Ressources stratégiques, réserves minières, positionnement géopolitique et géoéconomique.

David Mascré

Chargé de cours en géopolitique dans l’enseignement supérieur Docteur en mathématiques, Docteur en philosophie

3eme trimestre 2013

Quelle place pour l’Iran dans le monde de demain ?

« Personne ne peut connaître toutes les conséquences d’une guerre avec l’Iran, et en ceci réside la principale question préalable à toutes propositions de recours à la force contre le pro­gramme nucléaire iranien. Il est cependant assuré que les conséquences négatives au regard des intérêts américains seront très probablement sévères ».

Paul Pillar,

ancien chef d’antenne de la CIA au Proche-Orient

L’Iran dispose aujourd’hui de sérieux atouts géopolitiques et géoéconomiques à faire valoir dans la compétition économique mondiale : 2e pays producteur de pétrole de l’Opep, détenteur des 2e réserves mondiales de gaz, etc. Sa position géographique en fait un partenaire important dans l’acheminement des ressources énergétiques des pays riverains de la mer caspienne. Sa structure politique pérenne fait de ce pays un îlot de stabilité dans une région en proie depuis plusieurs années désormais à la guerre, au chaos et à l’anarchie. Pourtant le pays reste isolé diplomatique­ment et fragile économiquement, du fait de sa dépendance excessive de son revenu vis-à-vis du pétrole, de l’accès limité au marché des capitaux en raison notamment des lois Helms-Burton et d’Amato, ou encore de son isolement diplomatique.

Iran currently holds significant geopolitical andgeo-economic assets to use in the global économie race: OPECs second oil-producing country, second in line in globalgas reserves and so on. Its geographical position turns it into an important partner in the transport of energy reserves for the countries borde-ring the Caspian Sea. Its durablepolitical structure turns Iran into a stability factor in a region grip­ped by war, chaos and anarchy for many years now. Nevertheless, the country remains diplomatically isolated and economically fragile given the excessive dependence of its income on oil, its limited access to financial markets due to the Helms-Burton andD’Amato Acts, or even due to its diplomatic isolation.

  1. Aperçus généraux

Il est difficile de caractériser en quelques lignes un pays dont les cadres mentaux et les structures politico-spirituelles s’enracinent dans une histoire immémorielle vieille de plus de 5000 ans. L’Iran contemporain, malgré les traits singuliers que lui a donnée depuis 1979 la révolution khomeyniste, s’inscrit en effet dans la filiation d’une histoire longue qui, de la Perse ancienne au fastes du Shah en passant par les empires séleucides, a marqué de son empreinte l’histoire mondiale. Situé au centre de la route de la soie, entre la Chine et la Turquie, l’Iran a de tous temps consti­tué un carrefour géostratégique. Riverain de l’Océan indien, mais aussi de la mer Caspienne, le pays constitue un pont entre l’Asie centrale et le Golfe persique. Du côté occidental, le pays côtoie la Turquie, le Caucase et, via l’arc chiite libano-sy-rien, la Méditerranée. Du côté oriental, le pays regarde vers les deux géants indiens et chinois. Point non moins important l’Iran, via le Kazakhstan et le Turkménistan, est l’une des clés d’accès des peuples slaves et pantouraniens vers les mers chaudes de l’Océan indien.

En terme géopolitique, l’Iran est au centre de ce Rimland dont Spykman disait qu’elle constituait la clé de la maîtrise du Heartland russo-sibérien et par suite de l’ensemble du continent euro-asiatique. Sa centralité géographique en fait depuis plus de deux siècles l’un des épicentres de l’affrontement que se livrent et se sont livrées les grandes puissances qui se ont successivement prétendu à la domination mondiale – empire britannique, Reich allemand, empire américain. Ce n’est donc pas un hasard si le pays a été depuis 1914 au moins au cœur des conflits, compé­titions et jeux d’affrontements auxquels se sont livrés quasi sans discontinuer les principales puissances à vocation mondiale.

Malgré l’isolement diplomatique et commercial dont il fait l’objet, l’Iran reste donc aujourd’hui encore un verrou stratégique. Par sa position géographique, par sa démographie, par le niveau de formation et d’éducation de sa population, par la solidité de ses infrastructures critiques, mais aussi par la richesse de ses ressources stratégiques, l’Iran est et demeure, aujourd’hui plus que jamais, l’une des régions clés du Moyen-Orient.

Les États-Unis ne s’y sont pas trompés qui depuis les années 30, et l’entrée en déclin progressif de l’empire britannique, ont toujours fait du contrôle de cette zone l’un des pivots de leur stratégie de domination militaire et géoénergétique. Jusqu’au milieu des années 70, à l’époque du Shah, l’Iran était en effet, avec l’Arabie saoudite, l’un des deux piliers stratégiques sur lequel s’adossait la politique amé­ricaine de domination et de contrôle du Moyen-Orient. La révolution iranienne – ou plus exactement le retournement de l’ayatollah Khomeiny contre ses mentors américains : rappelons que l’ayatollah Khomeiny avait été ramené en Iran par la CIA après la destitution du Shah au terme d’un plan américain qui visait à contenir la descente vers les mers du Sud de la Russie soviétique – est venu renverser ce bel équilibre, contraignant l’administration américaine à renforcer ses points d’appui à l’Ouest – pétromonarchies du Golfe : Arabie saoudite, Qatar, Koweit – comme à l’Est – Inde, Pakistan.

Depuis 1990 et l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis n’ont ainsi cessé d’ouvrir de nouvelles bases militaires dans la région – à Bahrein, Abu Dhabi. La première guerre du Golfe – au lendemain de la tentative d’annexion du Koweit par l’Irak en 1990 – a encore renforcé cette tendance en permettant à l’armée amé­ricaine de disposer de troupes, de bases d’observation et de bases de lancements de missiles d’abord sur toute la rive sud du Golfe persique, à partir de 1991 et de la mise en place de l’opération « desert storm » puis sur l’ensemble de la frontière ira-ko-iranienne et dans l’ensemble du kurdistan irakien, à partir de mars 2003, date de l’invasion de l’Irak et de la destruction du régime baasiste de Saddam Hussein. Le phénomène a encore été accru avec l’engagement à partir de 2001 – au lendemain des attentats du 11 septembre – de l’opération « enduring freedom » qui a permis à l’armée américaine simultanément en Afghanistan, en Géorgie, au Turkménistan et au Kirghizistan.

Cette présence militaire renforcée dans la quasi-totalité des pays limitrophes de l’Iran, joint au développement de nouvelles politiques de sanctions diplomatiques et commerciales à partir de 1996 – adoption de la loi d’Amato, et Helms Burton -n’ont pas été pour rien dans le développement chez les dirigeants iraniens d’un fort complexe obsidionnal. Loin de pacifier les relations entre l’Iran et les États-Unis elles n’ont fait que les envenimer, créant des tensions qui sans jamais déboucher sur un affrontement direct ont longtemps fait peser – et continuent aujourd’hui encore de faire peser – sur l’Iran la menace de frappes aériennes américaines.

L’engagement de nouveaux trains de sanctions à partir de 2006 et plus encore de 2011, à l’initiative des États-Unis mais avec l’appui constant de l’Union européenne n’a cessé d’accroître la pression exercée sur le pays, contribuant un plus encore à l’isoler et à le reléguer dans l’esprit de nombre d’acteurs ou de dirigeants de la Communauté internationale au rang de pays paria.

Pourtant le pays dispose de nombreux atouts : énergétiques, miniers, démogra­phiques, géographiques, sociaux, culturels, éducatifs, universitaires. Chacun de ces facteurs constituent dans les mains du gouvernement iranien autant d’atouts, qui, à la faveur d’un retournement de situation diplomatique ou politique – effondre­ment boursier, renversement d’alliance, émergence de nouveaux acteurs – pour­raient redonner à l’Iran une nouvelle forme de centralité géopolitique et faire à nouveau de ce vaste pays un acteur clé des relations internationales.

Plutôt que de s’enfermer dans une dialectique facile qui laisserait à penser que l’Iran pourrait éternellement demeurer sous le régime de sanctions diplomatiques et commerciales actuel ou continuer de faire l’objet d’une mise à l’écart durable au sein de la Communauté internationale, il convient donc de s’interroger sur la manière dont le pays pourrait agir pour user intelligemment de ses atouts et déve­lopper à terme de nouveaux partenariats.

Aperçu général, points forts et points faibles de l’Iran dans un contexte géopolitique contraint par les sanctions internationales

Semblable approche suppose de commencer par analyser l’Iran sous l’angle de ses atouts et de ses handicaps. Pays contrasté, l’Iran présente en effet de nombreux points forts mais aussi un certain nombre de gros points faibles.

