Relations irano-américaines : qui décide en Iran ?

Houchang HASSAN-YARI

Directeur du Département de Science politique et économique du Collège militaire royal du Canada

Ali G. DIZBÛNI

Professeur des études canadiennes et de Relations internationales – Département de Science politique et d’économique – Collège militaire royal du Canada

Mai 2009

Le processus décisionnel en matière de politique étrangère en Iran est une entreprise complexe. Le tout se complique davantage lorsqu’il est question des rap­ports avec les Etats-Unis. Les trente dernières années ont complètement bouleversé la nature des relations bilatérales : les deux partenaires stratégiques des années 1970 se voient transformés en ennemis jurés.

Washington qui avait initié la rupture des relations à la suite de la crise des otages, a développé à l’endroit de Téhéran une politique hostile axée sur quatre points reprochant à
l’Iran :

  1. la recherche des armes de destruction
    massive ;
  2. son appui au terrorisme international ;
  3. le sabotage du processus de paix
    israélo-arabe ; et
  4. le non-respect des droits de l’homme.

 

L’élément arabe : Israël, Etats-Unis, Iran

Cependant, le passage du temps et les événements survenus sur la scène internationale altèrent l’ordre de la priorité de ces questions. Tel Aviv et Washington ont réussi à présenter le programme nucléaire de l’Iran comme un danger imminent pour la paix et la sécurité internationale. L’Iran est devenu un mal indispensable pour le couple israélo-américain en vue d’avancer leur propre agenda. Dans une tentative de l’américanisation des préoccupations d’Israël, le Comité américain d’affaires publiques israéliennes (CAAPI) joue un rôle central.1 Par exemple, prenant la parole devant le Sous-comité des crédits des opérations à l’étranger de la Chambre des Représentants, Howard Kohr, Directeur exécutif du CAAPI (soit AIPAC en anglais), a rappelé l’importance de l’assistance des États-Unis à Israël en matière de sécurité face à la menace croissante d’un Iran nucléaire et de ses clients terroristes, le Hamas et le Hezbollah. Il a exhorté les législateurs à soutenir une aide de $ 2,775 milliards de dollars à Israël pour l’année fiscale 2010, conformément à un accord signé par les États-Unis et Israël en 2007. Pour lui, l’aide américaine à Israël sert les intérêts de la sécurité nationale américaine et avance les objectifs critiques de la politique étrangère des Etats-Unis. L’entente de 2007 était destinée à fournir $30 milliards de dollars à Israël en forme d’aide militaire sur dix ans. Selon Howard Kohr, l’Amérique est renforcée lorsque l’Israël est fort.2

L’analyse du CAAPI était partagée par le gouvernement israélien qui se présente comme seul garant et serviteur des intérêts américains au Moyen-Orient. Le gou­vernement d’Ehoud Olmert qui s’opposait farouchement à un projet américain de vente d’armes sophistiquées à l’Arabie saoudite sous le prétexte que « al-Qaida a été fondé en Arabie saoudite, ses hommes ont infiltré les quatre coins du régime, y compris dans le domaine militaire », a menacé de faire intervenir son puissant lobby au Congrès américain pour faire capoter l’affaire.3 En d’autres mots, la déci­sion de déterminer les intérêts américains et la voie de les préserver revient à Israël et ses associés au Congrès. La compréhension israélienne contraste avec les raisons annoncées par Condoleezza Rice, la secrétaire d’État américaine, selon lesquelles la vente des armes vise à soutenir les pays modérés de la région dans leur lutte contre al-Qaida, de contrer les influences négatives du Hezbollah, de l’Iran et de la Syrie, le nouveau front de refus au Moyen-Orient. Washington accusait l’Iran de soutenir les groupes terroristes et de chercher à fabriquer l’arme nucléaire.4

Comme on pouvait s’y attendre, l’Iran a dénoncé le recours des Etats-Unis à la peur pour créer une fausse course aux armements dans la région pour deux raisons :

