LES PERSPECTIVES GEOPOLITIQUES DE LA NOUVELLE ADMINISTRATION AMERICAINE ET LES AFFRONTEMENTS REGIONAUX DE L’IRAN

Ali RASTBEEN

Fondateur et Président de l’Académie de Géopolitique de Paris, directeur éditorial de la revue Géostratégiques, auteur de Géopolitique de l’Islam contemporain, Edition I.I.E.S., 2009.

Mai 2009

Le nouveau président des Etats-Unis, lors de son installation à la Maison Blanche, a annoncé un programme qui devrait mettre un terme à la période de toute puissance des néo-conservateurs aux Etats-Unis et dans le monde. Comme cela était prévisible, le président Barack Obama est entré dans le bureau ovale por­teur d’un message marqué par la réconciliation et la paix. Ce dernier, cependant, porte les traces de certaines restrictions tout à fait compréhensibles. Il a même remercié George Bush pour sa coopération durant les derniers mois de son mandat, tout en faisant fi de son dernier complot belliqueux au Proche-Orient, à savoir la tragique campagne militaire menée récemment par Israël. Cette volonté de ré­conciliation renferme peut-être un des secrets des victoires sociales et politiques du nouveau et jeune président américain, un signe de la volonté de l’Occident de se démarquer de la politique néocoloniale1. Néanmoins, il faut souligner que le monde actuel a connu de tels changements que la géopolitique mondiale se doit de prendre en compte ces modifications. Le club des grandes puissances mondiales a déjà démontré son incapacité à trouver des solutions aux difficultés cruciales du monde contemporain. L’ouverture de ce club à des puissances émergentes ne per­mettra pas pour autant de sortir de ces impasses.

L’ère à venir est celle du rejet du néocolonialisme. Ce rejet rampant et progressif, sans coup de tempête, permettra d’ouvrir le chemin à un nouvel équilibre géopoli­tique mondial. C’est cette espérance qui s’est générée dans l’esprit de l’opinion pu­blique mondiale durant les deux années du combat présidentiel du candidat Barack Obama. Cependant, cette espérance n’a pas trouvé sa place dans le programme officiel du nouveau Président, même si, à en croire Fidel Castro, les propos tenus par le président américain sont sincères.

Le programme, annoncé par le nouveau président, vise trois perspectives tu­multueuses : l’importante crise financière et économique aux Etats-Unis, la crise dans les relations mondiales qui a conduit le monde à l’anarchie et à l’insécurité (à la limite d’une guerre étendue), et surtout l’amélioration des relations entre les Etats-Unis et leurs alliés, lesquelles avaient été altérées à la suite de huit années de politique brutale et égoïste des néo-conservateurs2.

Cependant, outre le programme visant la crise économique qui, dans son étendue, rappelle les années précédant la Première Guerre mondiale, le programme de Barack Obama reste relativement imprécis dans les autres domaines. Les zones d’ombre n’y manquent guère. On peut se réjouir, néanmoins, que le nouveau président rappelle la nécessité de coopération avec les anciens amis et ennemis des Etats-Unis pour contrer la politique de violence poursuivie par les néo-conservateurs. Il qualifie le Proche-Orient en crise de « monde de l’Islam », même si à travers son discours, il est continuellement question du rôle de direction des Etats-Unis.

Cette référence au « monde musulman » rappelle, il est vrai les clichés de l’époque coloniale, alors que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde est celui des « peuples de l’Organisation des Nations unies » dont la charte commence par leur nom et selon leur volonté sans aucun lien avec une quelconque classification religieuse entre chrétiens ou musulmans. La charte de l’Organisation des Nations unies et celle des Droits de l’homme ne trouvent un sens exécutif qu’en rejetant toute autre classification.