Points forts

  • L’Iran est le 2e producteur de pétrole au monde et le 1er exportateur de l’Orga­nisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ; il dispose aussi de la première plus grande réserve en gaz naturel.
  • Sa position géographique en fait un acteur important dans la problématique de l’acheminement des ressources énergétiques des pays riverains de la mer caspienne.
  • Avec 1 648 195 km2, des frontières bordant l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Syrie l’Irak, le Pakistan, l’Afghanistan, le Kazakhstan et le Turkménistan, l’Iran apparaît comme un potentiel géant régional.
  • Le poids économique du pays en fait d’ores et déjà un acteur important des relations internationales : l’Iran est la vingt-sixième puissance économique mon­diale par PIB nominal et la dix-huitième par PIB à parité de pouvoir d’achat.
  • Au moment des crises financières de 1992 et 1998, les autorités iraniennes ont montré leur capacité à rétablir rapidement l’équilibre des comptes extérieurs.
  • Des progrès ont été réalisés dans le sens de réformes structurelles, permettant au pays, malgré son isolement diplomatique et politique, de tirer habilement parti de l’émergence de nouvelles grandes puissances.

Points faibles

  • L’Iran présente une dépendance excessive vis-à-vis du pétrole qui constitue l’essentiel de ses recettes extérieures et budgétaires.
  • L’importante consommation interne de pétrole et les capacités de production vieillissantes menacent la pérennité de l’excédent exportable.
  • L’accès au marché des capitaux est limité.
  • Le pays demeure sous embargo dans un certain nombre de secteurs écono­miques clés.
  • Le cadre légal et politique ne favorise pas pour l’heure les partenariats avec les entreprises étrangères ou les investissements directs. Pour ne prendre qu’un exemple le gouvernement possède 90 % de toutes les mines et grandes industries reliées en Iran ce qui limite grandement la recherche d’investisseurs étrangers pour le déve­loppement du secteur de l’extraction.
  • L’absence de savoir faire et d’expertise technique dans certains secteurs clés – technologie nucléaire, aéronautique, énergies renouvelables – rend le pays dépen­dant des partenaires étrangers (Russie, Chine).
  • Le pouvoir économique demeure confiné entre les mains d’une petite élite assise sur des réseaux anciens – grands marchands du bazaar d’un côté – corpora­tion très fermée, proche des religieux comme Hey’at mo’talefeh, et qui contrôle en grande partie le commerce de l’importation – armée des Pasdaran de l’autre – très difficilement décryptables de l’extérieur.

Situation financière

Dans un contexte de crise économique et financière mondiale, une analyse suc­cincte de l’Iran sous l’angle financier apparaît comme une étape indispensable pour comprendre les marges de manœuvre dispose le pays.

La crise financière de 1998/1999 a fait en Iran de sérieux dégâts. L’économie n’était pas du tout prête à soutenir ce choc de compétitivité du en grande partie à l’émergence des dragons du Sud est et à la soudaine accélération de la montée en puissance de la Chine. La crise qui aurait pu emporter le pays comme il le fit la même année en Argentine put être endiguée. Grâce aux rééchelonnements accordés par ses principaux créanciers, la remontée spectaculaire des cours du baril arrive à point nommé pour l’Iran. Les équilibres externes et internes sont assurés et la crois­sance retrouvée. La reprise durable de la croissance reste, toutefois, subordonnée à une diversification de l’économie et à des réformes structurelles. À cet égard, le programme inauguré dans le cadre du troisième plan quinquennal a constitué pour l’économie iranienne une véritable bouffée d’oxygène.

 

Attitude envers l’investisseur étranger

Les demandes d’investissement sont soumises au « Bureau de supervision », placé sous la présidence du ministère des Finances. En outre, les investissements doivent être approuvés par le Conseil des ministres.

L’investisseur bénéficie d’une exemption d’impôt sur les bénéfices pendant 4 ans, 6 ans ou 8 ans en fonction de l’activité. L’exemption ne peut être accordée à une entreprise exerçant son activité dans un rayon de 120 km du centre de Téhéran et de 50km du centre d’Ispahan. La participation étrangère est autorisée à hauteur de 49% du capital d’une société. Toutefois, les investisseurs étrangers ont été auto­risés à détenir des actions à hauteur de 80% pour les projets de développement des exportations non-pétrolières. Le Code du travail est très favorable à l’employé et rend presque impossible le licenciement.

  1. Les ressources stratégiques de l’Iran
  1. Les hydrocarbures

1) Le pétrole

 

Pays Production Part dans la Production Part dans la
pétrolière production gazière production
(Mb/j) mondiale (%) (Gm3/an) mondiale (%)
Algérie 1,81 2 80 2,5
Egypte 0,74 0,9 61 1,9
Lybie 1,66 2 16 0,5

 

Total Maghreb 4,28 5 157 4,9
Arabie Saoudite 12 12 84 2,6
EAU 2,85 3,3 51 1,6
Irak 2,46 3,1 1,3
Iran 4,25 52 139 4,3
Koweit 2,51 3,1 12 0,4
Qatar 1,57 1,7 1,17 3,6
Syrie 0,39 0,5 8 0,2
Yémen 0,26 0,3 6 0,2
Total Moyen- Orient 27,19 30 460 14,4

 

  1. En Iran

Verrou stratégique, l’Iran retient tout d’abord l’attention du géopoliticien par la richesse de ses ressources énergétiques.

  1. a) Le pétrole

Avec 1,5 milliard de barils par an, l’Iran se classe au second rang des produc­teurs de pétrole de l’OPEP. Ce volume correspond au double de celui produit par l’Irak et le Koweit et à un peu moins du triple de celui produit par le Qatar mais à moins de la moitié de celui produit par l’Arabie saoudite. Avec plus de 3 milliards de barils de pétrole produits par an, l’Arabie saoudite se classe en effet loin devant les autres pays assurant à elle seule une large partie des importations des États-Unis et de l’Europe. Sauf bouleversements stratégiques majeures, le royaume séoudien restera à terme le principal exportateur de pétrole dans un futur prévisible. L’Arabie saoudite dispose en effet d’un excédent de capacité de près de 2 Mb/j qui permet au royaume séoudien de contribuer à l’équilibre du marché pétrolier en cas de besoin. La production saoudienne a ainsi augmenté de près de 1,5 Mb/j pour remplacer l’arrêt des exportations libyennes et le pays a même proposé un mélange de bruts plus légers plus en ligne avec les qualités exportées par la Libye.

Avec 132 milliards de barils, l’Iran dispose des deuxièmes réserves mondiales conventionnelles de pétrole brut avec approximativement 10 % du pétrole mon­dial. Seule l’Arabie Saoudite se classe devant avec des réserves prouvées – en 2004 -de 259 milliards de barils, correspondant approximativement à 23% des réserves mondiales conventionnelles prouvées de pétrole[1]. En termes géostratégiques Iran et Arabie saoudite apparaissent donc bien comme deux acteurs majeurs du jeu pétrolier dans les années à venir. Dans le même temps leur situation géographique respective de part et d’autre du Golfe persique en fait, indépendamment des varia­tions de régime et des ruptures d’alliance des rivaux nécessaires pour ne pas dire des ennemis héréditaires. Cette rivalité, enracinée dans l’histoire longue – elle était déjà manifeste à l’époque du Shah – a été encore accrue ces dernières années par l’aggra­vation des tensions diplomatiques entre les États-Unis et l’Iran en même temps que par la réactivation des vieilles haines entre sunnites et chiites.

Sur le plan plus géophysique, on notera que la répartition et la configuration de ces champs pétroliers offre néanmoins de forts contrastes entre ces deux pays. Tandis que les champs de pétrole iraniens sont répartis sur de vastes zones géogra­phiques, ceux de l’Arabie saoudite sont géographiquement relativement concen­trés. Ainsi, bien que l’Arabie saoudite dispose d’environ 80 champs pétrolifères et gaziers, plus de la moitié de ses réserves sont dans seulement quatre champs, et plus de la moitié de sa production provient d’un seul champ, le champ Ghawar.

  1. b) Le gaz

Avec une production annuelle de 139Gm3/an, l’Iran est par ailleurs le 2ème pro­ducteur de gaz au monde derrière la Russie. Avec des réserves prouvées de 29,61 mil­liards de mètres cubes (au premier janvier 2011), le pays détient par ailleurs les deuxièmes réserves mondiales de gaz naturel (après la Russie).

« L’importante quantité de gaz naturel réinjecté (30 à 40 Gm3/an) pour main­tenir la production témoigne des difficultés rencontrées. Des gisements géants, tels qu’Azadegan ou Yadavaran, pourraient contribuer à assurer la relève, mais la qua­si-fermeture du pays aux investissements étrangers liée aux sanctions américaines, européennes et onusiennes et le caractère peu attractif des contrats buy-back ne permettent pas la modernisation des équipements et des technologies et empêchent le pays d’exploiter totalement son potentiel. Il est peu vraisemblable que l’Iran at­teigne l’objectif affiché par les autorités du pays d’une capacité de 5 Mb/j en 2015. L’AIE et d’autres analystes envisagent plutôt une baisse du niveau de production de pétrole brut. Il faut noter que l’érosion de la production iranienne de pétrole brut est partiellement masquée car les statistiques incluent la contribution croissante des liquides de gaz naturel, issus de gisements gaziers. Ceux-ci représentent 0,5 Mb/j en 2010 et devraient voir leur part s’accroître avec la croissance de la production de gaz naturel iranien. Le tableau suivant met en évidence cet apport à la production d’hydrocarbures liquides, qui pour certains pays représente des volumes tout à fait significatifs. Cette production va jouer un rôle croissant dans l’approvisionnement mondial en hydrocarbures liquides. La production de condensats et de liquides de gaz naturel au Maghreb et au Moyen-Orient pourrait ainsi croître de près de 40 % d’ici 2016.[2] »

  1. c) forces et faiblesses de l’Iran en matière d’exploitation des hydrocarbures
  2. i) des ressources qui permettent au pays d’absorber les chocs macroécono­miques

Ce double atout du gaz et du pétrole fait de l’Iran un pays énergétiquement incontournable. Au cours des dernières années, l’Iran a du reste su jouer avec finesse de ces atouts. Le marché du pétrole ayant été très haut en 1996, l’Iran a pu diminuer la pression budgétaire sur son économie et rééchelonner le paiement de ses dettes, selon une politique assez voisine de celle mise en place à partir de 2001 par Vladimir Poutine en Russie. La situation économique de l’Iran s’est dégradée en 1997 avec la baisse des prix du pétrole. La hausse des prix qui a eu lieu en 1999/2000 a permis à l’Iran un répit. Les déficits du budget iranien sont un problème chronique, en partie à cause des fortes subventions de l’État a totalisé 7,25 milliards de $USD par – en incluant les produits alimentaires et l’essence.