  • – empêcher leurs usines d’armement de faire faillite ; et
  • – empêcher les bonnes relations entre les pays du Proche-Orient.5

La stratégie américaine d’isoler l’Iran a été renforcée lorsque Washington a réus­si à constituer un grand ensemble englobant les six États du Conseil de coopération du Golfe, l’Egypte et Israël. Quelques jours avant la fin de son mandat, le président Bush a prononcé un discours à Abu Dhabi dans lequel il a mis en garde ses alliés arabes du Golfe Persique contre la menace iranienne sollicitant leur appui à ses politiques au Moyen-Orient.6

Dans une entrevue, Gary Sick, ancien conseiller du Conseil national de sécuri­té dans l’administration Jimmy Carter, a parlé du développement d’une « stratégie émergeante » qui amène les Etats-Unis, Israël et les États arabes sunnites dans une alliance informelle contre l’Iran. Il fait part des discussions qui ont eu lieu entre les différentes composantes de cet ensemble, y compris entre les Saoudiens et les Israéliens.7 Cette peur de l’Iran, créée et artificiellement maintenue, a parfois, pris des proportions hystériques. Dans un survol des nouvelles des médias arabes pour le compte de New America Media, Jalal Ghazi a révélé la profondeur du malaise arabe. Déjà faces à un Iran « expansionniste », les États arabes craignent que les nouvelles relations américano-iraniennes encouragent les intransigeants de Téhéran à poursuivre leurs ambitions nucléaires plus librement. Ils sont égale­ment inquiets de ce que l’Iran sera encouragé à élargir son territoire aux dépens de petits États arabes tels les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et l’Irak.

Selon l’auteur, les stations de télévision, les journaux et les sites Web arabes ne dépeignent plus Israël comme menace primaire dans le Moyen-Orient, en dépit du récent carnage dans Gaza. Les États arabes, particulièrement dans le Golfe Persique, se trouvent exposés à une menace plus imminente et plus directe venant de leur voisin iranien. Le 21 février 2009 le journal Al Hayat, basé à Londres, a publié un article sous la plume de Saud Al Ris et intitulé «le grand Iran», observant que « Il y avait jusque récemment beaucoup de propos sur le projet sioniste du grand Israël. Toutefois, ce projet n’est plus possible … Les ambitions territoriales d’Israël ont été écourtées et il s’est retiré de territoires qu’il occupait tel que e Sinaï, le sud du Liban et Gaza. » Dans cette attaque rangée contre l’intention de l’Iran, identifié comme un ennemi pire que l’Israël, une compétition fait rage entre les commentateurs dans la plupart des pays arabes sur le degré de dénonciation de Téhéran. Mustafa Alani, du Centre de recherche du Golfe basé à Dubaï, a indiqué au Jordan Times (3 avril 2009), l’énorme souci de voir les Américains accorder des concessions aux Iraniens ébranlant ainsi la sécurité des pétromonarchies du Golfe Persique. Trouvant inacceptable les dits accords, ils réitèrent leur demande de base : que l’Amérique ne devrait pas donner des concessions sur le programme nucléaire iranien et ses interventions en Irak, au Liban et en Palestine. Comme attaquer est jugée la meilleure défense, certains groupements arabes dénoncent les activités de « colonisation » iraniennes dans la province de Khûzistân, le long de la frontière avec l’Irak, que Saddam Hussein appelait Arabistan et voulait « libérer » par la guerre de 1980-1988.8

Cet anti-iranisme a même pris une dimension carrément anti-confessionnelle avec un langage haineux, lorsque le Roi Abdullah de Jordanie a publiquement déclaré que pour lui le grand péril est l’Iran, le seul pays du monde (à part l’Azer-baïdjan) à majorité chiite et gouverné par les Chiites. Il a en outre affirmé que l’intérêt de l’Iran réside dans l’existence d’une république islamique en Irak et si cela se produisait, nous nous serions ouverts à toute une série de nouveaux pro­blèmes qui ne seront pas limités aux frontières de l’Irak. Il a averti qu’un « crois­sant chiite » s’étendant d’Iran en Irak, en Syrie et au Liban, déstabilisera les pays du Golfe (Persique) et posera un défi aux Etats-Unis.9

