L’Europe dans ses neutralités géohistoriques

Jean Paul CHARNAY

Juillet 2006

Neutralité :

  • ne pas s’engager dans un conflit
  • droit de ne pas choisir un camp
  • obligation de ne pas favoriser un camp

Fait d’expérience, la neutralité apparaît dans toutes les situations et toutes les civilisations. Pour l’Occident moderne, ce sont les préoccupations de sécurité commerciale qui ont déterminé les règles maritimes : les belligérants ont-ils le droit de s’emparer de marchandises neutres trouvées sur un vaisseau ennemi ? Ont-ils un droit de visite sur les navires neutres pour y saisir des marchandises ennemies et les contrebandes de guerre ? Un belligérant a-t-il le droit de réquisitionner dans ses ports (aéroports,…) des navires, des aéronefs neutres au cas où il en aurait stratégiquement besoin (droit d’angarie) ? En quelle mesure le pavillon couvre-t-il ou non la marchandise ?

Les premières règles s’institutionnalisèrent peu à peu au Moyen Age par le commerce ultramarin des cités marchandes italiennes (Venise, Gênes, Amalfi, Pise,…) avec l’Orient, et par celui des cités baltiques (Lùbeck, Hambourg, Riga,…) désireuses de s’opposer aux prétentions danoises bloquées par la paix de Stralsund (1370), l’Union scandinave de 1397 (Ligue de Kalmar entre Suède, Norvège, Danemark explosa en 1523. Puis Pologne et Lituanie, se lancèrent dans les guerres de l’Europe Septentrionale.

Première phase : Protection du commerce et liberté des mers

Ainsi furent recueillies en compilation les pratiques de la Ligue Hanséatique en Baltique (13e-15e siècles) : le Consulat de la Mer, règles accommodées à leur profit par certaines monarchies (ordonnance de 1543 de François 1er).

À l’autre extrémité, méridionale, de l’Europe, les Espagnols et les Portugais étaient les premiers partis par l’Ouest conquérir les richesses de Cipango : la Chine, l’Inde ; plutôt commerçants que colonisateurs. Mais ils avaient découvert ce qui serait l’Amérique (1507). Quatre bulles (1493) d’Alexandre VI Borgia, et le Traité de Tordesillas (1494) … avaient attribué à l’Espagne l’ouest du nouveau continent et l’est au Portugal. Ainsi était réalisé à leur profit une sorte d’isolationnisme, de monopole neutralisant l’action des autres monarchies : la France équinoxiale des Valois (San Luis) du nord-est du Brésil n’y survivra pas.

De même, l’Afrique avait été contournée, et les Portugais en interdisaient les rêves est aux navires des autres puissances. Mais un siècle plus tard, la Hollande étant devenue une forte nation navale et mercantile au cours de la guerre de Trente ans, Grotius affirme le droit d’un Etat neutre de protéger son commerce, à condition de refuser avec impartialité toute livraison d’armes de guerre à l’un quelconque des belligérants, des mesures devant êtres prises en ce qui concerne les denrées et les matériaux.Il publie en 1609 son traité Liberim Mare, mais l’Angleterre revendique le droit d’exercer son contrôle sur toutes les côtes de l’ »Océan britannique », ce fut le Clausum Mare de Selden (1635). L’Angleterre par droit naturel (sa position insulaire) et le consentement des autres nations affirme sa souveraineté et sa juridiction sur les mers. Alors que la doctrine de la « mer libre » affirme la prépondérance du commerce des neutres sur l’état de nécessité invoqué par les belligérants.

Au cours du XVIIIe siècle, l’ascension de la Prusse et de la Russie au rang de grandes puissances européennes, le déclin suédois et les partages de la Pologne entraînent le remodelage de l’Europe du Nord. L’Angleterre qui perd la guerre contre les Insurgent américains veut interdire l’accès de navires neutres aux ports français. Arguant du principe de la liberté des mers, Catherine II conteste et conclut avec la Suède et le Danemark la Ligue de neutralité armée (1780). Les Neutres ont le droit d’utiliser leurs armes contre des contrôles ou des interdictions abusives nuisant à leur commerce. La Ligue fut réanimée avec la Prusse en 1800 par Paul 1er avec des succès mitigés.

Par le blocus continental (à partir de 1806), Napoléon voulait interdire les ports européens aux navires anglais : le commerce russe imposa à Alexandre 1er son refus de le respecter (1811). Napoléon avait dû admettre officieusement bien des exceptions à son isolationnisme continental, mais se lança cependant dans la désastreuse campagne de Russie. Après Trafalgar et Waterloo, et sous réserve des règles de neutralité maritime, l’Angleterre pouvait « rule the waves », mais l’équilibre européen suscitait des neutralités territoriales.

Deuxième phase : stabilité européenne et isolationnisme pan-américain

Sur l’immense arc de cercle courant des bouches de la Meuse Golfe de Gascogne par les Flandres, les Ardennes, la Vallée du Rhin, les Vosges, les Alpes, le Piémont, les Baléares, les Pyrénées, les luttes entre la France et l’Empire, les Valois et les Habsbourg, avaient progressivement supprimé les Etats interstitiels. Etaient partagés ou tombés d’un côté ou de l’autre : les Basques, les Catalans, le royaume de Majorque, la Provence, le Dauphiné, la Savoie, la Bourgogne, la Franche-Comté. Sur la faille lotharingienne étaient demeurés la Suisse, le Luxembourg, les Pays-Bas.

