Editorial: Les sanctions visant à la non prolifération nucléaire

Christophe Réveillard

UMR 8596 Roland Mousnier (CNRS/Université Paris-Sorbonne)

3eme trimestre 2013

Dans le cadre de ses analyses des grandes questions géopolitiques du monde contemporain, l’Académie de Géopolitique de Paris a organisé un colloque inter­national le 3 Juin 2013 au Sénat, dont le thème était ainsi présenté : « Les sanctions visant à préserver la non-prolifération nucléaire : évaluation et appréciation des exi­gences et des conséquences ». Nous sommes heureux, sous la houlette de Monsieur Ali Rastbeen, Président de l’Académie géopolitique de Paris, d’en publier les Actes et d’en ouvrir ainsi la diffusion au plus grand nombre.

Le colloque sur les sanctions fut l’occasion de confronter les points de vue de nombreux chercheurs, diplomates, universitaires, analystes, journalistes, avocats et membres d’association, des députés, des sénateurs, des membres des corps diplo­matiques, dont S. A. princesse ambassadrice de Belgique, les ambassadeurs de la République ou du Royaume du Bahreïn, du Bengladesh, de Bolivie, de Géorgie, du Koweït, de Moldavie, du Togo… l’ambassadeur et délégué permanent d’Afghanis­tan auprès de l’UNESCO, les corps diplomatiques du Brésil, du Canada, de Chine, de Corée, d’Egypte, du Guatemala, d’Irak, d’Iran, du Japon, du Kazakhstan, du Mozambique, de Tchéquie, de Tanzanie, de Roumanie, de Russie, du Soudan, du Sri Lanka, du Togo, de Turquie, le Haut Représentant du Gouvernement ré­gional du Kurdistan irakien, ainsi que le directeur auprès des Nations-unies, des Organisations internationales, des Droits de l’homme et de la Francophonie.

Une thématique située au cœur de l’actualité géostratégique

À l’heure actuelle, les sanctions adoptées par l’ONU sont décidées et appliquées de manière répétée. Allant au-delà de la simple résolution du conseil de sécurité, de caractère unilatéral, le plus généralement, elles seraient progressivement devenues le seul instrument de coercition disponible dans l’ordre international reconnu. L’un des buts déclarés est la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Cependant, l’impact comme l’efficacité de ce dispositif dans ce domaine, largement étudié et discuté, font l’objet de controverses. Quels sont les effets de ces sanctions

sur les pays concernés ? Ne relèvent-elles pas parfois d’objectifs autres que la non-prolifération ? Questions fondamentales relatives à la sécurité et à la dissuasion, mais aussi la souveraineté et l’identité nationale des pays concernés.

Ce colloque pluridisciplinaire a ainsi vu se succéder différentes communications d’une extrême richesse que ce soit sur le champ géopolitique, historique, écono­mique, politique, etc. Avant de nous plonger dans la recension des sujets abordés, il est important de signaler que les directeurs de publication ont pertinemment décidé d’ajouter quelques communications supplémentaires tirés d’un précédent colloque organisé par l’Académie de Géopolitique de Paris le 16 mai 2013 à l’Assemblée nationale, dont le thème portait sur « L’avenir de la diplomatie française vis-à-vis de l’Iran ». Il s’agit des interventions du député Jacques Myard, du professeur David Mascré et du journaliste et essayiste Jean-Michel Vernochet. Cet apport très consé­quent est tout à fait positif puisque le fil rouge de ce colloque, le sujet à la fois sen­sible et complexe des sanctions relatives au nucléaire (qui concerne notamment le cas iranien), est d’une belle complémentarité avec celui du présent numéro et permet ainsi un élargissement bienvenu à la thématique générale.

Les principales thématiques, passionnantes, ont été l’occasion d’un certain nombre de commentaires et parfois de réponses apportées par les éminents interve­nants, notamment en mettant l’accent sur le cas de l’Iran, exemple emblématique et qui compte parmi les principaux pays faisant l’objet de sanctions.

