Antoine SFEIR
Directeur des Cahiers de l’Orient.
Février 2001
En dix ans, le monde arabe et musulman a changé bien plus et bien plus vite qu’en cinquante ans. Pour mieux saisir et comprendre ces mutations profondes des sociétés arabo-musulmanes -y compris la Turquie et l’Iran- il est indispensable de s’inscrire dans une linéarité chronologique depuis le début du siècle.
En ce temps là deux grandes puissances dominaient le monde et ses richesses : la Grande Bretagne et la France. Paris et Londres n’avaient même pas attendu la fin de la Grande guerre et la désintégration de l’empire ottoman pour se partager cette région du monde. Dès 1916 en effet dans un découpage fort savant, Français et Britanniques décidaient entre eux de l’avenir de l’Irak, de la Palestine et de l’Egypte qui allaient revenir à Londres et du Liban, de la Syrie et de la Cilicie qui allaient tomber dans l’escarcelle française. Le choix anglais n’était pas innocent : le pétrole de Mossoul et le passage du Canal de suez étaient d’un intérêt vital pour les intérêts de la monarchie britannique. C’est bien pour cela que pour sauvegarder ces intérêts la Perfide Albion va promettre tout à n’importe qui : pas seulement aux Français mais également au chérif Hussein auquel la diplomatie britannique va promettre le fameux royaume arabe.
D’ores et déjà le monde arabe connaît une première révolution : mis à part l’Egypte, l’Iran et la Turquie, et dans une moindre mesure le Maroc, aucune des nouvelles entités territoriales n’a connu auparavant de frontières au sens international du terme. De tout temps les populations de ces régions se déplaçaient librement et voilà que le colonisateur leur impose des barrières. C’est sans doute une des raisons qui va alimenter le rêve de l’unité arabe. Dès les années cinquante, ce rêve va devenir un objectif à atteindre, surtout après la révolution égyptienne et l’arrivée au pouvoir de Gamal Abdel Nasser.
Dans le même temps les deux puissances tutélaires, France et Grande Bretagne vont devoir passer le relais : Nasser ayant touché au Canal de Suez, nouvellement nationalisé, l’expédition franco-britannique est déclenchée avec l’appui de l’armée israélienne. Une belle victoire militaire, mais quelle défaite politique ! Sous la pression conjuguée des Etats Unis et de l’Union soviétique les vainqueurs vont devoir se retirer du territoire égyptien et en corollaire perdre leur suprématie en faveur des nouvelles puissances nucléaires que sont devenues les Etats-Unis et l’Union soviétique. Ces deux dernières vont mettre la main à leur tour sur cet espace arabo-musulman. Le monde arabe est alors coupé en deux : d’un côté les pays dits progressistes regroupés autour de Nasser et de l’idée de l’unité arabe, et de l’autre les pays dits conservateurs autour de l’Arabie saoudite.
Le choix des Etats-Unis de parrainer les monarchies pétrolières n’est pas le fruit du hasard. Si l’on écoute les commentateurs de l’époque ou même certains historiens contemporains, on pourrait se laisser convaincre que les Etats Unis ont jeté Nasser dans les bras des Soviétiques uniquement pour des raisons d’opposition personnelle entre le Secrétaire d’État de l’époque et le nouveau maître de l’Egypte. Je n’en crois rien. Je crois en revanche que les Etats-Unis savaient très bien ce qu’ils faisaient. A l’instar des Britanniques ils donnaient la priorité à leurs intérêts et ceux là consistaient à contrôler les sources de pétrole et d’hydrocarbures, leur extraction, leur raffinage et leur acheminement. Il était normal dans cette optique de voir l’Arabie saoudite devenir une pièce maîtresse de la stratégie américaine. En tout cas plus que l’Egypte de l’époque qui n’avait pas de pétrole et dont le nouveau chef avait montré une hostilité arrogante à l’égard de l’Occident. Mais l’Arabie n’était pas la seule. L’Iran sera, en dépit ou peut être en raison de soubresauts internes qui menaçaient les formidables réserves de pétrole, un autre protégé privilégié de la grande Amérique.