Après les guerres de la Révolution et de l’Empire, les découpages assez incohérents du Congrès de Vienne avaient été sous-tendus par la mystique Sainte-Alliance d’Alexandre (et de la Baronne de Krùdener) conclue « au nom de la Très Sainte et Indivisible Trinité » entre la Russie, la Prusse et l’Autriche, et le rêve utopique d’une paix chrétiennement orientée et rendue plus pragmatique par la Quadruple alliance (pacte Castlereagh) associant l’Angleterre et prévoyant le « système des congrès » contre les mouvements révolutionnaires : système qui se bloqua rapidement, car déjà le Congrès d’Aix-la-Chapelle (1818) libérant le territoire français de l’occupation alliée, établissait d’une manière plus profane, cette Pentarchie (la France réintroduite dans le concert européen) dont chaque partie tenterait d’infléchir l’équilibre à son profit.

Le Congrès de Vienne pourtant s’efforçait de stabiliser l’Europe en édictant la neutralité perpétuelle de la Suisse. À la fin du XVe siècle, les Cantons avaient, avec la politique de Louis XI, brisé le rêve des grands ducs de Bourgogne : constituer une puissance entre la France et l’Empire, une nouvelle Lotharingie, et l’infanterie suisse (la « bataille » suisse) tenait les champs de bataille. Mais François 1er la battit à Marignon (1515). Les Confédérés abandonnèrent alors tout grand projet de politique étrangère et conclurent avec la France la « paix perpétuelle » qui l’assurait contre les prétentions des Habsbourg, tout en lui laissant le droit de laisser lever des mercenaires sous capitulations par des souverains étrangers, mais sans entrer eux-mêmes dans les guerres, mais en organisant pour eux une armée fédérale défensive : statut entériné par les Traites de Westphalie (1648).

La « paix perpétuelle » avec la France dura jusqu’à la Révolution et curieusement ce furent des régiments suisses qui illustrèrent deux événements symboles. À Nancy (armée de Bouillé) en août 1790 le régiment de Châteauvieux se mutina contre la rapacité de ses officiers : les meneurs furent envoyés au bagne de Brest, puis honorés à la Fête de la Liberté (15 avril 1792) où, selon la tradition fut choisi la devise « Liberté, égalité, fraternité » ; et où le bonnet rouge des forçats, sorte de bonnet phrygien devint la coiffure des sans-culottes – et de la République. À l’inverse au 10 août 1792, lors de la prise des Tuileries détruisant la vieille monarchie, les Gardes Suisses massacrés avaient été les derniers à se battre pour un roi de France. Transformée en république helvétique (« république-sœur ») le 22 mars 1798, la Suisse perd sa neutralité. Mais le Congrès de Vienne ré-instaure une zone de neutralité territoriale perpétuelle pour la Suisse (Déclaration des Puissances du 20 mars 1815, acceptée par la Diète helvétique le 27 mai 1815) ; puis par la Belgique se séparant des Pays-Bas en 1830, neutralité étendue à son Congo par le Congrès de Berlin (1885).

Restait le problème de la Diagonale Tragique de l’Europe. Après les guerres suédoises des XVIIème (Gustav-Adolf) et XVIIIe (Charles II) siècles, la Scandinavie semblait se retirer des conflits européens. Après les bouleversements napoléoniens, Bernadotte avait acquis la Norvège par son

entrée en guerre aux côtés des Alliés en 1813, mais pratiqua ensuite une politique de neutralité, reprise par la Norvège récupérant son indépendance en 1905. Ainsi s’apaisait le nord de la Diagonale Tragique de l’Europe, tandis que son sud demeurait incandescent par les guerres balkaniques.

Mais l’indépendance acquise par les colonies européennes d’Amérique allait soustraire à la « juridiction », à l’interventionnisme de la vieille Europe, l’ensemble du Nouveau Monde – hormis les colonies subsistantes. Les premiers les Etats-Unis affirmaient leur isolationnisme déjà préconisé par Washington, formulé par la doctrine de Monroe (1823), se libérant de 1800 à 1830, les colonies espagnoles ne parvinrent pas à se fédérer en un vaste ensemble qui eut été un contrepoids aux Etats-Unis. Ce fut le rêve brisé de Simon Bolivar au Congrès de Panama en 1826 : une « union amphictyonne » de nations-sœurs, à l’image des anciennes cités grecques. Face au colosse nord-américain qui, contre le Mexique hispanisant, portait sa frontière sur le Rio Grande, les républiques latines entraient dans une longue phase de conflits frontaliers et de révolutions internes. Pourtant avait lieu en 1885 à Washington la première conférence panaméricaine proclamant le principe de non-intervention réciproque entre les deux rives de l’Atlantique. Alors les internationalistes latino-américains forgèrent les principes d’un Droit international américain (du chilien Alexandre Alvarez, 1910) qui postulant l’égalité souveraine des Etats, l’interdiction des conquêtes (règle de l’uti possidetis juris : respect des anciennes frontières coloniales), mise de la guerre hors du droit et l’obligation de résoudre les différends par des moyens pacifiques ; principe de non-intervention à l’extérieur et de l’extérieur ; un système de sécurité collective : tout agressé recevra l’aide de tous les autres membres en fonction de leur possibilité. Outre le refus de l’intervention diplomatique ou militaire des gouvernements soutenant leurs ressortissants ou protégés, cela avait été le prétexte de l’expédition française en Mexique (1811-1867), Napoléon III souhaitant la mise en valeur de l’Amérique centrale par une grande puissance latine et catholique face aux Etats-Unis.