Indubitablement, le monde a besoin d’un remaniement dans l’équilibre des forces. Le troisième millénaire tend vers cette perspective dont la nécessité s’est faite sentir vers les dernières années du millénaire précédent. Ce changement ne sera sans doute pas idéologique. Des efforts ont été entrepris pour tenter de conférer aux confrontations – qui semblaient incontournables – un caractère idéologique sans pour autant pouvoir dépasser les cadres sectaires moyenâgeux des intégrismes eth­niques et religieux et cela dans des régions qui ont constitué les centres de convoitise des colonialistes des XIXe et XXe siècles démontrant en même temps l’incapacité de la puissance mondiale dominante à les maîtriser.

Les efforts violents et diversifiés des États-Unis, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, afin d’instaurer leur mainmise sur les territoires asiatique, africain et américain restés sous l’influence de l’Europe, ont placé Washington à la tête de la pyramide du pouvoir mondial. Or, cette domination pouvait-elle se poursuivre ? Très rapidement, la réponse a été négative. Washington a reçu sa réponse aussi bien au niveau national qu’à l’étranger. Au XXIe siècle, cette réponse négative a retenti de plus en plus à travers l’histoire.

La crise financière et économique commencée aux Etats-Unis est le début des crises politiques et sociales à l’échelle mondiale sous des formes diverses mais liées entre elles.

La présence belliqueuse et arrogante des néo-conservateurs à la Maison Blanche pour la mise en place de la « politique de guerres préventives » était préparée depuis longtemps. Or, la lourde machine de guerre américaine n’a pas supporté le poids de cette politique. Les néo-conservateurs furent défaits et éloignés du pouvoir, tan­dis que les conflits dont ils ont été à l’origine demandent à être réglés aussi bien à l’échelle régionale qu’internationale. Leur rôle quant à la course aux armements et l’invention de nouveaux armements se poursuit grâce à leurs défenseurs au sein du Congrès et du Sénat américains et leurs hommes sont présents dans l’administra­tion Obama. Le 31 décembre, le ministre américain de la Défense, dans une lettre au Congrès, a réclamé un crédit de 600 millions de dollars pour la construction de 4 avions F-22 (dont le coût est de 361 millions de dollars par unité). Il a indi­qué que la décision finale pour la mise en œuvre de ce chantier revenait à Barack Obama. Au second jour de l’installation du nouveau président à la Maison Blanche, 188 représentants du Congrès lui ont demandé, dans une lettre, de répondre po­sitivement à la demande du ministre de la Défense. Déjà 5 jours avant sa prise de fonction, 44 sénateurs lui avaient écrit pour réclamer cette approbation.

L’agence de presse russe, Novosti, qui a publié cette information (elle a relaté également la commande faite aux arsenaux russes de fabriquer des avions équiva­lents) a ajouté que « le Pentagone avait signé l’accord pour la fabrication de 183 exemplaires de ces avions de combat connus comme faisant partie de la cinquième génération des avions de guerre ». Ces sommes colossales seront-elles fournies par les crédits demandés par le président américain pour juguler la crise financière qui sévit dans ce pays et les programmes de développement destinés aux besoins so­ciaux ? Plus encore, son plan ne sera-t-il pas approuvé par le Congrès en échange de son approbation pour la mise en œuvre de ces programmes militaires ?

Monsieur Bush 2 n’existe plus, mais le système occulte extra-gouvernemental, qui l’a soutenu pendant huit ans et l’a utilisé dans le sens de ses propres intérêts, est toujours en place et détient de puissants leviers au sein des organes de décision et d’exécution. Obama a été, lui, élu par un peuple qui a fondé ses espoirs en lui. Ce pouvoir occulte, partout présent, agit selon sa guise par le biais de ses technocrates. Cette réalité est prouvée par la crise financière et économique actuelle. Le Président a parlé judicieusement de la crise américaine, même si, à propos du « marché libre du capital », véritablement cause de la crise mondiale, il s’est contenté d’affirmer que : « Cette crise nous rappelle, que sans un organisme de supervision, le marché peut échapper au contrôle… ». On voudrait croire que le Président sait qu’il existe plusieurs organismes de supervision, en dehors du contrôle de la Présidence des Etats-Unis. Ce système qui crée des difficultés aux niveaux national et mondial ne peut être bridé sans une mobilisation universelle. Un effort systématique est donc nécessaire pour soumettre les pouvoirs extra-nationaux et irresponsables à un ordre compatible avec un développement des peuples du monde et qui soit exempt de toute discrimination.

