VERS UN NOUVEL ISOLATIONNISME

Général (cr) Henri PARIS

Président de Démocraties

Trimestre 2010

Le 21 AOÛT 2010, le président des États-Unis, Barack Obama, fidèle à sa pro­messe électo raie, fais ait entamer leur retrait d’Irak aux forceà opé rationn àlles amé­ricaines. Le 2 sàptàmbre 2010, soifs so n égide présidentielle , Baàack Ob ama tentait d’amener à renouer leue ciialogue entrà Pakstiniens àt Israéliàns, àn la peàsonne de Mahmoud Abbas el de Benyamin Netanyahou, tous deux: responsables éuprêmes.

Les deux faits sont contradictoires : les Américains se retirent-ils du Proche et du Moyen-O rien t ? du Moyen-O rknt uniquement ? Mais alors, si les Améeicains évacuent le Moyen-Orient, en l’occurrence l’Irak, qu’en est-il de l’Afghanistan ? Les deux problèmes ne sont-ils pas liés, comme l’avait déclar Washington en dé­clenchant les deux: guerres ? Làs Américains °ussi ne lèvent-ils pas la contradiction pour en soulever une autre ? S’Xé évacuent leure troupes, souhaitent-ils titre pré­sents au Proche et au Moyen-Orient, grâce à leur seule influences comme semble­raient l’indiquesleurs essais renouvelés de bons offices auprès des Palestiniene èt des Isreéltens ? ou y être présents par Israéliens interpoeés ? ou disposer d’une pièce suè l’échiquier qui les oppose aux Iraniens ? Alors, n’y a-t-il pas lieu encore de considé­rer ces bons offices comme un arb itrage déguisé ?

Autant de questions, autant d’hypothèses. Pour tenter d’y répondre, l’analyse jrotte en premkr lieu sur la situation e n Irak et en Afghanistan, telle qu’dle se présante à l’automne 2010 <eomme en prospective De là découle un bref essai vi­sant à1 paséer en revue les éventuels enjeux gœpditiques innovants ou anciens vers lesq[u,els se tourne désormais Washington, ainsi que leurs conséquences à atrendre dant i’arèna internationale.

Le concept de « Grand Moyen-Orient »

La tentative faite par l’exécutif américain, le 2 septembre 2010, de reprendre une initiative dans la relance du dialogue israélo-palestinien a pour but de gommer une bévue de taille commise en janvier 2006 à l’égard du Hamas qui avait emporté la majorité à la suite d’élections législatives tenues très légalement. La relance est réalisée avec Mahmoud Abbas, qui est du Fatah, donc acceptable, et on laisse le Hamas dans l’ombre. Cependant, le dialogue est remis en question, trois semaines après, le 25 septembre, par la rupture du moratoire sur la colonisation, opérée mal­gré les objurgations de Barack Obama.

En riposte à cette arrivée au pouvoir du Hamas, une organisation certes ter­roriste, les Américains et les Israéliens, entraînant dans leur sillage les Européens, rompent les relations avec les Palestiniens, se refusant à toute relations avec des terroristes. Le Hamas prenait la suite du Fatah de Yasser Arafat, décédé en 2004. Cependant, deux points sont à souligner. D’une part, Yasser Arafat avec son Fatah, tout prix Nobel de la paix qu’il ait été, n’avait pas négligé l’action terroriste. D’autre part, les Palestiniens avaient voté en masse non pas tellement pour le terrorisme du Hamas, mais contre la corruption éhontée du Fatah.

La condamnation américaine du Hamas s’inscrivait dans un processus antidé­mocratique. Les Occidentaux et les Israéliens se prétendaient champions de la dé­mocratie et repoussaient la sanction électorale des urnes ! L’antinomie était forte et manifeste. Cependant, à l’époque, elle était confortée par l’application du concept de « Grand Moyen-Orient », imaginé par les analystes du Pentagone et du secréta­riat d’État. Le concept de Great Middle-East, le « Grand Moyen-Orient », consiste à convertir de gré ou de force à la démocratie parlementaire l’arc islamique s’étendant de l’océan Atlantique jusqu’au Pendjab, du Maroc et de la Mauritanie jusqu’au Pakistan, avec une excroissance éventuelle somalienne. Ces pays représentent un peu plus du tiers du total de la population professant l’islam, soit 1 500 millions de croyants en 2010. Ce concept était l’axe directeur des politique et stratégie américaines. Il ne s’estompera qu’à partir de 2007, sous le poids des déconvenues, pour disparaître totalement avec l’élection de Barack Obama en novembre 2008. Cependant, il en subsiste des restes et de la nostalgie.