Dans le contexte de la guerre de Gaza en décembre 2008-janvier 2009, Hosni Moubarak, président de l’Égypte, participant à la réunion des dirigeants arabes au Koweït, a accusé l’Iran d’exploiter un différend propre aux Arabes. Son ministre des Affaires étrangères a aussi dénoncé le rôle de l’Iran comme faiseur de troubles dans cette guerre.10 Dans la même veine, Jamal Moubarak, le fils du président égyptien, vice-secrétaire général et président du comité politique du parti de son père, a parlé de la nécessité d’une action commune et sévère par les Arabes contre la présence et l’ingérence de l’Iran dans les questions régionales, notamment pa-lestinienne.11

L’Iran a même failli trouver un ami en Fouad Siniora, Premier ministre libanais, dont le pays est l’un des plus grands récipiendaires de la largesse de la République islamique, d’autant plus que l’aide de l’Iran vise à éliminer les effets de l’agression sioniste contre le Liban en juillet 2006, affirme l’ambassadeur iranien au Liban. Les projets iraniens incluent la reconstruction des ponts, routes, hôpitaux, écoles et cliniques, aussi bien que l’approvisionnement en électricité des villages endommagés dans la guerre. Hessam Khoshnevis, l’envoyé spécial du président Ahmadinejad pour la reconstruction du Liban, a confirmé le lancement des projets de reconstruction au Liban, en dépit de toute difficulté. L’Iran avait promis de reconstruire 63 villages, ajoutant que l’Iran a également fini la reconstruction de 149 écoles, 50 mosquées et d’autres lieux religieux. Khoshnevis a déclaré que l’Iran s’est engagé à réaliser 1,032 projets de reconstruction au Liban, notant que jusqu’ici 704 plans ont déjà été éla­borés. Il a déclaré de surcroît que l’on estime le coût des projets entre $35 millions et $50 millions. L’ambassadeur iranien a également mentionné que son pays n’a pas placé un plafond à son aide aux pays des cèdres, ajoutant que Téhéran est disposé à travailler pour renforcer la coopération bilatérale dans les domaines politiques, éco­nomiques, sociaux et culturels. Il a remercié le gouvernement pour sa coopération en permettant à l’Iran d’aider à éliminer les effets de l’agression sioniste !12

La réplique du Premier ministre Fouad Siniora aux efforts iraniens de recons­truire au Liban se résume à une accusation envers la délégation iranienne cou­pable de ne pas avoir coordonné son travail avec son gouvernement. Il a décliné l’invitation de la délégation iranienne, à inaugurer une des écoles reconstruites par l’Iran.13

L’inquiétude arabe face au « danger iranien » a pris de nouvelles dimensions depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama et l’abandon de la posture belli­queuse néoconservatrice de George W. Bush.

 

L’élément Barack Obama

Dès son élection, Barack Obama a promis de rencontrer les dirigeants iraniens sans conditions préalables pour mettre terme aux trois décennies d’hostilité mu­tuelle. Certains propos et démarches du président Barack Obama laissent planent le doute sur le bien-fondé de l’optimisme associé à sa vraie intention. Le choix de Dennis Ross et d’autres fonctionnaires, qui ont dans le passé exprimé des opinions bellicistes sur l’Iran, comme responsables du dossier iranien, et l’utilisation de certain langage de l’ère Bush ayant trait à la poursuite d’un programme nucléaire militaire par l’Iran, rendent les officiels du gouvernement et analystes iraniens suspicieux au sujet des motifs américains.et la pertinence du vent de changement qui vient de Washington. Barack Obama articule sa pensée de plus en plus sur la « menace iranienne » comme élément justifiant la continuation du travail sur le système anti-missile en Europe lancé par le président Bush.

La secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a averti l’Iran des conséquences négatives s’il ne se soumettait pas aux demandes du Conseil de sécurité de l’ONU visant la suspension de son programme d’enrichissement d’uranium.