Après la Première Guerre mondiale, la loi anti-trust aux Etats-Unis, avait limité la « loi de la jungle » qui sévissait dans les rapports du monde capitaliste. Au lende­main de la Seconde Guerre mondiale, nous avions atteint le stade où les États les plus puissants jouaient le rôle d’intermédiaires pour les capitaux extra-nationaux. On rapporte que François Mitterrand avait prédit que l’époque des hommes poli­tiques était révolue et que, très prochainement, le monde serait géré par les prospec­teurs de marché. Sans nier le rôle de ces prospecteurs de marché, on constate que les chefs d’État, au lieu de se préoccuper de la limitation des armements, jouent le rôle de prospecteurs en particulier dans les domaines de vente d’armes et d’énergie au point que c’est devenu un devoir et une responsabilité gouvernementale3. Le système développé occidental ne représente plus ses peuples. Il est devenu principa­lement un outil au service de la circulation des capitaux extra-nationaux qui, pour atteindre la paix, le développement et la tranquillité, doivent être contenus à travers une charte mondiale à l’instar de la loi anti-trust américaine.

Dans le cadre des difficultés et des possibilités existantes, le programme de Barack Obama est principalement destiné à juguler la crise aux Etats-Unis et à lut­ter contre les méfaits sociaux qui en découlent. Il est obligé simultanément d’amé­liorer les relations entre Washington et ses alliés européens. Le mécontentement des Européens à l’égard de l’arrogance de Monsieur Bush et de son administration quant à leurs prises de décisions politiques unilatérales et controversées, exige des solutions qui doivent être trouvées à travers des conceptions réalistes.

Il faut également revoir la politique de l’OTAN, qui a mené une guerre illégi­time en Yougoslavie, puis en Afghanistan. Cette organisation constitue un obstacle majeur à l’absence d’équilibre du monde. Il est un fait que le traité de l’OTAN, justifié auparavant par la défense de l’Occident vis-à-vis du danger que représentait le bloc communiste, a perdu sa raison d’être après la désintégration du bloc de l’Est, du pacte de Varsovie et de la chute du mur de Berlin. L’extension et l’intervention de l’OTAN dans les relations internationales signifient la transformation d’un traité défensif en un outil de guerre au service du système néocolonial, qu’après la chute du mur de Berlin, les Etats-Unis, entraînant leurs alliés européens, ont décidé d’ins­taurer dans le monde. Il est utilisé en relation avec le club des grandes puissances oc­cidentales et d’autres organisations qui voient le jour au sein de ce système. Chaque pas en avant est un pas de plus vers une vaste guerre mondiale.

Les avancées sur le front de l’Europe de l’Est ne sont pas un service rendu à la paix. Ce sont des actions dirigées dans le sens des objectifs expansionnistes des ca­pitaux extra-nationaux. Insuffisamment rassasiés par les réserves qu’ils détiennent, ils tentent d’instaurer la domination absolue de l’impérialisme sur l’ensemble du globe. Cet objectif devenait de plus en plus saisissable grâce à Monsieur Bush. Il faut espérer que les conseillers du président Obama, au lendemain de son arrivée au pouvoir, avant de choisir le sens de leur action, auront l’occasion de comparer la réalité du monde qu’ils ont devant eux avec celle conçue, il y une trentaine d’an­nées, par les planificateurs politiques et économiques de l’Occident.

La poursuite de la progression vers la Russie ou vers la Chine – qui ne se justifie plus par la lutte contre le communisme – fut une erreur commise par les néo-conser­vateurs qu’il convient de rectifier. Il est nécessaire de renforcer le rôle des Nations unies et de ses différents organes pour arriver à une collaboration entre les peuples et non plus à une direction des peuples. L’histoire des Etats-Unis et de leur indé­pendance est une leçon pour sortir de l’impasse actuelle. Les conseillers du jeune président auront-ils l’occasion de comparer les politiques suivies jusqu’aujourd’hui par les différentes administrations et leurs alliés européens après la Seconde Guerre mondiale avec les politiques coloniales de la période des guerres d’indépendance aux Etats-Unis ?