L’entrepriseest publique et appartient au ministère du Pétrole d’Iran. Elle aétéfondéeen 1948.En 2005,la compagniepossèdeaussi 50 % du gisement de gaz offshoredeRhum,en merduNord,qui est leplus grand gisement britannique non exploité.

La NIOC a étéfondée avecdesobjectifs d’exploration, dedéveloppement,de production, de marketing et de vente de pétrole brut et de gaz naturel. La NIOC possédant toutes les réserves d’hydrocarbures d’Iran est considérée comme une des plus grandes firmes pétrolières du monde.

Les réserves de pétrole et de gaz de la NIOC sont actuellement de 561,9 mil­liards de barils et 41,14 milliards de m3 – sur 132 milliards de réserves totales prouvées. En 2004, le fait que l’Iran soit le quatrième producteur mondial d’hydro­carbures place la NIOC dans les 4 plus grosses compagnies pétrolières mondiales1.

Les capacités de production de la NIOC incluent plus de 4 millions de barils de pétrole brut et 300 millions de m3 de gaz naturel par jour. La compagnie exporte grâce à ses installations sur les îles de Kharg, Lavan et Siri, mettant 17 jetées à la disposition des tankers afin d’exporter gaz et pétrole.[4] »

  1. iv) Une compétition de plus en plus exacerbée avec les États voisins

La politique iranienne en matière de gaz et d’hydrocarbures ne se comprend pas sans prise en compte du contexte de formidable jeu de compétition internationale que se livrent les principaux États de la région. Les dix dernières années ont ainsi vu croître de manière considérable la production gazière du Moyen-Orient. Par contraste avec la production pétrolière, laquelle est dans son ensemble globalement stable, les pays du Moyen Orient au premier rang desquels l’Iran ont consenti des efforts majeurs pour accroître leur capacité de production gazière. « Pour certains pays, il s’agit de satisfaire seulement une demande locale en forte croissance (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Iran) et pour d’autres de développer en plus des exportations gazières (Qatar, Algérie, Égypte). On peut distinguer trois sources de gaz : production de gaz associé à la production pétrolière, production de gaz non associé à faible teneur en gaz acides, production de gaz non associé à forte teneur en gaz acides. Le tableau suivant indique le type de gaz prépondérant dans les principaux pays. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont une production gazière constituée majoritairement de gaz associé. Ce gaz a un coût de production relativement faible mais a l’inconvénient de dépendre du niveau de la production pétrolière. L’Arabie saoudite, dans l’espoir de découvrir des gisements de gaz libre, a ouvert en 1998 à l’exploration gazière une partie de son territoire aux compagnies pétrolières internationales. Mais cette initiative gazière (Saudi Gas Initiative) n’a pas conduit à des découvertes significatives et le pays a choisi récemment de développer des gisements déjà identifiés, laissés de côté antérieurement en raison de leurs coûts plus élevés, liés à leur localisation offshore et à leur teneur en gaz acides. L’essentiel de la production gazière du Qatar, de l’Iran et de l’Algérie provient quant à elle de gisements supergéants de gaz libre d’excellente qualité (North Field2, South Pars et Hassi R’Mel) contenant une forte proportion de condensats et liquides de gaz naturel, qui apportent des recettes supplémentaires et permettent de proposer le gaz naturel à un prix compétitif. Cela a permis au Qatar, en collaboration avec un certain nombre de compagnies pétrolières internationales, de quintupler en dix ans sa production gazière et de devenir le premier exportateur mondial de GNL. La production iranienne, issue à environ 80 % de gisements de gaz non associés, et en particulier du champ supergéant de South Pars (Pars sud), partie iranienne du North Field, a été multipliée par deux sur la dernière décennie et a servi quasi exclusivement à satisfaire la demande intérieure[5]. »

Les différents États producteurs se livrent une concurrence féroce pour conqué­rir de nouvelles parts de marché sur le marché mondial de l’exportation. C’est tout particulièrement le cas de l’Iran et du Qatar qui se livrent depuis quelques années une guerre sans merci sur ce secteur hautement stratégique.

Depuis quelques années les Iraniens projettent de briser le monopole gazier du Qatar, dont les ressources sont à partager avec l’Iran. Ce positionnement stratégique s’est concrétisé ces derniers mois. Le 25 novembre 2012 le directeur général de la société pétrogazière iranienne Pars annonçait ainsi à la presse la mise en exploitation de 5 nouvelles phases du champ gazier Pars sud. « Ces nouvelles phases permettront à l’Iran d’exploiter la même quantité de gaz que celle qu’exploite, actuellement, le Qatar ». « Sept nouvelles plates-formes off shore vont entrer en fonction, avant la fin de l’année en cours, à Pars sud, qui est le champ gazier commun entre l’Iran et le Qatar ». « L’Iran exploite, actuellement, près de 300 millions de mètres cubes de gaz, par jour, et l’inauguration de ces cinq nouvelles phases lui permettra de hausser son volume d’exploitation à plus de 500 millions de mètres cubes de gaz acide. »[6]

L’engagement de cette décision n’aura pas seulement d’importantes consé­quences en matière de sécurisation de la demande intérieure de l’Iran. Il signifie que l’Iran entend bien dès à présent concurrencer directement le Qatar sur les marchés internationaux dans le domaine de l’exportation de gaz.

 

  1. Les minerais

Bien que l’industrie du pétrole fournisse la majorité des revenus économiques, environ 75 % de tous les employés affectés à l’extraction dans le secteur minier travaillent dans les mines produisant des minerais autres que le pétrole et le gaz naturel. Ces mines produisent du charbon, du minerai de fer, du cuivre, du plomb, du zinc, du chrome, de la barite, du sel, du gypse, du molybdène, du strontium, de la silice, de l’uranium, et de l’or (plus comme produit secondaire issue des opé­rations du complexe d’extraction du cuivre de Sar Cheshmeh). Les mines de Sar Cheshmeh, dans la province de Kerman contiennent le second filon le plus grand du monde de minerai de cuivre (5 % du total mondial). 128 500 tonnes environ ont été extraites en 2000-2001.

1) Les terres rares

Bien qu’il ne puisse pour l’heure être considéré comme un pays qui compte dans ce secteur, l’Iran a depuis quelques années développé une politique audacieuse en matière d’extraction et d’exploitation des terres rares.

Les terres rares, rappelons-le, représentent le groupe des lanthanides (dans la table de classification de Mendéléïev, ce sont les éléments de numéros atomiques compris entre 57 et 71, du lanthane au lutétium) auquel on ajoute, du fait de pro­priétés chimiques voisines (ils appartiennent à la même colonne de la classification périodique), l’yttrium (numéro atomique 39) et le scandium (numéro atomique 21).

On distingue les terres cériques (lanthanum, cerium, praséodymium, néody-mium et smarium) des terres yttriques (europium, dagolinium, terbium, dyspro­sium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutetium, yttrium). Les premiers composent la classe des terres rares légères (light rare earth elements) et les seconds la classe des terres rares lourdes (heavy rare earth elements).

Contrairement à ce que laisse penser leur appellation, « les terres rares » consti­tuent un groupe de métaux assez répandus dans l’écorce terrestre. Ces 17 substances métalliques recensées et découvertes au début du XIXe siècle dans des minerais – d’où le nom de terre – sont essentielles pour les secteurs de l’électronique et de l’automobile, où elles entrent dans la fabrication d’écrans plats, de lasers ou de voitures hybrides. Elles sont également utilisées dans les énergies propres ou le raffinage pétrolier.

Les terres rares sont présentes à l’état naturel dans un large éventail d’environ­nements géologiques, aussi bien dans des roches sédimentaires qu’ignées ou méta­morphiques. Souvent associés à des éléments radioactifs, l’extraction de ces élé­ments représente un problème écologique important. Des dépôts en Malaisie, par exemple, contenant typiquement 2% d’uranium et 0,7% de thorium, ont résulté en une fermeture des usines d’exploitation et un échec de l’industrie malaise des terres rares.

