L’ancrage des particularismes en Europe

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Clément Millon (dir.)

« La nature a horreur du vide »

Telle est l’assertion attribuée à Aristote. Elle s’applique à bien des réalités, y compris le sentiment d’appartenance, qui apparaît comme un rattachement nécessaire à la construction de soi, à la conscience de soi-même. En effet, « un des besoins les plus profonds de l’homme est le besoin d’identité : j’ai besoin de savoir qui je suis, j’ai besoin d’exister à mes propres yeux et à ceux des autres », écrit Jacques Philippe dans La liberté intérieure. Cette identité à une réalité qui nous transcende est un phénomène naturel qui s’applique aux hommes comme aux nations. L’homme, animal politique, a besoin de se situer face aux autres, comme les nations, qui se constituent, en de perpétuels renouvellements, par rapport aux communautés qui leur sont comparables. Telle est la démarche de « conscience nationale » formée par Barrès. À son propos, Philippe Nemo a bien compris qu’il a « découvert son nationalisme en approfondissant son moi ».

Or, le monde actuel, marqué par l’uniformisation culturelle et l’érosion des différences nationales, comme le note Hobsbawm et comme le prophétisait Habermas, réduit cette capacité à se trouver de tels repaires identitaires. Dans ce contexte, l’homme se trouve dans un monde plus globalisé où son identité se perd, ou se cherche à l’autre bout du monde. Cela crée un vide que d’autres formes politiques viennent inévitablement combler.

Il est fréquent que cela provoque une recherche de l’identité jugée fondamentale ou première, par exemple sur le mode : « J’étais là avant » analysée par J-F Bayart dans « Critique internationale » en 2001. Mais cette recherche d’une « protonation », selon l’expression d’Hobsbawm et Stengers peut avoir pour moteur des raisons très prosaïques : un besoin de défendre un caractère jugé menacé, de faire valoir des intérêts communs, de se démarquer par une identité particulière. Ces réflexes sont similaires aux raisons de l’émergence politique de la défense d’une nation ou nationalisme. Ainsi, la préservation de l’identité culturelle, linguistique, géographique, ou autre, répond à la même logique qui a permis l’émergence des mouvements nationaux et nationalistes, à leur naissance au XIXe siècle, tels qu’ils ont été analysés par G. Hermet. Le nationalisme de défense, protecteur, dégagé par Girault, est autant une raison de l’émergence du phénomène que le nationalisme de puissance, qui est extensif. Quant aux intérêts communs, même économiques, ils sont un moteur puissant du nationalisme. Comme le souligne Fustel de Coulanges, « la nation ne naît pas d’idées, mais d’intérêts ».

C’est ainsi qu’il faut comprendre les particularismes comme des différentes formes, très diverses, de nationalismes, nonobstant le fait que beaucoup de leurs partisans réfutent cette appellation jugée infamante ou déclassante.

Quelle que soit l’appellation du mouvement, il répond à une même logique. On put appeler le particularisme : Régionalisme (Geoffroy Pion et Michel Van Hamme et P-L Seiler), Ethno-régionalisme (De Winter et Türsan), Nationalisme périphérique (Vandermotten), Autonomisme (P-L Seiler), Nationalisme régional (Béatrice Giblin- Delvallet), Post-nationalisme (A. Dieckhoff), Ethno-nationalisme (A. Foster, États-Unis), Nationalisme de contestation (Belgique ou Québec pour Christophe Traisnel Canada), Sous-nationalisme (A-L Sanguin), Autochtonie (J.-F. Bayart), Mouvement identitaire (F. Thual). C’est est un genre du mouvement national. C’est une forme de nationalisme, mais qui ne s’appuie pas sur des nations établies sur des états, mais plutôt, comme l’écrit A. Dieckhoff, sur des « nations sans états ». Or, en raison de la déliquescence de l’état-nation, ce phénomène n’est pas prêt de disparaître, même si le rattachement à celles-ci est furtif et probablement voué à l’échec.

D’affirmation politique est souvent assez nouvelle, ces nationalismes peuvent être de droite, de gauche, conservateur ou révolutionnaire, etc. Ils restent des affirmations identitaires qui viennent combler un vide que la faiblesse de l’État-nation dans lesquels ils se meuvent permet d’encourager. Il est donc intéressant d’en voir les enjeux actuels à travers la vision d’un politiste G. Bernard, d’un linguiste, M. Martineau, d’un internationaliste, E. Pomès, et d’un historien, C. Millon.

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