Aux Proche et Moyen-Orient…

Au Proche-Orient, point culminant de la crise politique mondiale actuelle, les Etats-Unis sont obligés de prendre des mesures audacieuses et contraires à la politique qu’ils y ont poursuivie depuis plus de soixante ans. On sait que depuis le XIXe siècle, cette région avait attiré l’intérêt des colonisateurs européens. Mais ce n’est qu’après la défaite et le déclin de l’empire ottoman que l’Angleterre et la France eurent l’opportunité d’instaurer leur tutelle en tant que représentants du « Conseil de la Société des Nations » sur des territoires allant de l’Egypte jusqu’en Irak. La Syrie et le Liban devinrent la part de la France tandis que l’Angleterre s’accaparait la presqu’île d’Arabie Saoudite, l’Irak et la Palestine. Ce tutorat avait cours jusqu’à la seconde guerre mondiale. Au lendemain de cette dernière, des régimes monarchiques furent instaurés en Irak et en Jordanie. Cette dernière, créée dans une partie de la presqu’île d’Arabie et en Palestine, où l’émir exilé de la Mecque s’installa en 1921, prit le nom officiel de monarchie de Jordanie en 1948. La Palestine, à l’initiative de l’Angleterre, fut partagée en deux parties : la Palestine et Israël, dont les limites frontalières et étatiques furent établies officiellement par les Nations unies en 1948.

Le partage de la Palestine, un territoire arabe, en deux – arabe et juif – partage qui visait, dès le départ, un objectif particulier, fut à l’origine d’événements san­glants qui se poursuivent de nos jours. Il est clair que la poursuite de ce conflit fut sciemment favorisée par la politique coloniale de l’Occident. Subitement, plusieurs millions de Palestiniens se retrouvèrent victimes et exilés. Dès la première guerre entre Israël et les Arabes, les Nations unies ont commencé à construire des camps pour ces exilés palestiniens, dans les pays arabes limitrophes. L’encouragement à l’immigration juive vers la Palestine, permit de remplir le vide laissé par les exilés palestiniens. La création de l’État d’Israël a apporté un perspectif régional sombre, notamment que les chefs des extrémistes juifs se sont rapidement accaparés les postes clefs de l’État. Les réfugiés palestiniens qui, après une génération, ont dû adopter eux aussi des méthodes violentes pour attirer l’attention de l’opinion inter­nationale, furent, accusés de sauvagerie violente et taxés de terroristes.

La lutte des Egyptiens, pour la nationalisation du canal de Suez, a donné à Israël l’occasion d’occuper des territoires plus importants. Dans cette guerre, Israël bénéficia du soutien des armées française et britannique. Plus tard, Israël reçut celui des Etats-Unis. Pendant 50 ans, pour défendre Israël et dans chaque lutte contre les pays arabes, les avions de combat israéliens furent fournis et pilotés par des Américains. À la suite de chaque attaque éclaire menée contre ses voisins, Israël a agrandi son territoire. Toutes les résolutions des Nations unies ont connu le veto américain. Une politique qui se poursuit de nos jours. Car, sans ce soutien, l’État d’Israël qui, grâce à des aides militaires et régulières des Etats-Unis qui s’élèvent à des milliards de dollars, s’est doté de l’armée la plus puissante et la plus menaçante de la région. Sans le soutien américain, Israël n’aurait que la capacité de mener des attaques éclaires mais serait incapable d’entrer en guerre.

