Rivalités, menaces et avancées démocratiques dans des espaces post-soviétiques

Philippe TORRES

Avril 2006

Bien que le Caucase et l’Asie centrale ne retiennent pas l’essentiel des feux de l’actualité, il n’en demeure pas moins que l’année 2005 a vu un certain nombre d’événements majeurs se produire dans ces deux régions. D’une Part, la Chine a réussi le pari de construire un oléoduc de plus de 4000 km reliant les gisements du nord de la Caspienne au Xinjiang. De même, l’oléoduc Bakou Tbilissi Ceyhan a été également inauguré en 2005, couronnant au moins dix années d’efforts de la part de l’administration américaine et des firmes occidentales, malgré les réticences de Moscou, trés hostile au projet. Enfin, le 13 mai 2005, la répression policière d’Andijan, en Ouzbékistan a mis fin pour un temps au mouvement de contestation pour déstabiliser les régimes autoritaires favorables à la Russie. C’est aussi une contestation islamique larvée dans ce pays qui a été durement réprimée. Ces événements, trés significatifs pour la région, sont passés pratiquement inaperçus. Ils révèlent pourtant les enjeux et les tensions de ces espaces post soviétiques qui sont encore loin d’être stabilisés. Dans le Caucase et en Asie centrale, Moscou Washington et Pékin ont semblent t-il chacun marqué des points ou consolidé leurs positions. Cependant, depuis, l’effondrement de l’URSS en 1991, et surtout après les attentats du 11 septembre 2001, les trois puissances citées se retrouvent pour se livrer à une lutte d’influence acharnée alimentée par des intérêts antagonistes.

Par contre, Washington Moscou et Pékin veulent toujours surveiller l’islamisme, qui trouve en Asie centrale et dans le Caucase un terrain particulièrement favorable. Ce phénomène est largement favorisé par l’éclosion de toutes sortes de trafics et de mafias, qui prospèrent, aussi que grâce à l’influence d’Al Qaïda. La grande misère de ces pays n’est pas non plus étrangère à ce développement. Cependant, malgré cette lutte commune, les puissances continuent de poursuivre leurs propres objectifs. Russes et Chinois ne veulent pas voir les forces américaines rester trop longtemps en Asie Centrale. Alors que Washington ne se résout pas à admettre la poussée de Pékin dans cette région et y redoutent également le retour d’une Russie puissante. L’Asie centrale et le Caucase, sont le prolongement naturel de la politique de l’administration américaine au Moyen Orient.

Nous verrons successivement la rivalité de la Chine des Etats-Unis et de la Russie dans le domaine pétrolier. Puis en quoi consiste la menace islamiste, comment les Américains se sont déployés Enfin il faut aussi rappeler les luttes d’influence politique actuelle qui se déroulent dans la région, sur fond de contestation démocratique.

Les rivalités sur le plan pétrolier

Tout d’abord, la question pétrolière et gazière reste la source majeure de rivalité. Les Chinois qui ne sont pas arrivés encore à maîtriser la technologie nucléaire, et qui réclament un transfert de technologie de la part des deux principaux groupes mondiaux (Aréva le français et Westinghouse l’américain) savent que le pétrole de la Caspienne est vital à court terme pour leur indépendance énergétique. Les Russes font monter les enchères pour distribuer le pétrole sibérien et semblent pour l’instant préférer les propositions du Japon, à celle de la Chine, pour fournir Tokyo en priorité. Washington pour sa part, veut aussi contrôler les gisements futurs face à la boulimie énergétique de Pékin. Sur ce plan la concurrence est rude. Ces rivalités ont commencé a se révéler avec l’effondrement de l’URSS. En effet, tout commence en 1991, le monde assiste à la naissance d’un certain nombre de pays indépendants. En Asie centrale, c’est l’avènement du Turkménistan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Kazakhstan et du Kirghizstan et dans le Caucase sud, (le Caucase nord reste russe) c’est l’apparition de nouveaux pays comme l’Azerbaïdjan, la Géorgie, et l’Arménie. Cependant beaucoup de pays se retrouvent enclavés, sans façades maritimes, incapables d’avoir des débouchés directs. L’Asie retrouve ainsi sa vocation originelle : celle de relier la Chine à l’Europe. De nouveaux espaces et de nouvelles ressources, auparavant verrouillés par l’URSS deviennent accessibles.

