UNION EUROPÉENNE – CHINE UN REDÉPLOIEMENT STRATÉGIQUE BILATÉRAL

Nikos LYGEROS

Septembre 2007
Eléments de réflexion sur une vision européenne de la Chine

Une approche conventionnelle de la Chine par rapport à l’Union européenne consiste à la comparer aux Etats-Unis. Cette comparaison qui a un sens non dénué d’intérêt dans un cadre strictement économique, n’est pas adaptée sur le plan stra­tégique, car il existe une différence conceptuelle. Les Etats-Unis sont, il est vrai, une grande puissance mais celle-ci est nouvelle. Elle n’a pas d’épaisseur temporelle. Les Etats-Unis représentent, historiquement parlant, une extension de l’Europe. Nous pouvons tergiverser sur les différences culturelles néanmoins elles appartiennent au même substrat. La différentiation ne s’est effectuée qu’à une époque relativement ré­cente. Elle s’est accentuée avec la guerre froide qui a transformé l’Europe en champ de bataille stratégique pour les Etats-Unis et l’Union soviétique. Cependant cette vision idéologique est en train de tomber en désuétude, en raison de l’effondrement structurel que nous connaissons. Il en est de même pour la Chine. Restreindre le segment conceptuel de la Chine à la période maoïste ne constitue pas seulement une volonté dogmatique mais une erreur géopolitique. La vision européenne doit respecter beaucoup plus l’ontologie diachronique de la Chine. La période maoïste a certes transformé l’Empire du milieu en une autarcie conceptuelle qui a tendu pendant des années au confinement. De plus la restructuration de la société que représente la révolution culturelle a laissé très peu d’initiatives extérieures en partie en raison de divergences tactiques avec l’Union soviétique. Aussi il est difficile pour l’Union européenne, qui est elle aussi une structure relativement récente, d’avoir une vision de ce type de la Chine. Pourtant de la même manière que nous réalisons que l’Union européenne s’appuie sur un socle européen, il est essentiel de compren­dre que la Chine actuelle s’appuie elle aussi sur un socle chinois multiséculaire. La Chine que nous appelons toujours de manière identique, alors qu’elle ne cesse d’évoluer dans le temps est une entité complexe qui nécessite une vision globale. Même ses schémas mentaux sont radicalement différents de ceux de l’Union euro­péenne et ce même dans un cadre synchronique. Plaquer le modèle américain sur l’Europe ou la Chine est une simplification outrancière qui ne permet pas de voir mais uniquement de regarder ce que nous décrivons. Il est aussi nécessaire de la décontextualiser du syndrome asiatique. La Chine n’est ni le Japon, ni le Vietnam, malgré des éléments de convergence. Et il en est de même pour l’Inde. La Chine maîtrise l’art de la stratégie depuis des siècles, voire des millénaires. Elle n’est donc pas un nouveau venu sur le plan mondial. Elle n’est pas non plus réduite à une enti­té dont il ne faut retenir que l’explosion démographique. Nommer la Chine, Chine et non Union chinoise est une erreur cognitive qui apparaît ne serait-ce que dans le domaine linguistique. Notre approche de la Chine se résume paradoxalement à l’approche effective de celle-ci. Nous ne l’approchons pas encore alors qu’elle s’ap­proche déjà de nous. Voila pourquoi la compréhension de la Chine constitue un véritable défi pour l’Union européenne.