Depuis quelques années l’Iran a développé, une politique résolue d’investisse­ment dans ce secteur. À l’image de la Chine – l’un de ses partenaires commerciaux privilégiés – le pays a décidé d’engager des moyens scientifiques et financiers impor­tants pour se doter d’une réelle capacité de maitrise des savoir faire techniques associés à l’exploitation de ces minerais[7].

Constatant le succès du modèle chinois[8], l’Iran a cherché à son tour à s’appro­prier les technologies de pointe reposant sur l’exploitation industrielle des terres rares[9]. Dès 1998, le pays pose les premiers jalons de ce qui deviendra bientôt la base d’une politique d’exploitation méthodique des technologies associées à ces mine­rais. La même année, le pays crée le Centre de recherche laser (Laser research center) devenu depuis institut de recherche sur les lasers et les plasmas (laser and plasma research institute). Le centre serait parvenu grâce à des techniques fondées sur les cristaux lasers, à faire des avancées de premier plan dans l’isolement des matériaux dotant ainsi l’Iran de capacités de production propres notamment en néodymium (Nd) et en yttrium-aluminium (YAG).

Ces avancées sont d’autant plus précieuses pour l’Iran qu’elles leur ouvrent à ce pays les portes du monde des nanotechnologies.

Il existe en effet un lien direct entre la maîtrise du savoir faire dans l’extraction et l’isolement des terres rares et le développement effectif d’une industrie fondée sur les nanotechnologies. Comme le souligne en effet avec raison Alexander Portnov, un professeur spécialisé dans les sciences minérales et géologiques, « un pays ne saurait prétendre à quelque développement que ce soit dans le champ des nano-technologies s’il n’est pas capable de produire et d’exploiter lui-même les terres rares[10] ». Mieux, l’investissement dans les champs de l’extraction, de la production et de l’exploitation des terres rares requis pour développer et mettre en œuvre les innovations technologiques est sans doute « le meilleur indice de la volonté d’un pays d’accéder à l’indépendance technologique et de disposer d’une réelle assise scientifique et technique.[11] »

L’investissement de l’Iran dans ce secteur industriel semble ainsi devoir être mis en relation avec la volonté affichée par le pays de se doter d’une réelle capacité de maitrise de la technologie nucléaire civile, le tout dans une perspective qui para­doxalement n’est pas sans rappeler celle engagée par le Shah d’Iran au milieu des années 70, au moment notamment de la signature avec la Franc du contrat Eurodif.

2) Le cuivre

À côté des terres rares, le cuivre est l’autre minerai sur lequel l’Iran entend dans les années à venir fonder sa politique de montée en puissance économique et industrielle. Dès à présent, l’Iran vise la septième place mondiale pour ses réserves de cuivre. Jusqu’en 2011, l’Iran se classait au neuvième rang mondial en termes de détention de réserve de cuivre, avec des réserves prouvées s’élevant à 18 millions de tonnes de cuivre pur. Depuis le 21 mars 2012, nouvelle année iranienne, le gou­vernement a lancé un plan de développement de la filière. Celui-ci n’a pas tardé à porter ses fruits. Le 25 juin 2012, l’Iran annonçait, par la bouche du directeur de la National Iranian Copper Industries Company – propos rapportés dans le Tehran Times – la découverte de nouveaux gisements portant à 21,3 millions de tonnes le volume des réserves prouvées.

En mars 2013, l’Iran a accéléré le mouvement de prospection en lançant un ambitieux plan de développement de sa filière cuivre sur cinq ans. Le ministre de l’Industrie et des mines a ainsi annoncé une production de cuivre doublée à l’issue de ces cinq années. Les nouvelles activités d’exploration et la réouverture de cer­taines mines laissent présager un potentiel important en cuivre dans les années à venir. Selon le Tehran Times, Ali Akbar Mehrabian, ancien ministre de l’industrie et des mines, estime qu’en 2013 les réserves de cuivre pur découvertes pourraient s’élever à 21 millions de tonnes. La production se développe également avec des plans de constructions de nouvelles raffineries. Elle devrait, selon le ministère ira­nien des mines, atteindre 440 000 tonnes annuelles en 2014, soit le double de la production actuelle. Ce niveau de production devrait à terme permettre à l’Iran de rattraper le Kazakhstan – dont le niveau de production annuel se situait pour 2010 à 434 000 tonnes de cuivre – et classer ainsi l’Iran au dixième rang des pays produc­teur de cuivre. A plus longue échéance, horizon 2016, le pays compte se hisser au cinquième rang des pays producteur. En 2012, l’Iran se classait au septième rang des pays producteurs.

La mise en exploitation de ces gisements permet d’ores et déjà à l’Iran de nouer d’importants partenariats économiques, notamment avec la Malaisie. Le complexe d’extraction de cuivre de Sartchemeh, dans la province de Kerman, fait ainsi le bon­heur du président de la Fédération des producteurs de Malaisie Mustafa Mansour, lequel a qualifié d’admirable le processus d’extraction et de production du cuivre, dans ce complexe, ajoutant qu’il souhaitait que le produit fini du complexe de cuivre de Sartchemeh soit exporté vers la Malaisie.

Les nouvelles activités d’exploration et la réouverture de certaines mines laissent présager un potentiel important en cuivre dans les années à venir. Selon le Tehran Times, Ali Akbar Mehrabian, ancien ministre de l’industrie et des mines, estime qu’en 2013 les réserves de cuivre pur découvertes pourraient s’élever à 21 millions de tonnes. La production se développe également avec des plans de constructions de nouvelles raffineries. Elle devrait, selon le ministère iranien des mines, atteindre 440 000 tonnes annuelles en 2014, soit le double de la production actuelle. Ce niveau de production devrait à terme permettre à l’Iran de rattraper le Kazakhstan – dont le niveau de production annuel se situait pour 2010 à 434.000 tonnes de cuivre – et classer ainsi l’Iran au septième rang des pays producteur de cuivre.

La production de cuivre connaît une progression régulière, passant de 7,72 tonnes en 2008 à 8,16 tonnes en 2009 – soit une hausse de 5,70 %. Il s’agit actuellement du plus haut niveau de l’historique de la production de cuivre. Par comparaison rappelons que le plus bas niveau, atteint en 1980, représentait le chiffre de 0,03 tonnes.

3) Les autres minerais

À côté du cuivre, l’Iran dispose encore d’autres ressources minières : l’or (prin­cipalement comme produit secondaire issue des opérations du complexe d’extrac­tion du cuivre de Sar Cheshmeh), l’argent, le fer, l’uranium, le plomb, le zinc, le chrome, la barite, le sel, le gypse, le molybdène, le strontium, la silice, l’uranium sont autant de métaux ou de minerais que l’on trouve en quantités importantes dans le sous-sol iranien. Malgré leur faible niveau d’exploitation, ces gisements miniers présentent un fort potentiel économique et constituent de ce fait des atouts essentiels aux mains du gouvernement iranien.

L’Iran fait d’ores et déjà parti des dix pays les plus riches en minéraux. En termes statistiques, un dixième de son économie dépend de l’industrie minière. Le cuivre et l’or sont les principaux minerais exploités mais d’autres minerais font dès à pré­sent l’objet de prospections intenses. Les grands gisements de minerai de fer se situent en Iran central, près de Bafq, Yazd, et Kerman.

Outre l’embargo, les entreprises iraniennes d’extraction souffrent grandement de leur structuration capitalistique. Le gouvernement possède en effet 90 % de toutes les mines et grandes industries ce qui rend particulièrement difficile la recherche des investissements étrangers pour le développement du secteur de l’extraction. Dans les seuls secteurs de l’acier et du cuivre, les projets de partenariat et autres joint-ventures vont pourtant bon train : le gouvernement cherche ainsi à augmenter autour d’1,1 milliard de dollars, le financement étranger. Au début des années 1990, la méthode de rachat des transactions (le gouvernement rachète le projet industriel après que l’investisseur direct étranger ait récupéré son investissement initial dans le projet plus un bénéfice prédéfini) a été présentée pour éviter les contraintes constitutionnelles sur l’investissement étranger et pour éviter des difficultés politiques potentielles dans le pays. C’est le fameux système du Buy-Back. Cet arrangement a le soutien gouvernemental car c’est un moyen efficace d’attirer le capital étranger, les services et les expertises techniques, tout en réduisant les importations étrangères et en augmentant les exportations. Si le gouvernement iranien réussit à accomplir son plan sur 20 ans pour améliorer le secteur de l’exploitation du pays, un coût estimé de vingt milliard de dollars, la plupart du temps en investissement étranger, sera exigé.

Les projets habilités aux accords de rachat et aux équipements de prêt étranger sont :

  • Projets visent à produire de l’aluminium,
  • Projets permettant l’augmentation de la production de charbon, minerai de fer, acier, cuivre et pigments métalliques,
  • Projets ferreux autorisés et production d’or.

III. Scénarii prospectifs : du repositionnement géostratégique de l’Iran et du rôle possible du pays dans la définition d’un nouveau partenariat énergétique avec la zone du Moyen-Orient

Les circonstances à l’instant mentionnées laissent clairement à penser que, sans rupture de fond dans la ligne politique suivie par le gouvernement iranien, ou à défaut sans modification réelle des rapports de force – constitution de nou­velles alliances économiques et commerciales avec la Chine et la Russie, contour-nement des mesures d’embargo, repositionnement géopolitique, modification de la politique américaine – l’Iran risque de demeurer longtemps encore dans son isolement actuel. Pourtant des éléments convergents donnent à penser que cette situation pourrait être amenée à évoluer et qu’au terme de possibles changements de contexte géopolitiques, la donne pourraient rapidement être modifiée.

