LES BALKANS ET LA BALKANISATION

Ali RASTBEEN

Les Balkans et la balkanisation

Fondateur et président de l’Académie de géopolitique de Paris. Directeur éditorial de la revue Géostratégiques. .Auteur de Géopolitique de Hslum contemporain, Éditions ItES, 2009.

2eme Trimestre 2011

La PRESQU’ÎLE DES BALKANS, située au sud-est de l’Europe, a été depuis long­temps le point de contact au Moyen-Orient avec le contient asiatique. Dans l’his­toire des relations permanentes entfe l’Asie et l’Europe, son rôle géopolitique a toujours été préservé. Avant l’apparition de l’islam, au summum de la puissance de l’Empire sassanide en Iran, Constantin, empereur de Rome, a établi sa capitale militaire, Constantinople — l’actuelle Istanbul —, dans les Balkans, au point de jonc­tion des deux continents. Peu de temps après, Byzance et le califat islamique sont devenus voisins (1). Enfin, à la suite des croisades et de l’incitation à l’émigration des tribus turques pour participer au djihad dans l’Ouest de l’Asie, le sultan otto­man Ghazi (1324-1258) a instauré son pouvoir sur les vestiges des luttes entre le sultan seldjoukide et Byzance. Ses successeurs, après avoir conquis Constantinople en 1453, se sont avancés dans les Balkans jusqu’aux portes de l’Autriche. Cette domination a duré cinq siècles. L’indépendance de la Serbie en 1866 a marqué le début de la retraite des Ottomans de l’Europe. Suite au traité de Londres en 1913, le territoire ottoman des Balkans s’est réduit à la province d’Istanbul. Après la Première Guerremondiale, suiteau traitédepaix deSèvresavecl’Angleterre et la France en 1920, la province d’Istanbul dans les Balkans a été préservée par la République turque (qui a succédé à l’Empire ottoman), ce qui constitue l’argument actuel pour l’entrée de la Turquie dans la Communauté européenne.

Le Grand Balkan s’étend sur 550 000 kilomètres carrés, englobant l’Albanie, la Bulgarie, la Yougoslavie, la Roumanie et la province d’Istanbul en Turquie. Le Petit Balkan est l’appellation donnée à l’Ouest de la Bulgarie.

La Première Guerre mondiale s’est déclenchée à la suite de l’assassinat, en 1914, en Bosnie, dans les Balkans, du prince héritier d’Autriche. La fin de la guerre a signifié celle de l’Empire ottoman. En 1918, réunissant la Serbie, la Bosnie, l’Herzé­govine et la Slovénie, l’Autriche a instauré un régime monarchique en Yougoslavie. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Yougoslavie comme l’ensemble des Balkans ont été conquis par l’armée allemande (2). Joseph B. Tito, officier de l’armée you­goslave, à la tête d’un groupe de guérilla communiste, a organisé et dirigé dans la région serbe un mouvement de résistance contre l’occupant allemand. À la fin de la guerre, a été créée la République fédérative de la Yougoslavie qui s’est ralliée aux États de Roumanie, Bulgarie, Albanie, Hongrie et Tchécoslovaquie, qui consti­tuaient à l’époque le bloc soviétique de l’Est de l’Europe (jusqu’à Berlin). Mais, rapidement, le maréchal Tito, à la tête de l’État yougoslave, a pris ses distances avec Moscou. La Yougoslavie a été le premier État communiste qui, durant la période difficile de la guerre froide, a proclamé son indépendance à l’égard de Moscou et, malgré l’opposition furieuse du monde communiste, a poursuivi son chemin d’indépendance à l’égard des deux blocs. Une voie qui l’a conduite au bloc du tiers monde.

La Fédération yougoslave (englobant la Serbie, la Bosnie, l’Herzégovine, la Croatie, la Slovénie, le Monténégro, le Kosovo et la Macédoine) bénéficiait d’une grande crédibilité au niveau international. Au moment de la désintégration du bloc de l’Est, cette fédération s’étendait sur 255 804 kilomètres carrés, soit près de la moitié de la presqu’île des Balkans, avec une population de 30 millions d’habitants. Grâce à son indépendance politique et économique vis-à-vis des deux blocs durant la guerre froide, ce pays pouvait être un modèle pour ses voisins. Or, cette image ne convenait guère à l’Occident, au sein même de l’Europe. L’Occident avait tracé un autre destin pour les Balkans.

