Annapolis contre persépolis

Xavier HOUZEL

Janvier 2008

le commentaire debride d’un lecteur sur l’ouvrage de monsieur bruno tertrais, intitule iran la prochaine guerre

L’Amérique a convoqué l’ost Sarazin à Annapolis pour une trêve de Dieu des Arabes avec les Juifs. Interrompant une guerre de cent ans, les sei­gneurs Sémites ont accepté de s’unir temporairement contre un autre adversaire. Les Iraniens, de leur côté, campent à Persépolis, où sont réunis leurs vassaux et le ban et l’arrière-ban de leurs sicaires. Le successeur de Cyrus le Grand et le Vieux de la montagne y exhortent les plus déterminés d’entre eux à défendre l’empire contre l’envahisseur. Ici, la fureur de l’Olympe n’a d’égale que la résolution des hommes à se détruire. Aucun légat, aucun héraut n’est plus en mesure de conjurer la menace ; comme si Pâris venait de ravir Hélène pour la seconde fois.

Ce cliquetis de mots évoque l’œuvre d’Homère ; il pourrait être en addenda au livre de Bruno Tertrais, Iran La Prochaine Guerre1. Le caractère épique de cet ouvra­ge, qui centre exclusivement le débat sur la question nucléaire, est rehaussé par deux scénarios catastrophiques, l’un en prologue, l’autre en épilogue. Il n’y a pas d’alter­native autre que celle de la guerre. La discussion est bien agencée, les témoignages sont probants, la faute est avérée : Pâris a enlevé Hélène ! Il faut « vivre » ce livre comme on lit un poème, une chanson de geste, mais sans suivre l’auteur dans le domaine de la rhétorique. On ne fait pas de nos jours une guerre comme au temps de l’Iliade, en dépit de ce que nous enseignent les dernières péripéties de l’Histoire dans l’Irak d’aujourd’hui. L’exemple n’est pas à suivre, à moins qu’il n’y ait un loup : Bush et Agamemnon2 n’auraient en réalité pas fait la guerre pour les beaux yeux d’Hélène. Ce qui voudrait dire que la véritable justification d’un bombardement de l’Iran n’a pas grand-chose à voir avec les centrifugeuses, dont la seule utilité serait alors de servir de goupillon à l’un et d’amulette à l’autre, comme ce fut le cas des « armes de destruction massive » doublement enfermées dans la lampe de Saladin et dans la fiole de Powell. Si une opération chirurgicale était administrée maintenant sur l’Iran, ce serait pour la même cause récurrente que lors des saignées précédentes – la Guerre Iran Irak, la Guerre du Golfe, la Guerre d’Irak, la question nucléaire servant ici obligeamment de leurre. Il faut savoir quelle est cette « raison majeure» capable de mouvoir l’Olympe sans que les hommes puissent comprendre.

Sans chercher à réfuter quoi que ce soit du livre, par ailleurs excellent et agréa­ble à lire, de Tertrais, intéressons-nous à ses non-dits. Partons du principe que les Iraniens auraient été capables, s’ils l’avaient voulu, de se doter de matériels nucléai­res militaires à l’instar du Pakistan, pour ne citer que lui, et se procurer du combus­tible. Je sais moi-même où trouver à bon compte et à foison des déchets nucléaires non traités – ceux que les Américains ont clandestinement enfouis pendant des dizaines d’années dans l’ancienne mine d’uranium de Chinkolobwe, au Katanga3, et qui prolifèrent dans la brousse. On ne leur fera pas la guerre pour autant. Le tout récent rapport des Services US est très adroit ; il permet au président Américain d’éviter de rééditer la mascarade de 2003 sur les armes de destruction massive, et il a le mérite d’accréditer le postulat que Téhéran a bel et bien violé, jusqu’en 2003 au moins, le Traité de Non-prolifération. Encore faudrait-il, soit dit en passant, que ses auteurs soient maintenant autorisés par l’Administration Américaine à communi­quer à l’AIEA les preuves de leurs assertions ; on ne se perdrait plus en conjectures. Ce qu’on peut reprocher aux Iraniens est de ne pas avoir respecté leur signature. Or, tous les jours, des traités couvrant d’autres domaines non moins importants sont transgressés par les grands de ce monde. Les fauteurs sont blâmés, du bout des lèvres. Or, comme l’AIEA l’atteste, l’Iran s’est amendé depuis. Sommé de le faire, il a suspendu pendant de nombreux mois ses opérations légales d’enrichissement de l’Uranium, in fine sans avantage. Il était alors possible d’entraîner l’adhésion de Téhéran sur un compromis définitif en chargeant un peu plus la barque des contreparties. Echaudé par les sanctions prises contre la République Islamique à l’avènement de Khomeiny, et par le non-respect flagrant par la France (Eurodif) et l’Allemagne (la centrale de Bouchehr) de leurs engagements commerciaux, l’Iran avait « bon dos ». On aurait pu faire d’une pierre deux coups ; on tournait la page et on levait les sanctions. Il n’en a rien été.