Les grandes multinationales pétrolières américaines réussissent à s’implanter dans la région avec il est vrai, avec des hauts et des bas. Il semblerait que la réalisation de grands projets pour contrôler les ressources soit plus géopolitique qu’économique. En 1991, le département d’Etat américain considérait que les gisements de la Caspienne faiblement exploités étaient équivalents aux gisements koweitiens. Cependant, cet optimisme fut rapidement démenti par une appréciation plus réaliste, revue fortement à la baisse. Les ressources de la Caspienne sont aujourd’hui estimées à seulement 5% des réserves pétrolières mondiales, ce qui est dérisoire, comparées aux réserves du Moyen Orient ou au potentiel africain. De même, l’exploitation de certains gisements se révèle aussi extrêmement contraignante. A Tenguiz, notamment, au nord de la Caspienne, les puits pétroliers sont très profonds sur des structures faillées. Le pétrole est phosphoreux, il corrode les conduits, et est capable de produire des émanations fortement toxiques. La firme américaine Chevron a quitté le gisement et a rompu ses contrats avec le Kazakhstan en 2002*, devant l’obligation que lui faisait le gouvernement kazakh d’évacuer à ses frais les énormes quantités de soufre, issues de l’exploitation pétrolière. Pour pallier aux hésitations des firmes pétrolières face aux énormes investissements à consentir dans des régions instables, l’administration américaine s’est largement investie par de fortes pressions, pour soutenir les projets envisagés. Ainsi, en 1994, le président Clinton lui-même s’est déplacé à Bakou pour lancer le projet Bakou Tbilissi Ceyhan, qui est le tracé qui concurrence directement le tracé russe dans le Caucase. L’administration américaine continue à vouloir diminuer sa dépendance vis-à-vis des pays du golfe, d’autant plus que les Chinois déploient une diplomatie internationale efficace pour passer des contrats pétroliers dans le monde entier. Les gisements sont en effet, nécessaires à leur développement. Cette partie de bras de fer commencée en 1990, se poursuit.

La guerre des oléoducs à partir des années 1990

C’est en effet, dans cette guerre des oléoducs, qu’un véritable jeu de go s’est installé, pour choisir un itinéraire afin d’évacuer les ressources de la Caspienne. Dans ce jeu, le pays le mieux placé pour contrôler l’évacuation des ressources est toujours l’Iran, pays qui possède deux littoraux (caspien et golfe persique), capable de connecter tous les réseaux nouveaux. Cependant depuis 1979, l’Iran islamiste est surveillé et mis en quarantaine. La loi américaine : Kennedy d’Amato a été instaurée pour interdire aux firmes du monde entier de signer des contrats importants avec la république des mollahs. De même c’est en 1979, que le Centcom (zone de commandement central américain) s’est mis en place avec l’ambition de prendre en écharpe tout le Moyen Orient. Ainsi, le pétrole de la Caspienne n’est pas encore prêt à être largement évacué par les oléoducs iraniens.

 

L’autre pays aussi très bien placé, est l’Afghanistan, capable de devenir un débouché naturel. Washington en 1990 a vu immédiatement tout le parti qu’il pouvait tirer de ce pays. Néanmoins, en 1996, les Talibans très hostiles aux Américains contrôlent la quasi totalité du pays, et interdisent la réalisation du projet consistant à évacuer le pétrole en direction de l’océan indien via l’Afghanistan et le Pakistan. Sur ce point monsieur Hamid Karzaï, premier président élu d’Afghanistan avait la réputation d’être l’homme clé de la firme pétrolière californienne Unocal, le maître d’oeuvre du projet pétrolier américano-afghan. La firme pétrolière américaine s’est empressée de démentir fermement l’appartenance passée de monsieur Karzaï à ses services. Ces démentis sont venus à point pour consolider la réputation du président afghan, face à une contestation islamiste encore très virulente. Le tracé afghan compromis, Washington a fait reporter ses efforts sur un autre tracé de rechange, qui était déjà à l’étude.

