L’extraterritorialité ā la lumière du choix entre ordre international et ordre mondial.

Par Jure Georges Vujic

Écrivain franco-coate et géopoliticien, Avocat au Barreau de Paris, il est diplômé de la Haute école de guerre des forces armées croates. Il dirige l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb (Croatie). Il est l’auteur de plusieurs livres dans les domaines de la géopolitique et de la politologie, parmi lesquels : Fragments de la pensée géopolitique (ITG, Zagreb),  La Croatie et la Méditerrannée, aspects géopolitiques (éditions de l’Académie diplomatique du Ministère des Affaires étrangères et des Affaires européennes, Zagreb, 2006), Eurasie contre Atlantisme (éditions Minerve, 2012), La modernité face à l’image – Essai sur l’obsession visuelle de l’Occident, (Ed. L’Harmattan, Paris, mai 2012). Il collabore à la revue Géostratégiques de l’Académie de géopolitique de Paris.

Résumé:

La question des sanctions et de leur extraterritorialité  qui se trouve au cœur d’un bouleversement du Droit international public, reste intimement liée ā la question du choix du modéle de l’odre international, entre d’une part l’ordre mondial et l’ordre international d’autre part, lesquels au de lā de la dimension juridique et politique,  constituent comme l’avait souligné le philosophe Michel Foucault deux épistémès , deux  conceptions du monde diffrentes, . dans la manière de percevoir la communauté internationale  et de régir les relations entre les Etats. L’interventionnisme unilatéral des grandes puissances  et leur ingérence systématique dans les affaires intérieures des Etats souverains  sous les diverses formes de sanctions, de rétorsions, d’ingérence humanitaire, de guerres proxy-irrégulières, prouvent  au fil de la genèse  et l’évolution des relations internationales depuis l’ordre Westphalien du droit des gens, de „l’équilibre des puissances“ et surtout depuis la conception Wilsonnienne de la société des nations et de l’ ordre ONU-sien,   l’influence majeure de la philosophie politique constructiviste et positiviste  sur les relations relations internationales au profit du modéle de l’Ordre mondial. 

Summary

The question of sanctions and their extraterritoriality, which lies at the heart of an upheaval in public international law, remains closely linked to the question of the choice of the model of the international order, between the world order and the international order. The international order on the other hand, which on the one side of the legal and political dimension, constitute, as the philosopher Michel Foucault pointed out, two” epistemes”, two different conceptions of the world, in the way of perceiving the international community and governing relations between states. The unilateral interventionism of the great powers and their systematic interference in the internal affairs of sovereign states under various forms of sanctions, retaliation, humanitarian intervention, proxy-irregular wars, prove throughout the genesis and evolution of international relations since the Westphalian order of the law of gens, of the « balance of the powers » and especially since the Wilsonnian conception of the society of the nations and the UN-his order, the major influence of the constructivist political philosophy and positivist on international relations in favor of the model of the world order.

Keywords: world order, international order, extraterritoriality, international society, geopolitics,

