RETOUR SUR QUELQUES ELEMENTS GEOPOLITIQUE EN MEDITERRANEE

Christophe REVEILLARD

Chercheur à l’UMR Roland Mousnier de l’Université Paris-Sorbonne et Enseignant au Collège Interarmées de Défense à l’École militaire

Novembre 2008

Au CROISEMENT DE NOMBREUSES DISCIPLINES et définie par de multiples pa­ramètres, l’analyse géopolitique permet l’assimilation et la compréhension de pro­blématiques complexes. La place singulière qu’occupe la Méditerranée, longtemps au centre du monde, en est assurément l’un des exemples les plus frappants. En ef­fet, l’étude du « bassin méditerranéen », le « monde méditerranéen » disait Fernand Braudel, impose le rappel de connaissances d’histoire, de géographie, de stratégie et de philosophie politique à des niveaux qu’aucune autre région du monde ne pourrait exiger.

Le questionnement n’a jamais cessé en réalité : « La Méditerranée carrefour, la Méditerranée contrastée et fragmentée, se présente à notre esprit comme une image cohérente, comme un système où tout se mélange et se recompose en une unité originale, virtuelle. Mais comment nier que deux Méditerranée s’affrontent : la nôtre et celle des autres, celle du Nord et celle du Sud ? Qu’est-ce alors que « LA » Méditerranée ? Une mer, évidemment. Mais bien plus que cela. C’est une expres­sion simplifiée pour désigner un «monde» : le monde méditerranéen. Un monde aux limites floues, aux définitions contradictoires et arbitraires. Mais c’est aussi un mythe, ce qui complique tout »:.

Si, à titre d’exemple, l’on utilise le prisme géographique, les termes – contradictoires, mais tous exacts – qui pourraient la qualifier semblent opposer des réalités irréductibles, carrefour/frontière, mer de passage/mer fermée, espace civilisationnel/ligne de rupture, échanges multiples/diversité des modes conflictuels2, etc.

L’espace méditerranéen peut être analysé en termes de stratégie maritime. Si l’on prend comme exemple celle purement française on doit d’abord évoquer l’histoire du port de Toulon, dont l’arsenal restera longtemps réputé, et fut le premier port de guerre du Royaume, celui à partir duquel la France aura non seulement résisté à Charles Quint mais également assuré sa présence en Méditerranée sous Henri IV puis Louis XIV. Le livre de Michel Vergé-Franceschi aborde l’histoire de la Méditerranée et sa géopolitique ainsi que les enjeux économiques et politiques des grands ports de guerre de la Monarchie française dont le déplacement de l’intérêt stratégique vers l’Atlantique provoquera le déclin de Toulon et, la chute de la Monarchie, celle du port royal3. On peut également évoquer le contexte de l’impossibilité d’arriver à une coalition continentale antibritannique avec les flottes allemande et russe puis à l’inverse celui d’une Entente cordiale acceptée mais sans illusion, la seule issue -pressentie dès le début du XXe siècle, mais qui ne sera pleinement théorisée que dans l’entre-deux guerres, sous l’impulsion de l’amiral Castex- devait consister en une stratégie duale, mêlant guerre de course et opérations d’escadres, et bornant ses ambitions au contrôle de la Méditerranée occidentale. De nombreux travaux, à pro­pos desquels on découvre l’existence d’une véritable école française de géopolitique, avaient en effet montré que les Antilles et l’Indochine étaient indéfendables et que l’Afrique suffisait amplement aux besoins de la France. Cette théorie eurafricaine, aboutissement de « l’éducation géostratégique » dont il est question dans l’ouvrage de Martin Motte4, ne se concrétisa qu’imparfaitement, puisqu’on ne pouvait aban­donner les colonies extra-africaines. Mais l’auteur montre en conclusion qu’elle inspirera la stratégie de la France Libre (puis, ajoutons-nous, la détermination avec laquelle la France s’engagera dans la guerre d’Algérie). Ce qui nous amène tout droit à la réalité d’une politique arabe de la France dont l’un des pôles de convergence est « l’attention que la France porte au conflit israélo-palestinien, véritable obsession en Méditerranée orientale depuis deux générations. La politique arabe de la France a, dans sa spécificité, défini trois zones distinctes : le Maghreb, le Proche-Orient et le Golfe (…). Pour le Maghreb, nous sommes dans la configuration de deux sous-ensembles parallèles puisqu’il constitue le sous-ensemble nord-africain du monde arabo-musulman et l’Europe occidentale le sous-ensemble méditerranéen de l’Eu­rope cimenté par une alliance militaire, une union économique et politique, une culture et une religion commune. De ce positionnement naissent des différences qui, en dépit de la mondialisation, creusent un fossé dont on ne sait s’il se comble ou s’élargit. Mais le flux d’hommes de marchandises et de capitaux entre les deux rives de la méditerranée n’a jamais été aussi nourri (.). Les questions de sécurité et de défense se posent entre l’Europe et l’Afrique du Nord par exemple de manière atypique. Celle-ci pourrait être utilisée à la manière d’un gigantesque porte-avions comme ce fut le cas lors du dernier conflit mondial ou la libération du Vieux conti­nent par les Américains passe par les débarquements à Alger, Oran et Casablanca pour entrer en Sicile et par l’Italie. De même lors de la guerre froide, au Maroc, le Américains ont semble-t-il entreposé pour mieux protéger leurs alliés européens, un arsenal atomique dans une ou plusieurs des trois bases dont ils disposaient alors à Ben Guérir, Nouaçeur et Sidi-Slimane. Or les pays d’Afrique du Nord ne sont pas inclus dans le réseau d’alliances militaires qui nous lie à nos voisins du continent. Cette double constatation d’ordre géopolitique et stratégique – un vaste territoire proche du nôtre, aucune communauté de défense avec territoire » conduit à une conclusion : qu’au moins aucune menace ne vienne du Sud. Le problème ne pro­venant évidemment pas des capitales d’Afrique du Nord mais des relations plus ou moins étroites qu’elles auraient pu entretenir avec des puissances hostiles ».

