Pas de paix au Moyen‑Orient sans le retour à un monde multipolaire civilisé, régi par le droit

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Michel Raimbaud

Michel Raimbaud est Ambassadeur (retraité), Directeur honoraire de l’OFPRA


Nous assistons de plus en plus aujourd’hui à une évolution de l’ordre international établi à la chute de l’URSS. En effet d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis, nous passons à un monde complexe et multipolaire. Dans ce contexte, le Moyen-Orient revêt une importance particulière. Cet article tente d’établir un lien entre le respect du droit international, l’instauration de la paix au Moyen-Orient et l’ordre international.

We are witnessing more and more today an evolution of the international order established at the fall of the USSR. Indeed, from a unipolar world dominated by the United States, we are moving to a complex and multipolar world. In this context, the Middle East is of particular importance. This article attempts to establish a link between respect for international law, the establishment of peace in the Middle East and the international order.


Contestée, l’hégémonie occidentale est‑elle soluble dans le nouvel ordre en gestation ?

Ordre international et Droit international

Le 27 août 2019, Emmanuel Macron ouvre la conférence annuelle des ambassadeurs. Il entame le traditionnel discours présidentiel devant les responsables et représentants de la diplomatie française par une formule qui fera sensation :

« Nous sommes probablement en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde. Nous nous étions habitués depuis le XVIIIe siècle à l’hégémonie occidentale, sans doute française au XVIIIe, britannique au XIXe et américaine au XXe siècle. (…). Le monde assiste à l’émergence de nouvelles puissances dont nous avions longtemps sous-estimé l’impact – la Chine, la stratégie russe, l’Inde qui émerge (…), des États-civilisations qui viennent bousculer l’ordre politique, l’imaginaire de l’ordre occidental, et rebattre les cartes (…) ».

Évidemment, il ne s’agit pas de traiter en un quart d’heure tous les tenants et aboutissants d’une confrontation internationale dont l’enjeu est la remise en cause de l’ordre instauré il y a trente ans, suite au sabordage de l’URSS. Et le titre de mon intervention n’a rien d’arbitraire : il y a bien une liaison étroite entre la paix au Moyen-Orient, le droit international (civilisé) et l’ordre du monde, actuel ou en gestation.

Un pivot contesté

Pourquoi attribuer une telle importance au Moyen-Orient ? De beaux esprits semblent s’indigner de l’importance donnée à cette région, suggérant de la zapper purement et simplement et de « passer à autre chose ». Ces analystes « à qui on ne la fait pas » invoquent des arguments inspirés par la suffisance habituelle de beaucoup d’élites occidentales, qui estiment que l’Occident « est » l’humanité et que les neuf dixièmes restants ne sont guère que des figurants, notamment s’ils sont arabes ou musulmans.

Les Arabes constituent la majorité de la région (430 millions d’arabophones en 2022), mais on n’y compte aucune puissance « dominante ». Certains invoquent la perte de l’importance stratégique du gaz et du pétrole (discutable), d’autres le chaos prévalant dans ce vaste ensemble (oui, mais créé par qui ?), et d’autres encore la difficulté à établir ou rétablir une relation confiante avec les gouvernements et les peuples (en faisant semblant d’oublier la colonisation), etc.

Dans ces conditions, pourquoi donner une place centrale au Moyen-Orient (Syrie, Liban, Irak, Palestine, Égypte) et à des pays déstabilisés et souvent ruinés ? Et nos stratèges en chambre de vanter les mérites du « pivot » annoncé durant le deuxième mandat d’Obama, une stratégie consistant à délaisser le Moyen-Orient (après l’avoir détruit) pour aller « vers la Chine », ce qui impliquerait implicitement de reléguer au second rang la Russie, l’ennemi numéro un de la guerre froide, mais aussi d’aujourd’hui, comme le démontre l’actualité. Ce « pivot » est bien improbable, ne serait-ce qu’en raison de la présence d’Israël, fondé de pouvoirs et véritable « cœur battant » de l’Amérique.

Quelle pertinence géopolitique ?

Le Moyen-Orient ? C’est une affaire de géopolitique. Sans « jargonner », je rappellerai les fondamentaux de cette discipline, définis par des auteurs anglo-saxons, produits des « Empires de la Mer », ancrés dans les Iles off shore et les Territoires périphériques : les Iles britanniques, les Amériques, l’archipel japonais, l’Australie, etc., puissances maritimes sensibles à l’appel du grand large et à l’esprit de conquête.

– Au début du xxe siècle (1919), le Britannique Halford Mackinder expose sa théorie du « Pivot » de l’Ile-monde, correspondant à l’espace russo-sibérien (qui contrôle « le Pivot » peut contrôler l’Ile-monde : i. e. les trois continents de l’ancien monde).

– En pleine Seconde guerre mondiale (1942), l’Américain Nicholas Spykman élabore le concept de « Rimland » (la ceinture), qui enserre le « Pivot » : on y trouve la Chine, la « ceinture » verte arabe et musulmane, l’Europe continentale. Cette ceinture constitue un glacis pour le Pivot, où il peut se faire des alliés ou clients.

– Pour la géopolitique, les « empires de la mer » candidats à la domination du monde doivent investir le « Pivot » russo-sibérien et contrôler les États du Rimland, empêchant toute alliance entre ces derniers et le Pivot…

[…]

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