Ordre mondial et ordre international : deux « épistémès » du monde différentes

Il convient de rappeler que les dilemmes et les controverses autour du choix entre un ordre interétatique fondé sur le respect de l’égalité et de l’égalité des États ou de l’ordre unifié supranational au sein d’un » gouvernement mondial « sont en fait, depuis la fin de l’ordre Westphalien, intimement liés dans  l’ensemble des cercles politiques et scientifiques,  ā la préoccupation d’instaurer un modèle stable et  viable de coexistence pacifique entres Etats ( une sorte de réglement  de locataires dans une « maison commune »)tout en entérinant  le rapport de force inter-étatique   dans un contexte géopolitique donné et précis. . Cependant, si nous prenons en compte le fait que toute  ordre international  représente une  conception  et une projection spécifique  de l’Oikos, (maison commune)  dans  un temps et espace donné, alors se pose la question de savoir si une tel ordre international est principalement basé sur les principes d’équité et d’égalité entre tous les membres de cet  Oikos commun, cette communauté internationale, où tout simplement un instrument de mise en œuvre d’une volonté d’hégémonie  géopolitique au sein d’une maison commune ?  Or il est important important de souligner que l’ordre mondial  contemporain ne constitue une construction sui generis ni en tant que résultat  d’un processus évolutif ou déterministe de modèles successifs de relations internationales , mais au contraire constitue l’aboutissement  d’un long processus de transformation de l’ancien model inter-étatique international post-Westphalien vers un la consécration du modèle supranational unifié de l’ordre mondial. Sur un plan théorique proche de l’interprétation réaliste, l’ ordre international, consititue un système, une « société » dont les acteurs ou les unités les plus importantes sont les États-nations, ce qui renvoie a un principe clés de l’ordre westphalien : la souveraineté nationale et, par conséquent, l’absence d’autorité supérieure à elle, d’où la situation d’anarchie (au sens étymologique) des relations internationales. Raymond Aron estime dans cette perspective que   les relations internationales ne peuvent connaître que deux états : la guerre ou la paix. « La paix nous est apparue, jusqu’à présent, comme la suspension, plus ou moins durable, des modalités violentes de la rivalité entre unités politiques. On dit que la paix règne quand le commerce entre nations ne comporte pas les formes militaires de la lutte. » Ainsi cette conception aronienne de la paix est proche de l’ordre interétatique dans la mesure où elle comprend « trois types de paix, équilibre, hégémonie, empire : en un espace historique donné, les forces des unités politiques sont en balance, ou bien elles sont dominées par celles de l’une d’entre elles, ou enfin elles sont surclassées par celles de l’une d’entre elles au point que toutes les unités, sauf une, perdent leur autonomie et tendent à disparaître en tant que centres de décisions politiques. L’État impérial, finalement, se réserve le monopole de la violence légitime » (Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 8e éd., 1984, )

D’un autre cȏté, en faisant référence à l’Organisation des Nations unies (ONU) et à la Société des Nations (SDN), Hedley Bull, l’un des chefs de file de l’École anglaise, élabore une distinction entre ordre international et ordre mondial à partir d’une approche pourtant traditionnelle, c’est-à-dire interétatiste, de la “ world politics ”( Hedley Bull, The Anarchical Society. A Study of Order in World Politics, Londres, Macmillan, 1977). Un système international existe dès lors que « deux États au moins sont en contact et interagissent de telle sorte qu’ils sont des facteurs nécessaires dans les calculs de l’autre ». Ce système devient une « société internationale » au sens premier, c’est-à-dire une « société d’États », lorsque un groupe d’États, conscients de certains intérêts communs et de valeurs communes, forment une société dans la mesure où ils se conçoivent comme limités dans leurs relations les uns avec les autres par un ensemble commun de règles et participent à l’activité d’institutions communes ». Selon lui, alor que l’ordre international est fondamental et primordial,  l’ordre mondial,  lui serait  moralement supérieur à l’ordre international » puisque ses valeurs sont celles de toute l’humanité, et pas seulement celles qui priment dans la société internationale, ce qui renvoie aux « biens publics mondiaux » ( “ global public goods ”)  lesquels comprennent, outre les droits de l’homme, la justice pénale internationale et surtout l’environnement naturel . John W. Burton  (W. Burton John Wear Burton, World Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1972), mettra en exergue l’émergence d’une « société mondiale » avec  l’ l’intrusion des acteurs non étatiques sur la scène mondiale (et par conséquent plus seulement internationale). L’émergence de cette société mondiale marquerait  le glissement de la globalisation-mondialisation économique et technologique vers la mondialité, un fait social total qui  serait le résultat du progrès des communications et de la mondialisation du capitalisme au niveau planétaire.