Union soviétique et Union maoïste

La suprématie du modèle communiste durant des décennies en Chine et en Russie, nous a imposé une vision pour ne pas dire un véritable dogme stratégique monolithique qui n’a pas la flexibilité nécessaire pour s’adapter à l’évolution de ces états. Notre vision transforme naturellement la Russie en Union soviétique avec son chef exclusif Staline, et la Chine en Union maoïste avec son chef exclusif Mao. Il est vrai que le travail de désinformation outre-atlantique, nous incite à conser­ver ce type de schéma, mais nous-mêmes en Union européenne, nous persistons à analyser nos nombreuses différences et divergences, toujours sous ce même angle. L’explication est relativement claire et correspond à la conception de l’Union euro­péenne avec le Traité de Rome de 1957. En d’autres termes, L’Union européenne a pris naissance dans une configuration géopolitique qui provient directement de la suprématie communiste avec l’ensemble de son dispositif associé, à savoir le rideau de fer qui a concrétisé le pacte de Varsovie dont le substrat était les Accords de Yalta. Influencés par cette vision des choses, nous avons naturellement interprété la révolution culturelle de la Chine comme une simple variante du communisme. Le premier concept basé sur le mouvement des ouvriers et le second sur celui des paysans. Nous étions donc dans un cadre idéologique unifié avec deux composantes principales tandis que nous n’étions initialement qu’une petite structure stricte­ment économique. Avec le temps, avec bien des efforts et parfois malgré nous, l’Union européenne est devenue une superstructure qui n’est de facto pas compara­ble avec la version simplifiée de la Communauté Économique Européenne(CEE). Cependant comme le communisme aussi bien en Chine qu’en Russie n’a guère évo­lué par rapport à nos propres réformes et s’est même durci quant à sa composante militaire, nous sommes restés sur le même modèle mental. D’autant plus que nous étions soutenus, au sens large du terme et certainement pas littéral, par la structu­ration de l’OTAN. Le cercle vicieux de cette configuration, c’est que la Chine et la Russie finissaient par nous considérer comme une simple extension économique d’une entité militaire beaucoup plus respectable. Avec l’effondrement de l’idéologie communiste, au sens strict du terme, le développement des structures européennes et le renforcement de celles-ci, les modèles auraient dû changer. Cela a quelque peu été le cas pour la Russie quoique certains analystes reviennent au précédent modèle mental, mais pas pour la Chine. Sans observation d’un quelconque effon­drement de la sinosphère, le modèle communiste n’ayant pas été totalement remis en cause – voir les répercussions et surtout les contrecoups des évènements de la place Tienanmen – notre modèle demeure essentiellement le même. Pourtant à plus petite échelle, le monde yougoslave nous a démontré l’inadéquation de celle-ci puisque nous observons le retour à des schémas mentaux beaucoup plus anciens qui appartiennent au substrat culturel du pays. Il nous faut recomposer les nouveaux éléments de la Chine et ne plus la considérer comme un régime strict qui se libère au niveau économique seulement.

Sur les relations sino-européennes

Nous avons une tendance naturelle à privilégier la vision européenne de la Chine par rapport à la vision chinoise de l’Europe, alors qu’il est nécessaire d’étudier les deux pour saisir la complexité des relations sino-européennes. Les deux appar­tiennent à des socles culturels et pourtant les deux considèrent l’autre comme une donnée géopolitique nouvelle. L’opposition entre Occident et Orient – Extrême-Orient en l’occurrence – s’est accentuée dans le cadre de la guerre froide. Avec l’arrêt de celle-ci, les deux nouveaux arrivants – en raison d’une relative ignorance de part et d’autre – découvrent leurs caractéristiques respectives. Il s’agit d’anciens nouveaux ou plutôt de nouveaux anciens. Dans tous les cas, cette nouvelle prise de contact se fait à un niveau étatique mais pas seulement. En effet il s’agit de vé­ritables mentalités qui correspondent à des civilisations anciennes qui ont traversé les siècles sur des territoires relativement indépendants. Alors que désormais cette rencontre représente, comme le signale Shambaugh, une donnée significative de la situation stratégique mondiale. Le phénomène de la mondialisation a rapproché ces deux cultures bien distinctes. Sans parler de problème identitaire lorsque nous demeurons dans le contexte strictement économique, nous observons déjà une différence comportementale significative. Les deux entités ont conscience de leur propre ontologie sans pour autant se définir de manière téléologique. Aussi chacun pense l’autre dans un contexte avant tout concurrentiel induit par la mondialisa­tion. Il s’agit donc pour chacun d’interpréter l’autre comme un nouveau marché qui doit être compris culturellement pour réaliser des bénéfices. Naturellement les tendances agressives du marketing jouent un rôle offensif dans ce rapport de force. Néanmoins il s’avère que la connaissance du terrain, est indispensable. Sans cela, le bénéfice n’a de sens qu’à court terme. De plus le marketing qui est particulièrement efficace avec une population amorphe, trouve des résistances dans son application massive à ces deux mondes. Il se transforme donc par nécessité en marketing stra­tégique qui tient compte non seulement de la globalité – au sens de la moyenne -mais surtout des spécificités des régions qui composent chacune de ces deux entités. C’est ainsi qu’avec l’apparition de la typicité, les nouveaux marchés deviennent plus complexes d’autant plus qu’ils sont naturellement plus robustes face à des attaques de type spam. Il est nécessaire de travailler avec des « targets groups » explicites et des études poussées en termes de focus groups. Dans les deux cas, nous avons une très forte diversité. Il ne s’agit aucunement de deux blocs. La Chine et l’Europe sont de véritables architectures car leurs fondations sont profondes. Cependant il ne faudrait pas oublier le facteur de la pression démographique dans ce nouveau cadre de réflexion sur les relations sino-européennes. Car cette pression est réelle et fortement asymétrique. Aussi même si elle n’est pas de nature explicative, elle est nécessaire dans la compréhension du dipôle sino-européen.