 

Les capitaux américains et occidentaux ont alors mis sur pied un grand consortium, capable de construire un oléoduc concurrent, du tracé russe : le Bakou Tbilissi Ceyhan (BTC) dans le couloir caucasien. Ce tracé est ressenti à l’époque par Moscou comme une provocation. Son avantage est d’éviter de passer par les détroits, qui deviennent de moins en moins praticables, à cause des problèmes de pollution et de sécurité. Quand un pétrolier passe par le détroit du Bosphore, la circulation maritime dans la région d’Istamboul est interdite pendant 24 heures. Les Russes sont confrontés à un véritable goulot d’étranglement. Ce n’est pas le cas du BTC, qui part de Bakou pour déboucher directement en Méditerranée, via la Géorgie et la Turquie sans passer par les détroits. De même, le BTC peut se connecter à partir de Bakou avec les réseaux de l’Asie centrale, et devient un véritable débouché pour toute la région. Les gisements d’Asie centrale deviennent dans ce cas moins dépendants du réseau pétrolier russe. Ce tracé exerce une concurrence très sérieuse sur les capacités de Moscou, à garder un monopole dans le domaine du transport énergétique. Ainsi, les Russes et les Américains gardent toujours une rivalité très forte sur cette question.

Sur le même registre les Chinois et les Russes ne peuvent pas unir leurs efforts, pour faire des projets communs, car Pékin, craint aussi de dépendre des Russes pour leurs approvisionnements en pétrole. Ils connaissent la propension de Moscou à couper l’approvisionnement énergétique de leurs voisins pour exercer des pressions politiques notamment sur la Géorgie et sur l’Ukraine. Voilà pourquoi dès 1997, par une politique de bon voisinage avec le Kazakhstan, Pékin a réalisé le lancement de son oléoduc, pour faire venir le pétrole du nord de la caspienne. Pour sa part, le Kazakhstan est aussi tout heureux de traiter directement avec les Chinois, gagnant une plus grande indépendance vis-à-vis des Russes.

 

Le jeu russe dans la région

Pourtant, malgré leur recul, les Russes, exercent toujours une influence assez forte en Asie centrale, qui appartient dès 1991 à la CEI. Certains pays continuent de garder des liens très forts avec leurs anciens maîtres. C’est le cas du Tadjikistan mais surtout du Kazakhstan qui permet à la Russie de conserver son « cosmodrome » de Baïkonour. Moscou loue à présent cette base comme pas de tir pour le Soyouz. Début 2005. Les Russes ont utilisé cette base début 2006 pour mettre sur orbite le premier satellite européen du projet Galiléo. Non seulement sur le plan spatial, mais aussi sur le plan pétrolier la Russie garde un atout important car elle continue d’assurer une grande partie de l’évacuation des ressources de la Caspienne. Le réseau russe n’est pas forcément partout en très bon état, mais il reste opérationnel grâce à leur grand débit. Moscou continue d’être très influent par ce biais surtout en Asie centrale.

Cependant, la politique de pression dans le Caucase sud, de la part de Moscou a semble t-ils connu un certain recul. Les Russes ont démantelé au moins 3 bases sur les 4 qu’ils possédaient encore en 2000 en Géorgie. Cependant Moscou veut toujours garder suffisamment de moyens de pression sur Tbilissi. Par le passé, Moscou a laissé se développer, voire appuyer des guerres et des mouvements séparatistes, (Abkhazie et Ossétie du sud) pour déstabiliser ce pays et plus spécialement le tracé américain. Même si le BTC a fini par passer, Les Russes jouent encore le rôle d’arbitre en s’interposant dans les conflits locaux, notamment en protégeant les Ossètes du sud. Les Russes ont favorisé l’instabilité du couloir caucasien, et continuent encore à faire pression sur la Géorgie, par des coupures de gaz.