L’administration de Barack Obama risque alors de céder à la même tentation que les administrations précédentes en s’enlisant dans une rhétorique contre-pro­ductive qui ne fait qu’excuser le manque de coopération par Téhéran.

L’Iran est paralysé par trente ans de rhétorique anti-américaine et ne sait com­ment répondre à l’offre Barack Obama. Le régime islamique était beaucoup plus confortable avec la politique agressive des administrations américaines précédentes qui ne le mettaient pas au défi de penser à une politique pacifique dans ses relations avec Washington. La non-réponse de l’Ayatollah Ali Khamenei à la main tendue de Barack Obama afin d’ouvrir un nouveau chapitre dans les relations bilatérales, s’inscrit dans cet état de paralysie hésitante qui a mis l’Iran face à la majorité des pays du monde.

Le message de Barack Obama à l’occasion du Nouvel An iranien a provoqué une réplique rapide du leader iranien. Face aux mesures de confiance vaguement prononcées dans le message présidentiel, le leader iranien a présenté un bilan de l’hostilité des administrations républicaines et démocrates à l’endroit de l’Iran de­puis 30 ans. Il a surtout insisté sur la politique américaine qui, « selon les renseigne­ments sûrs », continue de fomenter des troubles par l’entremise des mouvements séparatistes et terroristes dans les régions frontalières de l’Iran avec le Pakistan. Le blocage des milliards de dollars des avoirs iraniens, le feu vert à Saddam Hussein pour envahir l’Iran et l’appui total au régime baasiste au cours de la guerre qui a causé le martyr d’environ 300 milles de nos jeunes, la destruction de l’Airbus ira­nien transportant 300 passagers sont parmi d’autres actions hostiles du gouverne­ment américain à l’encontre du peuple iranien qui ne peut pas les oublier.

Rappelant les 30 ans de sanctions, l’appui de Washington aux terroristes et cri­minels qui ont assassiné plusieurs personnes en Iran, l’aventurisme dans la région, le support inconditionnel aux criminels sionistes et la menace continue contre l’Iran, l’Ayatollah Khamenehei se demande comment le peuple iranien pourrait oublier l’hostilité américaine ? Il a même mentionné la volonté de certains responsables américains de commettre un génocide contre toute la nation iranienne. À propos de Barack Obama et de son administration, le leader ajoute : « Ils disent nous avoir tendu la main et nous disons si l’Amérique a caché une main de fer sous un gant de velour, leur action n’a pas de sens ; elle est sans valeur ».

Faisant référence au message de Barack Obama, sans nommer ce dernier, l’Aya­tollah Khamenei a dit : « Même dans ce message de félicitations, le peuple ira­nien est accusé d’être ami de terroristes à la recherche d’armes nucléaires. Est-ce là vraiment des félicitations ou simplement la suite d’anciennes accusations ? » S’interrogeant sur les vrais décideurs en Amérique – le président, le Congrès, ou les éléments subversifs – il dit vouloir souligner le fait que le peuple iranien est froidement rationnel, loin de tout sentimentalisme. Il demande alors : « S’il y a des changements, dites-nous, votre hostilité a-t-elle pris fin ? Les avoirs iraniens sont­ ils débloqués ? Les sanctions levées ? La propagande négative stoppée ? La défense inconditionnelle du régime sioniste terminée ? Car le changement qui n’est que pré­tendu est une tromperie, et non une nouvelle démarche. Il faut montrer le véritable changement avec des mesures pratiques. Les responsables américains doivent savoir qu’ils ne peuvent pas nous leurrer ou apeurer. …Comme nous n’avons pas d’expé­rience avec le nouveau président américain et son gouvernement, nous fonderons notre jugement sur leurs actions. » a-t-il conclu.14