Aussi la clause Calvo (de l’argentin Carlos Calvo) précisa qu’en cas de révolution ou guerre, les étrangers s’estimant lésés devraient s’adresser aux tribunaux du pays d’accueil. Doctrine appuyée par la doctrine de l’argentin Luis Maria Drago, prohibant le recouvrement des dettes d’un Etat américain par la force, fut-ce un simple blocus, et ce en vertu du principe de proportionnalité de la sanction par rapport au dommage supposé être subi.

Troisième phase : Organisation internationale et violation stratégique (1856-1914)

Mettant fin à la Guerre de Crimée, le traité de Paris fut accompagné d’une Déclaration (1856) réglementant les conditions du blocus, de la course, de la répression de la contrebande ; durant la guerre, Napoléon III n’avait délivré aucune lettre de marque à des corsaires. Mais durant la Guerre de Sécession survint l’affaire de l’Alabama. Ce corsaire sudiste avait été armé en Angleterre et mena une fructueuse guerre de course contre les navires marchands nordistes, les ruses de guerre obligeant les uns ou les autres à des transferts de pavillon. Il fut finalement coulé par le moniteur nordiste Keasarge le 19 juin 1864, après s’être réfugié à Cherbourg, dont il sortit selon les règles. Mais le gouvernement britannique fut condamné à une lourde amende par une commission internationale (Genève 1870) pour son défaut de neutralité ayant porté atteinte aux commerces nordistes.

La même année 1870 s’était formée une Ligue des Neutres (Russie, Grande Bretagne, Italie) en fait dirigée contre la France qui fit croisière en Baltique. Mais les Règles de Washington (1885) interdirent l’armement de navires de guerre dans les eaux juridictionnelles neutres.

Parallèlement assurée de sa neutralité, la Suisse amorçait une fonction de communication et d’humanisation à travers les conflits. Elle devenait une place bancaire internationale drainant les capitaux, mais elle assumait un rôle de protection des combattants. Après la boucherie de Solferino (1859 – 40.000 morts), Henri Dunant fondait la Croix Rouge, ne poursuivant pas la suppression de la guerre, mais posant le principe du respect et du secours à apporter à toutes les victimes. En 1871 la Suisse accueillit et désarma l’armée de l’Est de Bourbaki (90.000 hommes). Processus réitéré en 1940 (40.000 hommes). Entre les deux guerres mondiales, ce fut à Genève que s’implantèrent de nombreuses organisations internationales (SDN). La matière avait été renouvelée par les conventions de la Haye, dont les conventions V et VIII régulaient la neutralité navale. Elles ne furent pas universellement reconnues mais acquirent valeur de droit des gens, et furent techniquement précisées par la Déclaration de Londres (26 février 1909) : chasse ininterrompue d’un navire forceur de blocus ; entrée interdite dans un port bloqué sauf fortune de mer ; assistance hostile (navire neutre rapatriant ressortissants susceptibles de combattre d’un belligérant ; transfert de pavillon belligérant en neutre ; non visite de convoi neutre mais visite du bâtiment neutre isolé ; mesures à prendre en faveur des équipages des bâtiments coulés ; canon de poupe seul admis contre la poursuite pour les navires marchands ; définition de contrebande de guerre : armes, véhicules, instruments fiduciaires, matières premières stratégiques, aliments, etc..

Mais en 1914 s’ouvre la guerre totale, manufacture planétaire, rouvrant à la fois la faille lotharingienne et la Diagonale Tragique de l’Europe. Ses impératifs stratégiques firent étendre les théâtres, au-delà de l’affrontement direct des belligérants ; le Plan Joffre prévoyait l’invasion du Sud-Est de la Belgique et du Luxembourg, pour appuyer l’aile gauche de l’armée française dans une large offensive en Alsace – le Plan XVII y renonça et l’offensive avorta. Le Plan Schlieffen amoindri par Moltke le Jeune poussa l’armée allemande par la Belgique afin de descendre au sud de la Seine et se rabattre à revers sur Paris. Ce fut la phrase du chancelier Bethmann-Holweig (qui n’était pas belliciste) : « Not kennt kein Gebot » (« nécessité n’a pas de loi »). Economiquement étouffée, l’Allemagne use de la guerre sous-marine : torpillage du paquebot anglais non armé Lusitania le 7 mai 1915, (118 morts américains), puis la déclare sans réserves le 31 janvier 1917 avec effet immédiat le 1er février. Les notifications diplomatiques n’avaient pas porté effet : trois vapeurs américains ayant été coulés les Etats-Unis se déclarèrent en état de guerre le 6 avril 1917. Terrestre ou maritime, le statut de la neutralité avait été bafoué. Et la guerre sous-marine ne permettait plus de respecter la vieille règle humanitaire : le navire corsaire doit embarquer l’équipage et les passagers du bâtiment qui a coulé.