Le colloque a été inauguré par Aymeri de Montesquiou, sénateur du Gers et président du groupe interparlementaire France-Iran, par Ali Rastbeen, président de l’Académie de Géopolitique de Paris et par Son Excellence Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’ONU de 1992 à 1996. En raison de son état de santé, ce dernier a confié à son collaborateur Elie Hatem la lecture de son allocution.

objectifs et exigences des sanctions

Ce colloque a été organisé sous forme de deux tables rondes.

La première, présidée par S. E. Pierre La France, ancien ambassadeur de France en Iran et représentant des Nations-unies en Afghanistan, invitait à une réflexion sur les « objectifs et exigences des sanctions ». Elle a été ouverte par S. E. François Nicoullaud, ambassadeur de France en Iran de 2001-2005 qui, dans son intervention, a traité « du bon usage des sanctions ». Thierry Coville, professeur d’économie à Négocia, a abordé la question des « sanctions unilatérales contre la globalisation et la liberté de commerce ». Maître Elie Hatem, avocat, professeur à la Faculté Libre de Droit, d’Économie et de Gestion de Paris, a traité du problème des « sanctions extraterritoriales et indépendance politique des pays tiers », alors que le juriste Pierre-Emmanuel Dupont, consultant en droit international public, chargé de cours à la Faculté Libre de Droit, d’Économie et de Gestion de Paris, a préféré aborder le « cadre normatif international des sanctions unilatérales : le droit international contemporain ». Ali Fathollah-Nejad, chercheur en relations internationales à l’Université de Londres, a exposé les « raisons politiques des sanctions ». Il a cédé la parole à Matthew Happold, professeur en Droit International Public à l’Université du Luxembourg, qui s’est penché sur la question des « exigences humanitaires relatives à la mise en place des sanctions ».

Cette première partie a permis de faire le constat tragique de l’inadéquation des sanctions internationales avec les objectifs affichés ; d’établir le constat, en somme, que faire souffrir la population iranienne par exemple, renforçait au contraire à la fois son unité vis-à-vis de l’extérieur et sa volonté majoritaire d’atteindre la capacité nucléaire, comme l’ont notamment rappelé le sénateur Aymeri de Montesquiou, le président Ali Rastbeen, et les professeurs Thierry Coville et Ali Fathollah-Nejad.

L’ambassadeur François Nicoullaud fit un rappel très remarqué de l’historique des sanctions internationales à partir du point de vue français ; la France étant tantôt celle qui les appliqua, tantôt celle qui en fut la victime. François Nicoullaud rappela également l’importance du titre IV de la PESC sur les sanctions internationales et l’idée corrélative qu’elles devaient s’inscrire dans une échelle de moyens.

Une autre thématique retenue fut celle de l’inégalité marquée dans le nouveau cours des relations internationales, une nouvelle ère inaugurée par l’attaque nucléaire d’Hiroshima. Il existe une sorte de caractère héréditaire de la puissance nucléaire réservée aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU avec des exceptions qui ne sont acceptées que par lui : les cas indien, pakistanais et israélien. Le jeu est faussé et il existe un caractère inégalitaire dans la détermination de ceux qui peuvent avoir la capacité et ceux dont le nouveau système international a décidé qui ne pourraient l’atteindre. Ce fut, en substance, ce que rappelèrent les interventions de Boutros Boutros-Ghali, Ali Rastbeen et Ali Fathollah-Nejad.

Les aspects économiques et juridiques furent développés notamment dans l’in­tervention remarquée de Thierry Coville insistant sur le fait que les sanctions de l’Union européenne (désormais UE) à l’encontre de l’Iran vont plus loin que celles de l’ONU et se rapprochent de celles américaines sauf sur le caractère extraterritorial des sanctions. Or, les premiers jugements devant la Cour de justice de l’Union euro­

péenne (« Banque Cina ») indiquent par exemple que le Conseil de l’UE a été mis en difficulté pour justifier la notion de « liens directs nécessaires » avec les autorités nucléaires iraniennes.

