Théorie des hybrides

Recensions

Jean-François Gayraud, Théorie des hybrides, préf. Jacques de Saint Victor, Paris, CNRS  éditions, 2017, 252 p.

L’auteur, juriste, politiste et haut fonctionnaire de la police nationale, décrit le processus de transformation du partisan à l’ère de la guerre froide en celui d’hybride à l’ère du chaos actuel. Son ouvrage est scindé en deux parties historiques et de définitions pour la première, d’une typologie entités, flux et territoires et de cas concrets pour la seconde. La démonstration semble implacable qui nous entraîne dans le nouveau monde post-guerre froide où l’hybridation s’est généralisée en une multitude de groupes particuliers : guérillas marxistes vivant du trafic de cocaïne ; gangsters « salafisés » ; sectes religieuses vouées au terrorisme ; financiers à la fois spéculateurs et criminels ; paramilitaires mutant en cartels de la drogue ; etc. Jacques de Saint Victor cite Norbert Elias pour rappeler que si, selon lui, la « civilisation ne tient pas à un point en plus ou en moins de PIB mais à la maîtrise de la violence et de ses multiples soubresauts », cette dernière échappe pour partie désormais aux Etats. Et, ce, notamment, parce que la criminalisation est devenue un phénomène élitaire induit par le système capitaliste créant en lui-même des « groupes prédateurs exerçant des fonctions socio-économiques utiles voir prestigieuses », (p. 12) devenus systémiques : le « too big to fail » (trop gros pour tomber) se transformant en « too big to to jail » (trop gros pour aller en prison), selon l’aveu du ministre américain de la justice en 2012, dans le cas de l’affaire de la banque HSBC. De l’autre côté du spectre, on trouve le terroriste pour le profit, celui qui légitime une activité criminelle classique (enlèvements, trafics, etc.) par une façade idéologique dont la faible profondeur lui permet d’être présent alternativement sur une multitude de théâtres d’opération aussi distincts les uns que les autres. La dégénérescence du partisan en hybride connait plusieurs raisons que nous décrit l’auteur tels que la fin de la bipolarité qui a affranchi des maîtres du condominium, la nécessité de trouver des financements d’origine criminelle pour remplacer la vampirisation des financements politiques des puissances tutélaires, la multiplication de petits faux Etats comme le Kosovo, structures mafieuses idéales sous paravent étatique, le suicide de la révolution pour aboutir à la séduction du profit, la désuétude des systèmes hiérarchiques plus clairs et plus naturellement portés à la définition d’une communauté humaine à servir, en raison de la promotion très tendance de structures plus souples, décentralisées et horizontales, ouvrant la porte à la pluralité, l’autonomie et l’opacité. Ce peut être également l’acquisition une maturité des mouvements terroristes possédant caractéristiques politique, sociale d’une part, et criminelles et terroristes, de l’autre. Dans sa classification entités, flux et territoires, Jean-François Gayraud analyse précisément la diversité des catégories et des mouvements hybrides, dans lesquels trafics de drogue et djihadisme prédominent aux côtés d’une cybercriminalité en progression exponentielle. L’auteur déplore, comme un fil rouge de son travail, la myopie plus ou moins volontaire des politiques et des analystes, lesquels ont du mal à fusionner leurs spécialités respectives, criminalité d’un côté, terrorisme de l’autre, cette distinction ayant engendré l’incapacité à comprendre et le retard à agir des services classiques de répression des Etats, non seulement étanches mais également concurrents. L’auteur fait le choix de ne pas aborder, ou en deux pages ultimes, la question pratique de la réponse à apporter au phénomène qu’il a décrit tout au long de son ouvrage. Dans ses dernières lignes et sous le titre « Que faire ? », il indique que le meilleur choix d’action de neutralisation de l’activité criminelle est celle de son activité prédatrice, d’enrichissement, son point faible. Il éclaire également la transformation du fonctionnement de l’État dans le sens de la transversalité et du décloisonnement de ses services, dans une réorientation de ses cibles de travail et dans ses modalités de neutralisation (prévention et répression). Mais cela ne nous dit rien de la réalité de ce qu’il nous a fait découvert, c’est-à-dire une des caractéristiques systémiques du système capitaliste à l’heure de la modernité tardive, que représente l’hybridation criminelle plus encore en col blanc, qu’en col bleu. L’interaction, la symbiose, la capacité de se mouvoir en collant au principe, « greed is good » (éloge de la cupidité), font de l’hybride criminel le fils légitime du système capitaliste et du matérialisme.

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