Le respect du droit et l’équité, fondement indispensable de la société internationale

Son Excellence M. Boutros Boutros-Ghali

Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies de 1992 à 1996, ancien ministre des Affaires étrangères d’Egypte

3eme trimestre 2012

Excellences,

Mesdames, Messieurs les professeurs, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Je me réjouis de cette initiative de l’Académie de Géopolitique de Paris qui me permets de m’exprimer sur un sujet qui m’a toujours intéressé et d’adresser un message de paix à la société internationale particulièrement menacée, ces dernières années, par la dérive de l’hégémonie politico-médiatique sur le droit, la justice et l’équité, provoquant un « désordre international » et l’émergence des excès de toute nature.

J’ai toujours lutté, notamment quand j’étais Secrétaire Général des Nations unies, contre l’injustice et me suis employé à faire prôner les principes du droit et de l’équité qui doivent être le fondement de la société internationale. J’ai plaidé en faveur d’une réforme des institutions des Nations unies, en particulier du Conseil de sécurité, afin d’établir un équilibre juridique équitable pour éviter le règne du plus fort sur le plus faible. Je me suis insurgé contre tout acte internationalement illicite, en payant notamment de mon second mandat, à l’issue de ma réaction au massacre de Cana au Sud-Liban, en 1996.

Aujourd’hui, je maintiens et rappelle mes positions à l’égard des sanctions inter­nationales qui sont devenues monnaie courante au cours de ces dernières années : s’agissant des sanctions collectives édictées par le Conseil de sécurité des Nations unies en application des dispositions de l’article 41 de la Charte mais aussi des sanctions unilatérales décidées par un État ou par un groupe d’États à travers des organisations régionales, à l’instar des mesures qui sont de nos jours adoptées par l’Union européenne ou par les États-Unis.

L’objectif escompté de ces mesures doit être de modifier le comportement d’un État ou de toute entité qui menacent la paix et la sécurité internationales et non pas de les punir ou de prendre des mesures de représailles à leur encontre. Tel est d’ailleurs le fondement des dispositions de l’article 41 de la Charte des Nations unies.

Ainsi, il faut clarifier les aspects relatifs à la mise en place et à l’application des « sanctions », en essayant d’instaurer un cadre juridique leur assurant une efficacité réelle. J’avais, pour ma part, essayé d’établir un plan à cet effet, pour éviter la déviation de l’objectif des sanctions afin qu’il ne soit pas porté atteinte aux populations. Tel était d’ailleurs le fondement des dispositions de l’article 16 du Pacte de la Société Des Nations et de l’article 41 de la Charte des Nations unies.

Dans mon rapport intitulé « Supplément à l’Agenda pour la Paix » établi en 1995 (A/50/60), j’ai proposé une modification du régime préalable des sanctions dans l’objectif non seulement de les rendre plus efficaces mais aussi et surtout pour éviter les dérives précitées, portant atteinte aux droits de l’Homme et sanctionnant la population civile ou des États tiers.

En effet, force est de constater que les objectifs des sanctions mises en place ne sont pas toujours clairement définis, peut-être pour des motifs politiques. Ces objectifs changent donc avec le temps. Cette combinaison d’imprécision et d’insécurité juridique rend le jugement difficile : il est ainsi malaisé de savoir à quel moment ces objectifs pourraient être atteints et, par conséquent, les sanctions levées. Ainsi, certaines sanctions peuvent paraître sans effets voire superflues.

C’est la raison pour laquelle je rappelle qu’il faudra être prudent dans la prise et la mise en œuvre des sanctions pour éviter de donner l’impression qu’elles sont prises dans un esprit de vengeance, pour punir au lieu d’avoir comme objectif la modification de comportements politiques illicites, menaçant la paix et la sécurité internationales, ou contraindre un État à se conformer à ses obligations.

Je partage les dispositions de la récente résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 16 décembre 2009 (A/RES/64/115) qui indique que les sanctions « doivent être soigneusement ciblées sur des objectifs précis et légitimes, et appliquées de manière à respecter l’équilibre entre l’efficacité de la réalisation de ces objectifs et les conséquences néfastes qu’elles peuvent avoir pour les populations et les États tiers, notamment sur le plan socio-économique et humanitaire ».

C’est la raison pour laquelle je reste très circonspect à l’égard des sanctions unilatérales qui sont adoptées par les instances politiques d’une manière arbitraire, quel que soit la cause de leur adoption.

La priorité doit être accordée au règlement pacifique des différends sur la scène internationale par la négociation, les bons offices, la conciliation et la médiation.

Les sanctions ne doivent être prises qu’en dernier recours et par un organe neutre. Leur application devra être contrôlée d’une manière à assurer leur effectivité.

En effet, les sanctions sont en réalité un instrument offensant. Elles soulèvent la question éthique de savoir si les souffrances infligées aux groupes vulnérables dans les pays visés est un moyen légitime d’exercer une pression sur les dirigeants politiques de ce pays. La question est donc de savoir si ces mesures affectent ces dirigeants politiques réellement, ou si elles utilisent la population civile comme otage, pour contraindre ces premiers en retournant l’opinion publique contre eux. L’expérience a démontré, à ce sujet, que les sanctions ont des effets non escomptés ou inattendus dans la mesure où les Nations unies n’ont pas nécessairement les moyens de les contrôler.

C’est la raison pour laquelle, je réitère ma prudence dans l’adoption et la mise en place des sanctions internationales, qui peuvent malheureusement avoir de graves répercussions sur des pays tiers, notamment les pays voisins, comme l’a rappelé la résolution précitée de l’Assemblée générale du 16 décembre 2009. Elles pourraient également contredire leur objectif en provoquant une réaction dans la population du pays contre lequel ces mesures sont imposées, un phénomène patriotique de ralliement de la population à ses dirigeants dont les sanctions visent à modifier le comportement. Dans ce cas, cette population pourra manifester une hostilité à l’encontre de la communauté internationale.

Sans remettre en question la nécessité des sanctions à l’encontre de tout acte jugé comme étant internationalement illicite, je souhaite que les sanctions soient adoptées par des organes judiciaires plutôt que par les instances politiques, dans un monde où devra régner et primer le DROIT sur l’opportunisme politique.

Je vous remercie.

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