Le concept de « Grand Moyen-Orient » était étudié et caressé dès avant 2001, dès avant l’arrivée de George W. Bush au pouvoir. La riposte aux attentats du 11 sep­tembre 2001, sous forme du lancement d’une croisade anti-islamiste, concordait parfaitement avec l’analyse de l’équipe qui allait prendre les rênes du gouvernement américain de même qu’avec les conclusions qu’il fallait tirer de ces attentats. Il y avait également convergence des buts définis par l’enjeu auquel devaient s’attacher les États-Unis d’Amérique, en ce xxie siècle débutant.

Plusieurs éléments militaient en faveur de la crédibilité du concept et donc de son application.

Les états-majors politico-militaires américains étaient enfiévrés par leur victoire sur les Irakiens de Saddam Hussein en 1991. Ils avaient grossi l’importance de l’ennemi irakien au point d’en faire presque la troisième armée au monde, dans le but d’entraîner leurs alliés à leurs côtés. Ils avaient fini par s’intoxiquer eux-mêmes. L’Union soviétique s’effondrant, la route était ouverte sans risque d’intervention ex­térieure. La victoire, rapide, écrasante et au prix de pertes insignifiantes, permettait d’affirmer la prépondérance régionale et mondiale des États-Unis, en rassemblant leurs alliés sous leur bannière.

La contre-attaque engagée contre l’Afghanistan, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, avait été tout aussi foudroyante que la campagne de 1991 contre l’Irak. Les opérations n’avaient pas excédé quelques jours pour jeter à bas le régime des talibans et occuper l’ensemble de l’Afghanistan. Washington avait ac­tionné la Ligue du Nord, soutenue par des forces spéciales, et avait surtout anéanti les maigres forces talibanes sous les coups d’une toute-puissante aviation. Le soutien au terrorisme était tué dans l’œuf. Une sévère leçon était donnée à ceux qui osaient s’en prendre à l’omnipotente Amérique.

Chemin faisant, Washington avait raffermi son alliance avec le Pakistan, sommé de choisir entre l’appui et l’aide des Américains et les talibans et autres terroristes islamistes. Washington acceptait l’entorse que faisait Islamabad en n’adhérant pas au traité de non-prolifération nucléaire et en passant outre à l’interdiction d’accéder à une capacité nucléaire militaire.

Le même schéma allait se renouveler en avril 2003. Il s’agissait d’en finir avec Saddam Hussein et, comme en Afghanistan, d’installer un gouvernement ami et dévoué aux intérêts américains. En trois semaines de campagne, l’armée irakienne était détruite, le pays conquis et un proconsul, Paul Brenner, administrait le pays en transition d’un gouvernement national, issu d’élections organisées sous égide américaine. Certes, il y eut déception car, malgré toutes les investigations, il n’y eut aucune découverte d’une trace quelconque d’installations de recherche nucléaire. Pas plus que d’un hypothétique soutien à du terrorisme islamiste. Les accusations, prétextes à l’invasion, tombaient. En revanche, subsistait intégralement l’imputation, assenée au régime de Saddam Hussein, d’avoir été un régime dictatorial, tandis que les forces américaines et alliées apportaient la liberté et la démocratie.

Les Américains ne pouvaient pas concevoir que le monde, entre autres les pays musulmans faisant partie de l’arc considéré par le « Grand Moyen-Orient », n’ad­mire pas XAmerican way of life et donc les modes de société et de gouvernement qui y conduisaient.

Dans la foulée de leur victoire, les Américains s’attendaient à ce que les Iraniens plient et renoncent à leurs prétentions à la possession d’une capacité nucléaire mi­litaire.

