Puritanisme et Internationalisme : les sources religieuses de la SDN et de l’ONU

François-Georges DREYFUS

Novembre 2006

Quand on considère les travaux sur les institutions internationales, on est frappé par une absence : les sources religieuses de ces institutions. On pense parfois à l’influence de la doctrine sociale de l’Eglise. Or il apparaît que l’Eglise catholique n’a guère eu de part à la création de la SDN même si Benoît XV fait allusion une organisation internationale d’arbitrage dans son appel à la paix en 1917. Et l’Eglise ne joue aucun rôle dans la création de l’Organisation des Nations unies.

A l’origine des organisations le seule politique qui ait une vision sur leur rôle dans la vie diplomatique du monde, c’est incontestablement Woodrow WILSON. Certes, nombre de philosophes, d’intellectuels ont depuis le XIVe siècle songé à ce problème et ont écrit de belles pages pour favoriser la concorde internationale : ce ne furent que des mots et pour les politiques ce n’était que démagogie.

Wilson, professeur de droit et de relations internationales à Wesleyan University puis à Princeton, est un presbytérien convaincu. Pour lui la vie humaine doit être l’accomplissement de la volonté de Dieu et il s’est toujours considéré « comme un citoyen du monde invisible, du monde de l’esprit où Dieu règne en toute justice et tout amour ». Il se considère que l’agent de la morale chrétienne et de l’éthique presbytérienne. De ce fait il estime que le peuple américain qu’il a vocation à diriger puisqu’il en est l’élu, doit remplir dans le monde une mission particulière de « gardien de l’esprit de justice et de l’esprit du progrès ». Pour le presbytérien Wilson, les relations internationales doivent être fondées sur une éthique chrétienne et la mission des Etats-Unis est de « contribuer répandre les bienfaits de a démocratie dans le monde

C’est une vision à la foi très pieuse mais aussi très favorable à l’impérialisme qui se développe aux Etats-Unis – non point, comme on le dit trop souvent, dans le dernier tiers du XIXe Siècle mais dès les origines même des colonies.

Pensons tout simplement à cette prédication du Révérend FOWLEY qui en 1705 se fonde sur ce texte du Prophète Michée :

« J’anéantirai les villes de ton pays, j’exercerai ma vengeance, avec colère, avec fureur, sur les nations qui ne m’ont pas obéi. » Michée 5.13-14

Les premiers colons sont, ne l’oublions pas, des puritains, profondément marqués par leur foi. D’inspiration calviniste, ils se considèrent comme prédestinés à être le sol de la terre : les colonies à la fin du XVIIe siècle constituent un ensemble théocratique qui s’appuierait sur a confession de foi de Cambridge (dans l’Etat de Massachusetts) de 1645 qui suggère que Eglise, Etat et Société constituent un ensemble homogène où « ordre public » et conformisme religieux ne font qu’un.

 

  1. B. Perry met en exergue ce texte de Calvin : « La fonction de l’Etat est de soutenir le culte extérieur rendu à Dieu … de nous imposer les règles nécessaires à toute existence en société, de former nos mœurs à la justice, de promouvoir la concorde entre tous. La fonction de l’Etat est d’empêcher l’idolâtrie … et toutes autres offenses à la religion de se manifester ouvertement. »2

Cela est commenté par le Révérend Richard Baxter dans la Communauté Sainte en 1659 : « Cette politique théocratique, c’est le règne du Christ sur la terre ; aussi tous les chrétiens devraient-ils chercher à la réaliser. » Tout cela conduit les Américains à se réclamer de grands principes.

Comme le dit R. B. Perry : « Nous avons affirmé et proclamé des idéals (sic) à la face du monde. » De cela découlent trois conceptions fondamentales au plan international : les Etats-Unis sont à la fois isolationnistes, impérialistes et internationalistes.