Quatrième phase : Déchéance de la neutralité, échec de

la sécurité collective (1919-1945)

Le nouveau système établi par le Traité de Versailles (28 juin 1919) poursuivait des objectifs complexes et en partie divergents :

– réaménager la planète (empires coloniaux accrus pour les vainqueurs) et affirmer le démocratisme parlementaire dans le cadre de nationalités parfois hétérogènes ou niées (soldats des peuples colonisés)

  • liquider au profit de la France la haine franco-allemande, mais sans suprématie de celle-là
  • éviter la survenance d’un nouveau perturbateur et maintenir la balance des puissances sous le contrôle des thalassocraties

-assurer des gains légitimes aux vainqueurs, au-delà des classiques (re)conquêtes de provinces ou indemnités de guerre

  • établir des responsabilités face aux slogans « l’Allemagne paiera » et « la der des ders » (la dernière de toutes les guerres) – l’un aussi fallacieux que l’autre ; le système de Versailles affirmait la responsabilité politique de l’Allemagne, donc en déduisait les principes de la réparation des dommages de guerre et des compensations industrielles et économiques, ce que critiqua Keynes, ce qui sembla aux Allemands un diktat ; cette sorte de vacuum economicus préfigurait le vacuum juris qui s’abattrait sur eux en 1945. Par contre la responsabilité personnelle de Guillaume II, évoquée, ne fut pas poursuivie ; elle ouvrait cependant la voie au système de répression judiciaire mis en place par les Alliés après 1945, système qui se poursuit actuellement et qui paraît hétérogène à la déportation de Napoléon à Sainte-Hélène : prisonnier de guerre s’étant rendu ?

Deux perspectives générales étaient cependant esquissées :

-Juguler la guerre : à l’ordre international volontariste et unilatéral voudrait s’opposer un ordre international contractuel et pluraliste. Contre la croissance
en relatif et en absolu de la destruction sur la reconstitution, en raison de la montée, au moins intellectuelle, des idées humanitaristes, et en vue de tentatives de résolution pacifiques des conflits, on poursuit les études et les
conférences sur la limitation des armements, sur l’arbitrage obligatoire : ils échouent par suite de manque d’enthousiasme anglais, qui veut conserver sa suprématie navale de l’isolationnisme américain, l’impérialisme japonais en Chine, et de l’hostilité allemande, qui craint un « encerclement ». Certes la victoire des démocraties, l’idéalisme wilsonien, le pacifisme de Briand
entraînent la création de la Société des Nations, la limitation des armements,la conférence de Locarno, la mise hors la loi de la guerre par le pacte Briand-Kellog… Mais l’absence de sanctions efficaces, le redoublement des concurrences impérialistes, la révolution bolchevique, la montée des fascismes ne tardent pas à rendre inefficace, avant d’avoir effectivement fonctionné, cet ordre international pluraliste

– Sécuriser les failles géohistoriques arrivées par le démantèlement des quatre empires (allemand, austro-hongrois, ottoman et russe). Fluidifiée au nom des principes des nationalités, et sans résoudre le problème des minorités, la grande faille de l’Europe médiane demeure. Quant à la faille lotharingienne réduite au conflit franco-allemand, Versailles a anticipé la solution d’après 1945 : Alsace-Lorraine française, Sarre allemande. Mais par son extrémité Adriatique, elle rejoint la grande faille (Trieste, Fiume, Albanie,…). En fait, le cordon sanitaire anti-allemand composé par les nations ré-instaurées (Pologne) ou instituées mais hétérogènes (Tchécoslovaquie, Yougoslavie) se voulait aussi une zone de sécurité cantonnant la nouvelle URSS (frontières hongroises, roumaines). La faille s’élargissait et se fragmentait alors qu’étaient recherchées l’exclusion de la Russie et l’inclusion (manquée à la SDN) des Etats-Unis. Les deux failles se réactivaient dès la montée des fascismes (Ligne Maginot, Anschluss).

Créée en 1920 après le traité de Versailles, la Société des Nations entraînait une profonde inversion : elle passait du système de guerre-duel entre nations, duel tempéré par le droit des gens et les obligations de la neutralité responsabilisée, au système de la guerre-délit, interdite en toute hypothèse, les différends devant se régler par voie judiciaire ou arbitrale, les contrevenants agresseurs devant être amenés à résipiscence par des sanctions collectives infligées par les autres membres de la SDN, sanctions incompatibles avec l’esprit même de la neutralité objective totale.