Pour des raisons stratégiques cette fois la Turquie, formidable rempart face à l’URSS et plus tard Israël lâché par la France en 1967, rejoindront le camp des Américains. Mais les Etats-Unis ont une sainte horreur de se retrouver face à des blocs constitués, à moins que ces blocs ne soient des marchés à conquérir. Le monde arabe était alors regroupé au sein de la Ligue arabe et malgré les zizanies, les luttes intestines, les différents intra-arabes, on arrivait toujours à l’occasion de sommets ou de réunions interministérielles à aplanir les divergences. Pour Washington, rien ne vaut des relations bilatérales. C’est dans ce cadre que la diplomatie américaine se sent le plus à l’aise. Le retournement du président égyptien Anouar Sadate en juillet 1972, demandant du jour au lendemain aux 18 000 conseillers soviétiques sur les bords du Nil de rentrer chez eux va donner une occasion unique à la diplomatie américaine de procéder à une véritable réévaluation de la situation dans la région. Désormais, pour Washington, les priorités économiques vont accompagner harmonieusement les intérêts stratégiques dans la région. Récupérer l’Egypte dans le camp occidental fut d’autant plus aisé que ce camp apparaissait comme celui de la paix. Et une fois de plus, journalistes et commentateurs vont se tromper : Non ! ce n’est pas l’Egypte qui est mise au ban du monde arabe mais bien ce dernier qui va se priver du soutien du plus grand pays arabe et surtout de l’armée arabe la plus puissante. Dans le même temps la stratégie Kissinger; encore aujourd’hui d’actualité va se mettre en place.
Quatre objectifs vont se dessiner :
- Éclatement du monde arabe et du Moyen Orient.
- Implication des Etats-Unis dans tous les problèmes de la région, d’où imposition des Etats-Unis comme interlocuteur sinon unique du moins incontournable.
- Contrôle des hydrocarbures et des grands marchés de la région : télécommunications, aéronautique et autoroutes de l’information.
- Éradication de toute velléité d’union arabe qui, aux yeux de Washington, ne pourrait qu’être hostile.
Pour cela trois moyens seront utilisés :
- Affaiblissement et déstabilisation des régimes en place hosti
- Instrumentalisation de l’islam et de l’islamisme.
- Gestion à distance d’une région mouvante et fluctuante.
La guerre du Liban qu’on a qualifiée de guerre civile, permettra de focaliser toutes les contradictions et les paradoxes du Proche et du Moyen Orient. De 1975 à 1983, durant les huit premières années de la guerre, il y aura dans chaque manifestation de la guerre libanaise un acteur étranger : Palestiniens, Syriens, Libyens, Soudanais, Israéliens…Ce n’est qu’en septembre 1983 que le caractère civil de cette guerre apparaîtra pour la première fois durant les combats entre Druzes et Chrétiens. Il est néanmoins intéressant de noter que dès le premier coup de feu de cette guerre, plus aucun conflit, plus aucun coup d’état ni révolution ne vont secouer le reste du monde arabe. Vue sous cet angle, la guerre du Liban pourrait apparaître comme la première manifestation de la stratégie Kissinger. Les accords de Camp David en 1978 et la paix israélo-égyptienne l’année suivante en seront la seconde manifestation : le monde arabe est désormais orphelin de l’Egypte. Toutes les rodomontades et les actes de terrorisme commandités par les pays du Front de refus n’y changeront rien : le monde arabe est désormais impuissant. Survient alors la révolution iranienne et les excès que l’on connaît. Est-elle vraiment anti-américaine ? Apparemment sans aucun doute. Réellement permettez-moi d’en douter : L’Iran est un pays chiite face à un monde arabe sunnite ; l’Iran est perse face à 150 millions d’Arabes. Il constitue en quelque sorte la frontière naturelle entre l’islam arabe et l’islam non arabe ; enfin l’Iran est le gendarme puissant du Golfe persique, donc du passage de 35% d’approvisionnement pétrolier de l’Occident . L’émergence de la puissance iranienne apparaît comme une excroissance pathologique sur un corps arabe gravement malade. De plus, cette excroissance se dressait devant un pays arabe devenu inquiétant par sa puissance militaire, son industrialisation, la diversification de son économie et ses intentions belliqueuses. Je veux parler bien entendu de l’Irak.