L’Ayatollah Ahmad Jannati, secrétaire du Conseil des gardiens, a, lui aussi mal réagi à l’ouverture de Barack Obama envers le régime islamique en Iran. Il a jugé que les Iraniens qui cherchent à rétablir des relations diplomatiques avec les Etats-Unis ne font que se casser la tête et causer des problèmes aux autres.15

Mahmoud Ahmadinejad qui par lettres adressées au président Bush et à la chan-celière Merkel, a félicité l’élection du président Barack Obama, n’a pas reçu de réponses de ceux-ci, et a donc exigé de Barack Obama des excuses officielles, à titre de condition préalable à toute amélioration des relations entre les deux pays.16 Pour Manouchehr Mottaki, ministre iranien des Affaires étrangères, si les États-Unis changent leur discours en y associant les actes et démarches concrètes qui s’y conforment, il y aura une réaction créatrice de la part de l’Iran.17

Le leadership iranien reproche aux Américains d’avoir un système dans lequel il est impossible d’identifier les vrais décideurs. Est-ce que le processus décisionnel dans l’Iran de l’Ayatollah Khamenehei est plus transparent ?

 

Qui décide en Iran ?

Pour répondre à cette interrogation, il est essentiel de comprendre la dynamique de la Constitution nationale iranienne par l’application de laquelle doit passer tout engagement formel éventuel entre Téhéran et Washington, ou le reste du monde.

Les décisions stratégiques du régime islamique au cours de la décennie de l’Aya­tollah Ruhollah Khomeini (1979-1989) ont été prises et annoncées par ce dernier :

  • la rupture des relations diplomatiques avec l’Egypte à cause de la signature des Accords de Camp David avec Israël ;
  • l’acceptation de la Résolution 598 du Conseil de sécurité des Nations-Unies instaurant un cessez-le-feu entre l’Iran et l’Irak.

De plus, il a décidé que l’Iran ne doit pas avoir des relations diplomatiques dont la force et l’égalité seraient déséquilibrées ou disproportionnées en faveur des Etats-Unis. Il comparait ces relations, aux rapports entre un loup (les Etats-Unis, symbole d’agressivité) et une brebis (l’Iran, symbole de faiblesse innocente).

Le charisme, la légitimité et la détermination du « Guide de la Révolution » ne laissaient pas de place aux individus ou groupes, pour contester ses décisions. Il était l’ultime décideur. La rhétorique qui a connu un saut qualitatif remarquable avec l’usage par Khomeiny de la dénomination « Grand Satan », pour identifier les Etats-Unis, a remplacé tout dialogue diplomatique entre les anciens alliés stratégiques maintenant divorcés.

La première décennie de la deuxième République (1989-1999) était une pé­riode d’ajustement et de consolidation des assises du pouvoir par le nouveau Guide, l’Ayatollah Ali Khamenei. Le Cent-septième Principe de la Constitution stipule que le Guide, qui est élu par l’Assemblée des Experts, assumera l’autorité religieuse et toutes les responsabilités qui en résultent. Il est égal aux autres citoyens devant la loi.

L’Article 109 établit les conditions et les qualités du Guide :

  1. Compétence scientifique nécessaire pour se prononcer sur les différents cha­pitres de la jurisprudence religieuse (Fegh).
  2. Equité et vertu nécessaires pour guider l’Umma (Communauté) islamique.
  3. Clairvoyance politique et sociale, discernement, courage, capacité d’admi­nistration et un pouvoir suffisant pour diriger.

En cas de pluralité de personnes remplissant les conditions ci-dessus, la per­sonne qui posséderait les connaissances religieuses et politiques les plus approfon­dies aura la préférence. Les attributions et les pouvoirs du Guide selon le Cent-dixième Principe :

  1. Détermination de la politique générale du régime de la République Islamique d’Iran après consultation du Conseil de discernement de l’Intérêt du Régime.
  2. Superviser la bonne exécution de la politique générale du régime.
  3. Décréter un référendum.
  4. Commandement suprême des forces armées.
  5. Déclaration de guerre et proclamation de paix, et mobilisation des forces.
  1. Nomination, révocation et acceptation de démission :

 