Il en résultait des incompatibilités en philosophie politique et en technique juridique. L’échec de la SDN a peut-être moins touché les esprits dans sa dénonciation de la guerre que ne l’ont fait les réactions des citoyens mobilisés, tués par millions. Il en est résulté deux tendances : la tendance ancien combattant (qui remplace le type classique du vétéran ou de l’invalide – encore que les « gueules cassées ») et le pacifisme « plus jamais ça » qui vitupère l’absurde de la guerre. Le système de Versailles accompagne une puissante révolution philosophique et littéraire (fascisme, communisme, surréalisme) comme certains systèmes antérieurs l’avaient fait : Westphalie et droit des gens ; Vienne, romantisme et nationalités. Par le marxisme-léninisme, les Soviets projetaient une refonte géo-idéologique de la planète. L’avènement du bolchevisme modifiait moins la direction des poussées que les modes d’argumentation. Par le premier Congrès des peuples de l’Orient (1920), Lénine appuyait les revendications des nationalistes colonisés. L’URSS poursuivra cette politique diplomatique et idéologique jusqu’au-delà de la grande décolonisation. En matière de propagande et même en refusant la doctrine trotskiste de la révolution permanente universelle, l’URSS stalinienne et le Komintern (1919-1943) ne pouvait demeurer « neutres ».

Les difficultés de technique juridique outrepassaient le système. Un doute se levait immédiatement pour la Suisse : pouvait-elle participer à des sanctions collectives ? Son statut de neutralité perpétuelle devait-il être considéré comme multilatéralement imposé, ou pouvait-elle l’assouplir (y renoncer) de sa propre volonté ? Etait-elle neutre au seul plan militaire, pouvait-elle participer à des mesures de contrainte économiques collectives ? Le représentant soviétique à la SDN, Litvinov énonciateur de la notion de « paix indivisible » souligna les contradictions d’une telle « néo-neutralité » et les dangers qui découleraient de l’admission de la Suisse à la SDN. La déclaration de Londres du 13 février 1920 lui avait reconnu le statut de « neutralité hybride, différentielle », la soustrayant à l’obligation de participer à l’exécution de sanctions collectives, mais lui reconnaissant une « neutralité morale » : la liberté d’expression de ses citoyens dans leur préférence pour tel ou tel belligérant – privilège provoquant une débandade : la Belgique, le Luxembourg, la Norvège, la Finlande, l’Estonie, la Lituanie reprirent le statut de neutralité – qui fut à nouveau violée à partir de 1940. Ce fut la fin du rêve de non-implicationn guerrière pour les « Etats secondaires ».

Aussi bien le système des sanctions collectives de la SDN avait échoué lors des grandes agressions : du Japon contre la Chine, de l’Italie contre l’Abyssinie et l’Albanie, lors de la guerre civile espagnole. La France et l’Angleterre se sont enfermées dans un Comité de non-intervention qui obtenait le retrait des Brigades internationales en septembre 1938. Le système de Versailles s’était écroulé … A-t-il été un rééquilibrage manqué qui annonce cependant Yalta et Potsdam, ou un dépeçage anti-culturel et anti-démographique sur la Diagonale Tragique de l’Europe dotée d’une double face : anti-germanique et anti-bolchévique.

En 1939 Varsovie s’était battue. En 1940 Paris fut déclarée ville ouverte. Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, seuls quatre Etats en Europe avaient préservé leur neutralité : la Suisse, la Suède (qui l’avait affirmé dès la guerre de 14-18 mais autorisa le passage de troupes allemandes vers la Norvège), l’Espagne franquiste qui refusa (par manque de confiance ?) le passage de la Wehrmacht vers le Maroc, et le Portugal de Salazar, qui permit cependant l’installation de bases alliées aux Acores (1943). Prudemment, la Turquie post-kémaliste s’était tenue hors du conflit. L’Amérique au contraire décrivait un parcours inverse, du Neutrality Act de 1935, très isolationniste, et du système Cash & Carry(Payez cash et emportez !) du 29 avril 1937 (afin de protéger les entrepreneurs américains qui n’avaient pas été remboursés de leurs livraisons aux Alliés en 14-18 : problème des dettes de guerre), au Lent-Leave Act de 1941 (prêt-bail en faveur de l’Angleterre) – jusqu’à leur entrée en « guerre totale » après l’attaque japonaise sur Pearl Harbour (17 décembre 1941.

Quelques républiques latino-américaines rallièrent ensuite les Etats-Unis, abandonnant leur neutralité isolationniste, pour participer aux négociations sur la paix. Une guerre secrète conjoignant propagande, espionnage et ravitaillement des U-Boats allemands y avait été vive, et se prolongera par le recueil de certains cadres nazis. L’Uruguay avait strictement observé les règles de la neutralité navale en obligeant, après une intense bataille diplomatique perdue par l’Allemagne, le cuirassé de poche Amiral Graf-Spee, à sortir de la rade de Montevidéo : il se saborda au vu de l’escadre anglaise (bataille du Rio-de-la-Plata, 17 décembre 1939).

