Retour stratégique de la Russie en Israël

Adeline Leila CHENON RAMLAT
Ecrivaine, réalisatrice et spécialiste du Moyen-Orient

Je viens du terrain donc je vais intervenir comme quelqu’un qui vient du terrain. Je voudrais vous faire part de ce que j’ai observé et des conclusions auxquelles je suis arrivée.

Nous avons assisté à d’une démonstration de diplomatie russe résumée par le propos de Gédéon Lévy qui écrivait dans la revue Haaretz du 28 septembre 2018 « Je remercie la mère Russie d’avoir remis Israël à sa place. »

Pour partager avec vous la pertinence de cette phrase, après avoir rappelé l’utilité de la diplomatie, je rappellerai les faits, c’est-à-dire l’escalade guerrière israélienne et les différentes réponses russes pour enfin constater le résultat de ces réponses, qui nous mettent quasiment face à un cas d’école.

On ne dit jamais assez que la diplomatie sert avant tout à éviter la guerre .En ce moment au Proche-Orient avec la Syrie nous nageons depuis 7 ans dans une guerre énorme que personne n’a, dans les faits, réussi à endiguer à part les Russes.

La diplomatie n’arrivait pas à trouver sa place pour plusieurs raisons : la diplomatie exige de parler d’égal à égal à la personne en face et en l’occurrence ce niveau d’égalité n’existait pas. Pour qu’il existe, il faut d’une part être crédible aux yeux de tous mais aussi être respectable d’une manière ou d’un autre vis-à-vis des belligérants. En l’occurrence c’est la seule façon de calmer les attaquants de part et d’autre. Il faut savoir par ailleurs être discret pour préserver les susceptibilités diverses surtout au Proche-Orient où c’est une composante essentielle.

Dans ce contexte les actions diplomatiques régionales n’ont jamais vraiment abouti. On nage en pleine mascarade onusienne au Proche-Orient parce qu’on est arrivé au point où dès qu’on parle d’Israël, les habitants des pays limitrophes n’y croient plus. Les gens pensent que l’art du dialogue est terminé, que les mots ne servent à rien et qu’il faut passer à l’action, donc à la guerre. C’est une conviction très répandue chez les orientaux quand il vous parle d’Israël. Ils ne voient qu’un État voyou qui ne fait que ce qu’il veut. Cette conviction est dure à stopper, tout comme imaginer une paix des états de la région parce qu’en effet Israël fait un peu tout ce qu’il veut. L’ONU condamne, l’ONU constate avec regret, l’ONU n’est pas contente , l’ONU discute mais l’ONU ne fait rien  et d’ailleurs personne ne fait rien contre ce comportement, tel est le sentiment oriental.

En septembre on a subitement assisté à une escalade des événements : Israël dans le cadre de l’anniversaire des 30 ans de son premier lancement orbital, a publié une photo du palais présidentiel syrien vu du ciel, ce qui est une menace directe à un président, sans compter qu’ils ont diffuser de façon mondiale ces photos en expliquant que c’était une démonstration de force. 2 jours avant Israël avait envoyé des missiles sur l’aéroport de Damas, alors qu’avant, ce genre de bombardements ce faisait plutôt par proxy. Là ils l’ont fait directement, en leur nom. Enfin, le 16 et 17 septembre ils ont attaqués, par missiles, les zones de Tartous et de Lattaquié de Homs et de la région de Banias. Montée crescendo jusqu’au moment où le 17 septembre il va y avoir une évènement lourd, puisqu’ils tirent sur un avion militaire russe et tue 15 soldats russes. C’est l’acte de trop.

Ces actions sur le terrain suivent la décision de la semaine précédente à Téhéran où a eu lieu un sommet tripartite irano-turco-russe

Il y avait été décidé de la création d’une zone tampon autour d’Idlib, dont le but est une démilitarisation des armes lourdes des terroristes, qui avaient au fur et mesure du conflit, été envoyés par l’armée syrienne à Idlib. Cette démilitarisation sous le contrôle turco russe, annule de facto la bataille d’Idlib qui avait été pourtant prévue par tout les spécialistes et les médias européens comme « la grande bataille », où l’on avait prédit de lourds massacres, voire une catastrophe humanitaire. Tous les pires scenarios avaient été envisagés et voila que par cette signature de Téhéran, il n’y a plus de bataille d’Idlib du jour au lendemain et l’on parle de démilitarisation de la zone.

Un premier aspect très fin de cet accord à observer c’est qu’il a permis de redonner un rôle aux turcs dans le conflit, alors que leur position n’était pas claire du tout. Ils reviennent par une porte assez noble qui est celle de ceux qui démilitarisent, ce qui est toujours beaucoup plus noble que la porte de ceux qui tirent. La relation à la Turquie est importante stratégiquement sur le long terme pour la Russie car la majorité des pays qui ont quittés l’URSS sont turcophones, donc des relations fortes perdurent avec la Turquie et sur le long terme on pourrait même dire que la Russie à plus d’intérêts à protéger en Turquie qu’en Syrie, en tout cas pour cet aspect de la turcophonie qui est essentiel.