  1. des jurisconsultes religieux (les Foghaha) du Conseil des Gardiens
  2. de la plus haute autorité du pouvoir judiciaire
  3. du directeur de la Radio-Télévision de la République Islamique d’Iran
  4. du Chef d’état-major interarmées
  5. du Commandant en chef du corps des Gardiens de la Révolution Islamique
  6. des commandants en chef des forces militaires et des forces de l’ordre.
  7. Règlement des différends et coordination des relations entre les trois pouvoirs.
  8. Traiter les problèmes difficiles du système qui ne peuvent être réglés par la voie ordinaire, par l’intermédiaire du Conseil de discernement de l’Intérêt du Régime.
  9. Signature du mandat de la Présidence de la République après élection par le peuple – les qualités requises des candidats à la Présidence de la République au regard des conditions qui sont énumérées dans cette loi constitutionnelle, doivent être approuvées, avant les élections, par le Conseil des Gardiens, et, pour le premier mandat, par le Guide.

 

  1. Révocation du Président de la République, en prenant en considération les intérêts du pays, après un arrêt de la Cour de Cassation constatant le manquement à ses obligations légales ou un vote de l’Assemblée Consultative Islamique consta­tant son incapacité sur le fondement du quatre-vingt-neuvième principe.
  2. Amnistie ou réduction de peine des condamnés, dans les limites des normes islamiques, et sur proposition du Chef du pouvoir judiciaire.

 

Le Guide peut déléguer certains de ses attributions et pouvoirs à une autre personne.

Le dixième chapitre (les principes 152 à 155) de la Constitution établit le cadre général de la politique étrangère de l’Iran. Conformément au Cent cinquante-deu­xième Principe, la politique étrangère de la République Islamique d’Iran est fondée sur le refus de toute volonté de domination et de soumission, de la défense de l’in­dépendance à tous points de vue et de l’intégrité territoriale du pays, de la défense des droits de tous les musulmans et du non-alignement face aux puissances domi­natrices et des relations pacifiques réciproques avec les Etats non belliqueux. Ce principe divise ainsi le monde en deux camps opposés, l’oppresseur et l’oppressé. De plus, il fait de la République islamique le défenseur du droit non seulement de tous les musulmans, incluant ceux qui se trouvent dans les pays occidentaux, mais aussi des non-alignés.

Le Cent cinquante-quatrième Principe entre en conflit direct avec le 152ième Principe et lui-même lorsqu’il confirme que la République Islamique d’Iran s’abs­tient totalement de toute ingérence dans les affaires internes des autres nations et soutient le combat pour le droit des opprimés (Mostaz’afin) face aux oppresseurs (Mostak’berin) partout dans le monde.

Si les Principes qui devraient jouer le rôle de feuille de route sont si confus, comment peut-on espérer un processus décisionnel transparent avec des acteurs bien identifiables ?

Afin d’apprécier le comportement de la République islamique sur l’échiquier mondial, il faut comprendre un principe de base : la prise de décision dans le do­maine de la politique extérieure du pays suit sa propre logique.

Elle évolue à trois niveaux :

  1. Elle est une entreprise collégiale;
  2. Elle se base sur les rapports de force et de position (rôle des individus au sein des 11 entités dont la présentation suit plus loin);
  3. Enfin, selon les apparences souvent trompeuses, elle n’est pas le fruit de la volonté d’un seul individu. Plusieurs agences gouvernementales et individus font partie de cet ensemble et jouent un rôle, parfois substantiel, de temps en temps plus modeste.

La prolifération des centres décisionnels en matière de la politique étrangère, comme dans tout autre domaine, est un problème structurel en Iran. Cette multi­plication est aussi visible lorsqu’on étudie les forces armées, le système de justice, les associations estudiantines, etc.

