Régionalisme et identitarisme en Europe – L’ancrage des particularismes dans la vie politique en Europe

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Guillaume Bernard

Maître de conférences (HDR) de l’ICES et membre du CRICES


Au cours du XXe siècle, l’Europe n’a pas échappé à la fragmentation et à la multiplication des États induisant d’importantes modifications de frontières auxquelles semble succéder un authentique morcellement territorial qu’il s’agisse du divorce de velours entre Tchèques et Slovaques, de la création artificielle du Kosovo, la Transnistrie en Moldavie et qui n’épargne pas l’Europe occidentale avec les mouvements régionalistes en Écosse, au Haut-Adige italien (ou Tyrol du Sud), au Pays basque, en Galice, en Andalousie, au Pays de Galles, en Lombardie, en Vénétie ou en Catalogne. Si les formes des revendications sont différentes en fonction des environnements institutionnels, historiques et culturels : autonomisme, indépendantisme, rattachisme ou irrédentisme, les partis régionalistes couvrent en revanche tout le spectre politique, de gauche ou de droite, eurosceptiques ou européistes. Le multiculturalisme et la standardisation des modes de vie induite par le vecteur du globalisme qu’est l’Union européenne, n’empêche pas les partis régionalistes d’utiliser les institutions du système d’intégration.

During the twentieth century, Europe has not escaped the fragmentation and multiplication of states, leading to major changes in borders, which seems to have been followed by a genuine territorial fragmentation, whether it be the velvet divorce between the Czechs and Slovaks the artificial creation of Kosovo, Transnistria in Moldova and the regionalist movements in Scotland, the Italian Alto Adige (or South Tyrol), the Basque Country, Galicia, Andalusia, Wales, Lombardy, Veneto and Catalonia. If the forms of the claims are different according to the institutional, historical and cultural environments: autonomism, independence, attachment or irredentism, the regionalist parties on the other hand cover the whole political spectrum, from the left or the right, Eurosceptic or pro-European Union. Multiculturalism and the standardization of lifestyles induced by the European Union as a vector of globalism do not prevent regionalist parties from using the institutions of the integration system.


En un siècle, l’espace mondial s’est fragmenté par la multiplication des États. En 1900, il n’y avait, sur la surface de la terre, que quarante-six États souverains, le reste des territoires étant sous domination coloniale. En 2012, il a été recensé, à l’échelle mondiale, près de deux-cents États, dont cent quatre-vingt-treize étaient membres des Nations-Unies. L’Europe n’a pas échappé à cette évolution et a connu d’importantes modifications de frontières au cours du xx e siècle : ainsi, selon le géographe Michel Foucher2, 48 % des kilométrages de frontières datent-ils d’après 1945. Alors que la mondialisation (mouvements migratoires, globalisation financière, multiplication des organisations supranationales, standardisation des modes de vie) s’est accélérée, le morcellement territorial semble, lui-aussi, être à l’œuvre. Celui-ci s’est notamment manifesté avec l’effondrement du glacis soviétique dans la décennie 19903. Il est permis de penser, par exemple, au divorce des Tchèques et des Slovaques qui se sont séparés pour former deux États au lendemain du 31 décembre 19924 ou encore à la création du Kosovo faisant sécession de la Serbie en février 20085. D’autres revendications s’expriment aussi avec la République moldave de Transnistrie6.

Nombre d’États européens, le plus souvent membres de l’Union européenne, connaissent des mouvements régionalistes plus ou moins développés. Si tout le monde a en tête les velléités d’indépendance de l’Écosse, le cas du Haut-Adige italien, aussi appelé le Tyrol du Sud, est moins connu. Si certains mouvements sont politiquement très influents (au pays basque les deux partis régionalistes ont les deux tiers des sièges tandis que les partis nationaux se partagent le tiers restant), d’autres régionalismes se manifestent d’une manière politiquement moins efficace et contribuent surtout à l’expression d’une sorte de folklore. Les partis expressément régionalistes sont surtout présents en Europe de l’Ouest. Dans les anciens pays de l’Est où ils existent (comme en Roumanie ou en Bulgarie), ils sont plus faibles. En fait, les ambitions irrédentistes sont portées par des partis établis et parfois même au pouvoir. Le Fidesz hongrois affirme, par exemple, que tous les Hongrois d’origine même vivant en dehors de l’actuelle Hongrie (rétrécie par les traités de paix de la première guerre mondiale) ont vocation à participer aux élections nationales.