Peut-être faut-il voir à ce manquement d’un rendez-vous avec l’Histoire, le fait que l’Iran soit le soutien, au Moyen-Orient, de « factions » rebelles à l’influence occidentale. Agissant en corrélation avec son alliée, la Syrie, l’Iran parraine le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Djihad Islamique en Palestine, de même qu’une frange importante des mouvances chiites en Irak et ailleurs. Mais que ne font pas les autres ! On oublie trop vite que Téhéran a puissamment aidé les Américains en Afghanistan, et que les Iraniens s’étaient abstenus de toutes activités anti-occidentales, non seulement lors de la Guerre du Golfe, mais aussi pendant et après l’invasion de l’Irak en 2003. Ils n’ont pas non plus contrecarré les accords de Taief, au Liban. Ils ont discrètement incité les Palestiniens à rechercher la Paix à Charm-el-Cheikh, dans l’espoir que celle-ci s’étende à toute la région. Ils luttent enfin le plus efficacement possible contre le trafic des stupéfiants que Kaboul est incapable d’enrayer. Voilà pour la bouteille à moitié pleine. Il est vrai qu’en revanche, ils bloquent au Liban l’élection du président de la République ; qu’ils soutiennent le Hamas dans leur sécession à Gaza ; et qu’ils empêchent toute ratification par le Parlement Irakien de la Loi Pétrolière sans quoi Bagdad ne peut pas signer de PSA avec les compagnies occidentales. Voilà pour la bouteille à moitié vide. Mais tout cela n’est-il pas de bonne guerre ? On oublie les législations Helms-Burton et D’Amato, et les innombrables tentatives des Occidentaux pour asphyxier l’écono­mie Iranienne – avec ou sans l’aval de l’ONU – sous le prétexte ou non des cen­trifugeuses de Natanz. Restent les assassinats ! mais on en trouve des deux côtés, la plupart du temps non encore élucidés, comme ceux que l’on prête à de très grandes puissances que personne ne songe à inquiéter. Tout cela pourrait s’arranger par des moyens diplomatiques que, visiblement, nul ne semble vouloir mettre en œuvre. Ni les Américains et leurs alliés, ni les Russes ou les Chinois, qui pourraient jouer les aimables compositeurs, ni les Iraniens eux-mêmes, drapés dans un fatalisme qui étonne. Il y a là comme un mystère, dont le Guide Khamenei, réduit l’équation à une formule lapidaire : « Les Américains ont leur plan pour la région ; nous aussi, nous avons le nôtre. » En somme, les deux se tiennent par la « barbichette4 ».