L’application du concept de « Grand Moyen-Orient » était ainsi sur une très bonne voie. L’influence américaine était singulièrement renforcée sur la péninsule arabique riche en pétrole. De même, le pétrole irakien tombait dans l’escarcelle américaine, tandis qu’était à la veille d’être mis en œuvre le projet d’oléoducs et de gazoducs envisagés à travers l’Afghanistan, aux fins d’acheminer la ressource pétro­lière de la région de la Caspienne à l’océan Indien. Le Pakistan ne ferait pas obstacle à participer au transit.

Quant à l’Iran, le régime des mollahs, fragilisé, permettait d’y espérer une bascule.

L’échec du concept de « Grand Moyen-Orient »

L’erreur géostratégique des états-majors américains a été gigantesque, en Afghanistan comme en Irak.

Ils ont cru en une seule guerre classique, sans emploi de l’arme nucléaire, met­tant en ligne toute la capacité technologique et intellectuelle de la première puis­sance militaire du globe. Imbus de leur supériorité, oublieux de leur défaite viet­namienne sur le terrain, les Américains n’ont pas compris que les guerres d’Irak et d’Afghanistan ne se cantonnaient pas à une phase classique.

Ils ont méconnu les leçons de l’histoire militaire, aussi bien la leur que celle des autres. Ils n’ont pas pris en compte que, après cette première phase classique d’une guerre caractérisée par des opérations front contre front, par des manœuvres oppo­sant des troupes régulières, commençait une seconde phase marquée par la guérilla et le terrorisme.

Ce faisant, les Américains ont perdu l’initiative opérationnelle et ont été contraints de subir celle de l’adversaire en adoptant nécessairement une posture défensive.

Ils ont cherché à contre-attaquer par le premier système qui leur venait à l’es­prit : les représailles massives. Répondre à la terreur par la terreur, à la guérilla par la contre-guérilla fondée sur des opérations impliquant le contrôle militaire de vastes régions. Une chasse aux suspects effrénée a conduit à fouler au pied les valeurs dé­mocratiques que les troupes américaines étaient censées importer.

Les exactions américains se sont multipliées aussi bien à la prison d’Abou-Ghraib qu’en fondant un système de détention arbitraire dans la base de Guantanamo.

La situation est devenue inextricable, tant en Irak qu’en Afghanistan.

Voulant dégager une majorité gouvernementale conforme à un système démo­cratique, le pouvoir américain, très vite taxé d’être une puissance occupante, a or­ganisé une série d’élections.

La guérilla a répliqué par un redoublement des attentats, cherchant à dissuader la population du chemin des bureaux de vote. S’il n’y a pas eu réussite absolue, tout du moins les scrutins ont été entachés d’un arrière-fond de violence qui faisait douter de la légitimité de l’opération. La corruption des gouvernements, seconde nature qui imbibe tout système gouvernemental au Proche et au Moyen-Orient, a fait le reste. La caution du pouvoir américain a achevé le discrédit complet des ambitions de Washington.

Prenant amplement conscience de l’échec de la stratégie américaine en Afghanistan, le général Petraeus, commandant en chef, a tenté d’initier une nou­velle stratégie, la counterinsurgency strategy, visant la conquête des cœurs et des es­prits, et non plus des actions toujours plus brutales, avec des résultats discutables, mais causant des dommages collatéraux, c’est-à-dire au sein de la population civile, eux, en revanche, indiscutés. Mais, trop tard ! Comment enrayer la spirale de la violence, comment convertir les troupes à n’agir que contre des cibles dûment iden­tifiées, à se comporter en missionnaires et non plus en tueurs, alors que le contraire leur a été prêché à l’entraînement comme en opération ?

En Irak, Al-Qaida, très présent, a fait alliance avec les nostalgiques baasistes pour promouvoir une campagne de terrorisme visant à déstabiliser les élections législatives d’avril 2010. Si ces élections ont bien été tenues, c’est avec un tel coef­ficient d’irrégularités, avec en arrière-fond une telle insécurité permanente qu’elles ne peuvent être considérées comme valables. En outre, à plus de six mois, un nou­veau gouvernement n’a pu être constitué, tant à cause des irrégularités électorales qu’à cause de la lutte entre factions politiques et ethniques et du désir forcené du Premier ministre Nouri al-Maliki, toujours chargé d’expédier les affaires courantes, de se maintenir à la tête de sa majorité chiite.