Le soutien des Etats-Unis à l’égard d’Israël a été le facteur de la présence et de la puissance de Washington au Moyen-Orient. Or, toute armée vieillit. En raison de la présence d’Israël dans la région, les relations des pays arabes avec les Etats-Unis (qui, comme tous les pouvoirs de la région, ne bénéficient d’aucune popularité nationale) ont pris un caractère de vassalité ce qui fait le jeu des groupes extra-na­tionaux. En revanche, les relations entre les Etats-Unis et les peuples de cette région sensible n’ont jamais été autant empreintes d’animosité et de haine. La guerre en Irak a mis en évidence l’incapacité de la plus grande puissance militaire du monde dans son affrontement avec le peuple irakien. La campagne en Afghanistan est un autre exemple tout aussi flagrant. Ces expériences montrent que Washington doit opter pour une géostratégie qui tendrait à mettre fin à cette animosité. Ce n’est pas par la guerre et la destruction que le gouvernement américain atteindra cet objectif.

Si des nécessités naturelles exigeaient la recomposition géographique du Proche et du Moyen-Orient, elle ne serait certes pas celle rêvée par les néo-conservateurs dans le cadre du plan du « Grand Moyen-Orient ». Plus d’un siècle après, les pays d’Asie et d’Afrique souffrent encore des tracés et des partages coloniaux du siècle dernier, instaurés par la Grande-Bretagne et la France. L’invasion du Koweït par Saddam Hossein fut à ce niveau une expérience remarquable. On observe ces mêmes calamités coloniales dans le partage confessionnel de l’Inde et dans les fron­tières établies entre les tribus de l’Afghanistan et du Pakistan.

Le rapprochement de différents espaces à travers le monde constituerait des conditions naturelles nouvelles qui permettraient de faire disparaître les frontières et de modifier les cartes géographiques. Ceci est différent des partages et des dépla­cements projetés dans un esprit néo-colonial, et des complots en vue d’encourager les séparatismes et de « balkaniser » les différentes régions4.

Ce qui intéresse les conservateurs occidentaux, c’est la mainmise sur les réserves énergétiques au Moyen-Orient et dans les pays d’Asie centrale. Au service des com­pagnies extra-nationales, ils n’ont omis aucun complot et ont même fomenté des guerres. Le régime iranien qui, pendant 25 années, a été l’ami fidèle et l’exécutant des projets de Washington et de l’Occident dans la région, a connu, il y a 30 ans, grâce au conseil de ces mêmes amis, une révolution alimentée par la haine contre les Etats-Unis et qui devait apporter la liberté et l’indépendance au pays5.

Cette haine anti-américaine est celle qui aujourd’hui sévit au Moyen-Orient, au Proche-Orient et jusqu’en Afrique du Nord. Le régime théocratique de Téhéran profite encore de cette animosité et l’utilise en guise d’instrument de propagande6. Bien que durant ces 30 dernières années, le régime iranien ait rendu un grand ser­vice à Washington en réprimant les idées de gauche, dans son combat politique, il s’est cependant dressé contre les Etats-Unis dans la « lutte anti-impérialiste ». Dès la première année de son instauration, les jeunes sympathisants du régime ont occupé l’ambassade des Etats-Unis et pris en otage ses membres. Les relations bilatérales furent rompues – ce qui est toujours le cas – et l’Iran fut inscrit dans la liste des pays subissant le blocus américain. Les avoirs de l’Iran furent gelés aux États-Unis, tandis que ces derniers ont joué un rôle éminent en incitant Saddam Hossein à attaquer l’Iran et à mener une guerre qui a duré huit ans et tout cela au moment où l’Occident était en proie à une de ses crises cycliques.

Pendant ces trente dernières années, tandis que le régime théocratique de l’Iran profitait de sa politique anti-américaine, la diplomatie américaine s’est activée à isoler l’Iran et a créé un climat marqué par le manque de confiance et l’insécurité dans le voisinage de ce pays. Un travail de sape poursuivi habilement par Israël. Les diffé­rends ethniques, confessionnels et les velléités territoriales à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran ont été adroitement utilisés. Enfin, à l’échelle mondiale, depuis une décen­nie, les Etats-Unis ont mené une campagne de diabolisation des activités nucléaires de l’Iran de sorte que, malgré le soutien et l’approbation des pays non-alignés, ils ont réussi à obtenir trois résolutions du Conseil de sécurité condamnant les activités de l’Iran. Grâce au soutien américain, les pays européens se sont également joints au club des pays qui avaient instauré le blocus économique et financier de l’Iran, un blocus qui a contribué à l’essor des marchés des voisins au sud, à l’est et à l’ouest de l’Iran7.