Une analyse de la Constitution iranienne et de la pratique politique dans ce pays démontre que celle-là investit les personnalités et centres suivants avec des fragments de la capacité décisionnelle :

  1. Le Conseil Supérieur de la Sécurité Nationale (composition : deux représen­tants du Guide ; les chefs des trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) ; le chef d’Etat-major général des Forces Armées ; le responsable des affaires de Programme et de Budget ; les Ministres des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de Renseignement; suivant le cas, le ministre concerné et le plus haut dignitaire de l’armée et du Corps des Gardiens de la Révolution islamique. Ses attributions : Détermination des poli­tiques de défense -sécurité du pays dans le cadre des politiques générales définies par le Guide ; Détermination des politiques de défense -sécurité du pays dans le cadre des politiques générales définies par le Guide; Coordonner les activités politiques, et de renseignement, ainsi que les activités sociales, culturelles et économiques en relation avec les mesures générales de défense et de sécurité ; Mettre à profit les capacités matérielles et morales du pays en vue de faire face aux menaces intérieures et extérieures)
  1. Conseil de Discernement du Régime (il trace les grandes lignes de la poli­tique étrangère, politique interne, politique économique, sociale et culturelle en conformité avec les attentes du Guide);
  2. Pouvoir Exécutif (notamment le Président – le degré de l’importance du président dépend largement de la personne qui occupe le poste – ; Ministère des Affaires étrangères ; Ministère de, Renseignement ; Ministère de l’Intérieure et les Gouverneurs de provinces, notamment les provinces frontalières);
  3. Parlement (comme institution, son rôle est en général insignifiant. Il joue un rôle plus important depuis la présidence d’Ali Larijani);
  4. Conseil des Gardiens ;
  5. Médias (notamment ceux des conservateurs) ;
  6. Le collège des Gardiens de la Révolution ;
  7. Imams de la prière de Vendredi ;
  8. Personnalités religieuses influentes ;
  1. Mouvements et personnalités révolutionnaires non-iraniennes (Hezbollah libanais ; Hamas palestinien ; Syrie ; les nouveaux frères révolutionnaires : Chavez, Morales, etc.) ;
  2. Guide Suprême, qui agit comme catalyseur, point de ralliement

Le poids du Guide est le plus écrasant et démesuré dans cet ensemble très com­plexe et souvent paralysant à cause des rivalités entre différentes personnalités qui le composent. Les relations irano-américaines sont considérées comme la chasse gar­dée du Guide, un domaine où ce dernier exerce une grande autorité, parce qu’elles sont d’ordre stratégique et liées à l’existence même du régime islamique.

Depuis sa sélection comme Guide, en 1989, il reporte systématiquement une décision définitive dans ce domaine pour des gains tactiques passagers et dans l’absence d’un consensus défendable parmi les agents influents. Le régime islamique a fait du refus américain la pierre angulaire de sa politique tiers-mondiste et militante. Tout laisse à croire que l’acceptation de rétablissement des relations normales avec les Etats-Unis priverait les dirigeants iraniens d’un bouc-émissaire confortable à blâmer pour toutes leurs difficultés internes et externes.

Pour l’Iran, qui a préalablement besoin de surmonter, ou tout au moins adoucir, ses divisions internes pour arriver à un accord minimal dans le trai­tement du monde extérieur, il est nécessaire de sortir d’un discours révolu­tionnaire vieux de trente ans et inadaptable aux conditions et réalités actuelles. La République islamique d’Iran est appelée à trancher finalement entre un dis­cours tiers-mondiste, ommati (communautariste), et l’engagement envers l’intérêt national de ses propres citoyens, d’autant plus qu’elle partage les préoccupations américaines dans certaines questions internationales et devrait, comme Washington d’ailleurs, trouver un modus operandi et un langage non-belliqueux dans ses rap­ports avec l’ensemble des pays avec qui elle a des relations difficiles.