En effet, selon Aymeric Chauprade5 dont on développera ici la pertinence de l’analyse, on peut appliquer « le terme de lac -ou lac intérieur- à une mer, lorsque celle-ci est totalement contrôlée par une puissance » et, reprenant les thèses contra­dictoires de Henri Pirenne6 et de Maurice Lombard7, il interroge cette grille de lecture à propos de l’islamisation de la Méditerranée, « devenue lac musulman, la Méditerranée fut-elle une mer fermée au commerce entre l’Orient et l’Occident, comme le prétendit Henri Pirenne, ou bien au contraire, un espace d’échanges intense comme le soulignait Maurice Lombard ? ».

L’auteur reprend les différents éléments de l’étude géopolitique pour apprécier la haute teneur géopolitique qui caractérise l’espace méditerranéen. Les barrières montagneuses telles que celle séparant le désert de Syrie de la Méditerranée, les monts turcs, la montagne libanaise et celle de Palestine, ne sont pas « une barrière continue entre le Golfe et la Méditerranée : des passages existent qui facilitent la liaison Méditerranée/ Golfe persique – la situation générale de ce Moyen-Orient est en effet celle d’un isthme placé entre la Méditerranée et le Golfe persique- et favori­sent par conséquent l’établissement de villes côtières placées au commandement de ce commerce
transcontinental ».

De même, le fait ethnique est une clef permettant l’observation au plus près de la réalité géopolitique de la zone. Dans sa Grammaire des civilisation^, Fernand Braudel insiste sur cet élément comme facteur d’explication des premiers cycles de l’islam, ce que développe le directeur des études à l’Ecole de guerre, « Le premier cy­cle de conquêtes de l’islam fut en effet arabe. Les arabes créèrent un empire, un Etat qui n’était pas encore au stade de civilisation. Puis arriva le temps des Abbassides au VIIIe siècle, le nouveau califat glissa vers l’Est, s’éloignant de la Méditerranée pour se rapprocher du monde iranien; la capitale se transporta de Damas à Bagdad. C’est la revanche des ethnies soumises par le premier califat contre les « vrais arabes ». (…) [mais précédemment] au Ve siècle, l’Orient (fut) marqué par l’affaiblissement du monde sémitique qu’il soit summéro-babylonien, assyrien, phénicien ou égyptien. Ce sont les peuplades indo-européennes, grecques ou perses, qui s’affirment et du même coup, annoncent l’essor de l’Occident en Méditerranée »9.