Comme dans les théâtres antiques, les délires verbaux enveniment les choses et les provocations fusent de part et d’autre dans une orchestration parfaitement réglée. L’Iran est qualifié par le Grand Satan ddEtat voyou. Agréable ! pour un peu­ple fier dont la culture est vieille de six mille ans. Les quolibets sur les Ayatollahs sont inacceptables, alors que ces derniers comptent parmi eux des prélats de la plus haute culture et de la plus grande sagesse. Téhéran ne peut pas être en reste. Il faut rendre justice à Bruno Tertrais d’avoir cité dans son texte la traduction correcte de l’invective du président Ahmadinejad contre Israël : « Llmam (Khomeiny) a dit que ce régime qui occupe Jérusalem devait disparaître des livres d’Histoire. Ces paroles étaient sages. Nous ne pouvons pas faire de compromis sur la question de la Palestine… Bientôt, cette tache de honte sera expurgée du cœur du monde musulman — ceci est à notre portée. » Cela ne revient pas littéralement à rayer Israël de la carte, comme cela a été faussement décrit par ceux qui ne s’embarrassent pas de réécrire au figuré l’Histoire de la Palestine Arabe et d’en retracer la carte au propre par le moyen d’un mur de honte. Ce type de révisionnisme croisé doit s’entendre comme la réponse du berger à la bergère. Comment est-il possible que la Troika, puis les Cinq plus un, puis Xavier Solana au nom de l’Union Européenne, ne soient pas encore parvenus à trouver un accord avec les négociateurs Iraniens ? Ne serait-ce que pour baisser le ton.

C’est que ni l’un ni l’autre ne le veulent. Washington ne veut pas de solution né­gociée ; pas plus qu’il n’en voulait avec Saddam Hussein. Téhéran semble être arrivé à cette même conclusion qu’un conflit était inéluctable, quelle qu’en soit la raison affichée par les Américains. À quoi bon céder sur la question des centrifugeuses, et perdre alors la face en même temps que son ascendant à l’extérieur des frontières, ce qui reviendrait pour le pays à perdre ses « carrés de protection » au Liban, en Palestine, en Irak, en Afghanistan, et auprès de toute la rue Arabe. Pourquoi cette fatalité ? Parce que « le message de la révolution est global 5» et que « si Dieu le veut, l’Islam conquerra le monde6. » L’Islam à part, c’est aussi le discours de Chavez. Mais c’est une autre affaire qui vient troubler le jeu encore un tout petit peu plus.

Où veut-on en venir ? Quelle quête – et de quel Graal – peut-elle aveugler à ce point les combattants de ce singulier tournois. En ce qui concerne l’Iran, nimbé de spiritualité et porté par une idée nationale de grandeur, la motivation n’est pas sim­plement abstraite, elle est aussi concrète. Il y va de sa survie ; il y va de son image ; il y va de l’Islam. Tant qu’à faire, il frappera en retour, même s’il ne sait pas pourquoi. S’agissant d’Israël, la question est d’autant plus claire que c’est un grand classique. S’agissant de l’Amérique et de ses affidés, il y semble bien qu’il y aille également de leur survie. C’est d’ailleurs ce que l’ouvrage commenté veut nous faire croire, mais en invoquant pour principal, voire pour seul motif de guerre, la menace nucléaire que l’Iran est supposé représenter. C’est de là que vient le contresens. A première vue, le nucléaire est un alibi puissant ; mais à y regarder de plus près, l’argument est dérisoire au vu du véritable problème qui est monétaire, et non pas nucléaire ! Entrons dans le vif du sujet : la suprématie du dollar est en danger ; le système monétaire international vacille ; l’hégémonie américaine est en cause ; la situation est dramatique. Tout cela parce que la Chine et l’Inde ont émergé dans les affaires du monde et que 60% des réserves d’hydrocarbures se trouvent en un seul point du globe sous l’emprise souveraine d’une poignée d’Etats. Or, sous le double effet de la demande accrue et de la spéculation des marchés, le prix du baril n’est plus mani-pulable comme avant. La masse monétaire mondiale n’est plus gérable. Les places financières sont affolées. Le dollar est en chute libre. Des banquises de pétrodollars voguent à la dérive. Des sommes colossales s’amassent en Chine et dans les Fonds souverains du Golfe Persique. Le corpus monétaire de la planète est à la veille de l’embolie. Il faut d’urgence une saignée. Et le patient désigné est justement l’Iran.

