Le peuplement balkanique, un kaléidoscope géopolitique

Recteur Gérard-François dumont

Professeur à l’université de Paris-Sorbonne Président de la revue Population & Avenir

2eme Trimestre 2011

Comme toute région du monde, les Balkans se caractérisent par un territoire et un peuplement. S es limites géographiques sont souvent considérées comme celks des tmitoires que l’occupation de l’Empire ottoman, pendant criiatre siècles, éloi­gna du reste de l’Europe. D’autres définitions s’appuient sur les région ayant connu l’influence de l’Église orthodoxe à l’époque byzantine, même si certaines popula­tions ont étg islamises à partir du XIVe siècle. Ce simple essai de définition montre déjà plusieurs approches tmitoriales possibles. Pour ks années 2010, choisissons comme l imites des Balkans[1] neuf États, soit l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie[2]. Quant au peuplement de cette région, en 1932[3], Albert Londres, le père du jour­nalisme d’investigation, démontrait la grande difficulté à le comprendre. Est-il pos­sible de le démentir ?

Dans ce dessein, étudions la géopolitique du peuple ment des Balkans en suivant une démarche novatriœ, qui s’affranchit de la logique d’une étude État par État, en analysant le peuplement non à partir des nationalités juridiques ou des États de résidence (les habitants de l’Albanie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Bulgarie, de la Croatie…), mais à partir des nationalités (c’est-à-dire les Albanais, les Bulgares, les Croates, les Grecs, les Serbes…), quel que soit leur territoire étatique de résidence ou leur appartenance juridique. L’angle adopté ici est celui de la nationalité, au sens courant d’usage dans différents pays[4], fondé sur une conception ethnique : un en­semble de caractères communs partagés par un groupe humain, très souvent la lan­gue ou, tout particulièrement dans les Balkans, la religion. Il s’agit donc d’examiner les « groupes humains », en considérant d’abord leur existence balkanique, indépen­damment des frontières politiques intrabalkaniques. « Un groupe humain se définit comme un ensemble de personnes attachées au territoire où elles résident depuis longtemps, et ayant des caractéristiques qui les singularisent dans ce territoire où elles habitent[5]. » Or, l’existence de groupes humains exerce des effets, directement ou indirectement, sur les situations et évolutions géopolitiques internes et externes. L’étude supposerait également de considérer les diasporas dans les Balkans, mais ces dernières y sont peu présentes, puisqu’une seule communauté de ce type compte une importance significative : les Turcs[6].

Il importe donc d’apprécier la répartition selon les nationalités, la plus ou moins grande compacité de leur peuplement, leur distribution selon les États, l’impor­tance de leur diaspora vivant hors des Balkans et leurs liens avec des pays extérieurs à la région.

Le territoire balkanique sans nationalité dominante

Comme dans de nombreuses autres régions du monde, il est difficile de dé­terminer exactement la population de chaque groupe humain des Balkans, et ce pour deux raisons principales. La première est que les déclarations d’appartenance nationale, lors des recensements, peuvent varier selon le type de questionnaire, le contexte politique du moment[7] ou le mode de dépouillement des opérations de recensement. La seconde raison tient au fait que les données sont toujours fournies

à l’échelle des États et, donc, jamais à celle des nationalités. Les estimations de la ré­partition des nationalités dans les Balkans reposent donc sur l’addition des résultats des recensements de plusieurs États, recensements qui n’ont pas nécessairement lieu à la même date et dont les définitions utilisées, méthodes et renseignements donnés varient. Toutefois, les deux biais mentionnés ci-dessus sont à relativiser[8], car les Balkans ont une vieille tradition de recensements[9] et les grandes nationa­lités sont assez clairement définies[10], d’où des résultats globalement acceptables[11]. Néanmoins, il ne faut pas omettre que l’histoire de cette région est aussi celle de contestations des nationalités déclarées de certains par d’autres. Par exemple, les Macédoniens ont longtemps été considérés par les nationalistes serbes et bul­gares comme des Serbes ou des Bulgares, les Monténégrins comme des Serbes, les Bosniaques comme des Serbes ou des Croates islamisés… De fait, la désignation des nationalités semble autant une réalité de terrain (peuple qui s’affirme comme tel) qu’un instrument stratégique et politique. D’ailleurs, toute l’architecture de la Yougoslavie de Tito reposait sur l’équilibre fragile créé par la désignation des peuples qui la constituait, soit les cinq peuples désignés en 1943 en tant que Narod (peuples constitutifs) avant la création d’un sixième, le « peuple musulman », un quart de siècle plus tard.

