Daech, Yémen et Moyen-Orient

Général (2S) Henri Paris
Président de DÉMOCRATIES
La péninsule arabique, après des dizaines d’années de calme, devient une région où règne la plus
absolue confusion du fait d’un Yémen en perpétuelle guerre civile. L’Arabie saoudite, prenant la
tête du Conseil de coopération du Golfe, intervient au Yémen, y compris avec des troupes au sol.
La confusion gagne le Moyen-Orient où Daech, l’État islamique, prétend ressusciter le califat sur
les territoires syriens et irakiens. S’y ajoute un contexte international des plus troublés.
Le Conseil de coopération du Golfe, les Français et les Américains et 20 autres États forment
une coalition en lutte contre Daech, sans pouvoir éteindre leurs contradictions. La majeure est
l’attitude vis-à-vis de Bachar al-Hassad contre lequel la France maintient une opposition intransigeante,
bien qu’il soit opposé à Daech. Seuls les Iraniens matérialisent leur aide par l’envoi de
troupes au sol.
The Arabian Peninsula, after decades of calm, has become a region where reigns the most absolute confusion
because of a Yemen in perpetual civil war. Saudi Arabia, taking the lead of the Gulf cooperation
council, has again intervened militarily in Yemen, including with ground troops.
In the Middle-East, Daesh, the Islamic State is creating confusion, claiming to be resuscitating the
Caliphate on Syrian and Iraqi territories. All this in a most troubled international context.
The Gulf Cooperation Council, the French and the Americans and 20 other States are forming a coalition
against Daesh, but contradictions persist. The main attitude concerns Bachar al-Hassad against
whom France maintains an uncompromising opposition although he too struggles against Daesh. Only
the Iranians materialize their aid with ground support troops.
Au début des années 2010, le monde arabe fut secoué par une série de troubles
dont l’épicentre se situait en Tunisie. De proche en proche, l’agitation gagna tous
les pays arabes.
La péninsule arabique ne pouvait rester à l’abri des troubles qu’occasionna le
printemps arabe. Ces troubles n’y atteignirent pas une densité comparable à ceux
qui déferlèrent sur la Tunisie, l’Égypte et la Syrie, mais il fallut qu’en 2011, l’Arabie
Daech, Yémen et Moyen-Orient Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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saoudite dépêcha des troupes pour ramener le calme à Bahreïn sous peine de contagion
de l’insurrection qui tirait son origine tant de sources sociales que d’une opposition
entre une forte majorité chiite – 60 % des 790 000 habitants – et la minorité
sunnite. La direction du pays est assurée par des sunnites. À part donc des troubles au
Bahreïn, rapidement matés, l’ensemble de la péninsule arabique ne connut qu’une
faible agitation, à l’exception du Yémen, déjà en état d’insurrection chronique.
La raison originelle de ces troubles, un incident mineur en Tunisie, donna lieu à
une insurrection, le Printemps arabe qui de proche en proche gagna tout le Maghreb
et le Moyen-Orient. La raison en était des problèmes sociaux et tribaux. D’aucuns
réclamaient un système politique démocratique, d’autres élevaient des revendications
religieuses. Parallèlement, des organisations terroristes, la plus connue étant
Al-Qaïda qui préexistaient, se développèrent sur ce terreau fertile, s’en prenant non
seulement aux Européens, mais aussi aux dirigeants arabes. Seule la stricte observation
des principes religieux issus du Coran et de la Charia étaient susceptibles de
juguler la corruption, mal endémique qui rongeait tous les gouvernements arabes
et s’opposait au développement social. L’analyse du mal, la corruption, était assez
juste. Le remède était plus discutable, car sa revendication aboutissait entre autres, à
l’instauration d’un califat. Cela revenait à l’intégration de la Charia dans le système
gouvernemental. La séparation des pouvoirs religieux et politiques disparaissait.
Somme toute, toutes choses étant égales par ailleurs, il s’agissait d’instaurer un pouvoir
imprégné de la foi sunnite à l’instar de l’Iran qui lui, s’était doté d’un pouvoir
qu’imbibait le chiisme. C’est la raison de l’apparition de l’État islamique qui le
dispute au Printemps arabe qui se veut démocratique.
