Algérie : un nationalisme de mutilation

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Tahar Khalfoune

Universitaire et chargé d’études à l’ONG Forum réfugiés à Lyon


Le choix de la conception jacobine de la nation adoptée dès 1962, dont les premiers jalons furent posés au cours du mouvement nationaliste des années 1920 et 1930, a eu pour conséquence immédiate la mobilisation de l’ensemble des instruments politiques, juridiques, idéologiques de l’État (constitutions, chartes, discours…) y compris l’école, les médias, l’histoire, le roman national… en vue d’une assimilation radicale à la seule norme sacro-sainte de l’arabo-islamisme.

Aujourd’hui, il est temps de s’affranchir de cette conception ethnoreligieuse inadaptée pour la concevoir sur la citoyenneté, car les pratiques politiques et sociales autoritaires et la culture patriarcale, consubstantielle à l’islam et ancrée dans les mœurs, a agi comme un puissant frein à l’émergence de l’individu citoyen. La citoyenneté s’entend ici dans le sens d’une double rupture avec le croyant et le sujet, pour que le citoyen devienne membre actif de sa communauté politique et concourt, par l’exercice de ses droits politiques, à la désignation des instances gouvernant son pays. Si les droits de l’homme sont des libertés, selon le juste mot de Jean Rivero, les droits des citoyens sont des pouvoirs.

The choice of the Jacobin conception of the nation adopted in 1962, the first milestones of which were laid during the nationalist movement of the 1920s and 1930s, had the immediate consequence of mobilizing all the political, legal and ideological instruments of the state (constitutions, charters, speeches, etc.), including the school, the media, history, the national novel, etc., with a view to a radical assimilation to the sole sacrosanct norm of Arabism.

Today, it is time to free ourselves from this unsuitable ethno-religious conception and to focus on citizenship, because authoritarian political and social practices and the patriarchal culture, which is consubstantial with Islam and rooted in the customs, has acted as a powerful brake on the emergence of the individual citizen. Citizenship is understood here in the sense of a double break with the believer and the subject, so that the citizen becomes an active member of his political community and contributes, through the exercise of his political rights, to the designation of the authorities governing his country. If human rights are freedoms, according to Jean Rivero’s apt phrase, citizens’ rights are powers.


Les propos du président Emmanuel Macron, tenus à l’occasion d’une réception offerte le 30 septembre 2021 au palais de l’Élysée, devant près d’une vingtaine de jeunes ayant tous des liens par leurs parents avec la guerre d’Algérie, ont été jugés outrageants suscitant l’ire des dirigeants algériens au point de provoquer une crise diplomatique entre les deux États. En s’interrogeant sur l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française, l’on peut dire qu’il a tout simplement reproduit un poncif colonial. Près d’un siècle avant le président Macron, l’universitaire colonial Émile Félix Gautier (1864-1940) arguant de « l’anarchie berbère » et de la domination ottomane pendant plus de trois siècles, a conclu à l’inaptitude des Berbères à s’organiser par eux-mêmes, à sortir d’une certaine forme de démocratie locale pour construire une nation.

Dans le même contexte, Ferhat Abbas, (président du premier gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de 1958 à 1961), défendant une politique d’assimilation par l’égalité des droits, soulignait en parlant de la patrie algérienne, avant de se raviser au début des années 1940 : « J’ai interrogé l’histoire ; j’ai interrogé les morts et les vivants ; j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé ». L’auteur a utilisé le terme « patrie » dans le contexte des années 1930 comme synonyme de nation puisque sa déclaration, devenue célèbre, commence par la phrase suivante « Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste… ».

Les communistes français, ayant joué un rôle non négligeable dans la genèse du mouvement national, considéraient l’Algérie comme une « nation en formation », cette idée est soutenue, notamment par Maurice Thorez en 1939, soit une construction historique inachevée, entravée par la colonisation, avant que leur position n’évolue en 1957, selon l’historien Jean-Pierre Vernant, vers une formule plus positive correspondant davantage à la vérité historique celle « d’une nation forgée dans les combats ». Le Parti Communiste Algérien (PCA), dans une Étude sur la nation algérienne, fait remonter la prise de conscience nationale à la répression sanglante des manifestations de mai-juin 1945 dont le bilan macabre s’est soldé par 20 000 morts environ. Quant à l’association des ‘uléma fondée en 1931, dans un contexte historique fortement marqué par la montée du salafisme et du panarabisme, défend une conception, comme nous le verrons plus loin, ontologique et essentialiste de la nation.

L’interrogation inattendue du président Macron sur la nation algérienne a, toutefois, le mérite de susciter un débat utile qui a longtemps fait défaut sur des questions cruciales tenant aussi bien à la nation, sa formation et son histoire qu’à la nature politique de la Régence d’Alger du début du XVIe siècle jusqu’à sa chute en 1830.

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