C’est dans ces conditions que les forces opérationnelles américaines ont quit­té le pays, laissant sur place 50 000 hommes pour former des forces de sécurité proprement irakiennes. En même temps qu’il annonçait le début du retrait mili­taire, le président Obama mettait un terme à l’engagement militaire américain en Afghanistan : en 2012 au plus tard, avec un commencement de retrait fixé à juillet 2011.

Le schéma irakien se reproduit pratiquement à l’identique en Afghanistan. Al-Qaida n’y est guère présent désormais, deux cents à trois cents djihadistes au plus. En revanche, les talibans ont totalement en main la lutte antiaméricaine qu’ils mè­nent avec rage, en appliquant la même tactique que celle des djihadistes en Irak, le terrorisme, mais en le doublant d’une guérilla très efficace. Ils ne sont pas arrivés à empêcher le scrutin législatif du 18 septembre 2010. En revanche, les attentats ont fait régner un tel climat d’insécurité et les irrégularités dénoncées ont été tellement nombreuses que les élections n’ont aucune crédibilité. Le motif de ces irrégularités est pour une part le même qu’en Irak : la volonté frénétique du président Hamid Karzai de se maintenir au pouvoir, se refusant au risque d’avoir un parlement qui ne soit pas à sa dévotion. Vieille habitude, d’ailleurs ! En 2009, l’élection d’Hamid Karzai avait été entachée de telles malversations que la Commission de contrôle, poussée par les Américains, avait invalidé le premier tour de scrutin qui lui donnait la majorité absolue. L’autre candidat, comprenant qu’un deuxième tour renouvelle­rait les mêmes malversations, s’était retiré pour conserver intact son rôle de princi­pal opposant dans les rangs de la Ligue des ethnies tadjike et ouzbèke.

Le terrorisme et la guérilla ont trouvé ainsi de nouveaux aliments tandis que la démocratie était d’autant décrédibilisée.

Cependant, l’événement majeur sonnant le glas des Américains en Afghanistan est le terme mis par le président Obama à leur présence militaire. Dès lors, les ta­libans n’ont plus qu’à jouer la montre avec leur mot d’ordre : être et durer tout en maintenant la pression. Or, non seulement ils maintiennent la pression, mais ils l’augmentent.

Hamid Karzai négocie séparément avec les talibans. C’est à se demander s’il s’agit de naïveté ou d’une erreur de jugement politique permanente. Les Américains le désavouent. Son espoir est-il de faire partie d’un gouvernement taliban ? Tout au plus, comme Nouri al-Maliki en Irak, sera-t-il une pièce temporaire d’un gouver­nement de transition, établi le temps du délai imparti à l’évacuation ultime d’une présence américaine. Ensuite, l’attend toujours, tout comme Nouri al-Maliki, un exil que les fonds de sa corruption auront rendu doré !

Déjà, sous l’administration de George W. Bush, depuis la fin 2007, Washington avait mis une sourdine sur le « Grand Moyen-Orient ». En 2010, il y a reconnais­sance de facto de l’échec non seulement de l’application du concept, mais aussi du concept intrinsèquement. Quant aux guerres d’Afghanistan et d’Irak, engagées respectivement en 2001 et 2003, elles sont perdues : le retrait sans avoir atteint le but affiché est là pour le prouver.

Les pertes humaines américaines lors de ces deux guerres, au 1er octobre 2010, se montent à quelque 10 000 tués et quatre fois plus de blessés. Elles sont donc supportables, en regard des pertes subies au Viêtnam dans les années 1970 par les Américains, quelque 80 000 tués par les Français en Algérie durant les années 1950-1960, quelque 30 000 tués, et en Afghanistan durant les années 1980 par les Soviétiques, de l’ordre de 30 000 hommes. Les coûts des deux guerres, à la même date, dépassent 1 000 milliards de dollars, ce qui contribue à approfondir les défi­cits américains, mais est également supportable en s’étendant sur dix ans. Le fiasco du « Grand Moyen-Orient » provient donc indéniablement d’une faute originelle au niveau de la réflexion stratégique et politique.