Revenons sur le terrain avec une action russe qui va suivre directement l’agression subie par leur avion militaire. Survol d’Israël par 12 avions militaire russes Sukhoi 35. Aucune mention n’est faite en France de l’évènement, mais ces douze avions ont longé les côtes à des vitesse ultras sonores ce qui fait que régulièrement cela brise le mur du son et produit un énorme bruit sans danger, mais parfaitement terrorisant. Le survol s’est fait de la frontière du Liban pour arriver jusqu’au Sinaï. Les russes ont donc violé l’espace aérien israélien.

La encore, on peut dire que c’est un message très fin dans la mesure où c’est un grand classique dans les relations entre Israël et les libanais. Les israéliens passent leur temps à violer l’espace aérien libanais et c’est devenu une telle habitude pour les libanais, que si subitement à Beyrouth vous entendez un énorme « bang », les libanais vous expliquent calmement que ce sont les israéliens qui ont encore franchis le mur du son au-dessus de leur tête. La notion du respect de l’espace aérien chez les libanais est donc totalement galvaudée et ils commentent simplement en disant « qu’il faut voir avec l’ONU ».

Ces viols aériens sont passés dans le domaine de l’habituel et les russes ont répondus de manière identique aussi rapide et aussi peu visuelle pour autrui, sauf pour les israéliens qui ont, eux, tout vu et tout entendu. Eux l’ont vécu. Mais, avec leurs antécédents dans le domaine, ils étaient absolument dans l’impossibilité de se plaindre ou de faire une remarque sur l’indélicatesse de violer l’espace aérien d’autrui : ils le font régulièrement.

On peut donc parler d’une réponse parfaitement adaptée : du type de celle du berger à la bergère, ce qui donne en temps de guerre : attention on va commencer à vous titiller pareil : on est là avec du matériel lourd et on vous envoie un message discret, pas officiel et sur lequel il est impossible de répliquer, pour vous faire savoir notre force et notre présence.

Dernière réponse russe, l’annonce très officielle et très médiatisée de l’offre de S300 à l’armée Syrienne qui sera donc capable maintenant de répondre en cas d’attaques israéliennes et pas seulement de stopper ces dernières.

On en a vu la conséquence peu de temps après, car bien que monsieur Netanyahu ait menacé d’attaquer le Liban, personne, à commencer par les libanais, n’y a crû. Ça c’est une chose rare au Proche Orient, car d’habitude cela sème un vent de panique, mais là rien de ce type dans la population. Monsieur Lavrov s’est contenté de mettre en garde en disant qu’il ne fallait pas attaquer le Liban et que les conséquences seraient redoutables et d’un seul coup silence Radio, monsieur Netanyahu n’a pas re-menacé le Liban.

Nous sommes donc face à un pays qui vient d’avoir 15 morts et qui sait d’où ça vient, mais qui sait en profiter pour donner une magistrale leçon de diplomatie.

Pourquoi ?

  • On ne parle plus d’attaque d’Idlib, ce qui est un marqueur indéniable de la fin de la guerre en Syrie. L’armée a en effet, à peu près reconquis l’intégralité du territoire et donc globalement retrouvé sa souveraineté nationale même s’il y a encore des problèmes du côté de Deir Ezzor. La reconstruction a déjà bien commencé et le pays, de facto, est en train de retrouver sa dignité. Cette absence de bataille finale, clôt donc à peu près la guerre. Nous étions censés danser sur un volcan et c’est l’inverse qui se passe : la situation se calme (ce n’était pas les prévisions occidentales), on ne nous parle plus de guerre.

  • On ne parle plus d’arme chimique.

  • Les israéliens n’attaquent plus. Arrêt donc de leur escalade de violence et d’attaques sporadiques en Syrie.

  • Les américains ne se sont pas manifestés et ont même été rappeler aux Saoud que le pouvoir était entre leurs mains américaines.

  • La démilitarisation d’Idlib a commencé et les terroristes ont commencé à donner leurs armes lourdes à l’armée syrienne. Cela ne va pas vite mais à la fin de ce processus, l’entente prévoit que le territoire redeviendra souverain.

  • La Turquie a retrouvé une position claire par rapport à un conflit où elle s’était mise dans une situation instable et peu tenable géopolitiquement parlant.

Dans cet épisode précis, ce que je retiens surtout c’est que qui avait commencé par de multiples provocations israéliennes avec une tension majeure au moment des 15 morts militaires russes, a fini par un aimable domptage donné par un ours, pour commencer d’assainir diplomatiquement un capharnaüm régional.

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