Saddam Hussein et son armée se sont crus investis d’une nouvelle mission digne de Saladin 1er dont la statue trône fièrement au centre de Bagdad : défendre l’Occident contre les folies et les excès des Ayatollah. Un jour de septembre 1980, au moment où les Soviétiques déferlent sur l’Afghanistan, Saddam envahit l’Iran. La guerre va durer huit ans affaiblissant les deux pays qui vont revenir à la situation antérieure. Un seul vainqueur : l’Arabie saoudite qui est débarrassée, pour un certain temps du moins, de ses deux rivaux régionaux. Mais l’Irak ne l’entend pas de cette oreille. Saddam entend récolter les fruits de son sacrifice. Le prétexte en est le débouché de l’Irak sur le Golfe. Il réclame au Koweït l’accès aux îles non habitées de Watbane. L’émirat le lui refuse. C’est une affaire inter-arabe dira même April Gasby, Ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad venue faire ses adieux à Saddam avant la fin de sa mission. L’invasion du Koweït le 2 août 1990 va déclencher la tempête du désert ! Et quelle tempête ! 29 pays hétéroclites coalisés contre Saddam le Satan, de la Syrie au Maroc, sous la conduite de George Bush vont réduire en cendres l’armée irakienne, la 4ème armée du monde à en croire les analystes de la CIA. L’Arabie saoudite a désormais toutes les raisons de se sentir rassérénée. Mais les conséquences de cette croisade anti-irakienne sont multiples et tel un caillou qu’on lance dans un lac les vagues continuent à atteindre aujourd’hui encore les rivages.
En premier lieu, figure l’éclatement du monde arabe. Désormais chaque pays pouvait, et à la limite devait, à l’instar du Koweït ne compter que sur lui-même et sur ses propres alliances, le plus souvent en dehors de la région. Le corollaire pessimiste d’un tel constat est que ces pays, pour s’en tirer, risquaient de le faire aux dépens des autres pays de la région.
Autre corollaire : la victoire idéologique définitive -si tant est que quelque chose puisse être définitif dans cette partie du monde -des conservateurs. En réalité, dès la fin des années soixante-dix, le nationalisme arabe avait vécu. A sa place ont surgi des politiques de régimes essentiellement motivées par des instincts sécuritaires qui se sont substituées aux tendances de solidarité unitaire. Ces nouvelles préoccupations se sont reflétées dans les attitudes arabes vis-à-vis des grandes puissances : devenir l’interlocuteur de ces dernières, être reconnues par elles comme une puissance régionale afin de leur permettre de consacrer leurs prétentions à s’imposer aux autres.
En deuxième lieu, le risque de démantèlement de l’Irak qui pourrait créer un précédent de changement de frontières dans toute la région, à tel point que dès le lendemain de la crise puis de la guerre du Golfe, la Syrie, l’Iran et la Turquie, ont mis en garde contre toute tentative de modification des frontières de l’Irak.
En troisième lieu, l’émergence de trois puissances régionales dans la région, dont aucune n’est arabe : l’Iran, la Turquie et Israël. L’effondrement de l’Union soviétique qui intervient au lendemain de la guerre du Golfe, la défaite irakienne, les divisions inter-arabes la décision américaine de rogner les ailes tout à la fois de l’Iran et de l’Irak, la crise financière des monarchies pétrolières, tous ces éléments levaient définitivement toute menace réelle sur Israël de la part de son environnement arabe et lui assuraient une supériorité militaire, stratégique, économique et technologique.
Domination stratégique et sécuritaire.
