Le monde en attente d’une évolution L’idéal infructueux de la création des États-Unis d’Europe

Ali RASTBEEN

Fondateur et président de l’Académie de Géopolitique de Paris. Directeur éditorial de la revue Géostratégiques. Auteur de Géopolitique de l’Islam contemporain, Éditions IIES, 2009.

1er trimestre 2012

Fissures ou crises ? Gestion ou abandon ? L’avenir de l »Europe est au cœur de la crise mondiale qui secoue les puissances économiques et financières. L’Union européenne, entité économique et politique tente de préserver les acquis et les institutions communautaires pour maintenir son intégration régionale dynamique et peser dans La transformation géostratégique internationale et les rapports internationaux.

The world awaits an évolution. The fruitless ideal ofthe création of a United States of Europe.

Splits or crises? Management or abandon? The future of Europe is at the heart ofthe world crisis that is shaking the economic and financialpowers. The European Union, an economic andpolitical entity, attempts to preserve the successes and the community institutions in order to maintain its dynamic regional integration and to have weight in the international geographic transformation and interna­tional relations.

La crise financière a terni le ciel de l’Europe. De la Grèce au sud-est du continent, jusqu’à la Grande-Bretagne, au nord-ouest de ce même conti­nent, aucune perspective de sortie de crise n’est perceptible. La principale difficulté provient de ce que la crise financière de l’Europe est intimement liée à celle des États-Unis d’Amérique. Pour régler ses propres difficultés, Washington exerce une pression sur l’Europe en vue de transférer le poids de la crise sur les couches infé­rieures de la société. Le laboratoire grec, sous contrôle de l’Union européenne, est confronté à des réactions issues des bases de la société. L’Italie doit également faire face aux mêmes difficultés afin de rembourser sa dette souveraine. Le Portugal et l’Espagne attendent leur tour. Les initiatives prises par les chefs d’État de l’Union européenne n’ont pas donné les résultats escomptés. À l’exception de l’Allemagne qui constitue le cheval de flèche de l’économie européenne, les dettes souveraines des États vis-à-vis des banques constituent la principale question du jour et dé­montrent l’incapacité des États de s’extirper de la toile tissée au niveau mondial par les bourses, les banques et les établissements financiers de crédit.

Il ne faut pas oublier que la crise économique est la maladie chronique du sys­tème capitaliste mondial et qu’à ce jour, la seule voie de sortie de cette crise a été le recours à la guerre. Or, à la suite des destructions survenues lors de la seconde guerre mondiale et les évolutions conséquentes, il apparaît que la mondialisation de la guerre n’est plus, aujourd’hui, une solution. De nos jours, les conditions ne peuvent plus être réunies pour qu’une puissance militaire grâce à sa suprématie, comme au xxe siècle, entame une vaste entreprise guerrière.

Un long chemin nous sépare de l’ère au cours de laquelle les armes sophistiquées seraient en mesure d’opérer une neutralisation des arsenaux de l’Est et de l’Ouest. Cependant, les guerres locales sont toujours à l’ordre du jour afin de remédier aux crises économiques chroniques. Le Moyen-Orient et le Golfe Persique constituent des laboratoires expérimentaux et favorables pour se lancer dans de telles aventures.

La stratégie militaire des États-Unis, annoncée au début de 2012, souligne l’in­tention de se concentrer dans l’Océan Pacifique (au voisinage de la Chine) et dans le Golfe Persique (au voisinage de l’Iran). Le programme de vente d’une grande quantité d’armes à l’Arabie saoudite, aux Emirats Arabes Unis ainsi qu’aux États du littoral sud du Golfe Persique, dont le montant s’élève à 90 milliards de dollars et comprend une gamme complète d’armement, change la donne dans la région. Liée à la capacité des pays contractants, cette vente d’armes permet de constater que les acquéreurs n’ont fait, en réalité, que financer la nouvelle stratégie du Pentagone afin d’amener comme par le passé, les revenus pétroliers de la région à remédier provi­soirement à la crise économique de l’Occident1.

Ces préparations, combinées aux rapports et aux prévisions ainsi qu’aux com­mentaires réguliers, démontrent que dans un avenir proche, le Golfe Persique sera en proie à une vaste tempête. Le fait de pointer du doigt la Chine dans l’Extrême-Orient constitue également une manière de tenir ce pays à l’écart des événements qui se dérouleront dans le Golfe Persique, des événements qui pourraient être à l’origine de changements stratégiques fondamentaux dans cette région.

Cependant, outre la crise financière, l’Union européenne, dans son essence même est en proie à une crise fondamentale. Le modèle des « États-Unis » qui, dans l’esprit de l’unité de l’Europe, a été à la base du fondement de l’union de ces pays, n’a pas pu frayer son chemin auprès de l’opinion publique2. L’histoire de la der­nière décennie a démontré la présence de la question nationale au sein des peuples européens en tant que facteur vivant et principal. La difficulté d’élaboration d’une constitution européenne dont l’ancien président de la République française, Valéry Giscard d’Estaing en avait la charge, relevait de ce même facteur3. Les peuples euro­péens n’ont pas oublié l’expérience historique de la guerre, la domination militaire de l’Allemagne nazie et, ensuite, la création du mur de Berlin séparant l’Europe en deux camps.