 Les différents discours de légitimation ont joué un rȏle important dans le choix et la détermination parfois arbitraire  de » l’ordre mondial » ou le « désordre mondial ». À travers l’histoire, la perception de l’ordre et du désordre dans la communauté internationale a varié: un ordre impérial articulé autour d’un centre hégémonique de dimension continentale ou régionale, puis un système équilibré visant à empêcher l’instauration de toute forme d’hégémonie ,cet équilibre prenant les formes d’accords et de compromis inter-étatiques, comme le fameux « Concert des nations » ou l’ordre de « la  paix armée « de type  Bismarckien, ou l’ordre bipolaire de la guerre froide. Le modéle de l’ordre mondial et supranational, inauguré ā la fin de la première guerre mondiale,   résulte d’une aspiration idéaliste et constructiviste, telle que la Société des nations  Wilsonnienne , l’ordre ONU-sien des relations internationales, après la seconde guerre mondiale..  D’autre part, l’histoire des relations internationales dans un contexte spatio-temporel donné est toujours  le reflet des relations de force,  d’équilibre des pouvoirs ou de situations d’hégémonie. Ainsi, il existe une multitude de  paradigmes géopolitiques qui représentent une certaine organisation géopolitique du monde et qui découlent des discours géopolitiques et des guerres symboliques de représentations  géopolitiques,  le plus souvent idéologiques: le monde unipolaire américanocentré, la théorie de « fin de l’histoire » de Fukuyama, le paradigme du monde multipolaire, le paradigme du « choc des civilisations » Huntingtonnien, le paradigme « Nord-Sud », la théorie de l’ordre a-polaire.

L’ordre post-Westphalien de la  société des nations « Wilsonienne, ainsi que  les expériences du « Nouvel ordre mondial » anglo-américain des années 1990 avec la parenthèse néoconservatrice unilatéraliste de l’administration Bush,  reflètent en réalité la consécration et la suprématie du projet idéaliste et universaliste politique hérité de la Révolution française, qui visait à construire de manière constructiviste un ordre mondial plus ordonné, non plus  ordonné  autour d’un « Polis »  différencié et enraciné,  mais autour d’un « Kosmopolis » abstrait, supraterritorial et constructiviste,  privé de toute localisation territoriale, de topos concret , et en fait libéré d’ un ordre tellurique spécifique, de que Carl Schmitt appelle un »Nomos » de la terre . À cet égard, il n’est pas étonnant que Carl Schmitt, dans le « Nomos et la Terre », s’est opposé à cette conception positiviste de l’ordre mondial (mise en exergue en particulier par la critique Schmittienne de l’influence d’Auguste Comte et de Hans Kelsen sur la création d’un cadre normatif positiviste pour les relations entre États). Au contraire de l’ordre mondial qui corresponderait ā la conception Schmittienne de l’ordre anglosaxon thalassocratique, l’ordre européen continental du jus puplicum europeanum,  repose sur compréhension de l’ordre international basée sur les réalités concrètes de l’enracinement de la terre. Le concept Schmittien du Nomos de Schmitt (en tant que contraction  sémantique entre la notion de  nomos (loi) et de  l’allemand der Erde – la Terre) suppose qu’aucune institution (étatique ou même internationale) ni aucune législation ne peuvent exister sans enracinement préalable dans le nomos de   la terre, la terre étant génératrice d’un droit préalable , préexistant au droit positif.  Schmitt, en sa qualité de défenseur des principes du droit public européen, est un critique acerbe de l’ordre mondial cosmopolite et constructiviste, qui repose davantage sur des traditions juridiques distinctes, mais aussi sur des normes supranationales universalistes et unidimensionnelles. Il considère que  l’ordre mondial constructiviste est le fruit de la pensée  « extra-terrestre » et artificialiste qui  depuis la Révolution française jusqu’à la « Société des nations » Wilsonienne » et l’ordre international ONUsien ,   nie la pluralité de l’ordre juridique et spatial.  Cette rupture épistèmoligique avec  l’ordre interétatique européen,  est concomitante avec le rejet de la conception théologique et juridique de la figure de l’ennemi en tant que justus hostis, en tant qu’ennemi légitime dans la guerre, en faveur de la conception sécularisée post-westphalienne de l’ennemi en tant qu’ennemi criminalisé à éliminer par tous les moyens. En raison de l’absence d’un ordre international clairement visible et stable, le monde est confronté au chaos qui s’oppose au nomos (ordre juridique étatique ancré dans le sol). Le chaos que certains politologues associent au modèle a-polaire de l’ordre international en tant que processus anarchique de dissolution, parfois visible, parfois latent et difficile à comprendre. La guerre moderne au nom de la démocratie du marché devient une nouvelle forme de « guerre juste » mondiale où l’ennemi est moralement discrédité et criminalisé et doit définitivement être détruit au nom de « la véritable humanité » qui repose sur la nouvelle religion des droits de l’homme. La forme contemporaine de la guerre mondiale est éminemment une forme de « guerre juste et universelle » qui est essentiellement discriminatoire et dérogatoire au regard du droit international. Il n’est donc pas étonnant de chercher sa légitimité juridique en dehors du cadre classique du droit international. Au nom du droit d’ingérence et d’extraterritorialité,  qui nie le principe de souveraineté des Etats, les démocraties contemporaines diabolisent leurs ennemis pour légitimer leur intervention en raison d’intérêts géopolitiques sous couvert d’établissement de la démocratie et des droits de l’homme. Carl Schmitt estime en particulier qu’insister sur un idéal universaliste abstrait de paix durable ne suffit pas pour établir un ordre international durable, l’ordre de la société  des nations Wilsonnien est en contradiction avec le principe de « paix juste »,  alors que plus tard  a partir de 1945 . et la paix des grands  gagnants  le principe de « guerre juste discriminatoire » sera promu en tant que règle pratique , le plus souvent dérogatoire au droit public international. La chute du mur de Berlin en 1989 et les attentats du 11 septembre 2001 ont ouvert un nouveau chapitre de la quatrième guerre mondiale, une guerre asymétrique contre un ennemi islamique invisible. Le nouvel ordre mondial est un concept géopolitique qui a émergé immédiatement après la fin de la guerre froide et marque la période d’alignement idéologique et politique des gouvernements mondiaux et des organisations internationales sur l’unilatéralisme américain. Aujourd’hui, ce terme sert souvent à légitimer la consolidation de la gouvernance mondiale. L’autre trait distinctif de cet ordre mondial supranational contemporain est l’irruption dans les relations internations des acteurs non étatiques (ONG, corporationsmultinationales  et firmes mondiales) dans une perspective transnationale. Selon J. N. Rosenau, nous sommes à l’ère du “ post-international politics ”, c’est-à-dire que les États ne sont plus les seuls acteurs sur la scène mondiale. Le « système stato-centré » est au contraire confronté à la constitution d’un système parallèle, « multi-centré », aussi « puissant mais plus décentralisé » (James N. Rosenau, Turbulence in World Politics. A Theory of Change and Continuity, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1990).