Le dernier califat avait été dirigé par la Turquie et avait été aboli en 1918 par
Mustapha Kémal, Ataturk, devenu président de la République à la suite d’un coup
d’État qu’il avait monté pour renverser le sultan, commandeur des croyants et souverain
temporel autant que spirituel. Mustapha Kemal estimait que ce régime était
responsable de l’arriération de la société turque et de son gouvernement. Le califat,
Daech, a ainsi été restauré le 29 juin 2014, par Al-Baghdadi, successeur d’Al-Zarkaoui,
à la tête d’un mouvement révolutionnaire particulièrement rigoriste, âpre,
violent et antioccidental. À titre d’exemple, Daech s’était livré, en 2015, lors de
la prise de Mossoul, à la destruction du musée au motif qu’il s’agissait d’idoles.
Qu’importe que ce soit des œuvres d’art ! L’importance historique, artistique et
ethnologique était alors secondaire.
L’agitation avait gagné, entre autres, le Yémen où elle se doublait d’une guerre
civile intertribale depuis une trentaine d’années. Et comme il se doit, à cette guerre
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civile se mêlait une intervention étrangère, tant des Américains que des Saoudiens
prenant la tête du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Cette intervention
armée revêtait l’aspect d’une première innovation car si les Saoudiens étaient déjà
intervenus militairement, c’était bien la première fois, qu’entraînant le CCG en
tant que tel, ils se lançaient dans une lutte armée massive, après leur intervention
à Bahreïn qui, de fait, n’était qu’une opération minime de maintien de l’ordre, un
ordre troublé par une minorité chiite se drapant des couleurs de la démocratie. En
l’occurrence, les Saoudiens intervenaient au sol en riposte à des attaques prononcées
par les insurgés zaïdistes et à partir du ciel par des bombardements.
Le CCG venait ainsi en renfort d’attaques américaines par drones qui avaient
frappé Nasser Al-Ansi en avril 2015 à Moukalla avec d’autres combattants. Nasser
Al-Ansi avait revendiqué l’attaque contre Charlie Hebdo au nom d’Al-Qaïda dans
la Péninsule arabique (AQPA). Il avait, par ailleurs, porté l’entière responsabilité de
l’exécution de Luke Somers, journaliste américain et de Pierre Korkie, Sud-Africain,
tous deux détenus comme otages.
Après une analyse de la situation politico-militaire qui régit le Yémen et le
Moyen-Orient l’examen portera sur les enjeux, objet de la lutte à laquelle se livrent
les différentes factions, aussi bien dans la péninsule arabique qu’au Moyen-Orient.
Un essai de prospective conclura l’étude.
Situation géopolitique du Yémen
Le Yémen unifié offre une surface sensiblement égale à celle de la France continentale.
Il est peuplé de 26 millions d’habitants en 2012, égaux pour moitié entre
sunnites chafistes et chiites zaydistes. L’immense majorité du pays est désertique.
Cependant, les ressources pétrolières sont prometteuses, découvertes datant des années
1980 et attirant bien des convoitises. Le Yémen du Nord et celui du Sud sont
unifiés par des accords signés en 1990, avec pour président Ali Abdallah al Saleh,
président d’un parti d’inspiration marxiste, le « Congrès populaire général ». Cette
unification, réalisée à la suite de longues guerres civiles, n’est cependant que de
façade. Depuis 2004, le pouvoir central est confronté à une rébellion zaïdiste, une
branche modérée du chiisme qui se différencie des chiites duodécimains iraniens
mais en reste proche. Elle est implantée dans le nord et le nord-ouest du Yémen.
Dans le sud sunnite, s’ajoute à la guerre religieuse une répression des mouvements
sociaux à l’encontre des sunnites, ce qui favorise un courant séparatiste. L’instabilité
chronique du pays le conduit à être en proie à une guerre civile permanente.
Aucune solution n’apparaît. Le président Al-Saleh, pourtant zaïdiste, est détrôné à
Daech, Yémen et Moyen-Orient Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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son tour, au profit d’Al-Rabbo Mansour Hadi, zaïdiste lui aussi, au pouvoir donc
en juin 2015, mais pour combien de temps ? La guerre civile oppose les zaïdistes
prenant la dénomination de leur premier dirigeant Hussein Al-Houthi, abattu en
1997, Houtis.
Les salafites et les wahhabites sont venus ajouter à la confusion par leurs interventions
armées. AQPA est venu insérer une dose de confusion supplémentaire.