L’actualité du régionalisme politique est bien réelle. Les consultations électorales (pour une autonomie renforcée ou même la proclamation de l’indépendance) se sont multipliées depuis les années 1980 : au Pays basque, en Galice, en Andalousie, au Pays de Galles ou encore en Écosse 7. Très récemment, c’est le référendum d’autodétermination en Catalogne (du 1 er octobre 2017 8) considéré inconstitutionnel par le Tribunal constitutionnel espagnol, puis les élections au Parlement local, le 21 décembre de la même année (qui ont donné une majorité d’élus indépendantistes), qui ont défrayé la chronique. Dans un autre État régional, l’Italie, il y eut, à la même époque, le 22 octobre 2017, deux référendums (consultatifs) pour plus d’autonomie, d’une part, en Lombardie et, d’autre part, en Vénétie 9. Prévu pour le 25 avril 2018, le référendum d’autodétermination de la population des îles Féroé (dépendant du Danemark) a été repoussé sine die. Il est vrai que la proclamation d’indépendance de 1946 a, déjà, été étouffée dans l’œuf. En France10, la question de la Nouvelle-Calédonie (qui ne sera pas développée ici) est récurrente depuis le référendum d’autodétermination du 13 septembre 1987, les Accords de Matignon de 1988 et la révision constitutionnelle de 199811.

Aussi appelé « nationalisme régional »12 ou infra-étatique, le régionalisme n’est pas un phénomène politique si facilement définissable et délimitable qu’il n’y paraît au premier abord. Il semble donc utile, pour mieux l’appréhender, de s’interroger sur le contexte institutionnel dans lequel il s’exprime (1), la diversité de son positionnement sur le spectre politique (2), ses motivations matérielles autres que culturelles (3), son articulation avec le fédéralisme européen (4) et, enfin, ses relations avec le vote identitaire (5).

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Notes

1. Intervention au séminaire d’actualité organisé à l’ICES, le jeudi 18 janvier 2018, par Monsieur Clément Million.

2. Michel Foucher, Fronts et frontières, Un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, nelle éd., 1991.

3. Cf. not. François Thual, Les conflits identitaires, Paris, Ellipses, 1995.

4. Jean-Philippe Namont, « République tchèque, Slovaquie, Examen d’un divorce national », in Joao Medeiros, dir., Le mondial des nations, Paris, Choiseul, 2011, p. 461-474.

5. Jacques Hogard, L’Europe est morte à Pristina, Paris, Hugo doc, 2014 ; Nikola Mirkovic, Le martyre du Kosovo, Le Plessis-Robinson, Éditions France-Empire, 3e éd., 2021.

6. Cf. Jean Radvanyi, Les États postsoviétiques, Identités en construction, transformations politiques, trajectoires économiques, Paris, Armand Colin, 3e éd., 2011.

7. Référendum du 18 septembre 2014 : 55, 3 % de non (avec 84 % de participation).

8. 90 % de oui (avec 42 % de participation).

9. Lombardie : 96 % de oui (avec 38 % de participation) ; Vénétie : 98% de oui (avec 58 % de
participation).

10. Sur la régionalisation en France, cf. not. : Romain Pasquier, et alii, dir., Dictionnaire des politiques territoriales, Paris, Les presses de Sciences Po, 2011 ; Romain Pasquier, Le pouvoir régional, Mobilisations, décentralisation et gouvernance en France, Paris, Les presses de Sciences Po, 2012.

11. Olivier Gassiot, « Une réforme constitutionnelle de trop : le gel du corps électoral calédonien », in Les élections présidentielles et législatives de 2007, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2007, p. 427-468 ; Xavier Magnon, « La Nouvelle-Calédonie, un pays à souveraineté partagée ? », in Revue marocaine d’administration locale et de développement, 2009, n° 63, p. 135-149.

12. Frank Tetart, Nationalismes régionaux, Un défi pour l’Europe, Bruxelles, De Boeck, 2009.

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