De l’extraterritorialité  juridique a l’irrégularité militaire

La disproportion entre la quasi-inexistence d’une extraterritorialité  juridique européenne et la prédominance de l’extraterritorialité du droit américain en Europe en dans le monde surtout dans le domaines des sanctions internationales économiques, démontrent  ā quel point l’ordre mondial est instrumentalisé par les grandes puissances, le plus souvent par les Etats-Unis.

En vertu l’extraterritorialité du droit américain , les Etats Uni se donnent ous les auspices du droit international public et l’assentiment de la communauté internationale, la droit d’édicter des normes applicables à des personnes, physiques ou morales, non américaines, et cela dans des domaines divers comme celui de la corruption internationale où les standards américains se sont imposés grâce à une application récurrente du Foreign Corrupt Practice Act (FCPA), adopté en 1977. Cet acte permet aux autorités américaines, notamment le Department of Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC), de sanctionner des entreprises ayant commis des faits de corruption internationale pouvant se rattacher au pouvoir juridictionnel des Etats-Unis.. Ce texte a permis aux Etats-Unis de sanctionner plusieurs entreprises européennes : Siemens en 2008, Technip en 2010, Alstom en 2014… En 2018, Sanofi a été contrainte de payer une amende d’environ 25 millions de dollars en 2018, au titre du FCPA. Dernière affaire en date, Airbus serait sous le coup d’une procédure judiciaire américaine pour corruption. Dans le domaine des sanctions économiques internationales, l’extraterritorialité  permet sous la forme de pression diplomatique et économique d’étouffer l’économie d’un pays souverain, et les Etats Unis ont  seuls le quasi-monopole de cet outil de pression extraterritorial, mesures de sanction et de rétorsion qui sont assimilables à des mesures de guerre économique et qui devraient en théorie être prises au sein d’une organisation multilatérale comme les Nations unies (ONU). Le Conseil de sécurité de l’ONU peut notamment prendre des sanctions économiques contre un pays pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Lorsque l’un des Etats adopte des sanctions économiques plus importantes que l’organisation, ces dernières peuvent alors être qualifiées de décisions individuelles de rétorsion, ou encore de contre-mesures. C’est précisément ce que font les Etats-Unis en décidant unilatéralement d’interdire aux autres Etats le commerce avec un Etat tiers, comme c’est le cas avec l’Iran aujourd’hui et comme ce fut le cas pour Cuba en 1996 (.voir article : https://www.touteleurope.eu/actualite/extraterritorialite-du-droit-americain-l-europe-face-aux-etats-unis.html)