Ce fut bien la communauté hellénique, la Grèce de la Méditerranée, qui va as­surer un temps cette union entre Orient et Occident notamment par le moyen du commerce très intense des Grecs alors que la flotte vandale dominera la Méditerranée occidentale. Si le premier christianisme du Maghreb fut éradiqué c’est que se déta­cha « de la romanie, l’Afrique du Nord [laquelle] brisa l’unité de la Méditerranée, et se faisant, créa l’Europe ».

A propos de l’émergence et du développement de l’islam, Aymeric Chauprade l’explique par quatre facteurs endogènes -ethnique, linguistique, religieux et socio-économique qui ressortent du cadre identitaire général: 1/ « La montée en puis­sance des Arabes s’appuyant sur l’épuisement de l’Hellénisme en Orient, résultat de la lutte de Byzance contre les Perses 2/ Le recul du grec comme langue unificatrice au Moyen-Orient et la division linguistique qui en résulte favorisent l’émergence d’une nouvelle langue commerciale fédératrice 3/ contrairement aux aires civilisa-tionnelles d’Europe, d’Asie et d’Extrême-Orient, le Moyen-Orient souffre d’une grande division religieuse 4/ La situation de carrefour du commerce mondial du Moyen-Orient appelle la formation d’une grande religion unificatrice à vocation moniale et gouvernée par les bourgeoisies citadines ». Démonstration imparable. Hadrien Dekorte pour sa part développe l’idée de la déformation récente de l’his­toire de la confrontation en réalité violente entre chrétienté et invasion musulmane en Méditerranée occidentale : « Al Andalus est présenté comme un désert que les arabo-musulmans auraient transformé en jardin. La civilisation c’est l’Islam, aupa­ravant, c’était le temps des ténèbres et de l’ignorance. La place de l’Espagne méri­dionale dans la Méditerranée grecque tout comme dans le monde carthaginois puis dans l’Empire romain est généralement occultée tout comme peut l’être celle de l’unité géographique et historique du bassin de la Méditerranée occidentale. On fait l’impasse sur l’apport de l’Andalousie à Rome. On nous chante les jardins de Grenade, en oubliant ceux de la villa Hadriana de Tivoli ou de ceux de n’importe quel monastère de Toscane. On compte sans doute sur le fait que bien peu ont la possibilité d’établir des comparaisons entre les cultures ou entre ce que le temps et les destructions des hommes en ont laissé. On compte également sur la modernité qui justement nous interdit de comparer. On compte encore sur un relativisme qui nous interdit d’exprimer des préférences et de les énoncer publiquement »10.

La conception religieuse résultant de cette séparation crée également la repré­sentation culturelle et sociale qui détermine pour une large partie l’évolution démo­graphique des sociétés. Aujourd’hui, le vieillissement européen fait face à l’extrême jeunesse de la rive sud de la Méditerranée. L’auteur poursuit : « Dans trente ans, la rive Nord des pays chrétiens de la Méditerranée aura gagné six millions d’habitants. Dans le même temps, la rive Sud des pays musulmans en aura gagné cent. Il y aura alors 340 millions de musulmans jeunes autour de la Méditerranée et seulement 170 millions d’Européens (mais âgés). D’ici là, si l’Occident et ses alliés modérés du monde musulman ne réussissent pas à faire échec à l’islam politique, l’Europe ne vivra plus en paix »11 puisque « le peuplement de l’Europe va enregistrer une triple évolution : arabisation, islamisation et africanisation »12. On estime que depuis 1988, plus de 8000 des « boat-people » ont perdu la vie pour la seule traversée de la Méditerranée et que chaque jour de très nombreux ressortissants africains franchis­sent Gibraltar ou le Canal de Sicile ou encore tentent de rallier les îles Canaries.