Au niveau juridique, les interventions du professeur et avocat, Maître Elie Hatem, du consultant en droit international public Pierre-Emmanuel Dupont, des professeurs Ali Fathollah-Nejad et Matthew Happold ont permis de dégager des thématiques propices à la réflexion et à l’argumentaire nécessaire pour approcher la situation au plus près de la réalité de la situation. Elie Hatem a ainsi rappelé avec per­tinence la « pollution » du Droit international public par une hégémonie américaine sur l’esprit des décisions du système international, notamment et pour n’évoquer que cet exemple, les sanctions extraterritoriales (Helms-Burton et d’Amato-Kennedy). Pierre-Emmanuel Dupont a insisté principalement sur la question essentielle de la qualification juridique des sanctions internationales notamment concernant les mesures de rétorsion (caractère inamical mais sans violation des principes fondamen­taux de l’émetteur vis-à-vis des Etats qui en sont la cible). Pierre-Emmanuel Dupont visait également la question de la connexion entre importation de pétrole et de gaz et application des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Ont été également rappelées les questions fondamentales des garanties procédurales, de l’article 33 de la Charte des Nations unies et du règlement pacifique des conflits qui entrent en jeu. Les intervenants ont enfin ajouté à la problématique de la qualification juridique des sanctions, la question de la légitimité du recours aux contre-mesures et la question de la proportionnalité.

Dans le cadre du respect des droits de la défense, Matthew Happold a précisé que la question du contrôle judiciaire restait ouverte car il n’en existait pour l’instant pas de sérieux sur les listes de suspects concernés par les stratégies ciblées.

Dans sa communication, Jacques Myard spécialiste des relations internationales et membre de la commission des affaires étrangères, propose avec pertinence un dia­logue constructif et vigilant avec l’Iran en ouvrant davantage le TNP en l’assortissant de garanties, de conditions de contrôles renforcées et, ceci, pour sortir de l’échec du renforcement continuel des sanctions dans le but de renforcer la pression sur sa poli­tique. Le professeur David Mascré évoque quant à lui, la question des atouts et fai­blesses de l’Iran dans le monde de demain, ressources stratégiques, réserves minières et positionnement géopolitique et géoéconomique, pour en conclure qu’il dépend tant de la volonté des grandes puissances et autres puissances émergentes de redon­ner à l’Iran une place dans le jeu international que de la capacité de l’Iran lui-même à s’imposer comme un partenaire indispensable dans la définition des alliances de demain. Dans l’exploration de la marge de manœuvre effective dont dispose Paris vis-à-vis de sa relation avec l’Iran, le journaliste et essayiste Jean-Michel Vernochet insiste sur l’influence de l’UE, notamment par le biais de la PESC également pré­cédemment évoquée par l’ambassadeur François Nicoullaud, UE ayant elle-même volontairement organisée sa dépendance vis-à-vis des États-Unis (Traité de Lisbonne et Organisation du traité de l’Atlantique Nord bientôt doublés d’un Traité de libre-échange Europe États-Unis en cours de négociation). Pour illustrer ce fait, l’auteur va prendre l’exemple de la rupture du partenariat unissant le Groupe PSA, Peugeot-Citroën à l’Iran, partenariat privé mais impliquant le gouvernement français et, à ce titre, indicateur du degré d’autonomie des politiques françaises à l’égard de l’Iran.

conséquences et perspectives des sanctions

La deuxième table ronde sur les « conséquences et perspectives des sanctions » a été présidée par le recteur Armel Pécheul, professeur agrégé des Facultés de Droit. S. E. Jean-Pierre Vettovaglia, ancien ambassadeur de Suisse en France, professeur, direc­teur d’édition et administrateur de banque, a mis en avant le thème de « l’impact et l’efficacité des sanctions ». Alexander Orakhelashvili, maître de conférences à la Faculté de droit à l’Université Birmingham, s’est penché sur les « implications des sanctions unilatérales sur le système de sécurité collective de l’ONU ». Le professeur François Géré, président fondateur de l’Institut Français d’Analyse Stratégique, a parlé du « rôle des sanctions dans l’application du régime de la Non Prolifération Nucléaire ». L’Amiral Jean Dufourcq, rédacteur en chef de la Revue Défense natio­nale, directeur de recherche à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École militaire, a évoqué les « effets géostratégiques des sanctions ». Lors de cette deuxième table ronde, Ali Reza Jalali, chercheur de droit constitutionnel Eurasie et Centre d’étude méditerranée (Italie), a choisi de traiter des « répercussions sociales des sanctions sur les nations ciblées ». Pierre Berthelot, enseignant et chercheur associé à l’IFAS et à l’IPSE, est intervenu sur les « effets des sanctions sur l’économie des pays ciblés ».