Dans un contexte où le marché du pétrole était florissant, cette animosité et ce blocus pouvaient, à la rigueur, être supportés par l’Iran. Or, à la suite de la chute brutale des cours du pétrole qui ont connu une baisse des deux tiers de son prix, le régime iranien va naturellement connaître des difficultés économiques majeures.

La dernière arme utilisée par Washington avec la contribution d’Israël consiste à attiser les conflits nationaux, raciaux et confessionnels entre l’Iran et les grands et petits pays voisins. C’est ainsi que, soudainement, les régimes arabes dépendant des Etats-Unis, se rendent compte que leur véritable ennemi n’est pas Israël mais l’Iran qui désire leur confisquer la patrie arabe. C’est le chiisme qui tente de dominer les sunnites. Il s’agit ainsi de préparer le terrain pour le cas où l’attaque militaire contre l’Iran deviendrait nécessaire, les armées arabes situées au sud de l’Iran s’aligneraient aux côtés des armées israélienne et américaine8.

Or l’histoire prouve que l’Iran ne menace guère la sécurité des régimes arabes. Le danger provient du sein même de ces régimes. L’invasion de Koweït par Saddam Hossein en 1990 en est la preuve. Ce fut le prétexte pour les Américains de pouvoir déployer leur marine de guerre et installer des bases militaires dans le Golfe persique.

Les politiques du gouvernement iranien

De par son essence théocratique, le régime iranien est un régime « intégriste » et « hostile à ses opposants » de sorte que la société iranienne a été partagée entre « in­times » et « non intimes », avant que les droits sociaux et civiques ne soient attribués uniquement aux premiers. Le rôle des seconds se limite à les approuver sans bénéfi­cier d’aucun droit dans la société. Cette situation sociale a été néanmoins instaurée à petits pas. Mais aujourd’hui toute allusion aux droits de l’homme, aux droits des femmes, au droit du travail et même la revendication de salaires non-versés pendant plusieurs mois ou la création de syndicats ouvriers est immédiatement qualifiée de « complot de velours pour renverser le régime ». C’est ainsi que le cimetière apparte­nant à une minorité confessionnelle dans une ville du Mazandaran a été détruit par des bulldozers, tandis que celui où sont enterrés les opposants devenait également l’objet de destructions. Dans le cadre de leurs objectifs, les « intimes » ont fondé dès leur prise du pouvoir, l’Armée des gardiens de la révolution et des tribunaux révo­lutionnaires qui, indépendamment de l’armée nationale et de la justice, détiennent entre leurs mains le pouvoir et la sécurité du pays. Ils appliquent la politique de la primauté des « intimes » sur les autres, et de la défense du régime face à l’opposition des « non intimes » et des événements régionaux.

La publication des journaux et des revues qui relèvent du droit des « intimes » ne peut être possible que s’ils se mettent au service des objectifs théocratiques du ré­gime, à l’abri de toute dénonciation et de critiques et respectant les « lignes rouges » du régime. Au niveau des « intimes », la liberté est relativement respectée. Or, en ce qui concerne les autres, qu’ils soient femmes, hommes, ouvriers, professeurs, étudiants, etc., ils sont jugés par le « tribunal révolutionnaire ». Récemment, les restrictions ont atteint les manifestations devant les ambassades des pays étrangers.

Pour la mise en place d’un tel système d’apartheid, le régime a besoin de créer des conflits permanents. Tous les efforts entrepris par les Etats-Unis et Israël contre l’activité nucléaire de l’Iran se transforment en manifestation de force à l’intérieur du pays, et sont qualifiés « d’État d’urgence contre l’Iran ».

Une exploitation semblable a également été faite des événements qui se sont déroulés au Liban et à Gaza. Les mises en scène anti-israéliennes du président de la République, lui-même issu des gardiens de la révolution, destinées à attirer l’opinion publique du monde arabe, profondément anti-israélienne et anti-américaine, s’ins­crivent dans ce cadre sans que leurs impacts internationaux soient pris en compte.