Une question régulièrement occultée en effet, est celle de la détermination de l’es­pace. Ne devons-nous compter que les populations du littoral ou intégrer dans nos calculs également celles des profondeurs continentales ? « Méditerranéen, le Sahara de l’Algérie et de la Libye ? Méditerranéens, le Taurus et les Alpes ? Méditerranéens, Milan et la Lombardie, Paris, la région Nord-Pas-de-Calais ? Les analyses et les sta­tistiques qui prennent en compte la population et l’économie des pays tout entiers sont fallacieuses. Les analystes et les géographes en particulier devront adopter face à cet espace une géométrie variable et le considérer en définitive avant tout comme un objet géopolitique : un objet géopolitique lieu de contradictions, de conflits, de fractures qui empêchent de le considérer comme un ensemble aux caractères convergents ou comme un géosystème évident, tant il est, de plus, déterminé de l’extérieur. [Il existe donc] une ligne de fracture évidente divis(ant)la Méditerranée sur le plan de la démographie. Elle oppose un Nord, baptisé encore «Arc latin», et un Sud généralement identifié par le sigle Psem pays du Sud et de l’Est méditerra­néen. Parmi ces Psem, le Sud est constitué par les pays arabes, et l’on rassemble dans l’Est, l’ex-Yougoslavie, l’Albanie, le Turquie et Malte, Chypre et Israël. L’évolution des populations, en nombre d’habitants, est spectaculaire de 1950 à 2000, alors que la population des régions méditerranéennes de l’Arc latin n’a pas augmenté de plus de 30 %, celle des Psem a gagné plus de 150 %. Au total, pour une population méditerranéenne de 355 millions d’habitants, le «Nord», c’est-à-dire l’Arc latin, en compte 71 millions, soit 20%. Dans les Psem, le «Sud», le nord de l’Afrique, de l’Égypte au Maroc compte pour 50 %. Aujourd’hui, la croissance annuelle de la population des pays de l’Arc latin se situe entre 0 et 0,5 % alors que celle de la plupart des Psem se situe entre 2,5 et 3 %. (.) Cette évolution démographique, enfin, ne crée pas seulement une différenciation entre les pays méditerranéens ; elle s’applique aussi de façon sélective à l’espace, indépendamment des frontières. La Méditerranée est le lieu de processus accentués de littoralisation et d’urbanisation. Les prospectivistes annoncent que, d’ici à 2025, plus de 40 % des méditerranéens se presseront sur le littoral et que le nombre des citadins
doublera »13.

Au niveau stratégique, on connaît l’objectif américain d’un règlement global de la déstabilisation de la région par l’application du plan d’un Grand Moyen-Orient et ses conséquences en Méditerranée. Rome par exemple a choisi d’apporter un sou­tien quasi systématique aux positions américaines. Le montant des investissements américains dans l’industrie de défense italienne est significatif et Rome continue à les attirer tout en recherchant des transferts de technologie. Les Etats-Unis sont par ailleurs considérés par l’Italie (mais aussi par l’Espagne) comme un égalisateur de puissance vis-à-vis du Royaume Uni, de la France, et de l’Allemagne. Une relation bilatérale avec la puissance américaine est ainsi conçue comme une garantie contre toute tentation d’exclusion du processus de décision par les trois grands européens particulièrement en ce qui concerne l’évolution de la sécurité européenne14. Les Etats-Unis maintiennent enfin en Italie une présence militaire très forte représentée par la sixième flotte avec son port base de Naples, l’état-major des forces navales américaines de la Méditerranée (Afsouth)15 ainsi que les bases navales de Gaeta, La Maddalena (Sardaigne) et l’importante base aérienne de Sigonella en Sicile. Au su­jet de l’autre région stratégique à débouché méditerranéen, les Etats-Unis cherchent à contrôler le pétrole de la mer Caspienne et de l’Asie centrale. Pour ce faire, la maî­trise du Caucase, par sa position de relais entre la mer Noire et la mer Caspienne et par extension entre l’Asie centrale et la Méditerranée, est nécessaire. Le Caucase est devenu pour Washington une zone d’intérêt national et plusieurs projets d’oléoducs ont été lancés, devant rivaliser avec l’ancien oléoduc russe Bakou-Novorossisk. Deux projets ont effectivement vu le jour: un tracé Bakou-Tbilissi-Soupsa, transitant par l’Azerbaïdjan et la Géorgie et un tracé Bakou-Tbilissi-Ceyhan, qui débouche sur le terminal pétrolier turc de la Méditerranée. De plus, dans le cadre de la coopération Russie/Otan concernant la non-prolifération des armes de destruction massive et la lutte contre le terrorisme, la Russie a participé, en octobre 2006, aux manœuvres de l’Otan en Méditerranée, lesquelles ont eu lieu dans le cadre de l’opération antiterro­riste « Active Endeavour ». La Russie avait également signé des accords avec l’ancien Premier ministre Ariel Sharon pour s’entendre avec Israël sur l’organisation d’une lutte commune contre les islamistes tchétchènes et palestiniens.