1) Les paramètres susceptibles de donner à terme à l’Iran une nouvelle centralité géoéconomique

Le premier élément qui pourrait redonner à l’Iran une certaine centralité géo­politique est la question de plus en plus prégnante de la sécurisation des appro­visionnements énergétiques de l’Union européenne. Dans un jeu complexe mar­qué par l’émergence d’acteurs de plus en plus avides et de plus en plus offensifs dans leur recherche de ressources rares, l’Union européenne, prisonnière de son complexe iréniste et ligotée depuis les origines par sa croyance native en la puis­sance autodiffusive du bien, la vertu mimétique de la norme et l’adhésion natu­relle des autres peuples ou blocs de civilisation aux socles de valeurs partagées et promues par les sociétés européennes, fait figure de colosse aux pieds d’argile. Géant culturel, colosse économique, l’UE – ou plus exactement le bloc géoécono­mique constitué par les 27 pays membres de l’UE – apparait dans le même temps comme un nain diplomatique incapable d’asseoir une volonté forte, cohérente et construite dans la durée en matière énergétique et minière.

Sa dépendance à l’égard des hydrocarbures est forte et en fait une zone écono­miquement vulnérable. Les problèmes récurrents autour de l’approvisionnement de l’Allemagne et des pays d’Europe de l’Est – Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Slovaquie, République Tchèque – en gaz russe sont venus mettre clairement en évidence la fragilité du continent européen en termes d’approvisionnement. Les querelles incessantes sur l’opportunité d’engager des choix énergétiques alterna­tifs – éolien, solaire, biomasse – sur la nécessité ou non de poursuivre dans la voie du nucléaire – fermeture ou non de l’usine de Fessenheim, passage aux filières de quatrième génération, relance globale de la filière comme le proposait Nicolas Sarkozy ou au contraire sortie progressive du nucléaire comme le proposait le candidat François Hollande sous la pression de ses alliés d’Europe-Ecologie les Verts – les incertitude de plus en plus fortes sur la viabilité du projet Nabucco et la mise en œuvre ou non du projet alternatif d’oléoduc russo-ukrainien South-stream sont venus montrer l’importance et la gravité de ce sujet pour les Européens.

Le problème, du reste, est général. Il s’impose à tous les grands ensembles régionaux en voie de constitution dans le monde multipolaire aujourd’hui en voie de formation. Mais c’est bel et bien en Europe qu’il se pose avec le plus d’acuité[12].

2) Une problématique rendue encore plus pressante par l’augmentation des tensions sur les marchés mondiaux d’hydrocarbures et de métaux stratégiques

De fait, si la problématique de l’accès aux ressources n’est en soi pas nouvelle, elle a pris avec la mondialisation, la financiarisation à outrance du capitalisme, la montée en puissance des industries des TIC et l’intensification de la compé­tition entre grandes puissances une tournure toute nouvelle. Des matières hier encore jugées sans valeur sont entrées soudain dans le champ des ressources stra­tégiques redessinant par là même la problématique des approvisionnements et de leur sécurisation. À côté du gaz et du pétrole, ressources clés du vingtième siècle autour desquelles s’est dessinée la politique de domination des principales puissances (dans l’ordre de leur domination historique : Royaume-Uni, Reich allemand, États-Unis et Union Soviétique) ayant successivement prétendu au lea­dership mondial, ont ainsi fait leur apparition des ressources nouvelles qui pour avoir été longtemps tenues pour mineures jouent depuis quelques années un rôle de plus en plus crucial dans la structuration des industries de pointe des écono­mies développées et pèsent par là même de façon parfois cruciale sur le déve­loppement futur de leurs pointes de diamant industrielles et le maintien de leur avancée technologique. L’uranium, le coltan, le titane, les terres rares sont ainsi venus allonger la liste des minerais jugés jusqu’alors stratégiques et compliquer un peu plus encore la vision que nous pouvons nous faire du tableau des ressources vitales pour le développement de la France.

La question de savoir quelle ressource est stratégique renvoie du reste à celle plus complexe encore sans doute de savoir ce qui est stratégique. Or là encore comparaison n’est pas raison. Ce qui vaut en matière militaire ne vaut pas néces­sairement en matière économique. Et ce qui vaut au plan de l’énergie ne vaut pas nécessairement au plan minier. Chacun de ces mondes obéit en effet à des lois propres dont l’expression et les règles d’application dépendent de manière fondamentale de la nature de la ressource considérée, de la structure des marchés sur lesquelles elles s’échangent, des rapports de force existant entre les puissances qui les produisent, les commercialisent, les achètent ou les consomment. D’où une cartographie spécifique des risques et des menaces qui peut changer du tout au tout selon la ressource considérée et prendra des formes très différentes selon que la matière analysée relève du secteur de l’énergie (pétrole, gaz, uranium), du secteur de l’industrie lourde (fer, cuivre, cobalt, chrome, aluminium, acier) ou du secteur des industries de pointe (titane, palladium, indium, terres rares ).

En matière d’approvisionnements stratégiques, il convient de distinguer net­tement la situation des hydrocarbures de celle des matières premières minérales.

La situation géopolitique associée à chacune de ces différentes ressources est en effet à chaque fois spécifique et marquée par des lois propres. De même que l’économie qui se structure autour de chaque matière première est marquée par des lois de développement propres – en fonction du poids, de la valeur ajoutée, des conditions d’extraction, de l’accessibilité, du caractère industriel, artisanal ou individuel du schéma d’exploitation retenu -, les problèmes d’approvisionnement se posent en des termes tout différents selon que la matière considérée est liquide ou solide, abondante ou rare, rare et à forte valeur ajoutée ou disponible en grande quantité.

Dans le cadre du présent propos, nous nous concentrerons sur deux aspects : le gaz d’un côté, les matières premières minérales de l’autre.

3) Hydrocarbures : une fragilisation des axes d’approvisionnement traditionnels en matière d’hydrocarbures favorable à une remise en selle de l’Iran dans la géoéconomie de l’énergie et à la conclusion de nouvelles relations avec l’Europe

Tous les indicateurs le confirment : le gaz est appelé à devenir d’ici quelques décennies la deuxième ressource énergétique mondiale après le charbon. La lente diminution de la part du pétrole dans le panier des ressources énergétiques utilisées à l’échelle mondiale et la hausse constante de la part prise par le gaz devrait en ef­fet faire de l’or gris une ressource de premier plan d’ici peu. Il est donc essentiel de s’intéresser à cette ressource.

Or les menaces qui pèsent sur cette dernière sont loin d’être négligeables. De même que le 20ème siècle fut le siècle du pétrole, substance reine autour de laquelle se sont construites les positions géopolitiquement dominantes, le 21ème siècle sera probablement le siècle du gaz, avant que d’autres ressources plus innovantes encore comme l’uranium et le thorium ne viennent prendre le relai. Et de même que les principaux foyers de conflit et d’actions terroristes se sont concentrés autour des pays producteurs de pétrole, entre les années 1970 et 2010, les principaux foyers de guerre ou théâtres d’attentats terroristes devraient se jouer dans les décennies à venir autour des pays producteurs de gaz ou du moins des grands axes de convoy-age du gaz.

C’est la raison pour laquelle il importe de suivre de près les canaux et voies d’acheminement de cette ressource.

Au plan gazier, les pays de l’UE présentent d’ores et déjà des fragilités manifestes. Des attaques en Méditerranée sont d’ores et déjà possibles contre les convoyeurs de gaz naturel liquéfié (GNL). Compte tenu de la déstabilisation récente des princi­paux pays bordant la frontière Sud de cette région et plus encore de ceux situés sur les côtes méridionales de la Méditerranée Est- : Lybie, Egypte, la réapparition des barbaresques et d’industries de la piraterie n’est à moyen terme nullement à exclure. Dans ce contexte, la sécurisation des voies de navigation et des axes maritimes par lesquels transitent les principales ressources vitales pour l’économie des États mem­bres de l’UE doit faire l’objet d’une attention toute particulière.

En la matière, c’est moins une fermeture des détroits qu’il faut redouter qu’une fragilisation des voies d’approvisionnement via l’intensification des actes de terror­isme et de piraterie, avec les incidences que de telles agressions peuvent avoir sur le coût des transports et le niveau des assurances elles-mêmes.

À l’avenir on pourrait parfaitement assister à des opérations spectaculaires con­tre les gazoducs. La multiplication des opérations armées contre les transporteurs de GNL n’est pas à exclure.