Pressions chinoises et incursions européennes

Le caractère asymétrique du dipôle Chine – Union européenne se traduit de diverses manières mais rarement sur un autre schéma mental que celui du rapport quantité – qualité. Ceci est particulièrement vrai sur le plan des échanges de popu­lations. Au niveau multilocal, notre expérience directe dans trois pays de l’Union européenne à savoir Chypre, en tant que conseiller stratégique, la Grèce, en tant que conseiller scientifique, et la France, en tant qu’expert près la Cour d’Appel, nous permet d’affirmer l’existence d’une pression démographique chinoise en re­lation immédiate avec l’économie. Et nos analyses indirectes sur les autres pays membres de l’Union européenne confirment cette tendance migratoire. Le plus surprenant c’est la masse que cela représente. Ainsi, au niveau des douanes françai­ses avec lesquelles nous sommes directement en relation par rapport aux réfugiés politiques ou pas et/ou aux clandestins. La pression chinoise n’est pas simplement la plus grande de toute mais elle est surtout d’un autre ordre de grandeur. Et ce fait surprend les non spécialistes qui considèrent que pour la France, c’est la population d’Afrique du Nord et/ou Noire qui détient cette position. En réalité, la différence est si importante qu’elle n’est plus comparable. De l’autre côté, nous avons effecti­vement des incursions européennes en Chine qui sont extrêmement pointues quant à leur degré de spécialisation. Ces incursions se situent sur le plan économique, et se fondent sur un spectre très restreint d’activités qui permet de mettre en avant un sa­voir-faire inégalé dans le domaine concerné. Le point de vue se base essentiellement sur le schéma de l’incursion hyperbolique, à savoir un point d’impact très localisé mais très profond dans le cadre économique qui permet ensuite une diffusion ex­ponentielle du même type de produit. En d’autres termes, nous avons de nouveau l’activation du rapport qualité/quantité. La Chine via sa masse exploite une attaque frontale avec des produits extrêmement peu coûteux sur l’ensemble du territoire européen et l’Union Européenne via son savoir-faire, mise sur la masse chinoise pour commercialiser un produit de qualité supérieure introuvable. La Chine mise sur le nec plus ultra en matière de prix minimal et l’Union européenne sur le nec plus ultra en matière de qualité de produits. Pour reprendre un schéma mental échi-quéen, si nous utilisons l’équivalence entre la tour et les cinq pions, nous pouvons dire que l’Union européenne préfère la tour et sa puissance, tandis que la Chine préfère les cinq pions et leur présence sur l’échiquier. Dans ce schéma mental qui s’appuie certes sur le rapport qualité – quantité, il existe tout de même une équiva­lence. Cela pourtant ne doit pas nous tromper car la moindre erreur de la part de la tour peut permettre la promotion du pion en dame, avec bien sûr des conséquences incalculables. Nous sommes donc en présence d’un équilibre instable et d’une sta­bilité hors équilibre. Dans ce jeu – au sens de la théorie des jeux – où intervient la dynamique – au sens de la théorie des systèmes dynamiques – il n’est pas seulement difficile de prévoir le comportement de l’autre mais il est aussi extrêmement difficile de mettre en place des équilibres même en l’absence de stratégie dominante.

 

* Conseiller stratégique, intervient notamment auprès des Etats grec et chypriote. Professeur de stratégie à l’Académie de Police de Grèce et de géostratégie à l’Ecole Nationale de Sécurité de Grèce. Professeur invité des Universités d’Athènes, de Missolonghi, de Thrace et de l’Ecole Polytechnique de Xanthi. Il est aussi Conseiller Scientifique du Ministère des Affaires Etrangères grec et Expert Judiciaire près la Cour d’Appel de Lyon.

 

Notes

 

Analyses

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