Le Moyen-Orient possède une importance stratégique vitale pour l’Union euro­péenne laquelle en a fait une priorité essentielle de ses relations extérieures. Dans l’ensemble régional du Moyen-Orient apparaît l’expression fonctionnelle d’objectifs officiels de représentation de la vocation « pacificatrice » et désintéressée de l’Union européenne. Mais à coté de ces démonstrations diplomatiques en direction des ca­pitales arabes et du Moyen Orient, les nations-cadres de l’UE développent une véritable stratégie d’influence dans la région16. Dans le cadre du développement de l’intégration européenne, on a pu assister à l’émergence de grands ensembles régionaux pour résoudre certains problèmes liés notamment à l’aménagement du territoire européen, de « grands ensembles régionaux » se sont crées spontanément ou ont été encouragés par les instances nationales. Ces formations, ne représentent pas des entités administratives à part entière, dotée d’élus ou de pouvoirs, mais ser­vent uniquement à l’étude et au rééquilibrage territorial. Certains de ces regroupe­ments régionaux périphériques de l’Union européenne, qui dépassent les frontières, apparaissent spontanément dans le but de réduire les disparités économiques ou de valoriser un patrimoine commun. Les régions les composant constituent donc une association de défense d’intérêts communs pour obtenir davantage de subventions de la part de Bruxelles afin de faire contrepoids au « cœur » économique de l’UE. Cependant, le manque d’homogénéité de certains de ces ensembles régionaux, tant sur le plan culturel que sur le plan des relations et des échanges, ne leur permettent pas encore une dynamisation importante. Ainsi, l’association des régions méditer­ranéennes reçoit des fonds structurels de Bruxelles pour la réalisation de projets concernant des domaines très variés, allant du développement des axes de com­munication et des transports, au maintien des ressources naturelles de la vie et du patrimoine culturel. Les nouvelles orientations de la politique régionale de l’Union européenne se nourrissent dorénavant des principes des collaborations régionales transfrontalières. Cette tendance centripète et centrifuge selon le point de vue des Etats nationaux ou de l’UE, connaît de nouvelles avancées, avec la création de l’eurorégion Alpes-Méditerranée. Cette dernière est devenue réalité en novembre 2006. Elle est la première à répondre aux attentes de la nouvelle orientation de la politique européenne régionale en travaillant à la constitution d’un Groupement Européen de Collaboration Territoriale (GECT). Ce dernier doit utiliser au mieux les financements du programme pour « la coopération européenne » et présenter une vision plus globale que la politique territoriale menée jusqu’alors. Les théma­tiques abordées sont encore plus nombreuses : environnement, transports, innova­tion et recherche, développement durable, culture et tourisme. Malheureusement dès qu’il s’est agit de créer un véritable partenariat à l’échelle euro-méditerranéenne devant transcender le processus de Lisbonne de 1995, l’Union européenne a, une fois de plus, fait étalage de sa méconnaissance des réalités stratégiques. Le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM), authentique programme visionnaire et à haute teneur géopolitique, ayant pour vocation de réaliser plusieurs objectifs à par­tir d’un seul processus – aide massive au développement des pays de la rive Sud et fixation de ses masses de population sur la zone même de ce développement, partage de la prospérité et complémentarité de la production de richesses par la convergence des économies, appréciation commune et multilatérale des enjeux de sécurité et de stabilité ; réinvestissement par les Etats européens du champs straté­gique méditerranéen au sens large trop longtemps laissé à la discrétion américaine. Mais la Commission européenne craignant voir une remise en cause de son rôle institutionnel et communautaire qu’elle avait pris soin d’installer dans les limites communautaires du partenariat décidé à Barcelone, a plaidé pour une limitation drastique des moyens politique et budgétaire de l’UPM, ce dont l’Allemagne a profité pour y porter le coup de grâce, fidèle à sa devise « d’abord nos frères de l’Est avant nos cousins du Sud ». Ces prises de position ressortent-elles vraiment du ha­sard quand on sait qu’une UPM aurait pu gêner ou concurrencer l’atlantisme bien compris de l’ensemble des acteurs de la Méditerranée occidentale, hors la France qui, pour sa part, a vu considérablement diminuer son ambition d’activer une poli­tique européenne d’ampleur jusqu’à la constitution d’une diplomatie indépendante dans la question du conflit israélo-arabe.