De même, avec le recul, les Russes ont réussi à stabiliser leurs positions en Tchétchénie. Pourtant les intérêts pétroliers russes ont été très sérieusement menacés, car les militants islamistes tchétchènes ont voulu diffuser la guerre sainte, notamment en faisant basculer le Daghestan dans la lutte. Cette stratégie visant à chasser les Russes du contrôle de la Caspienne a échoué, mais l’oléoduc russe passant par Grozny a été très tôt sérieusement menacé, surtout lors de l’indépendance de la Tchétchénie de 1996 à 2000. Pour consolider la position stratégique de la Russie, en 2000, Vladimir Poutine réagit avec force en reprenant le contrôle de la Tchétchénie. Surtout se sont les attentats du 11 septembre, qui ont permis aux Russes de mieux maîtriser la situation tchétchène. Les attentats faisaient basculer subitement les Américains dans le camp anti-islamiste. Les Russes ne se retrouvaient plus seuls à affronter les combattants islamistes. Les Américains décident de détruire tous les réseaux islamistes du monde entier et entreprennent d’abord d’intervenir en Afghanistan mais aussi en Asie centrale, ainsi que dans le Caucase. Les combattants islamistes tchétchènes qui étaient les ennemis des Russes, deviennent aussi les ennemis des Américains.

 

Une menace islamiste

L’Asie Centrale et le Caucase deviennent le centre de la lutte anti­terroriste, après le 11 septembre. Les Américains mettent sur pied une stratégie globale, visant à la fois à passer pour une puissance bienfaisante et à sauvegarder leurs intérêts. Ils veulent en effet abattre les forces islamistes et les dictatures mais en se donnant la possibilité de contrôler les gisements pétroliers. L’administration Bush entend également punir et donner une leçon à certains pays arabes comme l’Irak pour donner une leçon pour les nombreuses attaques dont les Américains ont été les victimes. Ainsi, la rivalité américano-russe connaît alors une accalmie. Le président Poutine, profite de la situation pour proposer à G.Bush une alliance stratégique. Il est d’usage de rappeler qu’un des premier appel téléphonique reçu par Georges Bush dans « Air Force One » l’avion présidentiel, le 11 septembre, a été un appel de Poutine en personne, pour réconforter le président Bush, alors que la deuxième tour du WTC ne s’était pas encore effondrée.

Le président russe propose un soutient pétrolier aux USA, dans le cas d’une déstabilisation complète du Moyen Orient après ces attentats. Poutine décide aussi de permettre aux Américains de se déployer dans le Caucase et en Asie centrale pour pourchasser les terroristes islamistes. Poutine prend cette décision malgré la violente levée de bouclier de tout l’état major russe très hostile à l’installation des Américains dans leur proche étranger. En fait, Moscou semble alors préférer une alliance avec Washington pour éviter de donner éventuellement l’occasion à ces adversaires la possibilité d’exploiter leur faiblesse en Tchétchénie. Les Russes se souviennent comment par le passé, la CIA a profité de la situation en Afghanistan pour armer efficacement les combattants islamistes, et condamner Moscou dans l’opinion internationale Ainsi, par cette alliance, les Russes acceptent que les Américains se déploient dans le Caucase et en Asie Centrale, en échange les Américains s’interdisent en principe de juger la politique étrangère russe en Tchétchénie. Les forces américaines, se sont installées en Géorgie, en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizstan, face à la Chine.