Jusqu’en 1989, l’hégémonisme israélien dans la région était territorial et la bipolarisation planétaire avait figé cet état de fait. Depuis, l’effondrement de l’Union soviétique et son désengagement effectif dans le Proche et le Moyen Orient a mis fin à ce constat entraînant à la fois une immigration massive des juifs soviétiques en Israël et un renforcement de la coopération militaire israélo-américaine. Ce dernier point mettait fin de facto à toute velléité de maintenir la parité stratégique israélo-arabe, qui était jusque dans les années quatre vingt dix le maître mot de la politique des puissances en matière de sécurité.
La domination militaire.
Les capacités militaires israéliennes entretenues par l’alliance indéfectible avec les Etats-Unis ont laissé loin derrière le potentiel de défense des Etats arabes quels qu’ils soient, ceux du champ de bataille comme les autres. Cette domination militaire risque désormais aux yeux des dirigeants arabes de s’étendre à tout le monde arabe, Maghreb compris.
La domination économique et technologique.
Aux yeux des Arabes, les relations futures entre Israël et ses voisins laissent entrevoir un sombre avenir pour ses derniers. Le PIB israélien est de 60 milliards de dollars, celui de la Syrie a atteint une dizaine de milliards de dollars en 1993. Cela ne préfigure t-il pas des relations futures entre les deux pays, entre un pays industrialisé et un pays en voie de développement ? De même le PNB israélien représente deux fois ceux réunis de la Syrie, de la Jordanie et du Liban. Fort de l’expérience de quinze années de normalisation israélo-égyptienne, les dirigeants arabes se rendent compte que la normalisation ne s’impose pas par des traités : la main d’oeuvre égyptienne fait toujours défaut à la technologie israélienne et les touristes égyptiens sont encore très rares en Israël. Cette paix froide est le modèle qui prédomine : Israël, l’ennemi d’hier ne pourra être, demain, que le rival. Si l’idéologie définit l’ennemi, la politique pragmatique offre toute la gamme de modalités pour l’affronter.
En quatrième lieu la gestion des affaires arabo-musulmanes par les Américains accentue la fragmentation de l’espace arabe et musulman : désormais, à l’instar de l’empire romain, les Etats-Unis ont installé des proconsuls, des relais de puissance dans chaque partie de la région. L’Arabie saoudite pour la Péninsule arabique, l’Egypte pour la Vallée du Nil, Israël pour le Proche Orient et enfin l’Algérie pour l’Afrique du nord. Le Maroc aurait bien aimé être élu et choisi comme sous gendarme de la région, mais aux yeux des Américains, l’Algérie est un Etat-Nation qui s’est battue contre une puissance, la France, et disposant surtout d’une énorme richesse en pétrole et gaz. Avant de tomber dans l’escarcelle américaine, l’Algérie fut déstabilisée essentiellement par l’émergence puis la montée de l’islamisme, ce qu’on appelle dans le monde anglo-saxon le fondamentalisme ou l’intégrisme. Il s’agit de ces courants de pensée qui cherchent à islamiser ou à réislamiser l’environnement dans lequel ils se trouvent. C’est par l’intermédiaire du courant wahhabite, c’est-à-dire le courant saoudien, que les Etats-Unis vont parvenir à leurs objectifs de déstabilisation des régimes en place.
Les Etats Unis n’ont pas de problèmes avec leurs musulmans dilués dans une population nombreuse. Pour eux, l’instrumentalisation de l’islam ne peut constituer un danger si l’on excepte des dérapages comme l’attentat contre le World Trade Center. Il peut en revanche représenter une arme : il l’a été en Afghanistan comme un rempart contre le communisme.
L’islam en Arabie est à la fois l’Etat et la Constitution. Dans le même temps, la manne pétrolière permet aux Wahhabites de s’implanter dans le monde entier à travers la Ligue islamique mondiale (la Rabita) et les banques islamiques. Toutes ces institutions et bien d’autres, peuvent en toute légalité, financer des groupes et des associations, à travers le Zakat qui est l’aumône chez les musulmans, une des obligations pour tout pratiquant.