À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en 1945, entre la profondeur du continent russo-asiatique et le grand large atlantique, l’Europe comprenait enfin qu’elle n’était pas seule au monde. À tel point que déchirée tout au long de la Diagonale Tragique par les pactes militaires des deux blocs et le Rideau de Fer, l’Europe de l’Ouest se trouvait sous « protectorat » américain (Plan Marshall, Alliance Atlantique, OTAN), et l’Europe de l’Est sous « protectorat » soviétique pour les démocraties populaires Etats satellites (Pacte de Varsovie, Comecom, Doctrine Brejnev postulant l’impossibilité de sortir du socialisme). Après les capitulations sans condition de l’Allemagne et du Japon démilitarisés, les Etats-Unis et les vainqueurs associés ont ré-institué le système de sécurité collective. Une déclaration du 3 juillet 1940 l’avait réaffirmé pour les républiques américaines ; la Déclaration de San Francisco du 26 juin 1945 répudiait sauf cas particulier le statut de neutralité, chaque Etat conservant la maîtrise de déterminer la nature de sa participation aux mesures adoptées par le Conseil de sécurité (art. 2 de la charte de l’ONU : égalité souveraine des Etats).

D’ailleurs, en dépit de l’intérêt capital que constitua durant la Seconde Guerre Mondiale la neutralité de l’Espagne, le franquisme survivant à la destruction des fascismes avait rejoint l’Otan en 1955. Subsistaient seulement deux zones régionales « neutres », et une « libérale » sur la Baltique (Suède et partiellement Danemark et Norvège se réservant le droit de s’opposer militairement à toute intrusion territoriale, et proclamant leur volonté de non-nucléarisation). La Finlande amenuisée par l’URSS avait été contrainte de s’y amarrer (« finlandisation »). Au cœur de l’Europe, la Suisse, et l’Autriche à qui le mémorandum de Moscou de 1955 imposait une neutralité permanente, constituait un îlot fragmenté, la Suisse refusant d’entrer à l’ONU, l’Autriche étant admise après l’implosion de l’Empire soviétique. Le rêve (projet Rapacki) d’une vaste bande européenne (la Diagonale Tragique de l’Europe, de la Baltique aux Détroits) sinon neutralisée au moins dénucléarisée ne put prendre corps. À l’extrémité sud les communistes anti-soviétiques, Yougoslaves (puis Albanais) débouchaient sur une autre neutralité.

Cinquième phase : L’Europe dé-neutralisée face au neutralisme positif (1945-1990)

L’Europe avait explosé en 1914 et s’était mal reconstruite en 1919 ; elle explosait de nouveau en 1939 et se retrouvait coupée en deux glacis stratégiques affrontés pour chacun des deux Grands. Pourtant leurs deux « anti-impérialismes inversés » convergeaient sur la nécessité de procéder à la libération des peuples colonisés par les vieilles métropoles. De 1942 (Syrie et Liban) à 1975 (colonies portugaises) ces empires se disloquèrent, non sans avoir souvent utilisé le droit international public (notion de souveraineté historique et formelle) à l’encontre des indépendantistes et des tiers (cas de l’Algérie). La décolonisation donnant naissance à de multiples Etats nouveaux : le Tiers Monde émerge qui mettait ses espoirs non en des projections de puissance, mais en une accélération du développement économique et social – rejoindre les niveaux de vie des pays industrialisés. Au-delà les nouveaux leaders ont renouvelé la notion de neutralité.

En partie issue du renoncement hindouiste, de la douceur bouddhiste, de la charité évangélique, du dernier Tolstoï … la non-violence ghandienne qui n’avait pas empêché la partition sanglante de l’Inde, fut reprise d’une manière plus politique par Nehru. Dans son discours à l’ONU du 18 octobre 1948 il

stigmatisa une neutralité qui ne défendrait pas la justice. Il s’était efforcé de définir une conception de la sécurité générale transcendant les intérêts d’une neutralité nationaliste. Il postulait que la démocratie était incompatible avec l’impérialisme, mais entendait ne pas heurter de front l’Occident maître des technologies nouvelles. Plus qu’une « paix belliqueuse », il aspirait à une coexistence pacifique. En 1954 l’Inde avait réuni quelques pays à Colombo pour fêter après Dien Bien Phu, la résolution du conflit indochinois. En ce monde asynchrone des années 1950, les pays « en voie de développement » souhaitaient n’être embrigadés, comme l’étaient les pays européens, ni dans la bipolarité antagoniste du capitalisme et du communisme, ni dans l’équilibre de la terreur nucléaire. Après la lutte mondiale antinazie, se levait la lutte des peuples de couleur contre la suprématie des dominations par les « hommes blancs ». Ce fut le faible écho en Orient, des doctrines Truman puis Eisenhower (rassembler par des pactes encerclant l’URSS les pays circumvoisins (OTASE, mais intégration de la Turquie dans l’OTAN). Ce fut aussi l’explosion après la guerre de Corée (1950-1953), de l’alliance URSS-Chine (1960).

L’espoir de Nehru dépassait l’idée d’une préférence progressiste continue envers l’URSS, contre l’impérialisme américain. Il ne fallait pas cantonner le pays neutre dans la position d’un tertius gaudens, mais l’encourager à agir d’une manière positive (et non anti) dans l’apaisement des conflits. Nehru avait souhaité l’aménagement des zones de paix dont les membres devraient respecter quelques principes, ainsi formulés par les accords de Genève de 1962 sur les trois Laos : évacuation des troupes étrangères, interdiction des achats d’armes (aussi l’installation de bases militaires), amnistie pour les combattants des divers camps. Ils ne furent pas respectés, pas plus que ne furent écoutés les appels de de Gaulle pour une neutralisation du Vietnam. Ensuite après l’échec franco-anglais dû aux deux Grands à Suez (1956), certains leaders de la Tricontinentale revendiquèrent un neutralisme positif plus soviétique, plus révolutionnaire – de Castro à Mehdi Ben Barka.

