POUR UN DIALOGUE CONSTRUCTIF ET VIGILANT AVEC L’IRAN

Jacques Myard

De la commission des affaires étrangères

Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Lyon, et titulaire d’un diplôme d’études supé­rieures de droit public (Lyon), d’un diplôme d’études approfondies de propriété intellectuelle (université Paris II) et ancien élève (doctorat) de l’Institut de hautes études internationales (Genève).

Conseiller des affaires étrangères, il a débuté en 1973 après son service national à Alger. Il est nommé Secrétaire d’Ambassade à Lagos puis, en 1977, Officier de liaison à la division poli­tique du Gouvernement militaire Français de Berlin. En 1980, il rejoint la Direction des Affaires Juridiques au ministère des Affaires Étrangères. De 1986 à 1988, Jacques Myard est Conseiller technique auprès de Michel Aurillac, ministre de la Coopération.

3eme trimestre 2013

L’Iran et la France ont des liens anciens, elles sont chacune deux vieilles nations avec un héritage historique, culturel très important. Nos relations ont connu des hauts et des bas mais depuis dix ans environ, la question du nucléaire cristallise les tensions de la communauté internationale… ; un train de sanctions a été adopté contre l’Iran, renforcé en 2011 par des initiatives américaines et euro­péennes. Cependant la question nucléaire, qui influence la perception actuelle que nous avons de l’Iran, ne doit pas occulter ceci : on aurait tort de mettre de côté la richesse de nos liens et de nos échanges, marquants par le passé et dont témoigne aujourd’hui la présence de nombre d’Iraniens sur le territoire français. La question du nucléaire doit aussi impérativement prendre en compte la place de l’Iran dans l’échiquier régional. L’Iran fait partie de l’équilibre géopolitique de la région du Proche et du Moyen-Orient. Aussi la poursuite d’un dialogue, ferme et constructif, tenant compte de cette dimension, est-elle nécessaire pour résoudre les tensions, répondre à l’impératif de sécurité internationale et améliorer les relations entre nos deux pays.

Il nous faut tout d’abord avoir à l’esprit un certain nombre de données fonda­mentales : nombre des caractéristiques rapprochent l’Iran de la France et placent ce dernier à part dans cette zone régionale. L’Iran est une Nation ancienne, comme on l’a dit, vieille de plus de 3 000 ans. Il possède un vaste territoire, sa population est nombreuse : 76,7 millions d’habitants dont la moitié a moins de 25 ans, avec une croissance démographique en Député en Yvelines.

L’Iran, nation plurimillénaire, majoritairement chiite, la plus peuplée et éduquée de cette région du monde, est une puissance qui occupe une place à part sur l’échiquier du Moyen-Orient. Cependant ses ambitions en matière nucléaire qui lui valent l’application de sanctions inter­nationales, son jeu dans l’équilibre instable d’une région confrontée aux bouleversements des révolutions arabes focalisent l’attention et concentrent les interrogations de la France et de la communauté internationale. Face à cette situation et les enjeux complexes qui en découlent, la France doit prendre en compte la place de l’Iran au Moyen-Orient et de poursuivre avec lui un dialogue franc mais vigilant.

Iran as a multi-millennial country with a Shiite majority, the most populated and educated in this région of the world, is apower that occupies a spécial place in the Middle East spectrum. Nevertheless, its plans in the field of nuclear research that have qualified it for the enforcement of international sanctions, as well as its game in an unstable region confronted with theArab revolt upheavals, steal all the attention and focus of questions coming from France and the international community. Confronted with this situation and the complex stakes involved, France has to take into account the roleplayed by Iran in the Middle East and to pursue an open, yet alert dialogue.

baisse. Particularité à noter, cette population est éduquée, urbaine avec de grandes universités, des chercheurs de qualité. Sur le plan économique, on le sait, l’Iran dispose de ressources en hydrocarbures consi­dérables : elle est la 2e puissance en termes de réserves de gaz, la 4e pour le pétrole.

l’Iran est une puissance de premier plan dans la région mais se trouve confron­té aujourd’hui à une reconfiguration des équilibres à la suite des mouvements de révolte dans les pays arabes. Si l’Iran a accueilli avec intérêt la chute de Hosni Moubarak en Egypte, son soutien à son allié traditionnel Bachar el Hassad en Syrie est solide. L’Iran fait sentir son influence au Liban à travers le Hezbollah. Sa posi­tion est croissante en Irak et son influence se fait sentir en Afghanistan.