Nombreux sont du reste les experts qui pensent que la région méditerranéenne est entrée dans une phase de haute instabilité. Dans une conférence prononcée le 11 mars 2011 à Cera Week, l’ancien secrétaire d’État des présidents améric­ains Richard Nixon et Gerald Ford, Henry Kissinger, a distillé ses conseils et ses analyses, devant un parterre de patrons de l’industrie du pétrole et du gaz réunis à Houston. Son analyse est bien peu réjouissante : « Je lis que l’on assiste à un grand mouvement démocratique, que ces pays (du Moyen-Orient et du Maghreb) vont se reconstruire sur le modèle occidental, en mettant la priorité sur l’économie », a poursuivi le vieux sage. « C’est un vœu pieu. Les révolutions rassemblent des mé­contentements très divers. En règle générale, plus le rejet des dirigeants est rapide, plus la vague suivante risque d’être violente. Souvenez-vous de la Révolution fran­çaise, la plupart des révolutionnaires ont terminé sous la guillotine cinq ans après ! »

Interrogé sur la Libye, Kissinger, de sa voix grave et profonde, a dit que s’y déroule « un crime contre l’humanité », « on a affaire à un État voyou ». « Mais l’impact de la Libye sur la région sera moins important que ce qui se passera en Égypte et à Bahreïn. Si les institutions à Bahreïn se désintègrent», si le petit roy­aume est dirigé par les chiites, Kissinger craint le risque de contagion à l’est de l’Arabie-Saoudite, principale région productrice de pétrole, peuplée de chiites. »

Pour l’ancien chef de la diplomatie américaine, la position des États-Unis dans la région est d’ores et déjà affaiblie par les événements en cours. Se qualifiant de ni pessimiste, ni optimiste, mais de «réaliste», Henry Kissinger prévoit que « le Moyen-Orient va traverser beaucoup d’autres troubles avant que la situation ne s’apaise ».[13]

Outre le recul historique que permet 40 ans de conduite et d’analyse au plus haut niveau des affaires étrangères américaines, l’avis kissingerien a le mérite de la clarté. À terme, c’est bien l’ensemble de la zone méditerranéenne sud qui ris­que d’être en proie à de profonds changements. D’autant qu’en cette affaire, les États-Unis jouent un jeu plus que trouble. La superpuissance mondiale qui d’un côté soutient les efforts menés par la communauté internationale pour lutter con­tre la piraterie et dont la flotte stationnée en Crète, en Turquie et dans plusieurs iles grecques joue un rôle non négligeable dans la sécurisation des voies maritimes intra-méditerranéennes n’hésite pas lorsque l’occasion s’en présente à soutenir des mouvements dont les activités se rapprochent dangereusement de celles de groupes terroristes lorsqu’elles ne relèvent pas purement et simplement du terrorisme pur et dur.

Une déstabilisation croissante de la Méditerranée pourrait avoir des con­séquences sérieuses sur les approvisionnements en gaz naturel liquéfié des différents États membres de l’UE.

Le scénario est envisagé avec sérieux par de nombreux experts spécialisés dans l’analyse des menaces terroristes. Avec raison semble-t-il :

Plusieurs menaces émanant de groupes djihadistes internationaux sont venues montrer l’intérêt porté par ces groupes pour les voies stratégiques d’acheminement du gaz. Le 14 février 2007, dans un communiqué officiel, la branche armée du réseau séoudien d’Al Qaïda lançait un appel à destination de tous les militants djihadistes invitant ces derniers à s’en prendre partout dans le monde aux instal­lations gazières et pétrolières. Le but de telles attaques clairement affiché serait de fragiliser les économies occidentales en s’en prenant directement à ce qui constitue l’une de leurs ressources vitales : les hydrocarbures. De telles déclarations donnent naturellement du grain à moudre à ceux qui soulignent le risque qu’il y a de voir le gaz naturel liquéfié devenir l’enjeu de prochaines batailles et la ressource elle-même être transformée en prochaine arme de destruction massive. Certes le risque est à l’heure actuelle encore relativement faible. Les mesures de sécurité prises depuis le 11 septembre 2001 pour assurer la sécurité des cargos, la surveillance des ports et le contrôle des marchandises à l’embarquement comme au débarquement diminuent de beaucoup les risques de destruction. Il n’empêche. Le risque existe bel et bien. Et les centres de raffinage pétrolier aussi bien que les grands réseaux de convoyage du gaz – qu’ils soient sous-marins (gazoducs) ou marins (méthaniers) – sont en première ligne des cibles qu’aimeraient atteindre à terme les groupes djihadistes les plus virulents.

Certes les terroristes visent avant tout à tuer des hommes. Mais les infrastruc­tures économiquement stratégiques sont loin d’être hors de leur ciblage[14]. Dans une analyse de la Rand corporation datant de 2007 sur la base des attaques envisagées par Al Qaïda dans les années précédentes, il apparait que 10 de ces attaques pro­grammées sur 14 visaient à engendrer des dommages massifs à l’économie améri­caine.

Dans un contexte de pénurie énergétique, marqué par le franchissement du pic oil, le verrouillage stratégique des grands champs pétroliers off-shore – dans la foulée du plan Bush Cheney de 2002 – et l’amenuisement du nombre des gise­ments pétroliers encore disponibles, le gaz paraît à l’évidence promis à un bel avenir. Les spécialistes en hydrocarbures envisagent même une explosion des importations américaines en GNL d’ici 2030. Un motif de plus de veiller de près à la sécurisation des moyens et des axes d’acheminement de cette ressource.

Certes les attaques contre les installations gazières demandent un haut degré de technicité et d’organisation. Certes encore, aucune installation gazière critique n’a jusqu’à présent fait l’objet d’une attaque directe de la part de quelque organisation terroriste que ce soit. Mais il n’empêche que les installations critiques et autres voies de convoyage stratégiques sont explicitement désignées par Al Qaïda comme des cibles potentielles[15]. En 2000, rappelons-le, l’organisation djihadiste internationale parvenait, à la stupéfaction des États-Majors militaires à endommager un cuirassé américain, le USS Cole ; et en 2002 déclenchaient un attenta destructeur contre le Limburg, un supertanker contenant près de 400 000 barils de pétrole.[16]

Le risque d’une attaque contre les réseaux de convoyage et de transport de GNL est donc loin d’être nulle. D’autant qu’elle aurait des effets médiatiques et économiques immédiats. Une action combinée sur mer et sur terre pourrait créerait à l’évidence cet effet de surprise, de symbole et de sidération – selon la règle des 4 S – sur les grandes nations occidentales que recherchent précisément les grands groupes terroristes internationaux. Les conséquences de telles attaques pourraient être redoutables : « une fois allumés, les réservoirs des méthaniers contenant du GNL pourraient se consumer en d’effroyables incendies. Tout comme pour les attaques du 11 septembre, il n’existe aucun élément de comparaison permettant de déterminer quels pourraient être les effets environnementaux et humains d’une telle combustion à grande échelle et par suite aucun moyen de déterminer quelles devraient être les mesures prises pour assurer la sécurité publique et la protection des populations. »

Là encore l’effet de sidération serait suffisamment puissant pour entraî­ner des conséquences importantes sur les économies occidentales. Notamment via une hausse importante – sans doute momentanée mais néanmoins bien pal­pable – des cours du gaz sur les marchés spots ; mais aussi via le renchérissement des coûts d’assurance et de transport induits par l’imposition nécessaire de nou­velles mesures de sécurité destinées à la préservation de la continuité des approvi­sionnements.

Dans ce contexte, l’Iran pourrait incontestablement être amené à jouer un rôle. En cas de rupture des approvisionnements gaziers par la méditerranée, l’axe gazier Téhéran-Bakou pourrait prendre un caractère stratégique nouveau. Deuxième producteur mondial, l’Iran retrouverait alors très rapidement la cen-tralité géopolitique et géostratégique qui était la sienne à l’époque du Shah ou du général Mossadegh. Il suffirait donc que l’acheminement du GNL par méthaniers soit mis en difficulté – par la perpétration d’attentats de masse contre un ou plu­sieurs méthaniers, la neutralisation d’une ou deux raffineries d’importance ou plus simplement le développement progressif d’actes de piraterie le long des côtes libyennes – ne serait-ce même que de manière transitoire pour redonner ipso facto à l’Iran une place de choix sur l’échiquier international et un rôle clé dans les négociations autour des approvisionnements en gaz.

Le même type de scénario se reproduirait si pour une raison ou l’autre le canal de Suez venait à être provisoirement fermé. Cette hypothèse aujourd’hui improbable n’a rien en soi de saugrenu. Outre le fait qu’elle s’est déjà trouvée confirmée par les faits – en 1956, lorsque Nasser décida de nationaliser le canal de Suez ce qui par représailles engagea le choix des deux grandes puissances colo­niales du temps – France et Grande-Bretagne _ d’envoyer le corps expéditionnaire et de neutraliser l’armée égyptienne afin d’assurer la navigabilité du canal – elle prend depuis les révolutions arabes du printemps 2011 un tour de plus en plus plausible. L’installation dans le désert du Sinaï de groupes terroristes affiliés à Al Qaïda, la multiplication des trafics d’armes entre l’Egypte, le Qatar et la Jordanie pour alimenter les mercenaires rebelles syriens de l’ALS, la fragilisation croissante du régime égyptien – toujours en quête d’un équilibre depuis la démission puis l’arrestation du général moubarak – sont autant d’éléments qui attestent du risque d’attentats terroristes contre les installations portuaires et militaires établies le long du canal et à terme l’engagement de mesures compliquant la navigation par le canal de Suez. Or si le canal de Suez venait à être fermé – hypothèse pour l’heure totalement improbable – ou si la circulation sur le canal venait même simplement à être entravée ou rendue administrativement ou politiquement plus difficile – hypothèse plausible – c’est toute l’économie de l’acheminement des res­sources en hydrocarbures vers l’Europe qui serait remise en question. Là encore les gisements iraniens apparaitraient comme une solution de recours ce qui donnerait à l’Iran donnant ainsi au pays l’occasion de faire valoir ses atouts et de signer ainsi son grand retour sur la scène internationale.