Si cette affaire d’enrichissement d’uranium n’existait pas, il faudrait la monter de toutes pièces, car les Etats-Unis ne mentent pas complètement : il y a dans le Golfe Persique comme une bombe atomique financière. Comme les Américains se considèrent à juste titre et jusqu’à preuve du contraire comme le grand argentier de la planète, c’est à eux de la désamorcer. C’est l’intérêt financier qui seul les motive. Il leur faut à tout prix crever les bulles financières des monarchies Arabes ; il importe qu’elles dégorgent de leur trop-plein. On s’occupera plus tard de la Chine et des autres goulets d’étranglement. La fluidité du commerce équitable est à ce prix ; la prééminence du dollar et l’hégémonie américaine sont à cette condition. C’est au tour de l’Iran d’accepter comme rôle de composition celui de suicide bomber. En termes de police, on dirait qu’on lui a monté un chantier de première taille. Le phé­nomène n’est pas nouveau ; tous les dix ans, il faut une saignée au même endroit.

En 1981, la posture de l’Irak et de l’Iran commandait qu’ils fussent sacrifiés ensemble. L’Iran venait de virer sa cuti islamique ; Saddam Hussein se prenait déjà pour Saladin. Les deux pays étaient au bord du décollage économique, disposant de soleil, d’eau, de terres arables, d’une belle démographie, d’une élite entreprenante et de réserves colossales et quasi gratuites d’énergie. Le premier choc pétrolier venait de faire son effet : les pétrodollars affluaient au risque de déséquilibrer l’édifice mo­nétaire construit autour du billet vert. Bientôt, à force d’investissements judicieux, d’équipements rutilants et de technologies de pointe, ces jeunes Industries met­traient à genoux les complexes industriels du vieux monde. Le verdict était clair : l’Irak détruirait l’Iran et réciproquement. C’est ce qui fut fait. Les liquidités furent canalisées dans une guerre de tranchée faite pour absorber non seulement les forces vives des belligérants, mais aussi les réserves de leurs voisins.

Le Cheikh Yamani fut le premier, voire le seul, à comprendre la manœuvre. L’Arabie prêta donc à l’Irak de quoi faire durer l’opération, sans grand espoir de retour, et elle plaça systématiquement le solde des réserves du royaume en bons du Trésor US. Le Koweït, dont l’avidité ne se démentait pas, et qui, non seulement entreprenait de rafler tout ce qui se trouvait à vendre en Europe et aux Etats-Unis, voulut, dès la fin des hostilités, réclamer à l’Irak les sommes avancées. Mal lui en prit, car la diplomatie américaine eut alors beau jeu de pousser Saddam à l’envahir aux fins de le détruire. A bon entendeur, salut ! La région se retrouvait drainée de ses excédents monétaires pour un temps. Il suffirait de maintenir l’Irak sous le boisseau, incarcéré dans un entrelacs d’interdits et de sanctions, tout en poussant Riyad à produire un maximum de pétrole pour en maintenir les cours à leur plus bas niveau.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’arrivée de la Chine et de l’In­de sur le marché de l’énergie laissant augurer un plafonnement de l’offre devant l’accroissement de la demande de pétrole, il devenait exclu de laisser non seule­ment l’Iran des Ayatollahs, mais aussi l’Irak de Saddam Hussein se refaire. D’où les législations de « containment » visant à brider l’économie Iranienne, et surtout l’expédition de 2003 en Irak. L’Irak s’avérant définitivement inoxydable sous la houlette de Saddam, la décision fut prise de l’anéantir carrément – la nation entière et son dictateur par la même occasion. Jamais sa reconstruction ne fut sérieusement envisagée. Du moins pas pour le moment. Quatre facteurs aggravants sont venus depuis compliquer la situation au-delà de la limite du tolérable. (a) Le développe­ment des échanges mondiaux subit un effet d’emballement dû à la mondialisation et à la croissance particulièrement rapide et énergivore de la Chine, en tirant les cours du brut vers le haut. (b) L’arrimage du Yuan au dollar et l’augmentation ex­ponentielle du déficit américain contribua à faire baisser le billet vert par rapport aux autres monnaies. La hausse des cours des matières premières et la détérioration des termes de l’échange entre le marché Chinois et le marché Américain rendirent le dollar de plus en plus vulnérable à l’explosion de la masse monétaire exprimée en dollars et à la pression des marchés financiers. L’économie Américaine s’est pro­gressivement ancrée dans une situation de dépendance chronique par rapport aux bailleurs de capitaux flottants qui déboulent de toutes parts, de Chine notamment. (c) L’enlisement des troupes Américaines en Irak finit par peser de façon intolérable sur le budget américain de la Défense ; l’image du pays en fit les frais, sa légitimité de plus grand pourvoyeur de monnaie se mit à diminuer en raison inversement proportionnelle de la dégradation de sa position de débiteur. (d) L’économie amé­ricaine, profitant d’une euphorie factice, ne prit pas garde aux inconvénients d’une distribution risquée du crédit à la consommation, en particulier dans l’immobilier (cf. les subprimes). Aujourd’hui, les emprunteurs ne peuvent plus rembourser, et les banques s’efforcent d’échanger leurs mauvais crédits contre de l’argent frais. L’adage de Jean Bodin selon lequel la mauvaise monnaie chasse la bonne devient de plus en plus d’actualité. Le magicien d’hier voit sa peluche se muer en grenade.