La présence pendant cinq siècles de l’Empire ottoman dans l’Est de l’Europe a laissé des traces dans les Balkans, en particulier dans le domaine social : diver­sité et composition de la population, de la culture et des traditions autochtones. Les adeptes des trois branches du christianisme (orthodoxe, protestant, catholique) ainsi que ceux du judaïsme et de l’islam vivaient en harmonie, avec une diversité de la population, composée de Turcs, Bulgares, Roumains, Serbes, Grecs, Espagnols, Arméniens et Tziganes. Or, soudain, la nouvelle stratégie de l’Occident a pointé cette diversité et en a fait l’instrument de la désintégration de la Fédération yougos­lave, qu’il ne pouvait supporter en Europe.

La fièvre montant dans la région, à la suite de la désintégration du bloc de l’Est, du retour des exilés des États-Unis et de Grande-Bretagne dans leur pays, de leur prise de pouvoir grâce au soutien américain, de la disparition des régimes autochtones, la montée des nationalismes et des sectarismes religieux dans l’Europe de l’Est avait pour cible, entre autres, la Yougoslavie.

Sous les Ottomans, la Bosnie était devenue un important centre culturel is­lamique. Ses écoles avaient formé de nombreuses personnalités qui, outre leurs connaissances théologiques, étaient des savants éminents en matière de mystique, de culture, et occupaient des places importantes dans l’administration de l’Empire. Tout en mobilisant des moudjahidine musulmans pour la guerre sur le front de l’Afghanistan, l’Occident a pointé du doigt l’identité islamique de la Bosnie et y a ouvert le chemin pour les combattants musulmans. Parmi ceux-ci se trouvaient également des membres des Gardiens de la révolution islamique de l’Iran.

Dans la guerre civile en Yougoslavie, qui s’avançait étape par étape en détruisant les fondements de l’ancien régime fédéral, l’OTAN, Washington, Berlin, Londres, Paris et l’Organisation des Nations unies étaient présentes ou observatrices. Durant les moments opportuns, les forces aériennes de l’OTAN fixaient le destin des fronts. La guerre commencée en Bosnie devait se terminer au Kosovo (3).

Ce qu’a enduré la Yougoslavie pendant vingt ans a été plus catastrophique qu’au Vietnam. Mais les crimes commis ont été cachés aux yeux du monde. Le Tribunal pénal international, créé pour juger les « crimes contre l’humanité » et les « géno­cides », a été un organisme officiel qui s’est limité aux exactions commises dans le cadre de la guerre civile, qui n’étaient que les effets d’une cause non élucidée (4). Les conséquences de cette guerre ont été englobées dans le terme général de « balkani-sation », sans se préoccuper de la chute d’un État moderne, de la montée des idées communautaires et religieuses dans le cadre de petits États séparés, opposés et inca­pables de gérer leur autonomie dans le Sud de l’Europe. C’est la même stratégie que l’Occident prévoit d’adopter pour les modifications profondes de la géopolitique de la région du « Grand Moyen-Orient », s’étendant du Nord de l’Afrique jusqu’à l’Ouest et au Centre de l’Asie.

Notes

  1. Jean-Michel Cantacuzène, Mille ans dans les Balkans, Paris, Christian, 1992.
  2. Joëlle Dalègre, Grecs et Ottomans 1453-1923. De la chute de Constantinople à la fin de l’Empire ottoman, Paris, L’Harmattan, 2002.
  3. Diana Johnstone, La croisade des fous. Yougoslavie, première guerre de la mondialisation, Pantin, Le Temps des cerises, 2005.
  4. Xavier Raufer, « Balkans, boucherie et bidonnages », Le Nouvel Économiste, février 2011.

 

 

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