Cette seconde partie a mis plus particulièrement l’accent sur le système de sécurité collective et la géopolitique dans le cadre des rapports de puissances. L’ambassadeur Jean-Pierre Vettovaglia cite avec pertinence le document du Targeted Sanctions Consortium en ce qu’il révèle le véritable impact des sanctions lesquelles ont ten­dance à devenir de plus en plus globales et de moins en moins ciblées. Tout comme Alexander Orakhelashvili, Jean-Pierre Vettovaglia a rappelé l’absence de coordina­tions des sanctions et l’irresponsabilité politique dans la décision de les appliquer, mais aussi l’inefficacité réelle des sanctions. Celles-ci présentent en effet un taux de résolution plus faible que la médiation, amènent à un non-infléchissement de la position de l’Iran qui ne demande que ses droits selon le TNP, tout cela conduisant à reformuler la question de la légalité des sanctions. Or, la façon dont l’Occident se comporte moralement a une influence directe sur sa capacité à garder son leadership qu’il est en train de perdre, parce que pour négocier, il ne faut pas poser de diktat, à moins qu’il n’ait jamais été question de vraiment négocier. Une nouvelle thématique principalement développée par les professeurs Alexander Orakhelashvili, François Géré et l’Amiral Jean Dufourcq fut justement celle de la nécessité d’une nouvelle approche de la négociation internationale sur les sanctions. François Géré insiste sur les arguments spécieux avancés pour ne pas négocier réellement la sanctuarisation préventive des intérêts de la communauté internationale dans le Golfe persique, la protection d’Israël qui, s’il devait sortir de l’ambiguïté, le ferait à son détriment, la prolifération en cascade dont la garantie nucléaire américaine dans la région fait un sort (notamment en Turquie). Le rappel historique du blocus continental et de l’erreur stratégique de Napoléon vient ici confirmer le fourvoiement actuel de la voie choisie. Jean Dufourcq et les professeurs Ali Reza et Pierre Berthelot rappellent quant à eux, la fragilité du système international, de l’équilibre géopolitique et l’ina­déquation du rapport entre moyens, objectifs et réalité des conséquences créées par les sanctions. Jean Dufourcq insiste sur le renforcement en interne du régime iranien sur la question nucléaire, la contestation par les BRIC et émergents de la stratégie de statu quo à leur détriment. La stratégie internationale des sanctions est à la fois un jeu biaisé, une pression collective pouvant être contournée et elle pose un réel problème de gouvernance du système de négociation internationale alors que l’Iran est tout à fait capable d’établir une coopération froide minimale avec l’ensemble des Etats et organisations internationales négociateurs, comme elle l’a montré précédemment. Pierre Berthelot conclue fort opportunément sur l’évolution nécessaire de la stratégie de négociation de la communauté internationale dont il rappelle qu’elle fut assimilée à l’occident qui en a pâti, ceci pour dépasser l’échec démontré de l’application des sanctions. L’impact en est, en effet, négatif sur les économies des Etats cibles, ceux-ci mettent en place une économie de résistance et une capacité de contournement localement, régionalement et internationalement.

Quoi de plus pertinent que d’inaugurer cette réflexion substantielle par les inter­ventions de personnalités représentant les points de vue institutionnel, diploma­tique et géopolitique : le sénateur Aymeri de Montesquiou, Son Excellence Boutros Boutros-Ghali et le président de l’Académie de Géopolitique de Paris Ali Rastbeen ?

Article précédentL’« US ASIA Pivot » ou la quête d’une « profondeur stratégique » : le dilemme de sécurité en Asie
Article suivantLa stratégie du dialogue, plus sage que la confrontation

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.