La construction d’un ancrage des particularismes dans les pays germaniques – L’exemple de la Belgique

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Clément Millon

Chargé de conférences à l’ICES


L’impossible unité germano-allemande, toute récente, cache mal une diversité des cultures, origines et dialectes propres à développer les particularités. Dans ce cadre idéalisé, les villes hanséatiques ont cependant conservé un modèle économique à part tournées vers la Baltique et les îles britanniques. Il existe une propension au particularisme dans les pays germaniques, faits de petits pays, jaloux de leurs différences, constitutives de leurs identités et de leur existence, mais aussi de leur histoire. Finalement, les pays germaniques illustrent mieux que d’autres que l’identité de langue n’est pas une cause ni un moteur d’unité politique. Ainsi, la Belgique, pays de paradoxes, aux frontières de la sphère française et germanique, est lui-même traversé de différences et de convergences alors que sa naissance, illustrait plutôt une unité culturelle. La progressivité de sa remise en cause viendra radicaliser les frontières linguistiques, la mise en place des communautés, c’est-à-dire des entités administratives distinctes, jusqu’au renforcement des particularismes dans le cadre de la Belgique fédérale la plus récente.

The impossible German-German unity, which is very recent, does not hide a diversity of cultures, origins and dialects which can develop particularities. In this idealized framework, the Hanseatic cities have nevertheless maintained a separate economic model, oriented towards the Baltic and the British Isles. There is a propensity for particularism in the Germanic countries, made up of small countries, jealous of their differences, which are part of their identity and their existence, but also of their history. Finally, the Germanic countries illustrate better than others that language identity is neither a cause nor a driver of political unity. Thus, Belgium, a country of paradoxes, on the borders of the French and Germanic spheres, is itself crossed by differences and convergences whereas its birth, rather illustrated a cultural unity. The progressive nature of its challenge will radicalize the linguistic borders, the establishment of communities, i.e. distinct administrative entities, until the reinforcement of particularisms in the framework of the most recent federal Belgium.


Depuis XIXe siècle, les revendications pangermanistes visant à rassembler les populations d’origines ou de langues germaniques reposent sur une unité rêvée qui ne correspond pas une réalité absolue. Les particularismes des régions de la sphère germanique, périphériques, comme centrales, sont nombreux. À l’Est, les Prussiens, d’origines slaves, côtoient leurs frères polonais et représentent pourtant le fer de lance de l’unité allemande en ce siècle qui voit l’avènement de l’Empire Wilhelmien. Aux marches de ce dernier, les Bavarois marquent, par une identité catholique forte qui en font des opposants papistes au Kulturkampf bismarckien, leur différence. Même au cœur de cet empire, les incomparables Souabes montrent, entre autres peuples, que l’unité germano-allemande cache mal une diversité des cultures, origines et dialectes propres à développer les particularités. Le particularisme des villes hanséatiques, tournées vers la Baltique et les îles britanniques, en font un modèle économique à part dans cet ensemble.

À l’ouest, les prétentions de domination sur les territoires du Benelux et du Nord de la France et leurs succédanés de réalisations en 1914 en 1940 reposent notamment sur l’approximatif voisinage des termes qui définissent les langues des populations visées par cet impérialisme. Il est connu que la langue et l’identité allemande, deutsch, se définit par un terme si proche de celui appliqué à d’autres populations germaniques qu’il pourrait être considéré comme confondu. Ainsi, comme le souligne L. Wintgens, le langage parlé par les terres des pays thiois, platdütsch pour les terres liégeoises, dietsch dans le Brabant, ce qui le différencie du hochdeutsch de leurs cousins germains a justifié les revendications de parenté et de rattachement. Mais il suffit de rappeler que les Britanniques désignent par le terme dutch le néerlandais des Pays-Bas pour montrer que les appellations, comme les réalités géopolitiques, sont davantage le reflet de distinctions culturelles que d’éléments fédérateurs.

Quelle que soit la forme étatique, la sphère germanique n’a cessé de produire des particularismes qui nous semblent être le résultat de la confrontation de forces centrifuges au moins aussi fortes que celle des forces centripètes. Cette propension au particularisme, dans les pays germaniques, s’explique également par une raison plus profonde : les pays germaniques, faits de petits pays, restent jaloux de leurs différences, constitutives de leurs identités et de leur existence, mais aussi de leur histoire. Par exemple, il n’a échappé à personne que si les Autrichiens et les Allemands parlent la même langue, ils ne sont pas du même pays. Au fond, les pays germaniques illustrent mieux que d’autres que l’identité de langue n’est pas une cause ni un moteur d’unité politique.

Un pays, probablement plus que d’autres, démontre cette réalité, qui permet le développement de particularismes en dehors de la logique linguistique : la Belgique. Ce pays de paradoxes, aux frontières de la sphère française et germanique, est traversé de différences et de convergences. La population y parle majoritairement des dialectes néerlandophones au Nord, largement d’origine germaniques, qui sont cristallisés autour de l’appellation du comté qui a marqué l’histoire de la région : la Flandre. Au sud et désormais à Bruxelles, il est parlé en langues principalement picardes des idiomes francophones dans une partie renommée Wallonie,sans oublier que des germanophones habitent l’est du pays. Selon sa devise, formulée en langue française, l’unité fait la force, il est porté par une volonté d’unité qui a justifié de son existence depuis l’indépendance en 1830 jusqu’à aujourd’hui. Or, son acte de naissance est une séparation de ce qui constituait le Royaume-Uni des Pays-Bas. C’est l’unité de culture, d’histoire et de religion entre les populations locales qui rétablit la Belgique. Il reste que le pays est traversé de contrastes forts. Ainsi, après 1945, les particularismes n’ont pas disparu. Ils semblent même, si l’on en juge de la puissance actuelle des deux forces principales en Flandre, dans le nord du pays, puis importants que jamais. La NVA et le VB rassemble un peu moins de la moitié des électeurs et constituent des forces particularistes. Dès lors, on peut se demander comment on est arrivé là en étudiant quels sont les mouvements particularistes belges.

Dans une première partie, nous verrons le réveil des communautés en Belgique a transformé le pays en une fédération, jusqu’aux années quatre-vingt-dix, puis comment le particularisme se renforce ensuite, de fait.

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