Il paraît que l’arrivée au pouvoir de Barack Obama à Washington, ses ouvertures qui pourraient être stratégiques vers Téhéran, les propos du Secrétaire général de l’OTAN sur la nécessité d’engager l’Iran dans la question afghane, la volonté du gouvernement italien en tant que président du G-8, de traduire ces ouvertures en politique, peut-être en invitant le représentant iranien à la réunion du G-8 prévue pour le mois de juin 2009 en Italie, la participation du représentant de Téhéran à la conférence de La Haye sur l’Afghanistan, en mars 2009, mettraient l’Iran devant les choix laborieux : abandonner la rhétorique courante et entretenir des relations plus normales avec les pays occidentaux ou poursuivre la politique du passé ?

Chacun de ces choix aura des conséquences. Si la poursuite de la course actuelle est plus connue aux maîtres iraniens, s’embarquer dans une nouvelle aventure avec l’Amérique de Barack Obama est une entreprise à haut risque, méconnue et poten­tiellement déstabilisant pour le régime. Il est difficile de perdre une habitude vieille de trente ans !

 

Notes

 

  1. Sur le rôle de cet organisme voir : Serge Halimi, ‘Le poids du lobby pro-israélien aux Etats-Unis’, Le Monde diplomatique, août 1989, et John J. Mearsheimer, Stephen M. Walt, Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, Paris, La Découverte, 2007.

 

  1. Pour l’ensemble du témoignage du directeur de l’APEC voir : http://www.aipac. org/Publications/SpeechesInterviews/Executive_Director_Howard_Kohr_-_ pdf
  2. L’État hébreu s’inquiétait notamment de la vente de « bombes intelligentes » guidées par GPS, dont l’armée de l’air israélienne avait fait une utilisation massive lors de la guerre au Liban en été 2006. A vrai dire, l’inquiétude israélienne venait du dommage éventuel à son avantage qualitatif au Moyen-Orient si la vente de ces armes aux Saoudiens devrait se réaliser. Patrick Saint-Paul, « Vente d’armes : discorde israélo-américaine », Le Figaro international, 14 octobre 2007.
  3. Outre les 30 milliards de dollars reçus par Israël, l’Arabie saoudite recevait 20 milliards de dollars, tandis que la part égyptienne était de 13 milliards de dollars. Voir DBR News, 31

juillet 2007.

  1. Ibid
  2. Agence France Presse, « Bush exhorts Gulf states to rally against Iran », The Daily Star, 14 janvier 2008.
  3. Bernard Gwertzman, « Sick : Alliance against Iran », Council on Foreign Relations, 23 janvier 2007,http://www.cfr.org/publication/12477/
  4. Jalal Ghazi, « Arab’s fear of Iran aligns them with Israel », New America Media, News Analysis, 10 mars 2009. http://news.newamericamedia.org/news/view_article.html?article_id=a15e 9e8a6e460d5c276b5a62e859f002
  5. David Hirst, « Arab leaders watch in fear as Shia emancipation draws near », The Guardian, 27 janvier 2005.
  6. Tabnak, 26 janvier 2009.
  7. Asharq Alawsat, dans Tabnak, 25 janvier 2009. Après la guerre de Gaza, Ramadan Abdallah, secrétaire général du Jihad islamique de la Palestine et Khaled Mashal en compagnie de 5 autres membres du Bureau politique du Hamas ont séparément visité le leader iranien. Ismael Haniyeh, ancien Premier ministre palestinien, a envoyé une lettre de remerciements à l’Ayatollah Khamenei pour son appui aux combattants palestiniens à Gaza. Il a réitéré le besoin palestinien d’un support politique et non-politique iranien dans l’effort de reconstruire Gaza.
  8. http://www.iran-daily.com/1387/3193/html/economy.htm Pour le détail des projets de reconstruction réalisés par l’Iran, voir : Tabnak, 22 mars 2008.
  9. Tabnak, Ibid, Sheikh Mohammed Yazdek, membre du Conseil de la direction et du commandement du Hezbollah, est le représentant religieux de Khamenei au Liban. Il est considéré « père spirituel du Hezbollah » et un visiteur régulier en Iran.
  10. Fars News Agency, 21 mars 2009.
  11. Tabnak, 30 janvier 2009.
  12. Fararu, 29 janvier 2009.
  13. Tabnak, .Ibid.

 

 

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