne faut-il pas se laisser abuser par cette image d’une trop parfait stabilité politique en Tunisie, qui n’est due, en fait, qu’à la forte répression qui s’exerce sur le pays4. »

On constate que, dans cette situation, le gouvernement tunisien a oscillé, de­puis des années, entre une politique répressive et une certaine libéralisation.

Algérie

  • Dans ce pays, les services de renseignement ont été mis en place par le FLN

pendant la guerre subversive.

  • En 1955, un centre d’écoutes radiophoniques avait été créé à Oudja par le chef de la wilaya Abdelhafid Boussouf, avec l’aide de son adjoint, Houari Boumedienne, futur président de l’Algérie. « Grâce aux écoutes du trafic en clair, le FLN est en mesure de suivre les déplacements des unités françaises dans l’Ouest algérien, ce qui lui permet d’éviter les accrochages défavorables et de tendre des embuscades5. »
  • En 1956, existait aussi à Nador (ex-Maroc espagnol) un centre de transmis­sions et d’écoutes qui fonctionnera malgré des conditions difficiles.

-À partir de 1960, les dirigeants du FLN mettront en place des services spé­ciaux qui seront connus sous le nom de MALC (Ministère de l’Armement, des Liaisons générales et des Communications).

  • Dès la formation du gouvernement provisoire de la République algérienne en 1958, le KGB acceptera de former les agents du FLN et une promotion ayant pour code Tapis rouge sortira de ses écoles communistes.
  • En 1962, seront formés les cadres de la Sécurité militaire, sous l’autorité de l’armée et du président de la République algérienne6.
  • Les structures officielles du renseignement

Elles sont un pilier du régime et comportent plusieurs services dont les noms et les responsables changent régulièrement. On peut citer ces services qui sont subor­donnés à trois ministères.

  1. a) Ministère de la Défense
  • Service de la sécurité spéciale, responsable de la protection du gouverne­ment et contrôlant les autres services
  • Département du renseignement et de la sécurité, qui devrait normale­ment remplacer la Sécurité militaire et qui dispose d’un service « Action » pour les opérations spéciales
  • service de contre-espionnage, pour lutter contre les mouvements rebelles
  1. Ministère de l’Intérieur
  • Service de sécurité intérieure, qui assure le renseignement au profit de la police
  1. Ministère des Affaires étrangères
  • Direction de la documentation et de la sécurité extérieure, qui a des

antennes dans les ambassades à l’étranger

  • Office de coordination de la sécurité du territoire, créé en 1995 et chargé du renseignement contre le terrorisme

3) Les activités

Depuis l’indépendance, les services secrets algériens ont utilisé deux politiques :

  1. L’aide aux mouvements subversifs dans d’autres pays, par exemple :
  • l’Organisation Abu Nidal (ANO), groupe palestinien issu du FATAH en

1974 ;

  • le Front populaire de libération de Saguia el-Hamra et du Rio de Oro, Front polisario
  1. un durcissement face à la montée du terrorisme islamiste en Algérie et luttes contre les séparatistes touareg7.

Maroc

Les services de renseignement doivent leur origine, entre autres causes, à la ten­tative manquée de coup d’Etat, en 1973, du général Oufkir qui était le directeur de la Sécurité générale. Le roi décida alors de restructurer les services qui avaient été et resteront toujours marqués par l’influence française.

1) Organisation

On compte cinq services, qui sont coordonnés et se chevauchent plus ou moins :

  • La Direction générale des études et de la documentation (D.G.E.D.). C’est un service de renseignements extérieurs.
  • La Direction générale de la surveillance du territoire (D.G.S.T.). Elle s’in­téresse à la sécurité intérieure et à la lutte contre les intégristes.
  • Les Renseignements généraux, qui dépendent du ministère de l’Intérieur et fournissent les informations politiques et sociales à la police.
  • La Direction du renseignement militaire.
  • La Direction de la sécurité militaire. Ces deux derniers services fonction­nent au sein du ministère de la Défense.

2) Les activités

Les services marocains collaborent activement avec la France, ainsi que l’Italie et l’Espagne et, parfois, avec des services arabes.

En voici quelques exemples :

  • En septembre 1976, la D.G.E.D. marocaine a signé un accord avec les services français de Documentation extérieure et du contre-espionnage (SDECE) qui aboutit à la création du club safari, dirigé par Alexandre de Marenches et regroupant aussi des spécialistes iraniens, saoudiens, égyptiens et zaïrois.
  • En 1978, la D.G.E.D. a aidé le gouvernement français à effectuer des livrai­sons d’armes et de matériel au mouvement de Jonas Savimbi, L’Unita, qui luttait contre le régime procommuniste de Luanda8.
  • En 1983, les services marocains se sont associés au Midi-Club qui regroupe la France, la Tunisie, l’Italie et l’Espagne pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé dans le monde m méditerranéen.

En conclusion, on peut dire que, dans l’ordre mondial actuel, les services de ren­seignement en Afrique du Nord, dont plusieurs sont de très haut niveau, travaillent souvent avec les pays occidentaux. Ils ne doivent donc pas être utilisés par certains impérialistes qui tentent souvent d’asseoir leur puissance par une diplomatie du gazoduc.

Notes

  1. SALIFOU A., La question touarègue au Niger, Karthala, 1993
  2. YOUSAF M., Silent Soldier, Lahore, 1991
  3. Article Tribalisme planétaire, in : Revue Panoramique, 1992
  4. RONDOT P., article Tunisie et islam, in revue Défense nationale, mars 1991
  5. FAURE J.P. et D’AUMALE G., Guide de l’espionnage et du contre-espionnage, Le Cherche

Midi, 1998

  1. HARBI M., Le drame algérien. Un peuple en otage, La Découverte, 1994
  2. CARLIER O., Entre nation et jihad, histoire sociale du radicalisme algérien, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1995
  3. SAVIMBI J., Combats pour l’Afrique et la démocratie, Favre, 1997
    Bibliographie

BAUD J., Encyclopédie du renseignement et des services secrets, Lavauzelle, 2e éd., 1998 BAUD J., Encyclopédie des terrorismes, Lavauzelle, 1999 CHARNAY J.P., L’Islam et la guerre, Fayard, 1986 LABEVIÈRE R., Les dollars de la terreur, Grasset, 1998

MARTEL A., La Libye (1835-1990), essai de géopolitique historique, P.U.F., 1991 TEBIB R., Les services de renseignement dans le monde islamique, L’Aencre, 2001

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1 commentaire

  1. Prise d’otage de deux touristes Suisses par l’hôtel kenzi Rose Garden à Marrakech, qui porte préjudice au tourisme.

    https://agencedepressepanafricaine.com/maroc-arnaque-de-touristes-lhotel-kenzi-rose-garden-a-lindex.

    L’article a été publié dans 240 journal&Magazine à l’international.

    Je suis Suisesse d’origine Marocaines j’habites en Suisse

    La ministre de tourisme et les autres ministères sont inaccessibles y compris celle des affaires. Veuillez transmettre mon message aux autorités Marocaines.

    Monsieur Kabbaj le président de la confédération du tourisme -CNT- Lui-même le Président du groupe Kenzi hôtels.N’ayant pas réussi à me faire renoncer, il a menacé ma famille au Maroc, a envoyé deux personnes au domicile de mes parents alors que j’habites en Suisse. J’ai peur pour ma famille, pour moi-même.

    Avec mes meilleures salutations

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