Reste à en apprécier les conséquences.

Les conséquences de l’échec américain en regard du recentrage politique

L’échec au Moyen-Orient étant avéré, Washington n’en a pas pour autant l’in­tention d’abandonner son influence sur la grande zone considérée, mais de la limi­ter, tout en conservant les autres acquis. C’est ce que prouvent les efforts américains de renouer le dialogue israélo-palestinien et donc, en dehors de servir les intérêts de leur allié israélien, de ne pas perdre pied au Proche-Orient.

Les autres buts stratégiques des Américains sont de raffermir leur position en Asie centrale, notamment dans la région de la Caspienne, comme de renforcer leur rôle vis-à-vis des Européens, par le biais de l’OTAN, ainsi que de consacrer plus d’attention à leur présence en Afrique et en Amérique latine. Un facteur commun lie l’ensemble de ces problèmes : la ressource énergétique représentée par le pétrole, de même que la volonté affirmée de ne pas renoncer à un rôle dirigeant dans les affaires du monde. Dans ce cadre, il fallait bien se débarrasser de ce concept de « Grand Moyen-Orient », manifestement erroné, comme des moyens hypothéqués dans deux guerres interminables et tout aussi manifestement perdues.

Le contrôle de la Caspienne et de ses ressources pétrolières ne peut plus être unilatéralement aux mains de Washington. La Maison-Blanche le comprend : il faut composer avec les Russes. De même que la sauvegarde de l’influence améri­caine sur le Pakistan passe par une entente avec les Russes. C’est ce qui explique les négociations engagées avec les Russes, donnant lieu au traité Start follow-on sur la réduction des armements stratégiques. Certes, cette réduction n’a rien à voir avec un désarmement nucléaire total, proclamé à grand éclat par le président américain à Prague en 2009, mais elle ne contredit pas ce désarmement. En outre, et c’est bien son but partiel, la négociation a permis de retrouver la voie d’autres tractations portant sur les intérêts américains en Asie centrale. Est également concernée une coopération dans la lutte contre le terrorisme.

Le recentrage américain avait bien besoin d’être débarrassé des fardeaux irakien et afghan, ne serait-ce que pour la sauvegarde des positions américaines restantes au Moyen-Orient. Or, cette sauvegarde sera bien compliquée.

A déjà été évoquée une vérité d’évidence : le retrait américain d’Irak et d’Afgha­nistan ne peut se passer sans séquelles importantes. En Irak, en se cantonnant dans leurs bases hermétiquement fermées, les troupes américaines chargées de former une force de sécurité nationale ne sont plus en mesure de tenir le pays. Il en dé­coule très simplement un renouveau de la lutte des factions entre Irakiens, factions représentant autant d’ethnies. Autre solution, un renouveau d’un quelconque parti baasiste se plaçant au-dessus des ethnies et des questions religieuses. Les chiites, plus ou moins appuyés par Téhéran, sont aussi à même de conserver le pouvoir, mais pas avec Nouri al-Maliki, trop compromis avec les États-Unis, réputés puissance occupante. De toutes les manières, le futur gouvernement irakien ne peut qu’être fortement marqué par deux caractéristiques : l’antiaméricanisme et le césarisme, voire la dictature. L’un des premiers actes politiques de ce gouvernement sera de ré­clamer le départ de toutes les troupes américaines restantes sur le territoire national, si cela n’a pas été encore réalisé avant son accession au pouvoir.

Le même schéma, à des nuances faibles près, dues à un environnement diffé­rent, est valable pour l’Afghanistan, dès le retrait entamé des troupes américains, c’est-à-dire à partir de juillet 2011. Les talibans vainqueurs ne toléreront pas un quelconque gouvernement autre que le leur. Sûrement pas celui d’Hamid Karzai, quelle que soit la formule, ou d’un de ses émules accusés de collaboration avec les Américains. En revanche, sous peine d’une guerre civile, assez plausible, les tali­bans vont devoir trouver un terrain d’entente avec l’ex-Ligue du Nord. En effet, si Ouzbeks et Tadjiks observent une expectative dans la lutte opposant talibans et Américains, ils voudront très logiquement participer au pouvoir après le départ des Américains, ce qui n’est pas le cas depuis l’avènement de la présence américaine, bien qu’ils lui aient été des alliés actifs en 2001.