C’est ainsi que les propos tenus par le président iranien contre Israël, conformes à l’opinion des masses arabes déshéritées à travers le monde, ont attiré sur l’Iran les foudres de la politique internationale. Ces propos, bien qu’ils aient consolé les masses arabes, ont abaissé l’Iran, dans le monde de la politique, au rang d’une base du terrorisme. Ayant constaté les aspects négatifs de ses discours, le président ira­nien les a cependant réitérés à plusieurs reprises.

 

Sortir de l’impasse

Ce qui a conduit à l’impasse les relations entre l’Iran et les Etats-Unis est appa­remment la question du « dossier des activités nucléaires de l’Iran », transformée en une affaire internationale à la suite d’une campagne de plusieurs années orchestrée par les Etats-Unis et Israël. En réalité, le dossier nucléaire est un prétexte pour cou­vrir les différends entre les deux pays, depuis le début de l’instauration du régime théocratique en Iran, et attiser les différends bilatéraux qui se sont accumulés depuis trente ans9. Grâce à ses réserves importantes de gaz et de pétrole et à sa position stra­tégique spécifique, l’Iran avait attiré la convoitise américaine, dès la première décen­nie du siècle précédent. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les États-Unis, en tant que puissance suprême du monde, ont eu une présence unilatérale en Iran, présence qui prit fin à la suite de l’occupation de l’ambassade des Etats-Unis et à la prise en otage de ses diplomates par les « Etudiants partisans de la ligne de l’Imam ».

Bien que Washington ait réussi, en dehors de l’Iran, à préserver sa domination sur le bassin du Golfe Persique, il n’a jamais pu supporter son évincement de ce pays. La perte de l’avantage stratégique de l’Iran et l’atteinte portée à la crédibilité des Etats-Unis dans la région, ont entraîné Washington dans un violent conflit politique qui, bien que préjudiciable pour l’Iran, a renforcé la position du régime. Cet affrontement a rapidement constitué la base de la politique extérieure de l’Iran.

 

Le dossier des activités nucléaires de l’Iran, fabriqué à l’époque des néo-conser­vateurs, a permis à Washington de trouver une légitimité à sa position agressive à l’égard de l’Iran. Si l’administration Bush était restée en place, l’Iran serait devenu la scène d’événements inconnus et imprévisibles. Même dans les conditions actuelles, il est impensable que les Etats-Unis et l’Iran arrivent à une entente au sujet de ce dossier, sauf si, préalablement, les obstacles qui empêchent la normalisation des relations entre les deux pays s’effacent les uns après les autres pour laisser place à un climat dépourvu de tension et de méfiance. Une méfiance et une tension qui ne sont pas unilatérales ; elles se sont enracinées auprès des deux parties, et ont atteint leur apogée concernant le dossier nucléaire. Si l’équipe Obama réussissait à trouver une voie d’entente différente de celle prônée et exigée par les néo-conservateurs dans les relations avec l’Iran, on pourrait sans doute sortir de cette impasse nucléaire10.

Washington doit admettre que, dans les contextes complexes du Proche et du Moyen Orient, il n’existe aucune chance pour Israël de prendre pied en Iran. De même Washington doit accepter la normalisation de ses relations avec l’Iran sans mener une politique hégémonique et accepter les limites des droits régionaux de l’Iran dans le Golfe Persique, la mer Caspienne et ses relations avec les pays asia­tiques. Washington, pour sa part, doit mettre un terme à sa politique de blocus militaire, économique et politique de l’Iran[1].

A la lumière d’une telle politique, le monde, dont les Etats-Unis, aurait le droit de demander à l’Iran de mettre un terme à son éventuel programme nucléaire mi­litaire. Cela constituerait une revendication légitime face au régime actuel de l’Iran dans ses structures nationale et internationale12.