Dès 2001, les forces américaines vont devoir faire face, à une véritable organisation internationale. En Afghanistan, les Talibans sont capables de rassembler les groupes islamistes d’Asie centrale, comme le MOI (Mouvement Ouzbeck islamiste) d’Ouzbékistan, dans la vallée de Ferghana. D’ailleurs, de nombreux cadres du MOI, comme son chef Juma Namangani ont trouvé la mort sous les bombardements américains à Kunduz ou à Tora Bora en combattant au côté des soldats Talibans sous les ordres du Mollah Omar et de Ben Laden. Dans le Caucase, les réseaux islamistes tchétchènes sont extrêmement virulents, affaiblis après le 11 septembre, privés de moyens. Ils gardent néanmoins la possibilité de faire des attentats dans la région caucasienne contre les intérêts russes. Certains se réfugient dans la vallée de Pankissi, en Géorgie pour fuir les frappes russes. Il semblerait que les combattants islamistes, aient également perdu beaucoup de leurs capacités, après l’attentat de Beslan en Ossétie du nord en 2003, et surtout après l’élimination de l’ancien président tchétchène Maskhadov en 2004. De même, les pays de la région n’avaient pas attendus les Américains pour s’organiser contre l’islamisme, avec l’Organisation de la Conférence de Shanghaï.

Ainsi, depuis 1996, les pays de la Région d’Asie centrale ont élaboré une politique et des actions communes contre les réseaux terroristes. Cette organisation permet notamment à la Russie comme à la Chine de garder des liens politiques avec les pays d’Asie centrale menacés par ces groupes. En fait, les armées de ces ex républiques soviétiques complètement déliquescentes, étaient incapables face à certaines guérillas islamistes en gestation. Ces pays avaient besoin d’aide, d’autant plus que les forces islamistes s’appuient souvent sur une activité fortement lucrative, le commerce de la drogue, contrôlée par de nombreux chefs de guerre : chef de guerre pachtoun, chefs du MOI, mafias. Auparavant, les voies d’exportation passaient par le Pakistan, à présent, avec la création de frontières très longues, dues à l’apparition de nouveaux pays, elles traversent l’Iran, la Chine, les Etats d’Asie centrale par l’entremise des filières pakistanaises, afghanes, arabes, tchétchènes. Aujourd’hui l’Afghanistan, fournit près de 80% des exportations d’opium dans le monde.

L’opération américaine Enduring Freedom en Afghanistan a eu le mérite de détruire l’islamisme international lié à al Qaïda. L’islamisme radical des groupes afghans et pakistanais a été déconnecté de l’Asie centrale. A l’heure actuelle, les mouvements dans la région insistent plus sur la prédication (le dawat) et refusent dorénavant de s’engager dans la lutte armée. L’activisme religieux devient plus souterrain, et les revendications sont plus sociales et locales. Beaucoup d’islamistes radicaux sont refoulés au Pakistan. Karachi a longtemps instrumentalisé ces forces islamistes pour se concilier des appuis dans le cadre de sa politique étrangère. Cependant beaucoup de pays d’Asie Centrale, craignent que le déploiement militaire anti-islamiste des Etats-Unis, ne leur servent à verrouiller la région et à diffuser leur influence Beaucoup y voient le déploiement d’une hégémonie déguisée. L’intervention interminable des américains en Irak, commence à lasser semble t-il l’opinion de beaucoup de pays.

 

Les rivalités politiques des puissances dans la région

Avec l’effondrement de l’Union Soviétique la centralisation et le collectivisme, ont été remplacés par une très forte corruption et des régimes présidentiels autocratiques, pratiquant parfois le culte de la personnalité comme au Turkménistan. Depuis 2003, les contestations démocratiques ont obtenu des évolutions rapides marquées par l’élimination en douceur des pouvoirs favorables à Moscou, remplacés par des gouvernements beaucoup plus favorables aux Américains. La démocratisation n’est-elle pas un « soft power » pour permettre aux Américains de progresser dans la région en éliminant leurs concurrents ? C’est en effet, ce que semble penser le maître du kremlin et certains potentats locaux d’Asie centrale.