Le concept d’extra-territorialité en tant que lex specialis  risque de légitimer la constitution ou la reconnaissance de puissances heégeémoniques au niveau international, et de légitimer  les  expanssions territoriales et les pressions économiques, sous pretexte du devoirs d’ingerence humanitaire ou sous le couvert de „l’obligation de protéger les civils“. C’est ce qui s’est passé avec l’instrumentalisation de cette extraterritorialité durant l’administration de Bush après le 11. septembre sous prétexte de „guerre contre le terrorism“e. Avec  l’application militaire de la théorie du  « chaos contrôlé » ou du « chaos constructif » en Irak et au Moyen orient,  la nouvelle administration néoconservatrice a tenté de redéfinir la notion de guerre, qui marque un glissement conceptuel de guerre préventive vers la notion de « guerre irrégulière ».

Les Etats-Unis entendent prendre de l’avance en ce qui concerne ce qu’on appelle communément les guerres « asymétriques » du futur, à supposer qu’elles ne soient pas déjà engagées comme celle d’Afghanistan où l’armée américaine, avec ses alliés, tente sans succès jusque-là de réduire une insurrection ou plus clairement une opposition armée. Une directive d’importance stratégique du Pentagone qui a été signée par le vice-secrétaire à la Défense, Gordon England, qui déclare que « la guerre irrégulière est stratégiquement aussi importante que la guerre traditionnelle », et affirme la nécessité d’« améliorer les compétences (du Pentagone) en matière de guerre irrégulière ». Ainsi la notion de « guerre irrégulière » contre des insurgés et des terroristes, est mise au même plan que la « guerre conventionnelle » entre Etats. Le 10 janvier 2007., le président Bush annonçait une nouvelle stratégie militaire pour l’Irak appelée « the surge » (« la montée en puissance »). Dans le guide des pratiques contre-insurrectionnelles (Counter-Insurgency Guidance) (2),le général Petraeus donne les instructions suivantes : « Mettez-vous au service de la population et assurez sa sécurité », « vivez au contact de la population locale », « promouvez la réconciliation », « marchez », « nouez des relations avec la population », « utilisez l’argent comme une arme », « responsabilisez vos subordonnés ».