Nous en sommes au point critique où la tendance ne sera bientôt plus réversible. Les Fonds souverains prolifèrent par centaines ; ils sont à l’affût des bonnes affaires. Parmi ces rôdeurs, outre les Chinois relativement disciplinés et transparents, on trouve des Russes, des Norvégiens, et Singapour. Avec eux, cela va encore. Mais on redoute l’arrivée des Fonds spéculatifs du Golfe Persique, où les milliards de Dollars s’empilent à un rythme devenu vertigineux. C’est là que le bât blesse, car pour peu que le phénomène de démultiplication des petits pains monétaires se transforme en épizootie dans la région, la situation du Trésor Américain et de la Banque Fédérale deviendra beaucoup plus qu’inconfortable. Avec un baril avoisinant les cent dollars, l’alerte est passée au rouge. A ce stade, il n’y a que la saignée pour conjurer le mal.

Le pis qui puisse arriver serait que les Fonds gloutons du Qatar, du Koweït, d’Abu Dhabi ou de Dubaï (où se sont réfugiées les plus grosses fortunes d’Iran, y compris les réserves de certaines Fondations) viennent à avaler les titres en circula­tion des grandes entreprises comme celles du CAC Quarante. Lorsque ces Fonds se seront assurés de positions dominantes dans les « tours de table », ils ne resteront pas longtemps passifs. Les participations forcées dans des banques internationales au bord de la faillite et la souscription à des conditions humiliantes de bons du Trésor d’Etats en difficulté vont se multiplier. Les autorités monétaires américaines seront bientôt mises au défi de gager le billet vert sur un panier d’autres monnaies. Le gouvernement Américain se verra intimer l’ordre d’équilibrer dorénavant « son » budget fédéral. Le siècle Américain sera alors terminé.