Le défi de la modernisation implique pour le monde arabe la prise en compte de ses diverses composantes, notamment ses minorités culturelles ou religieuses, et surtout, dernière et non la moindre des conditions, le dépassement de ses divisions, en un mot une rupture avec la fatalité du déclin.
A contre-courant du vaste mouvement de recomposition stratégique qui s’opère sur le plan international avec la constitution de grands ensembles politiques sur une base géographique dans la perspective de la mondialisation des flux économiques et culturels, le monde arabe campe sur ses divisions politiques, sur ses disparités économiques et sur ses crispations sécuritaires. Il demeure le grand absent du mouvement de redéploiement planétaire, en dépit des défis qui se posent à lui, en dépit aussi des convoitises qu’il suscite du fait de sa position charnière à l’intersection de trois continents (Europe-Asie-Afrique), de son rôle de grand pourvoyeur d’énergie de l’économie mondiale et du rayonnement spirituel de certains de ces centres religieux.
Fait symptomatique de ses divisions, pas un sommet arabe ne s’est tenu en dix ans. Pas un sommet tout au long d’une décennie, pourtant capitale dans la reconfiguration géoéconomique de la planète. Alors que sur les autres continents, des grands ensembles régionaux, -l’Union Européenne pour l’Europe occidentale, Alena-Nafta pour le continent nord-américain, Mercosur pour l’ Amérique latine, Apac pour la région Asie- Pacifique – se mettent en ordre de bataille pour la conquête des marchés du XXIème siècle, le monde arabe se retrouve exsangue, épuisé par un demi-siècle de violence ininterrompue, dérivant sans cohésion, sans thèmes mobilisateurs, ni objectifs fédérateurs.
Loin d’être un exercice d’auto-flagellation, le verdict est sans appel et le décompte affligeant : le monde arabe a engagé près de 155 milliards de dollars au titre des dépenses militaires au cours du dernier tiers du 20ème siècle, soit environ 50 milliards de dollars par an en moyenne, sans avoir pu se doter ni d’une capacité de projection de puissance, ni d’une capacité de dissuasion nucléaire, encore moins de la capacité spatiale du renseignement, autant d’attributs de la puissance moderne qui lui font cruellement défaut.
Pendant près d’un quart de siècle, de 1970 à 1994, le Moyen-Orient aura absorbé 45% des armes vendues au tiers- monde, 35% de la totalité des achats mondiaux d’armement, alors que sa population ne représente que 3% de celle de la planète au point de parvenir à posséder plus d’armements par habitant (pour les chars et l’artillerie) que la totalité de la trentaine de pays européens compris dans les anciens pays du pacte de l’Otan et du pacte de Varsovie.
A l’aube du XXIème siècle, le monde arabe apparaît ainsi comme une zone sous tutelle marquée par une présence militaire étrangère aussi importante qu’à l’époque coloniale avec des bases dans le golfe et des facilités dans dix pays arabes dont l’Egypte et l’Arabie saoudite. Les autres membres de la Ligue arabe, ceux qui dans l’imaginaire collectif arabe auront symbolisé à des degrés divers, selon les époques, le refus de l’hégémonisme occidental, ont été désignés à la vindicte internationale, soit au titre d’ « États-parias » soit au titre de « suppôts du terrorisme ». Dans le premier groupe se retrouvent naturellement l’Irak, soumis au blocus, ainsi que la Libye, en quarantaine pendant cinq ans (1992-1999) et le Soudan, à l’index. Dans le second se distingue la Syrie.
Tous les indicateurs du développement humain (IDH) de l’ensemble arabe sont au rouge et se situent en deçà du seuil de tolérance, illustrant la carence du système politico-culturel. Le taux moyen d’analphabétisme du monde arabe, bien qu’en recul de dix points par rapport au début de la décennie 1990 (48,7 %) demeure néanmoins un des taux les plus élevés du monde, de l’ordre de 38,1% juste après l’Asie méridionale (42,5 %) et l’Afrique subsaharienne (40,36 %) deux zones géographiques qui ne disposent pourtant pas des mêmes richesses que le monde arabe.