Ce qui n’est pas une guerre de type conventionnel. En possession d’une position hégémonique incontestée, les États-Unis ont mené quatre guerres inter-étatiques de types conventionnels majeures depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, les deux guerres contre l’Irak (celle de 1991 et celle de 2003), celle contre la Serbie (1999) et celle contre l’État taliban (2001-2002). En outre, ils ont recouru à la force en Somalie (1992-1993), en Bosnie (1995) et menacé d’intervenir en Haïti (1996). Contrairement à de nombreuses prophéties insistant sur l’existence d’interdépendances multiples conduisant à la disparition progressive des conflits armés classiques, la guerre conventionnelle est donc loin d’être morte. La redéfinition conceptuelle américaine de « guerre irrégulière » n’est un épiphénomène conceptuel et pragmatique d’une « guerre impériale globale » étasunienne en panne de moyens financiers et de « ressort offensif » et de légitimité internationale. Ainsi, la théorie de l’équilibre de l’offensive et de la défensive est susceptible d’éclairer l’incitation des États-Unis à marquer une pose dans la stratégie « préemptive » te d’entamer une phase défensive de « guerre irrégulière ». l’efficacité d’une posture offensive américaine est largement critique et remise en cause par de l’élite politique américaine et la communauté internationale. En d’autres termes, les conditions « matérielles » a elles seules ne facilitent mais ne déterminent pas une attitude américaine offensive. D’autres facteurs plus subjectifs, comme l’opinion publique nationale et internationale, l’identification avec les pays européens et la confiance accordée dans la coopération contre le terrorisme jouent également un rôle. Tous les réalistes s’accordent cependant sur l’idée que la suprématie incite l’“hegemon“ à multiplier ses revendications adressées à la communauté internationale. Il semble que l’ hypothèse de la « guerre par inflation » étatsunienne des revendications hégémoniques qui éclairait partiellement les confrontations armées dans l’après guerre-froide., semble aujourd’hui obsolète ou les forces américaines engagées dans le monde sur plusieurs fronts ne semble plus gérer leur situation stratégique d’hegemon. . L’image que les dirigeants américains ont de leur nation – chapel of the hill ou manifest destiny – détermine ainsi en grande partie la définition conceptuelle de « guerre juste », « guerre contre le terrorisme » et leur préférence pour des interventions extérieures ou leur rejet de celles-ci. D’autre part L’usage de la force est également inhibé par l’identité organisationnelle de l’armée américaine, plus attachée à l’ethos du combattant héroïque qu’au référentiel du soldat « polyvalent » assurant des missions de miliciens d’opération de maintien de l’ordre et pouvant assumer des tâches plus civiles lors des opérations du maintien de la paix. Enfin la réticence de l’armée à consentir des pertes lors des opérations militaires limite l’ardeur interventionniste des États-Unis. L’administration Obama avait anticipé sur de nouveaux foyers d’insurrections et entendait les reclasser sous ce label de guerres insurrectionnelles ou guerres terroristes dans l’espoir de cimenter l’Alliance américaine qui est impliquée dans le conflit en Afghanistan. Les conflits dans le monde islamique s’intensifient, depuis les Philippines et l’Indonésie jusqu’au Maghreb. De nouvelles guerres pourraient bien être en gestation dans toute cette immense zone. Cette constellation conflictuelle internationale s’ajuste mal avec la doctrine de la Domination à tous les Niveaux (Full Spectrum Dominance), qui était la doctrine militaire officielle des États-Unis durant ces dernières années » Cet objectif de force commune du futur, annonçaient-elles dans leur « Vision commune 2020” publiée en juin 2000, s’accomplira à travers la domination à tous les niveaux – la capacité des forces américaines, opérant unilatéralement ou en combinaison avec des partenaires et des services spéciaux multinationaux, à défaire n’importe quel adversaire et à contrôler n’importe quelle situation à travers une gamme complète d’opérations militaires. ”

Littérature et notes :

-James N. Rosenau, Turbulence in World Politics. A Theory of Change and Continuity, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1990,

-Susan Strange, States and Markets, Londres, Pinter, 1988, et Susan Strange, « Toward a Theory of Transnational Empire », in Ernst-Otto Czempiel,

– James N. Rosenau, Global Changes and Theoretical Challenges. Approaches to World Politics for the 1990’s, Lexington (Mass.), Lexington Books, 1989

-Gérard Dussouy, Traité de relations internationales, tome III : Les théories de la mondialité, 2009

-Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 8e éd., 1984, -Hedley Bull, The Anarchical Society. A Study of Order in World Politics, Londres, Macmillan, 1977

-Carl Schmitt, Le nomos de la terre, Traduction Lilyane Deroche-Gurcel, revue par Peter Haggenmacher, PUF, coll. Quadrige, 2008

-John Wear Burton, World Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1972

-Seyom Brown, New Forces, Old Forces and the Future of World Politics, Glenview (Ill.), Scott/Foresman and Co., 1988,

Articles et liens:

-https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-2-page-99.htm

https://www.touteleurope.eu/actualite/extraterritorialite-du-droit-americain-l-europe-face-aux-etats-unis.html)
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