Les Balkans, dans les limites des neuf États précisés ci-dessus, comptent 42,5 mil­lions d’habitants en 2010[12], soit un ordre de grandeur comparable à l’Espagne ou à la Pologne, bien qu’inférieur à la première et supérieur à la seconde. L’examen de la répartition du peuplement des Balkans selon les nationalités montre d’abord l’absence d’une nationalité dominante. En effet, les effectifs de la nationalité la plus nombreuse, les Grecs, ne dépassent pas le quart de la population totale de la région. Deuxième constat : l’écart d’effectifs des Grecs avec la deuxième nationalité, les Serbes, est inférieur au tiers. Troisième constat : pas moins de cinq nationalités représentent chacune plus de 10 % de la population des Balkans : les Grecs, les Serbes, les Bulgares, les Albanais et les Croates.

Les Grecs, nationalité la plus nombreuse des Balkans, dépassent les 10 millions de personnes. Leur présence dans cette région est attestée depuis plusieurs mil­lénaires. En effet, les Grecs contemporains revendiquent l’héritage des Grecs de l’Antiquité. Au XXIe siècle, leur identité peut se résumer à leur caractère de popula­tions non slaves, s’étant libérées depuis le XIXe siècle d’une longue domination par l’Empire ottoman, et à leur religion très majoritairement chrétienne orthodoxe. L’Église orthodoxe grecque fut proclamée autonome en 1833 dans le contexte de l’indépendance acquise par la Grèce, ce qui signifie que, depuis, le patriarche de Constantinople ne la dirige plus mais exerce, parmi les chefs des Églises orthodoxes qui le reconnaissent, une primauté d’honneur (premierparmi ses égaux) qui fait de lui en quelque sorte le garant des valeurs de l’orthodoxie. En outre, les Grecs se dis­tinguent par leur langue, écrite dans leur alphabet spécifique, issue du grec ancien.

Les Serbes forment la deuxième nationalité des Balkans et sont, avec 8,2 mil­lions de personnes, le peuple slave le plus nombreux des Balkans. Leur présence est considérée comme plus récente que celle des Grecs, sachant qu’elle est attestée au moins depuis la seconde moitié du premier millénaire (VIIe siècle). Comme les Grecs, une part de leur héritage est byzantin, et leur religion chrétienne orthodoxe. Mais ils se différencient des Grecs par leur langue slave, écrite normalement dans l’alphabet cyrillique, longtemps dénommée en France, mais à tort, serbo-croate. Dans l’État de Serbie, le serbe s’écrit avec deux alphabets, cyrillique et latin. Le cyrillique est utilisé par les journaux de référence. Les journaux en alphabet latin sont souvent plus généralistes, moins « élitistes » et plus « populaires », ou alors « progressistes ». Les deux alphabets sont quasiment bijectifs, c’est-à-dire que le passage de l’un à l’autre suit des règles mécaniques ; néanmoins, quelques mots font exception. L’administration de la Serbie privilégie l’alphabet cyrillique, mais elle utilise aussi l’alphabet latin. Aussi est-il indispensable à tout Serbe d’être un parfait bialphabet. Lors de l’apprentissage de l’écriture et de la lecture, tous les enfants apprennent les deux alphabets.