C’est tout d’abord la Géorgie, qui connaît la Révolution des Roses en 2003 L’ancien président géorgien Edouard Chevarnadzé, que Moscou avait réussi à contrôler grâce à de fortes pressions est renversé par une révolution de velours, sans violence, par un certain nombre de jeunes cadres très actifs et très occidentalisés. Beaucoup formés en occident organisent des manifestations et des campagnes de presse pour critiquer la corruption et les fraudes électorales. Ces cadres sont souvent appuyés par des organismes américains financés par Georges Soros qui encadre beaucoup d’associations. Ce milliardaire américain, entend contribuer par ce biais à contribuer au développement de la démocratie dans les espaces post soviétiques. L’élection du nouveau président géorgien M. Saakashvili est un véritable retournement. Ce dernier est très favorable à une alliance avec les Etats-Unis et au rejet de toute influence russe. Tbilissi a accueilli le président Bush triomphalement pour féter cette élection, et par là même le recul de l’influence russe. Moscou accepte de lâcher du lest et d’accélérer le démantèlement de ses bases militaires. Alors que de son côté, le président géorgien, demande instamment de faire rentrer la Géorgie au sein de l’OTAN

Après la Géorgie, cette dynamique de contestation démocratique pro occidentale et anti russe, rebondit avec la révolution orange en Ukraine, qui connaît le même scénario : manifestations des foules, invasion des bâtiments publics. La police refuse de tirer. Le Président Koutchma, et son dauphin Ianoukovitch démissionnent. Cette révolution orange réactive la vague démocratique par un effet domino en Asie centrale et notamment au Kirghizstan qui connaît quant à lui la révolution des tulipes. Les Kirghizes opposés au président Akaïev considèrent qu’ils pourront réussir eux aussi leur révolution avant que les tulipes ne fleurissent. Là encore, au Kirghizistan les populations descendent dans la rue pour remettre en cause le résultat des élections truquées. Le mouvement est si vaste si bien organisé, que le pouvoir s’en retrouve complètement paralysé. Akhaïev s’enfuit précipitamment à Moscou, laissant le champ libre à un nouveau président élu, le président Bakïev. La contagion démocratique ne semble pas alors connaître de répit. Les gouvernements concernés par cette vague se considèrent menacés par l’action souterraine des Américains.

 

Le 13 mai 2005 devant les manifestations importantes dans la vallée de Ferghana et pour répliquer aux revendications des islamistes ouzbeks, le président Karimov fait tirer sur la foule, sous le prétexte que les manifestations abritaient également un certain nombre d’islamistes. La répression fait près de 100 morts, et 7000 islamistes présumés sont arrêtés. Ainsi, les contestations connaissent un coup d’arrêt, d’autant plus que la répression du régime de Tachkent n’a pas provoqué de condamnations internationales Washington n’a pas émis de protestation face à ces violences. Il semblerait que les islamistes ouzbek, ne risquaient pas d’obtenir le soutient du président Bush.

 

Devant ces risques de contagion contestataire, les présidents du Kazakhstan et d’Ouzbékistan, sont allés après les évènements d’Andijan chercher l’assurance d’un appui de la part des Russes, car l’influence américaine est considérée comme déstabilisatrice, et menace un certains nombre d’hommes au pouvoir. Ainsi, la répression d’Andijan a fait ressortir que la présence américaine dans la région est de plus en plus contestée. Ainsi, Les pays de l’OCS le 4 juillet dernier ont demandé aux Américains un calendrier de retrait de leurs troupes de toute l’Asie Centrale. Washington a répondu très fermement qu’il n’appartenait pas à l’organisation de formuler une telle demande, mais aux pays concernés par la présence américaine.

 

Pour conclure, avec un certain recul il est possible d’avancer que les espaces post-soviétiques ont vu le retour en force du grand jeu géopolitique entre les nations. D’abord les enjeux pétroliers ont révélé un antagonisme très fort entre les Russes et les Américains beaucoup plus géopolitiques qu’économiques. De même, la lutte contre l’islamisme est très souvent devenue un prétexte hégémonique pour consolider une présence militaire et politique pour les différents acteurs.

Les Américains restent toujours dans une logique de Containment, mais leur présence connaît actuellement une usure, propice à un retour diplomatique des Russes et des Chinois. Rien n’est joué dans cette région. Certes les Américains ont profité du recul des Russes, mais ils se retrouvent eux aussi confrontés à une instabilité difficile à contrôler.

 

* Professeur de Relations internationales – Ensoa

 

 

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