Les Houtis, du nom de leur premier dirigeant, s’appuient sur les tribus chiites du
sud de l’Arabie saoudite et n’ont pas hésité à porter la guerre sur le territoire saoudien.
De fait, le pays est le théâtre d’une guerre par procuration entre Saoudiens et
Iraniens. Chacun des camps soutient matériellement les siens, notamment par des
envois d’armement. Les Américains, en soutien des Saoudiens et en opposition aux
Iraniens, ne sont pas en reste. L’aviation et l’artillerie navale saoudienne ont pris
pour cible le port d’Aden en mai 2014.
Cette région du globe offre essentiellement l’intérêt, par la base et le port
d’Aden, de commander le détroit de Bab el Mandeb, avec Djibouti, c’est-à-dire les
débouchés de la mer Rouge. L’Arabie saoudite a entrainé dans le conflit, à ses côtés,
le CCG qui comprend l’ensemble de la péninsule arabique à l’exception du Yémen.
Le Conseil de coopération du Golfe
Ce Conseil (CCG) regroupe six pétromonarchies de la péninsule arabique :
l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, les Emirats arabes unis (EAU) Bahreïn et le
Qatar. Cela représente 49 millions d’habitants en 2015.
Le CCG a été créé le 25 mai 1981, sous l’impulsion de l’Arabie saoudite et la
pression des États-Unis, dans le but officiel de conforter la stabilité sociale, économique
et politique des six pays membres et donc de la Péninsule.
Le secrétaire général de l’organisation, à la tête d’un secrétariat très restreint est
choisi parmi les six membres du CCG avec une priorité pour l’Arabie saoudite, ce
qui souligne sa prééminence. Un sommet annuel réunit les chefs d’État. C’est à ce
sommet, à Ryad, qu’est invité pour la première fois, en mai 2015 un étranger, occidental
de surcroît, François Hollande, président de la République française. Existe
également un conseil des ministres des Affaires étrangères.
Le Yémen, malgré ses demandes, a été écarté du CCG car il était le siège d’une
instabilité sociopolitique chronique contre laquelle, très exactement, la création
du CCG cherchait à se défendre. Plusieurs autres raisons militaient en faveur de
sa création. Les régimes monarchiques des États-membres demandaient à être
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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préservés, de même que leurs intérêts vis-à-vis du conflit irano-irakien, quel qu’en
soit le vainqueur. Par ailleurs, il était prévu de conduire une politique commune au
sein de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Une vision politique
devait éclore, ce qui présumait l’existence d’une force armée commune, qui
en 2015 reste un vœu pieux, de même que l’élaboration d’une monnaie commune
sur le modèle de l’Union européenne.
En revanche, une intervention militaire au Yémen entrait parfaitement dans le
cadre politique du CCG. En prit la tête l’Arabie saoudite, ne serait-ce que parce
qu’elle était un but de l’attaque des Yéménites houtis. Les essais de coopération
militaire ne sont pas allés plus loin. Un accord de sécurité intérieure a été signé
en 1982 à la suite d’une tentative de putsch à Bahreïn (déjà) en 1981. Au niveau
militaire, les forces armées de l’ensemble agencent, depuis 1983, des manœuvres
communes annuelles, Bouclier de la Péninsule. Le sommet politique, au niveau
suprême, est organisé annuellement dans chacune des capitales et ordonnance ces
manœuvres, ainsi que les interventions projetées.
Les forces constituant Bouclier de la Péninsule forment une « force de déploiement
conjointe » dont le quartier général a été implanté en Arabie saoudite, à
Hafar al-Batin. Son commandement est saoudien, ce qui souligne derechef la pré-
éminence de l’Arabie saoudite dans l’organisation. En arrière-fond se tient un étatmajor
américain, ce qui ne manque pas de causer des grincements de dents. Mais
en 2015, il faut bien s’incliner devant la puissance que représente la 5ème flotte
américaine, dont le cœur d’action est situé dans le golfe arabo-persique. Sa base a
d’ailleurs été transférée de l’Arabie saoudite au Qatar.
Autre base primordiale, tenue par les Occidentaux, Abou Dhabi, aux EAU, par
les Français.
Il n’en demeure pas moins que les forces des États du CCG ayant participé au
conflit contre l’Irak étaient regroupées au sein des Joint Forces Command East et des
Joint Forces Command North en compagnie d’autres alliés, dont les forces françaises,
lors du premier conflit contre l’Irak.