La marge de manœuvre de l’Iran au Proche-Orient est, il est vrai, limitée : re­connaître le Hamas à Ghaza et le Hezbollah au Liban et l’amitié avec la Syrie. Or, si l’opinion publique du monde arabe est attirée par le président de la République d’Iran, aussi bien les gouvernements arabes tout comme Washington doivent revoir les politiques qu’ils ont menées jusqu’à ce jour et réexaminer la révolution qui a eu lieu, il y a trente ans, en Iran.

En Iran, proie à l’intégrisme religieux, il n’y a aucune possibilité de coexistence avec d’autres tendances islamiques, sans parler des pays arabes. Cinq siècles nous séparent de l’époque du Chah Esmaïl Séfévide qui réussit à imposer par la force de l’épée sa religion à l’Iran. Cependant, le rôle de l’Iran en tant que plus grand pays de la région, avec un réservoir important de gaz et de pétrole, entre le Golfe Persique et la mer Caspienne, est si important que les Etats-Unis ne peuvent le né­gliger, comme ils n’ont d’ailleurs pu le faire jusqu’à maintenant13. De même ils ne peuvent pas ignorer la voie choisie par la Russie, celle de sa présence participative dans le Golfe Persique et la collaboration future entre ce pays et les pays du Golfe Persique. Une voie qui ne réclame guère la présence de forces maritimes, aériennes et terrestres et peut permettre au Golfe Persique de devenir un des bassins les plus sûrs pour les collaborations internationales. Et cela à la condition expresse qu’elles se situent à l’abri des idées et attitudes néocoloniales. Il s’agit d’observer jusqu’à quel point le président Obama a les capacités de conduire sa géostratégie mondiale dans une voie différente de celle de son prédécesseur.

1.       Soufiane (Amar), Barack Obama, le vainqueur inattendu, Publibook, 2008.

2.       Vaïsse (Justin), Hassner (Pierre), Washington et le monde : Dilemmes d’une superpuissance, Ceri /Autrement 2003, p.79.

3.       Kemp (Geoffrey), Energy Superbowl, Strategic Politics and the Persian Gulf and Caspian Basin, The Nixon Center, 1997.

4.       Voir le compte-rendu du séminaire « Iran and its strategics role in the Persian Gulf: Policy option for the United States », Baker Institute Study, 1998.

5.       Ward (Adam), Strategic Change in the Persian Gulf, Volume 9, N°9, novembre 2003, The International Institute of Strategic Studies.

6.       Cf. Notre article « Les éléments étatiques en Iran, Géostratégiques, N°10, décembre 2005.

7.       Telhami (Shibley), The Persian Gulf: Understanding the American Oil Strategy, The Brookings Institution, 2002.

8.       Considering the option : US Policy toward Iran’s Nuclear Program, Washington Institute for near East Policy, N°305, octobre 2003.

9.       Cf. notre article, « The Iranian Nuclear Program : process and legitimacy» in, Korinman (Michel), Laughland (John) (dir), Power (Shia), Next Target Iran ? Londres: Valentine Mitchell Academic, 2007.

10.    Iran and America, A Persian Puzzle, The Economist, 24 février 2009.

 

 

Notes

[1]Pour Yves Lacoste, la géopolitique sert à décrire et expliquer les rivalités entre pouvoirs concernant les territoires. Des rivalités souvent aujourd’hui fondées sur les représentations, les idées, les imaginaires que font les peuples de leurs États par rapport à leurs territoires. Les conflits d’aujourd’hui ne sont pas seulement des conflits d’intérêt mais des conflits qui concernent des territoires symbolisés, c’est a dire des territoires qui, pour une conscience collective nationale, représentent des valeurs irrationnelles qui peuvent être idéologiques et qui mobilisent la dramatisation passionnelle des foules. Voir son ouvrage, Géopolitique : la longue histoire d’aujourd’hui, Larousse, 2008.

  1. Khouri (Rami), « The Importance of Iran », Agence Global, 11 août 2008. Voir aussi, Coville (Thierry), Iran, la révolution invisible, La Découverte, 2005, p.231.
  2. Long (David), The Persian Gulf: An Introduction to Its Peoples, Politics, andEconomics, 2ème édition, Michigan:Westview Press, 1978, p.56.
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