L’organisation de l’Union européenne est fondée sur des bases solides et sur des acquis politiques et économiques (matière politique et économique). Mais, malgré son autorité, la question de Chypre, objet de conflit entre la Turquie et la Grèce, n’a pas encore trouvé de solution. Cependant, on ne peut négliger le poids politique de l’Union européenne dans les questions politiques et économiques du monde, même si en Europe, les États ne sont pas homogènes et doivent surmonter le danger de la désintégration de l’Union4.

Dès le début, la Grande Bretagne a gardé ses distances vis-à-vis de l’Union, agis­sant de manière indépendante à l’égard de ses programmes et de ses politiques. Elle n’a même pas adhérée à la monnaie unique européenne en gardant sa propre mon­naie, vestige du passé glorieux de l’empire britannique. Durant l’année dernière, les relations entre Paris et Londres se sont clairement refroidies. La monnaie unique européenne, si elle pouvait attirer l’adhésion de tous les membres de l’Union, aurait pu favoriser le poids politique et la crédibilité de l’Union. Mais le fait que seul 17 pays ont adhéré à cette monnaie, démontre que la question nationale résiste encore face à l’Europe unifiée.

Les pays qui ont adhéré à la monnaie unique ont souvent profité de l’oppor­tunité qu’elle leur offrait sans pour autant avoir les capacités économiques néces­saires. Cette insuffisance a été un facteur de la crise qu’ils ont connue. La valeur de la nouvelle monnaie dépend des capacités de tous ses pays adhérents à l’échelle mondiale. Or, dans cet ensemble, la part de l’Allemagne n’est pas identique à celle de la Grèce. Il faut prendre des mesures en vue d’établir cette égalité, ce qui, de par l’essence même de l’économie, réduit l’indépendance nationale des États et conduit le contrôle de leurs actions par un système extérieur. Aujourd’hui, c’est cette alter­native qui se trouve devant les États, ayant adopté la monnaie unique. Ce chemin réclame une réponse historique de la part de l’Europe unifiée. Lors de la confron­tation entre les deux blocs, Est et Ouest, la direction mondiale de Washington traversait les frontières de la souveraineté nationale des États européens. À l’époque, le Président français, Charles de Gaulle, ne l’a pas accepté et tout en préservant son alliance atlantique, le pays a quitté l’organisation militaire de ce pacte. Ce n’est que l’année dernière, que le président français Nicolas Sarkozy, a décidé de la réintégrer, à part entière.

À la suite de la désintégration du bloc de l’Est, l’OTAN, en tant qu’organisation militaire occidentale, s’est doté d’un poids politique. L’OTAN a été présente en tant que telle lors de l’explosion de l’ex-Yougoslavie, de même qu’en Afghanistan, en Irak et en Libye (sous le contrôle des États-Unis). L’OTAN s’est également donné un rôle dans l’avenir des pays libérés de l’ex-Union soviétique, entraînant son inter­vention jusqu’au nord et l’ouest de l’Asie. Compte tenu des difficultés auxquelles doivent faire face les États-Unis d’Amérique, l’Union européenne doit prendre en charge une plus grande partie des frais relatifs à cette organisation.

La principale difficulté de l’Occident, aux États-Unis comme en Europe, réside dans le système monétaire et financier mondial. Le crédit qui a atteint un tel stade exige des solutions radicales. Ce qui aux États-Unis – en tant que métropole -du ca­pital mondial – est devenue le mot d’ordre du jour depuis l’année dernière, puisant ses racines dans les réalités qui dominent les relations économiques. L’occupation de Wall Street, centre du capital et de la bourse de New York, constitue le sym­bole de l’organisation de la jeunesse américaine. Cette occupation a été répercu­tée également en Europe. Tandis que le rendement technologique est en évolution permanente, la part sociale des pays se résume dans la progression du chômage, et l’extension des privatisations5.

La croissance exponentielle de la science et des technologies est en contradiction avec la méthode d’exploitation des hommes. Dans un avenir fort proche, pour réta­blir l’équilibre, un effort et une évolution mondiaux deviendront incontournables. Les solutions du passé ne peuvent plus être utilisées pour amoindrir cette distance. En un mot : l’Organisation des Nations unies et ses différents organismes de re­cherche constituent la seule organisation qui doit être renforcée et mobilisée pour la direction du monde.

 

Notes

  1. notre article, « Vers l’État mondial unique »», Géostratégiques N°6, janvier 2005, pp.9-21.
  2. Élisabeth du Réau, Identités nationales, identité européenne, visibilité internationale : Aspects historiques, politiques et économiques de la construction européenne, Paris, l’Harmattan, 2004, p. 89.
  3. Valérie Giscard d’Estaing, Une Constitution pour l’Europe, paris, Albin Michel, 2003.
  4. Elisabeth du Réau, L’idée d’Europe au XXe siècle des mythes aux réalités, Bruxelles, Complexe, 3e édition, 2008. Cf. Daniel Pinto, « La crise financière européenne est d’abord une crise de gouvernance »», Le Monde, 12.09.2011, président et co-fondateur de Stanhope Capital.
  5. Voir le N° 29 de Géostratégiques, « Où va l’Amérique de Barack Obama ? »», 4ème trimestre, 2010.
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