Les grands vainqueurs de plus de dix ans de guerre au Moyen-Orient sont les Iraniens. Ils sont vainqueurs sans avoir tiré une seule cartouche depuis 1988. Leur prépondérance ne peut que s’affirmer avec le retrait américain. Ils sont en voie de devenir la grande puissance régionale du Moyen-Orient, ravissant la place aux Américains.

La défaite américaine fragilise tous les régimes politiques qui sont liés aux États-Unis. Il est vraisemblable que la perte d’influence des Américains s’étende de proche en proche, jusqu’aux pétromonarchies. Face au fondamentalisme islamiste vain­queur en Afghanistan et en Irak, les jours des systèmes gouvernementaux de ces pétromonarchies sont comptés. Désormais, les compromissions avec leur pouvoir religieux sont incapables d’endiguer une marée dont la force est multipliée par l’im­puissance américaine. Par le jeu bien connu et tant redouté des Occidentaux, le jeu des dominos, pièce après pièce, c’est l’ensemble du Moyen-Orient qui bascule du côté du fondamentalisme islamiste. Il est peu vraisemblable que l’opération de destruction ou de conquête islamiste s’arrête au Moyen-Orient. Elle va contaminer le Proche-Orient, le Machrek et le Maghreb. C’est tout l’arc visé par le concept du « Grand Moyen-Orient » qui devient terre de conquête de l’islamisme, avec des chances sérieuses de réussite. Les populations y sont désespérées en regard d’un niveau socio-économique désastreux, et Al-Qaida y est déjà très sérieusement im­planté.

La menace se poursuit géographiquement en direction de l’Afrique subsaha­rienne, à partir du Sahel, où Al-Qaida est déjà présent, comme en Afrique de l’Est, à partir de la Somalie.

Le monde occidental, plus précisément l’Europe, ne peut échapper à la menace redoublée d’attentats et d’intrusion dans les banlieues déjà instables.

Washington envisage bien à tort que son abandon en Irak et en Afghanistan puisse faire cesser la guerre déclenchée contre l’islamisme. Certes, Washington au­rait bien besoin d’un arrêt du flux montant d’un islamisme militant et guerrier pour recentrer sa politique. La situation intérieure réclame une focalisation des efforts. L’alliance atlantique exige d’être confortée. Les alliés, attaqués à leur tour dans leurs œuvres vives, déjà inquiets d’une accentuation de la menace terroriste islamiste, sont tentés de se détourner de l’alliance américaine.

Au bilan général, il s’affirme que l’aventure américaine au Proche et au Moyen-Orient s’achève sur une défaite qui dépasse largement les limites territoriales de la région.

C’est par outrecuidance et manque de réflexion stratégique que les Américains ont péché. Une guerre exige d’être examinée sous tous ses aspects possibles : toutes les hypothèses demandent à être soigneusement analysées. L’erreur gigantesque, et tant de fois réitérée, consiste à établir un fait et à le considérer comme indiscutable parce que c’est à partir de lui que, subjectivement, est construit un concept straté­gique. Parce que cela était expressément voulu, à Washington, les stratèges politico-militaires ont aspiré à plier les faits au détriment de la réalité.

Comment espérer convertir à la démocratie parlementaire made in USA des pays qui ont leur propre culture et leur propre mode de vie, estimés aussi valables que tout ce que peut offrir un Occident en crise ? Comment s’offrir en exemple lorsque les troubles sociaux suivent les ébranlements financiers ?

Dernier élément, Oussama Ben Laden a parfaitement réussi son entreprise. En opérant ses attentats, le 11 septembre 2001, le résultat a dépassé les espérances, au niveau des destructions réalisées. La riposte américaine, si bien évoquée par le choc des civilisations, a provoqué deux croisades en sens inverse. Les conséquences sont allées largement au-delà de tout ce que pouvait espérer Oussama Ben Laden.

Difficile, même impossible d’arrêter une guerre au moment choisi, alors que sa conduite échappe, sans que l’angle de fuite soit perçu à temps.

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