Sixième phase : Du non-alignement tiers-mondiste à la neutralité humanitaire (1961-20…)

Après son affirmation Du droit des nations à l’autodétermination (1915) et pour détruire L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Lénine avait rêvé de ranimer la ferveur révolutionnaire assoupie en Europe, en la transférant en Orient : adosser la lutte des classes, sur celle des peuples. Mais à Bakou en 1920 le Premier Congrès des Peuples de l’Orient tenu à l’initiative de la jeune république bolchevique ne rassemblait que quelques intellectuels et militants issus des pays colonisés. Au contraire, dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la conférence de Bardoeng (1956) assemblait cinq figures majeures : quatre de la décolonisation (Nehru l’Indien, Nasser l’Egyptien, Sœkarno l’Indonésien, Nkrumah le Ghanéen – plus le sécessionniste de l’orthodoxie soviétique, Tito le Yougoslave qui pour être de plain-pied avec les pays ex-colonisés instituait, à côté des identités ethnogéographiques de ses républiques fédérées (Slovène, Serbe, Monténégrine, Croate,…) une entité musulmane. L’affirmation du neutralisme positif, du non-alignement (termes non utilisés dans les traités officiels) se fit par la Déclaration de Belgrade de septembre 1961, transcendant les religions et les philosophies politiques, affirmant quelques principes fondamentaux : aide aux pays en lutte pour leur libération ; indépendance politique excluant toute alliance bilatérale avec un Grand ; non-adhésion aux pactes de défense régionaux (donc pas de bases étrangères).

Sur ce socle de philosophie morale et politique se solidifièrent psychologiquement plus que juridiquement les doctrines et les pratiques de la libération des peuples colonisés. Les colonies « ex-objets » deviennent des Etats sujets de droits – d’un nouveau « droit des peuples ». Mais soumis à la diplomatie parlementaire onusienne, ils ne parvinrent pas à constituer une Troisième Force capable de s’interposer entre les Deux Blocs, à mener une politique commune par-devant l’ONU (chaque membre permanent du Conseil de sécurité ayant droit de veto et cultivant ses clientèles, et les Grands s’échangeant leurs alliés.

Le mouvement des non-alignés passa par des phases politiques et stratégiques, économiques et culturelles puis avait été exalté par l’ultra contestation du néocolonialisme. Certains de ses Sommets eurent de grands retentissements, avec l’apogée de celui d’Alger en 1973 rassemblant Houari Boumediene, Fidel Castro, Indira Ghandi, Anouar el-Sadate. Le mouvement s’affaissait pourtant après l’implosion de l’URSS, et tentait d’adopter un nouveau visage par l’alter mondialisme fondé sur le pacifisme, l’écologie, le développement durable et la demande de fiscalisation des transferts fiduciaires.

Adoptant une forme de combat spécifique (le contre-sommet – Porto-Allègre, Forum social mondial face aux Forums des riches – Forum économique mondial de Davos, ou Sommets du G8), l’alter mondialisme reprend des affrontements frontaux du type progressiste, agressif, Trilatéral (Etats-Unis, Europe, Japon) contre Tricontinentale (Afrique, Asie, Amérique du Sud). Inversement, après l’encyclique Popularum progressio de Paul VI (février 1967) préconisant le respect des souverainetés convergentes dans la recherche de paix et du développement, Jean-Paul II condamnait la théologie de la libération. Mais dans la Vieille Europe s’élaboraient de nouvelles formes de neutralité : la neutralité humanitaire issue du Peace Corps américain, des French Doctors, du sauvetage des Boat People vietnamiens, proliférant en des myriades d’organisations non gouvernementales courant à travers le monde (autre forme de mondialisation) au secours des victimes de guerres locales, des insurrections internes, des exodes de population, des famines, des catastrophes naturelles, se légitimant par un « devoir d’ingérence » refusant d’assimiler bourreaux et victimes et arguant de la neutralité pour avoir libre et sûr accès aux personnes en détresse alimentaire, sanitaire et sécuritaire, aux persécutions ethniques, idéologiques et religieuses.

Trois accusations de néo-colonialisme, de néo-impérialisme, d’unilatéralisme, furent lancées à l’encontre de ce neutralisme humanisant :

  • l’une sémantique : l’expression « droit d’ingérence » évoquait trop « le fardeau de l’homme blanc » (civiliser les peuples de souche non européenne) selon Kipling, et fut remplacée par celle, plus éthique, plus kantienne, de « devoir d’ingérence », pour aboutir à celle, plus « géopolitiquement correcte » de « mission de responsabilité de protéger » (Assemblée générale de l’ONU, 2005).
  • l’autre sécuritaire : la violence de certains conflits, les prises d’otages parmi les personnels ONG, les obligèrent à engager des gardes locaux, à louer les services d’entreprises de mercenaires, voire à se rapprocher des contingents militaires de leurs nations, ou des Casques Bleus de l’ONU. Ainsi naissaient dans le doute, parfois la méfiance réciproque, les relations du « complexe militaro-humanitaire ». Pacifier, maintenir l’ordre, s’interposer entre des peuples hostiles, les « ennemis héréditaires » (Kosovo, Bosnie, Rwanda – Tchétchénie isolée par la Russie), participer à la protection et à l’exfiltration

des Occidentaux en péril … demeurent-ils dans le cadre de la neutralité ? Est-ce une neuve neutralité « active » ?