Au cœur des tendances lourdes de l’évolution internationale actuelle – thalasso-cratie ; littoralisation ; sécurisation accrue des routes stratégiques ; questionnements identitaires ; immigrations ; émergence de nouveaux pôles économiques ; etc. – la Méditerranée n’a pas fini de susciter des réflexions et de provoquer des ambitions dont on peut être certains que seuls les acteurs géopolitiques sûrs de leur volonté de puissance sauront tirer parti.

 

Notes

  1. Dominique Borne, Jacques Scheibling (dir), La Méditerranée, Hachette supérieur, Carré géographie, Capès-agrégation, 2002-2003, p. 11 et Vr. également Gérard Claude, La Méditerranée. Géopolitique et relations internationales, Ellipses, 2007 et Yves Lacoste, Géopolitique de la Méditerranée, Armand Colin, 2006.
  2. Yves LACOSTE, « La Méditerranée », « Géopolitique de la Méditerranée », revue Hérodote n°103, 4° trim. 2001
  3. Michel Vergé-Franceschi, Toulon, port royal (1481-1789), Taillandier, 336 p., 2002.
  4. Martin Motte, Une éducation géostratégique. La pensée navale française, de la Jeune Ecole à

1914, Paris, Economica, 2004.

  1. In Géopolitique. Constances et changements dans l’Histoire, Ellipses, 3e éd., 2007
  2. Pirenne et alii, Mahomet et Charlemagne, Byzance, Islam et Occident, dans le Haut Moyen-Age, Jaca Book, 1986
  3. Lombard, L’Islam dans sa première grandeur VlIIe – Xle siècle, Flammarion, 1971.
  4. Flammarion, 1993.
  5. Chauprade, op. cit., p. 212 et 253.
  6. In Violences urbaines et territoires de l’islam politique, (à paraître).
  7. Ibid, 460.
  8. Jean-Claude Chesnais, « Nord-Sud : le face-à-face démographique », Politique internationale, automne 1995, n° 169, p. 433 cit. in ibid. p. 579.
  9. Dominique Borne, Jacques Scheibling, cit.
  10. Roberto Menotti, « l’avenir des relations bilatérales entre Italie et Etats-Unis » in www. strategicsinternational.com.
  11. Le redéploiement des forces américaines en Europe annoncé par le président Bush en aout 2004 prévoit d’ailleurs de regrouper l’état-major des forces navales américaines dans l’Atlantique Nord (AFNORTH), actuellement à Londres avec celui de la Méditerranée à Naples.
  12. Christophe Réveillard, « La politique de l’Union européenne au Moyen-Orient », Géostratégiques n° 8, Juillet 2005, p. 59 et

 

 

Article précédentLA MEDITERRANEE, PROIE DES IMPERIALISMES DEPUIS DES SIECLES Roger TEBIB QUELLE SECURITE POUR DEMAIN ?
Article suivantDu PROCESSUS DE BARCELONE A L’UNION POUR LA MEDITERRANEE : UNE GOUVERNANCE INTROUVABLE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.