La crise nucléaire avec Téhéran devrait pouvoir « nous » sortir de ce cauchemar. En frappant l’Iran sous ce prétexte, les Américains tenteront de résoudre le pro­blème : il n’y a pas sous le ciel de victime expiatoire aussi commode ! Comme le dia­gnostic est partagé par Poutine, la Russie n’y verra pas d’inconvénient à condition qu’on ne touche pas à Bouchehr ; l’honneur, la vitrine et le portefeuille seront saufs. Comme dans les affaires précédentes, le rôle des Russes consiste à alimenter en armes la République Islamique pour lui permettre de crever les bulles droit au but. En quelques heures, les actifs des monarchies du Golfe se mettront à fondre d’eux-mêmes. Les capitaux errants retourneront au bercail pour y pallier les défaillances des bailleurs de fonds locaux et de leurs emprunteurs ruinés. Les immeubles déses­pérément vides et les marinas des Emirats remplaceront les cottage Américains dans les plus mauvais rêves des banquiers. Les destructions d’infrastructures que très opportunément les missiles Iraniens ne manqueront pas de faire, non sans délices, chez certains de leurs voisins auront vite fait de parfaire le tout. Que le Détroit d’Ormuz soit fermé par quelques supertankers en flammes – en faisant bondir le prix du Brut à 250 Dollars – ne déplaira nullement aux stratèges Américains, telle­ment une purge mémorable leur est devenue indispensable.

Ce sera ainsi de suite tous les dix ans tant qu’il y aura du pétrole et du gaz dans le Golfe Persique, et jusqu’à ce qu’on trouve une meilleure solution pour préserver l’ordre Américain des méfaits du cadeau empoisonné que Prométhée fit un jour, avec le pétrole et le gaz, aux riverains du Golfe Persique.

L’Iran est aujourd’hui au centre de l’imbroglio. Il voudra ou ne voudra pas jouer le jeu de rôle qui lui est cyniquement imparti par le maître de ballet Américain. Le négociateur de Téhéran a les cartes en main. Imaginons, par exemple, qu’à la surprise générale, il concède aux Occidentaux ce qui est exigé de lui ! Il déclenche­rait alors, mais sans l’avoir voulu, une sorte inusitée d’explosion atomique dont le Dollar ne se relèverait pas. Le cas de conscience est cornélien. On verrait la proprié­té de la plupart des biens de la planète changer de mains en quelques années à peine, et « les gens du Golfe » bientôt dicter leurs volontés aux conseils d’administration et aux états-majors du monde entier. Washington passerait alors sous les ordres de Pékin, et les Bourses des places principales sous ceux des Emiratis, ce qui n’est pas imaginable pour l’Oncle Sam.

Comme entre deux maux il faut choisir le moindre, gageons que la guerre d’Iran aura bien lieu.

L’Histoire ne fait que se répéter. La Conférence d’Annapolis pour la Paix fait penser à l’entrevue du Camp du Drap d’Or, lorsque Louis XI parvint à circonvenir Henri VIII d’Angleterre en le convaincant de s’allier avec la France contre l’Espa­gne. L’enjeu était le même. Il s’agissait de l’or des conquistadors, en trop grande abondance dans les mains de Charles Quint. On ne peut s’empêcher de songer par ailleurs à la somptueuse réception que le Shah d’Iran donna naguère à Persépolis. La grandeur et la décadence des puissants tiennent à peu de choses. Contrairement à toute attente, l’Armada espagnole coula finalement au large des côtes anglaises, en ruinant le royaume le plus riche de l’époque. Personne, bien entendu, ne souhaitera à l’Amérique de sombrer à cause d’un orage imprévu au large des côtes Iraniennes, fût-ce par la grâce de Dieu.

 

* Titulaire d’un Master of Arts in Economics (USA) et d’un DESS de Sciences Economiques (Paris), il est actuellement consultant pétrolier international et président de Carbonaphta SA.

 

Notes

  1. Le Cherche Midi, collection Actu
  2. Agamemnon fut le roi légendaire d’Argos et de Mycènes, chef des Grecs devant Troie
  3. Voir l’édition du Monde du 5 mai 2001, sous la plume de Stephen Smith : « D’un parking kinois à Paris, itinéraire d’un « casque d’uranium « récupéré » par la DGSE »
  4. Opus cité de Bruno Tertrais, page 73
  5. Opus cité, page 72
  6. Ibidem

 

 

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