Il en est de même du taux de mortalité infantile (TMI). Pour la période 1995-2000, le TMI, -indice qui reflète le mieux le niveau de développement d’un pays puisqu’il implique tout à la fois l’état sanitaire et le niveau d’éducation de la population ainsi que le statut de la femme et le réseau d’infrastructure hospitalier-, figure aussi parmi les plus élevés du monde, confirmant si besoin est, le faible niveau de développement arabe. Si l’on excepte le cas particulier de l’Irak, qui détient en la matière un record mondial absolu de l’ordre de 96 pour mille du fait d’un blocus qui dure depuis dix ans, le taux de mortalité infantile demeure particulièrement élevé aussi bien dans les grands pays dotés d’infrastructure qu’au sein des pays moins équipés. L’Égypte et le Maroc, à égalité, comptent un taux de 51°/00, suivis de l’Algérie (44°/00), de la Syrie (33°/00), du Liban (29°/00), de la Cisjordanie (26,4°/00), du Sultanat d’Oman (25°/00) et de l’Arabie saoudite (23°/00).
Tout aussi préoccupant est le retard dans le domaine de la NET-économie. Le taux de pénétration de l’Internet dans les foyers arabes atteint des proportions dérisoires. Si les petits pays se sont engagés sans délai dans le domaine de la novation technologique avec des taux assez élevés d’usagers notamment les Émirats arabes unis (75,34°/00), Bahrein (9,80°/00) et le Liban (7,33°/00), les grands pays arabes, en revanche, ont avancé avec prudence sur cette voie, comme s’ils paraissaient redouter les effets déstabilisateurs de cette nouvelle technologie de l’information et soucieux d’en assurer la maîtrise préalable. Par rapport à sa puissance industrielle et au nombre de sa population, l’Égypte n’en compte qu’un nombre minime d’usagers : 0,29 adresses Internet pour mille habitants en moyenne, l’Arabie saoudite, la puissance financière arabe, 0,6°/00. Il en est de même pour l’Algérie (0,007°/00) et le Maroc (0,20°/00), alors qu’Israël enregistrait le taux record pour la région avec 161,59 adresses Internet pour mille habitants pour la période 1995-2000, période charnière du basculement technologique et informatique mondial.
Activité marginalisée, affligée d’un budget insignifiant, la recherche scientifique, un des leviers du décollage économique et stratégique, apparaît comme le véritable parent pauvre des sciences humaines. L’ambitieux programme que M. Bachar el-Assad, successeur du chef de l’État syrien disparu, caresse pour son pays -fournir l’accès Internet à tout foyer syrien- s’il répond à une volonté de mobilisation, traduit aussi une angoissante prise de conscience tardive devant le retard scientifique arabe. Le monde arabe compte huit mille chercheurs (contre 400 000 aux États-Unis), dont certains figurent parmi les brillants cerveaux de la planète tel l’Égypto-Américain Ahmad Zewail (prix de Nobel de chimie 1999). Il consacre pourtant quatre dollars par an et par habitant à la recherche scientifique soit 300 fois moins que les Etats-Unis. Les budgets de recherche dans le monde arabe sont de l’ordre de 0,25% du PNB en moyenne contre 3 à 3,5% dans les pays développés.
De même, le média individualisé démultiplie à l’infini les voies de l’information, rendant problématique un verrouillage hermétique de la société dans son accès aux sources de la connaissance et du savoir. Dans ses applications civi1es et militaires, la société de l’information apparaît comme difficilement compatible avec une conception massive du pouvoir. Dans le monde arabe, du fait du conflit avec Israël, il s’est produit un phénomène de captation, I’Etat-nation se posant en incarnation de l’identité collective, puis par réduction successive ce fut au tour du représentant d’un parti ou d’un clan, pour finir par être incarné par une personne.