L’harmonie ne règne pas au sein du CCG. L’Arabie saoudite y joue un rôle dirigeant.
C’est ce qui explique l’échec de la création d’une monnaie commune. Les
autres États craignant, par trop, que l’Arabie saoudite ne joue un rôle trop directorial.
Dans sa lutte contre les Houtis yéménites, l’Arabie saoudite joue un rôle essentiel
tant au plan militaire que diplomatique, en envoyant des forces à la frontière
yéménite, livrer combat aux Houtis. Par ailleurs, elle conduit la CCG derrière elle.
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Les principes développés par le CCG sont d’étrangler la sédition houtie au
Yémen, tant parce qu’il y est opposé au plan religieux et social que parce qu’il est
allié à l’Iran chiite, l’ennemi abhorré depuis 1979 et même avant. Le ciment de
cette alliance est la lutte contre l’ennemi commun qu’est Daech.
Dans sa croisade, l’Arabie saoudite avec le CCG sont arrivés à attirer différents
pays arabes dont, notamment, le Maroc qui y a perdu un avion en mai 2015, lors
de la campagne de bombardements contre les positions houties. C’est dans cette
option que la France est invitée au sommet du CCG.
Par ailleurs, le CCG s’écarte de la politique américaine, souhait de longue instance,
dont le poids était jugé trop pesant, voire dictatorial ainsi que le discours
trop moralisateur à l’égard des droits de l’homme, appliqués à la politique interne.
L’Arabies saoudite, dans cette ronde, mène le rôle dirigeant.
La France est un allié tout trouvé. Elle souhaite conclure des marchés avec l’Arabie
saoudite pour redresser une balance des paiements extérieurs, déficitaire en permanence.
Il s’agit aussi d’effacer l’effet pernicieux financièrement que représente le
refus d’une vente déjà conclue avec la Russie de deux bâtiments Mistral, bâtiments
de Projection et de Commandement (BPC). Il est maintenant nécessaire de payer le
dédit et le remboursement à la Russie, sans compter l’altération des relations diplomatiques.
La France, à ce sujet, a du céder à la pression des États-Unis, conduisant
les alliés de l’OTAN, surtout les Polonais qui n’étaient pas en reste. Réponse du berger
à la bergère, les Russes refusent au président Hollande, venu négocier de la dette
à Moscou, toute revente des Mistral dont la marine française n’a pas l’usage dans ses
plans. Le refus de vente se base sur une clause de non-réexportation, classique dans
les marchés d’armement.
En revanche, la France compte à son actif la concrétisation de la vente de
24 avions Rafale au Qatar, au détriment du concurrent américain, pour quelque
six milliards d’euros. Les Français espèrent ajouter à ce contrat réalisé, une dizaine
d’autres commandes d’un montant au moins similaire.
À ce volet économique antiaméricain, s’ajoute la politique française au MoyenOrient
non exempte de contradiction. La France maintient une position intransigeante
à l’égard de Bachar al-Hassad en Syrie et des dirigeants iraniens.
La France se situe rigoureusement contre Bachar al-Hassad, refuse tout compromis
avec lui et même toute négociation dont le premier article serait son départ. En
cela, elle diffère des États-Unis qui ont changé leur fusil d’épaule devant la hantise
de l’instauration d’un califat islamique dirigé par le calife al-Baghdadi, un véritable
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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épouvantail dont Washington n’a pris que très tard la mesure. Et pourtant, Paris
évalue bien le danger de l’instauration de Daech.
Dans cette option, Paris est farouchement opposé à Moscou qui soutient Bachar
al-Hassad, en nourrissant la même crainte à l’égard d’un nouvel État islamique,
susceptible d’entretenir à terme tous les terrorismes caucasiens. Pékin est en retrait,
mais partage la position russe. Les Chinois sont opposés aux séparatistes, tant tibé-
tains qu’ouighours, ce qui entraîne une politique opposée à tout islamisme. Les
alliés de l’OTAN se gardent bien de prendre parti : une opposition envers les ÉtatsUnis
leur paraît être une initiative trop forte, rompant une politique quelque peu
craintive à l’égard de Washington. Seule l’Allemagne pourrait rejoindre la France,
si elle abandonnait, cependant, sa politique de compromission au Moyen-Orient.
