Pétromonarchies, société et immigration

Par Bruno DREWSKI, maitre de conférence à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), directeur de la revue « La Pensée Libre », Rédacteur de Rubrique politique à Investig’Action, Rédacteur à Outre-Terre – Revue européenne de géopolitique :

PREMIER PANEL
Modérateur : Dr Ali RASTBEEN
COLLOQUE : LA SOCIÉTÉ CIVILE MOYEN ORIENTALE : UN REGARD EUROPÉEN
Actes du colloque
Le vendredi 15 janvier 2016
Organisation Internationale de la Francophonie

La formation des pétromonarchies arabes contemporaines résulte de la présence coloniale britannique qui a dessiné les contours d’entités devenues formellement des États à la fin de l’ère coloniale. Parmi tous les États de la péninsule arabique, seuls le Yémen, Oman et Bahrein ont en fait une réelle tradition historique, tandis que l’Arabie saoudite, elle-aussi créée avec l’aval du colon britannique, a conquis des anciens pays abritant une forte population autochtone, Hedjaz, Asir, Hasa, Chammar. Ce qui explique que nous avons affaire pour ces États à des sociétés anciennes et relativement élaborées sur laquelle, dans le cas saoudien, est venue se plaquer une monarchie récente originaire du Nedj, territoire arabique traditionnellement marginal. Et dans le cas du Bahrein, d’une dynastie issue de la minorité sunnite dans un pays majoritairement chiite. Sur la côte orientale du Golfe persique et arabique, nous avons en revanche surtout affaire à un chapelet de principautés nées du caprice de l’ancien colonisateur qui s’était choisi des relais locaux. Relais bénéficiant pour le moment des mannes de la rente pétrolière et gazière.
Pour ces entités, la crainte omniprésente dans les années 1960/1970 face à la montée des mouvements révolutionnaires liés à la formation d’une classe ouvrière locale et à l’influence de la révolution palestinienne a poussé les monarques locaux à faire appel massivement à une main-d’oeuvre immigrée, sans statut permanent, quasiment sans droits et sans vie familiale. Main-d’oeuvre étudiée au préalable scientifiquement en fonction de ses différentes habitudes culturelles permettant d’imposer des conditions de travail plus ou moins dures, ce qu’on appelle là-bas « la stratégie du confort ajustable ». Ce qui explique une forte proportion d’Asiatiques venant de pays marqués soit par les traditions du système de castes soit de sociétés minées par l’atomisation et l’extrême pauvreté. Et une proportion relativement plus faible d’immigrés venant des pays arabes qui pourraient être plus exigeant.
Dans ce contexte, à côté de cette masse d’immigrés majoritaires en position de précarité et soumis à un « turn-over » constant, les autochtones sont la plupart du temps minoritaires et relativement favorisés, ce qui ne les pousse pas à oser faire montre d’une grande activité politique et sociale. Même si au Koweït et à Bahrein, on constate une plus grande capacité de mobilisation et l’existence d’embryon de société civile organisée. Qui permet au Koweït de jouir de droits démocratiques réels, ce qu’on trouve aussi à Oman, tandis qu’à Bahrein, la mobilisation populaire se heurte à une répression implacable rendue possible par l’occupation du pays par l’armée saoudienne et la présence militaire des Etats-Unis. En fait, dans la région, l’Arabie centrale, qui constitue aujourd’hui un royaume absolutiste vaste et relativement peuplé, pourrait jouer un rôle majeur dans l’éveil de la vie civile, si elle arrivait à dépasser sa situation à mi-chemin entre unpatchworkarchaïque et la formation d’une véritable société, par-dessus les clivages existant, régionaux, tribaux, claniques et religieux.

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