Très vite se développe l’idée que les Etats-Unis doivent être exemplaires en s’isolant du monde pour mieux servir l’humanité. Pensons à ce texte de Hector Saint-John de Crèvecœur, qui après avoir servi au Québec sous Montcalm, s’installe dans la vallée de l’Ohio puis plus près de New York. Dans The American Farmer publié en 1782 traduit en 1784, il s’attache à présenter l’homme américain. Après avoir critiqué « la religion superstitieuse qui afflige l’humanité sur la terre » souligne qu’« ici nous avons dans une certaine mesure retrouvé l’ancienne dignité de notre race », situation que l’on doit favoriser dans le reste du monde, ce que le poète Ber Keley invite le peuple américain à faire afin que naisse « un nouvel âge d’or où il n’y aura de place que pour les esprits les plus sages et les cœurs les plus généreux ».

Dès lors la démocratie américaine doit contribuer à créer un ordre international juste et humain – la vocation du peuple américain est d’apporter la paix au monde, la vérité aussi : « Nous sommes l’Israël américain de Dieu », ce que dès le milieu du XIXe siècle, des théologiens politiques résumaient ainsi : la Nation Américaine a été dès le début de son existence une nation différente que Dieu a utilisé pour permettre un nouveau député. Cela ne fait que résumer a position du Révérend Ezra Silves : « Nous serons une grande nation, lorsque le Seigneur aura élevé son Israël américain au-dessus des autres nations in nombre, en sagesse, en Gloire, en renommée ». (1783)

Il faut donc tout à la fois développer considérablement le nouvel Etat et en même temps lui donner les moyens d’apporter au monde, sagesse et démocratie.

Cela passe par la Constitution d’un Etat suffisamment fort pour pouvoir arbitrer entre nations pour qu’elles respectent la dignité de l’homme, l’autonomie de l’individu, et refusent tout pouvoir absolu. Ces principes apparaissent dès le début de l’histoire américaine. En 1702 paraît un ouvrage intitulé Magnolia Christi Americana selon lequel il faut concevoir l’histoire des peuples américains comme un combat analogue à celui du Seigneur et de l’Ange déchu.

C’est en s’appuyant sur ces principes – mais pour des raisons très matérielles (menaces d’une aide franco-espagnole aux colonies espagnoles d’Amérique et menace d’une poussée russe d’Alaska vers le Golfe de Californie) que Monroe publie sa déclaration en 1823. En 1842 un article de la Democratic Revue est explicite : « Notre destinée manifeste consiste à nous étendre sur tout le continent que nous a alloué la Providence pour favoriser la liberté et le développement de ses millions d’habitants. »

Se développe ainsi une pensée qui concilie idéologie bienfaisante et impérialisme.

En 1885 dans Our Country, Past & Present, le Révérend J. Strong invite les Etats-Unis à se substituer aux Britanniques pour défendre et renforcer « la race anglo-saxonne dont la mission est de civiliser et de christianiser le monde. Cinq ans plus tard, John L. Burgess dans Political Science and Comparative Law rappelle « Il n’existe pas de droit de l’homme pour les peuples barbares. » Pour lui l’impérialisme se justifie dans la mesure où il faut que les plus capables prennent en charge ceux qui sont incapables de se gouverner. Il précise ainsi sa pensée :

« Les nations qui ont les meilleures institutions sont obligées non seulement de répondre à l’appel des populations encore mal organisées politiquement mais aussi imposer au besoin une certaine forme d’organisation par tous les moyens appropriés. »3 (C’est nous qui soulignons)

Tel est l’état d’esprit qui règne dans les milieux puritains des Etats-Unis à la croisée du XIXe et du XXe siècles. C’est dans cette conception du monde qu’a été formé W. Wilson. Selon Zorgbibe4 et Novailhat, Wilson – s’il n’était pas un impérialiste pur et dur comme Théodore Roosevelt qu’il venait de battre considérant toutefois que l’expansion des Etats-Unis dans les Caraïbes après la guerre hispano-américaine « avait des nécessités « naturelles », matérielles mais aussi sociales ».