Washington, dans son renversement des alliances, va jusqu’à armer les peshmergas
qui représentent une force valable opposée à Daech, le califat, mais aussi à Ankara.
Une vieille exécration entretenue entre les Turcs et les Kurdes amène les prises de
position pour ou contre Daech, d’autant plus qu’Ankara a adopté une politique islamiste
modérée. Cependant, en ce qui concerne les Kurdes, les Turcs sont unanimes
dans une opposition qui confine à une haine tenace, dont découle une opposition
à la politique américaine.
La France, pourtant, dans ce cas de figure, fait cause commune avec les ÉtatsUnis,
dans son opposition désormais virulente contre la Turquie, l’allié d’hier au
sein de l’OTAN.
Cependant, la France nourrit un autre sujet de discorde avec les États-Unis,
sujet qui la range aux côtés du CCG : la politique vis-à-vis de l’Iran.
Les États du CCG ont la hantise d’une puissance iranienne trop importante.
Que Téhéran se dote de l’arme nucléaire serait un désastre ! L’option est partagée
par la France qui défend du bec et des ongles le traité de non-prolifération (TNP).
Il y a donc accord avec le CCG et les États-Unis. Il en découle que toute négociation
avec l’Iran passe par le respect absolu du TNP, avec une limitation numérique
des centrifugeuses et la mise en place des équipes ad hoc, avec leur matériel d’inspection
du Centre de l’Energie Atomique (CEA). Les Américains, dans la négociation,
seraient moins rigoristes, ce qui promet la possibilité d’un accord. De là
proviendrait une conséquence que la CCG estime presque aussi funeste. En effet, le
terme exigé par l’Iran en échange de l’abandon de son programme nucléaire (pour
combien de temps et sous quels aspects ?) serait la levée des sanctions. En sus d’un
renouveau de son économie, l’Iran, en toute première option, exigerait le dégel de
120 milliards de $ qui lui reviendrait, entreposés dans le système bancaire contrôlé
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par les Américains. Ce flot de devises serait au moins partiellement déversé afin de
soutenir les houtis au Yémen et Daech dans sa lutte au Moyen-Orient.
Les Français sont moins obsédés par le problème, parce qu’il les concerne moins
à terme immédiat et qu’ils n’ont pas la même vision planétaire que les Américains.
Ils n’en sont pas moins inconscients de leur dogme qui les tient prisonniers. Les
Français veulent le respect absolu du TNP sans concession.
Quant aux pétromonarchies, la solution qui leur convient est le maintien du
statu quo. Toute autre solution leur est défavorable. Elles sont donc opposées à tout
compromis qui aurait l’accord des Américains et elles rejoignent les Français. Se
trouve ainsi expliqué un raidissement vis-à-vis des Américains et un terrain commercial
d’entente avec les Français.
Leur dilemme conduit les pétromonarchies à se rapprocher des Français
pour faire pièce aux Américains. Effectivement, elles n’ont pas voix au chapitre
des négociations avec l’Iran. Les seuls à l’avoir sont les cinq membres permanents
du Conseil de sécurité de l’ONU (États-Unis, Grande-Bretagne, Chine, France,
Russie) auxquels s’ajoute l’Allemagne. Donc, au cas où les États-Unis, vraisemblablement,
estimeraient nécessaire un compromis, quel qu’il soit, qui lèverait
ou adoucirait les sanctions, il serait intéressant d’avoir pour allié la France afin de
contrer Washington. Le minimum à atteindre est de durcir le compromis afin que
les sanctions ne soient pas entièrement levées. La solution optimale, dans le cas d’un
compromis avec les Iraniens, serait une levée, aussi mineure que possible des sanctions,
contre une assurance inhibant toute fabrication d’une arme nucléaire. Dans
cette option, le CCG a besoin de la France, ne serait-ce que parce qu’il n’a pas voix
au chapitre des négociations.
Les pétromonarchies, et derrières elles, les Occidentaux, ont bien conscience
à terme d’un compromis pouvant aboutir à l’obtention par les Iraniens de l’arme
nucléaire. Les Américains n’en sont que moyennement meurtris : il leur en coûtera
un effort supplémentaire en matière d’armement antinucléaire, de missiles antimissiles,
afin de contrer les systèmes iraniens. En revanche, d’un mal survient souvent
un bien. Washington n’aura qu’à ramasser les fruits de sa politique qui feront de lui
les arbitres du Moyen-Orient.