– la dernière juridique : juridiquement, au départ les Etats-Unis n’avaient pas obtenu le consentement de l’ONU pour envahir l’Irak afin de détruire la dictature de Saddam Hussein. L’Union européenne se divisa. Certains membres rallièrent l’unilatéralisme américain (Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Pologne,…). D’autres (France, Allemagne,…) s’y refusèrent et demeurèrent dans la neutralité, au moins militaire, en n’envoyant pas de troupes. Ils déclarèrent respecter le principe onusien de la nécessité de la validation préalable des sanctions collectives par le Conseil de sécurité désignant l’Etat agresseur ou en violant une obligation internationale (en l’espèce : possession par l’Irak d’armes de destruction massive). Ce faisant, ces Etats ne revenaient-ils pas, par juridisme et pour des mobiles politiques, aux pratiques de la « neutralité personnelle » quant à l’usage de la force armée, et de la neutralité « morale » quant à leur condamnation du régime de Saddam Hussein ?

En tout état de cause, l’Europe s’était déchirée : l’humanitaire entrepris par la société civile se transposera-t-il dans l’Europe devenant l’Union Européenne ? Se posera pour elle la nécessité de rendre cohérentes sa politique étrangère et sa défense : devenir une « puissance paisible » dont les forces de projection seraient capables de s’interposer, de rétablir l’ordre, la sécurité entre des populations hostiles.

Rôle à la fois de gendarme et de pédagogue. L’Europe n’a pas l’équivalent
des fondations américaines qui s’efforcent d’expliquer les principes et les
pratiques de la démocratie alternante, mais elle demeure dans l’OTAN dont ce
pourrait être l’une des tâches majeures : accélérer les transitions

Ainsi dans ses neutralités et dans ses neutralismes, ses rééquilibrages géopolitiques et ses alliances tactiques, l’Europe avait pour maintenir le commerce des marchandises et des esprits à travers les guerres – plus qu’à travers les révolutions-élaboré un droit fluidifié par de nombreuses jurisprudences. En technique juridique le droit de la neutralité doit assurer le respect des biens et des personnes des non-belligérants forts de leur retrait hors de la violence. Mais déjà la neutralité armée (défensive) réintroduisait celle-ci, et les pressions stratégiques faisait voler en éclats l’intégrité territoriale des neutres durant la Grande guerre manufacturière planétaire (1914-1945). L’Europe abandonnait alors quelques exceptions, le droit de la neutralité pour le système de la sécurité collective, et se trouvait confrontée à l’ensemble des conflits s’exaltant dans un monde fini confrontant et mêlant ses civilisations.

Historiquement, la neutralité a été un jeu stratégique pour les grandes puissances. En tant que mode de sécurité pour les Etats secondaires, elle n’a pu s’instaurer sur la Diagonale Tragique de l’Europe sauf en son extrémité nord, sur la Baltique. Sur la faille lotharingienne, elle n’a pas su se maintenir dans les Flandres, et ne s’est institué par l’accord des puissances que pour la Suisse, réduit montagneux, déjà « protégée » par la géographie entre l’Europe latine et l’Europe germanique. Les impératifs stratégiques avaient fait voler en éclats l’intégrité territoriale des neutres durant la Grande guerre manufacturière planétaire (1914-1945). L’Europe abandonnait à quelques exceptions près le droit de la neutralité pour le système de la sécurité collective, et se trouvait confrontée à l’ensemble des conflits s’exaltant dans un monde fini, juxtaposant et mêlant ses civilisations.

Parallèlement, la destruction des empires coloniaux, le premier en Amérique à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, le second après 1945, avait généré l’exclusion de la Vieille Europe par l’isolationnisme américain, puis le neutralisme positif tiers-mondiste. Le problème de la sécurité collective se déploie maintenant dans la lutte contre l’hyper-terrorisme et la prolifération nucléaire plus largement des armes de destruction massive, biologiques et chimiques. La neutralité d’amplitude ponctuelle, la sécurité collective, d’amplitude régionale, font place à des affrontements d’ampleur planétaire. Les obligations de la neutralité se trouvent violées par le commerce des armes et les flux financiers mafieux ou révolutionnaires ne respectant plus la sauvegarde des non-combattants. Entre les nations mal sécurisées et les passions ethnoconfessionnelles, il est aléatoire de demeurer neutre. Mondialisées, les menaces dépassent le cadre européen.

 

Article précédentLe Kazakhstan ou les défis d’une économie pétrolière
Article suivantLa Politique étrangère iranienne Ambitions et Enjeux

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.