Il s’agit donc d’une grande puissance avec un poids indiscutable et des atouts forts malgré les difficultés actuelles mais la question du nucléaire crée un abcès de fixation dommageable. Comment sortir de l’impasse ?

Les ambitions du régime iranien en matière nucléaire concentrent les interroga­tions de la France et de la communauté internationale. Il existe un fort sentiment national, les Iraniens nourrissent un sentiment de fierté qui est extrêmement vivace. Rappelons que le programme nucléaire iranien a débuté il y a près de 50 ans, avec des objectifs civils et l’aide de la France. En 1970, l’Iran a ratifié le Traité de Non Prolifération et accepté le régime de surveillance de l’AIEA. Depuis 2002 les révé­lations par l’AIEA sur le volet clandestin de son programme nucléaire, contraire à ses engagements, ont jeté le doute sur sa destination finale qui ne serait pas civile mais militaire. Les rapports de l’AIEA qui se sont succédé ne permettent pas de dissiper les inquiétudes occidentales sur la poursuite des activités d’enrichissement de l’uranium, l’augmentation du nombre de centrifugeuses en Iran. De nombreuses questions posées par l’Agence sont restées sans réponse.

Les négociations du groupe des Six (les cinq : France, Royaume-Uni, États-Unis, Chine et Russie plus l’Allemagne), reprise depuis 2012 avec M. Jalili, se­crétaire General du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, se poursuivent sans aboutir à des résultats concrets. Depuis la crise, six résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies et douze résolutions du conseil des gouverneurs de l’AIEA ont été votées demandant la suspension des activités nucléaires suspectes.

On peut voir dans cette démarche de l’Iran – qui a été en son temps aussi celle de la France – la volonté d’acquérir le statut de puissance, de manifester son rang et son indépendance. Compte tenu de son environnement régional, de la menace sunnite, cette quête peut s’expliquer. L’Iran veut être un État du seuil comme le Japon mais n’a pas l’intention réelle de faire exploser la bombe. Sa préoccupation n’est pas un usage direct de la bombe, elle aspire au statut de puissance régionale.

Dès lors, face à cette situation et aux enjeux complexes qui en découlent, com­ment réagir ?

Faut-il modifier le Traité de Non prolifération pour résoudre la crise ? C’est ce que j’avais proposé en décembre 2009 dans un rapport sur « les enjeux géostra­tégiques de la prolifération » élaboré avec mon collègue Jean-Michel Boucheron.

Nous étions d’avis qu’il convenait d’ouvrir davantage le TNP en l’assortissant de garanties, de conditions de contrôles renforcées. Autant dire que cette proposition a fait un flop retentissant et qu’un grand journal du soir a censuré nos travaux…

Le groupe des Six travaillent dans une autre direction, en essayant de parvenir à une solution négociée avec l’Iran. La politique des Six, à laquelle notre diplo­matie est partie prenante, consiste à renforcer la pression sur l’Iran pour l’amener à se mettre en conformité avec ses engagements au titre de l’AIEA, y compris par l’adoption de sanctions supplémentaires.

Pour autant, la politique de sanction va-t-elle amener à un changement de posi­tion du régime ? Personnellement, j’en doute. Les sanctions économiques ont un effet réel mais limité au regard de l’objectif recherché. Ces sanctions ont un effet sensible dans le secteur bancaire, le secteur pétrolier et celui des transports mari­times. Le PIB de l’Iran est en baisse, de l’ordre de 2 % en 2012. Elles touchent surtout les classes moyennes qui outre l’inflation souffrent du manque de médi­caments et de produits de première nécessité. Mais Téhéran dispose de ressources économiques pour tenir et a trouvé des moyens de contourner les sanctions. Aussi les sanctions sont-elles assez inopérantes pour affaiblir le système iranien.

Pour résumer mon propos, je dirais que l’inquiétude des Occidentaux ne porte pas sur la volonté de l’Iran de posséder l’arme nucléaire stricto sensu, mais sur l’effet domino que cette démarche risque de créer sur l’ensemble de la région, par nature très instable. Les risques d’un effet d’entrainement pour d’autres États de la région avec la dissémination du nucléaire est réel : l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Egypte et bien d’autres au-delà voudront eux aussi acquérir le feu nucléaire. Enfin, la question du nucléaire ne peut être dissociée de la place et du rôle de l’Iran dans l’équilibre régional. C’est un jeu de billard à trois bandes ! On voit bien qu’interfère dans cette problématique l’intérêt des pays du Golfe, Arabie saoudite et Qatar avec une opposition croissante entre le sunnisme et le chiisme, l’intérêt d’Israël soutenu par les États-Unis.

 

 

 

 

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