De ce fait, conformément à ses convictions profondes, il veut soutenir les régimes démocratiques et constitutionnels, convaincu qu’il faut exporter ce qu’il appelle « La Nouvelle Liberté ». Il mène une politique carrément impérialiste dans les Caraïbes et au Mexique dont H. Novailhat estime « qu’elle s’est révélée malheureuse, humiliante et presque catastrophique. »

Tout cela apparaît dans les quatorze points du discours du 8 janvier 1918 : certes, le message, dans une certaine mesure tout au moins, répond aux propositions de paix de Lénine, mais l’impact soviétique est plus faible que d’aucuns l’affirment. Déjà en août 1917, en réponse à l’appel à la paix de Pape Benoît XV, Wilson avait fait des propositions hostiles aux Empires centraux, à leurs souverains dont il souhaite le renversement leur reprochant – au moins partiellement à tort – leur autoritarisme, leur militarisme, leur antilibéralisme.

Il est d’ailleurs au même moment très critique devant les buts de guerre des alliés et les traités de sécurité qu’ils avaient passés : « La France et l’Angleterre n’ont pas sur la paix les mêmes vues que nous, et de loin. Quand la guerre sera finie, nous pouvons les amener à notre façon de penser …car à ce moment-là, . ils seront financièrement entre nos mains. » (Lettre de Wilson au Colonel HOUSE du 21 juillet 1917, citée par V-H. Novailhat)

Ce n’est pas Lénine qui conduit Wilson à réclamer la « liberté absolue de navigation sur mer » ou la « suppression de toutes les barrières économiques, à condamner « la diplomatie secrète » et moins encore la création d’une « association générale des nations ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégralité territoriale aux petits comme aux Grands Etats. » Cette association générale des nations, c’est bien l’affirmation de la conviction intime d’un professeur de droit international profondément marqué par la pensée du christianisme puritain. À ses contemporains le projet de SDN apparaît comme le départ d’un nouveau système mondial, débarrassé des rivalités militaires et des revendications politiques, fondé sur la collaboration pacifique de nations désarmées. Wilson est convaincu qu’il faut instituer un nouvel ordre international stable fondé sur la démocratie et le droit ; Mais cette vision d’inspiration protestante va se heurter à une autre tradition américaine énoncée dès le temps des Fondateurs (Washington et Jefferson) : « refuser

toutes alliances permanentes et contraignantes » ; en d’autres termes mener une politique isolationniste et nationaliste . Théodore Roosevelt est hostile à la SDN : « Nous ne sommes pas internationalistes, nous sommes des nationalistes américains. » (28 septembre 1918) C’est le thème que reprennent les Républicains et cela explique leur succès aux élections de mi-mandat (Mi-Terme) de novembre 1918, victoire qui laisse à Henry Cabot-Lodge la présidence de la Commission des Affaires Etrangères du Sénat. Et c’est ce Sénat qui va refuser la ratification du Traité de Versailles. Les Etats-Unis ne siègeront pas à la Société des Nations.

Il n’empêche que l’origine de cette première organisation politique internationale plonge ses racines dans une vision puissamment marquée par la théologie puritaine de solidarité entre les hommes, les peuples et les nations. Et de l’échec de la SDN naîtra 25 ans plus tard l’Organisation des Nations unies.

*Professeur émérite d’histoire contemporaine à la Sorbonne Paris IV, après avoir été pendant trente ans enseignant à l’Université de Strasbourg, où il a dirigé successivement l’Institut d’études politiques, le Centre des études germaniques et l’Institut des hautes études européennes. Il vient de publier une Histoire de la Russie aux éditions de Fallois.

Notes

  • Sur tout ceci cf. le livre fondamental de Ralph Barton PERRY, Puritanisme et Démocratie, Robert Laffont, 1952, et l’ouvrage de J. P. MAYER, Dieu de colère, Stratégie et puritanisme aux Etats-Unis, Addim 1995
  1. C’est au nom de ces principes, que Michel SERRET sera exécuté à Genève
  2. Les deux textes du Révérend J. Strong et du Professeur J. L. Burgess sont cités d’après H. NOUAILHAT, Les Etats-Unis et le Monde, A. Colin, 2000
  3. ZORGBIBE, W. WILSON, Fondation des sciences politiques, 1998
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