Dans toute étude s’impose une conclusion. Celle-ci s’attache à une prospective.
Le très médiocre équilibre qui existait au Maghreb et au Moyen-Orient, au sein
d’une communauté musulmane, l’Ouma, de quelque 1 milliard 400 000 millions
de croyants, a été rompu en 2015.
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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L’acteur de la rupture est Daech.
La raison de la rupture est l’invraisemblable corruption qui ravage les milieux
dirigeants gouvernementaux arabes, et plus généralement musulmans.
Il faut comprendre : les peuples en ont assez et le net leur permet la connaissance
et les moyens de la contre-attaque. Déjà dans les États du CCG, il est question
d’établir une conscription. En 2015, les pays du CCG en sont encore à des armées
de mercenaires, peu instruits et surtout peu motivés. Il leur faut revoir leur copie
d’évidence, au moins quant à la motivation.
Ne peut durer encore bien longtemps le système de familles princières, comptant
une centaine de membres se partageant un amas d’or provenant des revenus du
pétrole et nourrissant de quelques prébendes des nationaux, tout en stipendiant un
clergé autochtone, un tel système reposant sur un inégalitarisme flagrant. Ne peut
pas plus durer le système d’une main d’œuvre servile, nombreuse, étrangère, payée
relativement à bas coût, mais renvoyée de jure à sa misère originelle au bout de cinq
ou six ans de manière à éviter des troubles sociaux massifs.
Quant à la stabilité politico-sociale dans la région, il ne peut en être question
tant que Daech poursuivra son succès.
Il est clair que Daech dans un horizon à court terme organisera son emprise
sur les territoires conquis en Syrie et en Irak, puis à moyen terme, augmentera son
empire sur l’ensemble de la Syrie et de l’Irak, c’est-à-dire à l’horizon de 2020. Par
la suite, Daech s’en prendra à la Palestine, à l’Égypte et au Maghreb. Pour peu que
Daech hérite des armements nucléaires que l’Iran aura mis au point, il deviendra un
acteur redoutable avec lequel les Russes, les Chinois et les Occidentaux, conduits
par les Américains, devront compter. Les perspectives de conflits armés prennent
corps dès 2017.
Les grands perdants dans cette aventure sont les Français, à moins qu’ils ne
trouvent les termes d’une négociation avec les Russes et les Chinois. Un choix stratégique
primordial se présente aux parties prenantes : qu’elles reconnaissent avoir
quelques intérêts communs, mais surtout un adversaire mortel et identique dans le
terrorisme matérialisé par Daech. La mise au point d’une stratégie commune exige
des compromis, donc des concessions.
Le 2 juin 2015, la coalition des 22 États réunis contre Daech tient ses assises
à Paris et met à nu les contradictions qui surgissent à la suite de la défaite irakienne
à Ramadi, à quelque 150 km au nord-ouest de Bagdad dont la route est ainsi
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ouverte. Le Premier ministre irakien Abadi se plaint de la coalition et, surtout, de
son manque d’aide. Les Américains sont les plus réticents car ils estiment que les
forces irakiennes, chiites, sont gangrénées par la corruption. Par ailleurs, en accord
avec les Français et les autres membres de la coalition, ils se refusent à envoyer des
troupes au sol. Ils se contentent de bombarder à outrance les positions de Daech.
Les Français mettent le comble à la contradiction, car à l’inverse des Américains, ils
se refusent à toute négociation avec Bachar al-Hassad, bien que ce dernier entraine
la Syrie contre Daech.
En revanche, Téhéran prend parti sans ambages en envoyant des troupes au sol
à l’aide de la Syrie de Bachar-al Hassad. C’est ce que confirme, le 1er juin 1915, le
général Ghassem Soleimani, le chef de la force Al-Quods, en charge des opérations
extérieures iraniennes. Quelque 10 000 hommes sont ainsi acheminés à Damas par
un mini-pont aérien. Le lendemain, le président iranien Hassan Rohani précise rester
au côté du gouvernement et du peuple syrien, jusqu’au bout du chemin, tandis
que les Russes envoient des signes d’éloignement.
L’imbroglio provoqué par Daech n’est pas à la veille d’être levé.

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