4) Pénurie de métaux : des convergences d’intérêts objectifs qui appellent un partenariat avec la Russie

Même si le phénomène est plus doux, la problématique est sensiblement la même au niveau des minerais et des métaux. Là aussi l’Iran a une intéressante carte à jouer. Dans un contexte de montée régulière des cours, de spéculation accrue sur certains métaux – cuivre, or – de raréfaction de certaines ressources

  • coltan – ou d’accaparement de minerais clés par une seule grande puissance
  • la Chine pour les terres rares – l’Iran et ses vastes réserves minières pourrait avoir une intéressante carte à jouer. D’autant qu’en ce domaine les considérations idéologiques sont de peu de poids face aux réalités économiques. En matière de minerai la Realpolitik a presque toujours le dernier mot et il est rare que ce soient les ONGs de plaidoyer qui y obtiennent le dernier mot.

D’ores et déjà la Chine a décidé d’engager avec l’Iran un certain nombre d’accords en vue de l’exploitation de certains gisements. Les nations d’Asie cen­trale regardent également avec intérêt ce secteur qui présente avec leurs propres secteurs de développement un certain nombre de complémentarités. L’Iran peut apparaitre comme un débouché commercial naturel tant en termes de vente de minerai qu’en termes d’échange de savoir-faire et de productions d’objets finis ou semi-finis. Enfin, le golfe persique, via l’axe Téhéran-Sirjan-Bandar-Abbas, consti­tue un débouché naturel pour l’exportation des biens et des matières premières vers l’Inde, l’Indonésie et la Chine.

La mise en valeur des gisements iraniens pourrait à son tour amener la Russie à développer de nouveaux partenariats avec son voisin perse dans le cadre d’une politique qui s’inscrirait dans une sorte d’Organisation du Traité de Shanghaï (OTS) élargie.

Rappelons ici que la Russie est la seule puissance susceptible d’assurer, dans des cas de force majeure, la sécurité en Asie centrale. L’Union européenne, obnu­bilée par l’accès aux ressources énergétiques, ne s’occupera jamais de la moder­nisation des parties éloignées du continent, et la capacité de l’UE à assurer la sécurité dans ces régions est quasi-nulle. La Chine ne s’y intéresse pas non plus, car Pékin n’a pas coutume d’assumer des responsabilités quant à la tranquillité et à la prospérité d’autrui.

Seuls les États-Unis pourraient garantir la sécurité de la région, mais l’échec relatif de l’opération militaire en Afghanistan authentifié par le retrait annoncé des soldats américains du sol afghan d’ici 2014 atteste de la fragilité voire de l’inef­ficacité du dispositif de sécurisation régional mis en place par l’OTAN dans le cadre de l’opération « enduring freedom ». Dans l’hypothèse où les unités améri­caines souhaiteraient rester dans les pays voisins après s’être retirés d’Afghanistan, Washington rencontrerait à l’évidence une vive protestation de la part de Pékin et de Moscou, transformant la région en une arène de concurrence acharnée, ce qui ne renforcerait en rien sa stabilité. À l’inverse, si les Américains décidaient de quitter cette partie du monde, les capitales centrasiatiques seraient soudain livrées à elles mêmes, seules face au spectre d’un retour au pouvoir des talibans. Dans ce contexte l’Iran et la Russie pourraient retrouver le rôle de stabilisateur régionaux qu’elles avaient joué dans le courant des années 70-80. Face aux risques de prolifération des réseaux djihadistes, des retours des conflits claniques et/ou d’enfoncement de certaines régions dans le chaos et l’anarchie, la Russie et l’Iran apparaitraient alors comme les deux piliers auxquels seraient contraints de s’ados­ser les petits Etats limitrophes pour éviter à leur tour la contagion djihadiste ou les phénomènes de basculement consécutifs aux hybridations terroristo-mafieuses. Là encore rien n’est écrit mais la perspective d’un renforcement de l’axe Téhéran-Moscou apparait inscrit dans la logique des choses.

Au cours des années postsoviétiques, la Russie a du reste déjà effectué plusieurs revirements dans son comportement à l’égard de la région, tantôt lui témoignant un intérêt soutenu et participant à ses affaires, tantôt s’en détournant, laissant perplexes ses partenaires. Lorsque dans la seconde moitié des années 1990, alors que les talibans étaient au pouvoir, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan devenaient la cible de pressions venant du sud, parfois sous la forme d’interven­tions d’unités armées, Moscou ne disposait d’aucune infrastructure convenable pour leur apporter une aide digne de ce nom. Aucune percée qualitative n’est survenue depuis, également en raison d’un manque de continuité.

Evidemment, même si le Kremlin prouve le sérieux de ses intentions, cela ne signifiera en rien que tout le monde se jettera dans les bras de Moscou. Le louvoiement est le modus vivendi de tous les petits Etats postsoviétiques, et la concurrence stratégique dans la région sera toujours une constante. Mais objecti­vement, les pays d’Asie centrale n’ont pas de partenaire plus fiable et plus durable que la Russie. La volonté de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, et d’éviter les phénomènes de satellisation rencontrés dans les dernières décennies de la période soviétique pourrait pousser certains d’entre eux à chercher une al­liance d’appoint auprès de l’Iran. L’engagement de tels partenariats économiques, industriels et pourquoi pas sécuritaires prendrait particulièrement son sens dans le domaine minier où les financements sont extrêmement lourds et supposent des investissements à long terme.

Une telle solution rassurerait également la Chine qui éprouve de plus en plus le besoin de sécuriser ses approvisionnements en minerais précieux et n’a cessé pour ce faire de développer des joint-ventures en Iran et en Asie centrale. Tout ceci augure de profondes transformations dont nous ne soupçonnons pour l’heure pas même la portée.

La géopolitique des métaux a de fait beaucoup varié ces dernières années du fait des transformations de l’économie mondiale. « La poussée économique des pays émergents a provoqué une croissance sans précédent de la demande, que ce soit pour les métaux de base ou les petits métaux ». Cependant, cette consommation des métaux reste déséquilibrée : excepté le fer, les pays de l’OCDE consomment ainsi, par habitant, deux à quatre fois la moyenne mondiale. Les trois quarts des ressources mondiales extraites annuellement sont ainsi consommées par un cin­quième de la population.

Ces chiffres ne prennent pas en compte l’effet des imports/exports de produits finis ou semi-finis. Ainsi, la croissance de la Chine provient, pour beaucoup, de sa position d’« usine du monde », et une partie importante de sa consommation de métaux est destinée à ses clients, qui sont essentiellement des pays de l’OCDE.

Le profil de consommation des métaux a également évolué rapidement ces dernières années. Le fort développement des produits électroniques, des techno­logies de l’information et de la communication (TIC), de l’aéronautique, allié à l’innovation technologique dans la recherche de performances et de rendements, a fait exploser la demande en nouveaux métaux.

On peut ainsi citer :

  • l’indium et les terres rares dans les écrans plats LCD,
  • le gallium dans les LED blanches (éclairage en substitution des ampoules à incandescence),
  • le germanium dans les transistors ou portables (WiFi),
  • le gallium, l’indium, le sélénium, le germanium dans les cellules solaires pho-tovoltaïques,
  • les terres rares (néodyme, samarium, dysprosium…) dans les aimants perma­nents pour les éoliennes et les moteurs automobiles hybrides-électriques,
  • le lithium et le cobalt dans les batteries,
  • le tantale, le niobium, le rhénium dans des superalliages sur mesure pour certains marchés de niche.

« Ces métaux rares, ou stratégiques ont donc de multiples usages dans les tech­nologies de pointe, qu’il s’agisse des télécommunications, de l’armement, ou des énergies renouvelables. Ainsi les aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l’utilisation de néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de systèmes de visée nocturne.[17] »

« S’agissant de ressources non renouvelables, la croissance de leur consomma­tion augmente leur prix, ce qui rend économiquement rentable la prospection et l’exploitation de nouveaux gisements.[18] » Dans un contexte de pénurie chronique et de fermeture des marchés aux entreprises européennes – cas de la Chine pour les terres rares – l’Iran dispose de sérieux atouts à faire valoir. Pour les entreprises européennes, nul doute que les années à venir n’offrent, à la faveur d’un possible allègement du régime des sanctions de belles occasions d’investissements dans ce pays riche en ressources précieuses. Tout dépendra alors des facilités offertes par le gouvernement iranien et de son désir de laisser ou non se conclure de nouveaux partenariats économiques et commerciaux avec les entreprises russes, chinoises ou européennes.

 

Conclusion

Dans un contexte de compétition industrielle et de mutation technologique doublé d’une rivalité économique globale, la question de la sécurisation de nos approvisionnements stratégiques prend une importance nouvelle et accrue. Dans un contexte de plus en plus contraint marqué par le confinement des ressources et la limitation des gisements disponibles, une bataille planétaire entre pays indus­trialisés et pays émergents pour le contrôle des derniers champs miniers mondiaux encore sous-exploités apparaît chaque jour moins improbable. Sans doute les sys­tèmes d’interdépendance réciproque jouent ils en faveur du maintien du statu quo et d’un règlement pacifique des différents mais la pression pour l’accès aux res­sources apparaît si forte qu’elle risque fort de faire voler en éclat le cadre patiem­ment construit depuis 7 décennies pour parvenir à un règlement pacifique et par la voie droit international des conflits centrés sur l’accès aux ressources. Premier pourvoyeur d’hydrocarbures et producteur important de minerais, l’Asie centrale plus que jamais risque d’être le théâtre majeur de cette confrontation à venir.

Situé au cœur de l’Eurasie, et donc au centre de ce Rimland dont le contrôle constituait aux yeux de Spykman la clé de la domination mondiale, l’Iran dispose aujourd’hui de sérieux atouts géopolitiques et géoéconomiques à faire valoir dans la compétition économique mondiale : 2e pays producteur de pétrole de l’Opep, détenteur des 2e réserves mondiales de gaz, l’Iran apparait comme un géant énergé­tique. Sa position géographique en fait un partenaire important dans l’achemine­ment des ressources énergétiques des pays riverains de la mer caspienne. Doté d’une structure politique pérenne, il apparait comme un îlot de stabilité dans une région en proie depuis plusieurs années désormais à la guerre, au chaos et à l’anarchie. Sa population, éduquée et en pleine transition démographique, apparait très ouverte à l’extérieur et aisément adaptable au processus de la mondialisation. Les élites en place, malgré la complexité des réseaux d’influence ont su avec succès gérer les crises financières de 1992, 1998 et 2008, montrant leur capacité à rétablir rapidement l’équilibre des comptes extérieurs.

Pourtant le pays reste isolé diplomatiquement et fragile économiquement. La dépendance excessive vis-à-vis du pétrole qui constitue l’essentiel des recettes extérieures et budgétaires expose en permanence le pays au risque du dutch dea-sese. L’importante consommation interne de pétrole et les capacités de production vieillissantes menacent la pérennité de l’excédent exportable. L’accès au marché des capitaux est limité. Les lois Helms-Burton et d’Amato font peser une charge insur­montable sur les entreprises européennes souhaitant nouer des partenariats avec les entreprises iraniennes. Enfin l’isolement diplomatique du pays – traité depuis 3 décennies par les Etats-Unis en véritable paria de la communauté internationale -complique grandement sa montée en puissance régionale – tant au plan industriel qu’au plan militaire – l’équipement conventionnel iranien est pour partie obsolète, l’approvisionnement en pièces de rechange étrangères s’étant tari.

Différents scénarii pourraient pourtant contribuer dans les années à venir à sor­tir le pays de son isolement relatif. La conjonction d’un effondrement boursier et du développement de nouvelles voies d’approvisionnement énergétiques, à la faveur d’un repositionnement géopolitique de la Russie et de la Chine ou même plus simplement d’une progressive fragilisation des axes d’approvisionnement de la Méditerranée ou de la mer Rouge pourraient à terme rebattre les cartes et don­ner à l’Iran une nouvelle centralité historique. Dans le jeu complexe ouvert par l’après 2008, l’Iran dispose incontestablement de cartes qui peuvent lui permettre de devenir à moyen terme un acteur sinon majeur du moins important des relations internationales. Dans cet écheveau complexe qu’est l’Orient compliqué les voies de l’avenir restent largement ouvertes ; elles dépendront tout autant de la volonté des grandes puissances et autres puissances émergentes de redonner à l’Iran une place dans le jeu international que de la capacité du gouvernement à faire valoir ses atouts énergétiques pour se frayer un chemin dans l’âpre compétition pour les ressources et s’imposer comme un partenaire indispensable dans la définition des alliances de demain.

[1]Le total des réserves déclarées par les pays membres de l’OPEP pour est de 701 milliards de barils, dont 317,54 sont douteux. On notera en effet que de nombreux soupçons pèsent sur la fiabilité des chiffres avancés par les pays.

[2]Cf. Ifp, pays pétroliers et gaziers du Maghreb et du Moyen-Orient, panorama 2012, p. 4.

[3]ibid.

[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/National_Iranian_Oil_Company.

[5]Cf. Ifp pays pétroliers et gaziers du Maghreb et du Moyen-Orient, panorama 2012, p. 5.

[6] http://french.irib.ir/info/moyen-orient/item/226841-l-iran-compte-briser-le-monopole-gazier-du-qatar.

[7]La mise en place de ces programmes on s’en doute ne sont pas pour rassurer les responsables de l’administration américaine qui voit ainsi se profiler le risque d’une perte définitive de contrôle sur ce secteur en parallèle de la constitution d’un axe Pékin, Pyong Yang, Téhéran dans l’exploitation de ces minerais et la dissémination des technologies qui s’y trouvent associées.

[8]cf. David Mascré, La Chine et tes terres rares, les éditions de l’Infini, Reims, 2013, infini. editions@gmail.com.

[9]Cette dissémination du modèle chinois de développement ne relève pas seulement d’un simple effet de mimétisme mais bien de la part des pays concernés d’une volonté consciente et claire. Preuve de la motivation de ce choix rationnel, chacun de ces pays s’est attaché à étudier en détail les avantages et les inconvénients de la stratégie de développement suivie par la Chine. En Iran comme en Corée du Nord, des experts ont en effet planché sur le modèle chinois et cherché ce qui de ce modèle pouvait être adopté et repris dans leur pays respectif. Sans en reprendre toutes les spécificités et sans tomber dans le piège du suivisme, ces deux pays ont dans les deux cas conclu à la nécessité d’une appropriation de ces nouvelles technologies dans lesquelles ils voient – non sans raison – la clé de l’amélioration du quotidien de leur population mais aussi un élément de montée en puissance de premier plan pour leur économie.

[10]Alexander Portnov, « the metallic Afterstate of scientific progress », Nezavessimaya Gazeta,

10 septembre 2008.

[11]Ibid.

[12]Ce dont les Russes ont su jouer avec habileté en profitant de l’occasion pour consolider le pouvoir de Gazprom à ce niveau. Soucieux de préserver ses positions dominantes en Europe orientale, le géant gazier russe a pris des participations dans plusieurs sociétés de distribution des pays importateurs. Le monopole gazier russe aurait à ce jour mis en place une vingtaine de joint ventures dans la région, parmi lesquelles : Slovrusgaz en Slovaquie, au sein de laquelle Gazprom détient 50 % des parts ; Europolgaz en Pologne (48 %), Eesti gas en Estonie (30,6 %). Gazprom détient par ailleurs 32,5 % des parts du distributeur letton Latvijas gas depuis avril 1997 et 40 % du hongrois Panrusgas. Notons que le conglomérat russe est particulièrement actif en Hongrie, où il a pris le contrôle de l’usine pétrochimique BorsodChem en mars 2003 par le biais de sociétés écrans enregistrées en Irlande et en Autriche (Milford Holdings Ltd, C.E.E Oil & Gas). Le contrôle des voies de transit doit par ailleurs permettre à Gazprom d’influer sur le développement d’infrastructures nouvelles et sur le niveau des royalties, qui constituent

un coût important de ses exportations. Couplé à la proximité des gisements russes, il confère un avantage incontestable à Gazprom et limite la portée des stratégies de diversification des approvisionnements mises en place par certains pays de la zone, tels la Pologne, qui importe du gaz norvégien. Ce second objectif concerne plus particulièrement la stratégie de Gazprom dans les Balkans. Outre l’accès à ces marchés, il s’agit là de tenter de maîtriser le développement d’une concurrence potentielle à partir de la Caspienne (Azerbaïdjan, Iran et Turkménistan). L’Europe du Sud représente un enjeu stratégique majeur dans la mesure où elle pourrait servir de route pour des tubes en provenance de Turquie et à destination de l’Ouest du continent.

[13]Cf. Fabrice Nodé-Langlois Libye, « Kissinger, prône une action européenne », Le Figaro, 11 mars 2011

http://www.lefigaro.fr/international/2011/03/11/01003-20110311ARTFIG00392-libye-kissinger-prone-une-action-militaire-europeenne.php

[14]Laura Barnhardt, « Gas Plant Called No Terror Risk, » Baltimore Sun, February 1, 2007.

[15]Although there has never been an attack against either an LNG terminal or tanker, maritime terrorism has been a core part of al-Qaeda and its affiliates’ historical strategy. In 2000, suicide bombers rammed the USS Cole in Yemen, killing 17 sailors. In 2002, terrorists rammed the Limburg, a French oil tanker carrying 400,000 barrels of crude oil.

[16]Cf. « Maritime Security: Public Safety Consequences of a Terrorist Attack on a Tanker Carrying Liquefied Natural Gas Need Clarification, » United States Government Accountability Office, February 2007.

[17]La sécurité des approvisionnements stratégiques de la France, http://www.senat.fr/ rap/r10-349/r10-3494.html.

[18]Source : « Quelfutur pour les métaux ? » par Philippe Bihoux et Benoît de Guillebon, éditions EDF Sciences — 2010

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