La troisième nationalité balkanique par le nombre, les Bulgares, comprend 6,7 millions d’individus. Ce groupe national slave semble issu de la fusion de plu­sieurs groupes ethniques, dont de premières tribus, les Thraciens, qui se seraient installées sur le territoire actuel de la Bulgarie. Des ancêtres des Bulgares seraient venus des steppes asiatiques pendant la Grande Migration des peuples (rve et Ve siècles). Ces populations, appelées protobulgares par les historiens, sont d’ori­gine turco-mongole. En s’installant dans les Balkans, à la fin du VIIe siècle, ces populations se sont mélangées aux Slaves arrivés peu avant elles, eux-mêmes déjà mêlés aux Thraces. Les Bulgares parlent une langue slave méridionale, le bulgare, qui s’écrit dans l’alphabet cyrillique[13]. Ils sont majoritairement de religion chré­tienne orthodoxe. En 1870, l’Église orthodoxe bulgare a rejeté la juridiction de Constantinople, dominée par les Grecs, dont elle dépendait auparavant, formant un Exarchat bulgare, c’est-à-dire une Église autocéphale indépendante du patriarcat de Constantinople. Autonome et dirigée par un patriarche, l’Église orthodoxe de Bulgarie est un élément important de l’identité nationale bulgare[14]. Elle a joué un rôle essentiel dans la préservation de la culture bulgare, à la fois lors de l’occupa­tion ottomane et pendant le régime communiste. Finalement, la reconnaissance du patriarcat de Bulgarie par Constantinople a été officialisée en 1961. Toutefois, une minorité de chrétiens de Bulgarie ne se considèrent pas orthodoxes, participant à des Églises catholiques de rite byzantin ou de rite latin.

Les Albanais, avec 5,9 millions de personnes, constituent la quatrième nationa­lité la plus nombreuse des Balkans. Ils revendiquent le fait d’être des autochtones, descendant des Illyriens, peuple protohistorique des Balkans apparu au XXe siècle av. J.-C. Leur deuxième héritage vient de Rome, la conquête de cette région par la République romaine débutant par la prise de Dyrrachium en 229 av. J.-C. pour mettre fin à la piraterie dans cette région de la mer Adriatique. Situés notamment sur la zone de contact et d’affrontement entre catholicisme et orthodoxie, les Albanais se sont convertis majoritairement à l’islam au cours des quatre siècles de l’occupation ottomane, mais comptent une minorité chrétienne dont il est difficile de savoir si elle est albanaise ou grecque. Leur langue spécifique, l’albanais, s’écrit dans l’alphabet latin et n’a fait l’objet d’efforts notables de codification qu’à partir du milieu du XIXe siècle. Son unification littéraire, dépassant les traditions écrites des différents dialectes, ne se termine que dans les années 1970. C’est cette langue récemment unifiée qui est utilisée par la grande majorité des Albanais, quel que soit leur pays de résidence.

Dernière des cinq principales nationalités des Balkans, les Croates comptent 4,6 millions de personnes. Ce peuple slave se différencie par son appartenance re­ligieuse : ils sont très majoritairement catholiques latins. En revanche, on a sou­vent pensé en France que les Croates partageaient la même langue que les Serbes, le serbo-croate. En réalité, l’orthographe croate fut définitivement fixée et stan­dardisée au milieu du XIXe siècle, sous l’impulsion notamment de Ljudevit Gaj, figure éminente du renouveau national croate. Le terme « serbo-croate » est en réalité employé par mégarde ou par erreur, pour désigner indistinctement le croate et le serbe, qui demeurent des langues proches, mais néanmoins différentes. Cette distinction ancienne, antérieure à l’instauration de la Yougoslavie (1918-1991), a perduré avec plus ou moins de succès sous le régime communiste yougoslave (1945­1991), puisque quatre langues officielles étaient reconnues : d’une part, le slovène et le croate, qui s’écrivent en caractères latins, et, d’autre part, le macédonien et le serbe, qui s’écrivent en caractères cyrilliques. Ces quatre langues apparaissaient simultanément sur les billets de banque yougoslaves en cours jusqu’en 1991. Pour des raisons moins linguistiques que politiques et idéologiques, la direction com­muniste yougoslave avait entrepris d’exploiter la proximité du serbe et du croate pour tenter de les fusionner en une langue unique au mépris de leurs traditions littéraires respectives. Ce projet resta néanmoins sans lendemain : Croates et Serbes continuèrent à employer chacun leur langue, mais l’on observa une recrudescence de barbarismes et d’emprunts de part et d’autre. Le régime tenta toutefois d’impo­ser, avec un certain succès, l’appellation hybride de serbo-croate (en Serbie) et de croato-serbe (en Croatie). Depuis la transition démocratique en 1990, le croate est redevenu l’appellation de la langue officielle en Croatie.

Certes, le croate et le serbe demeurent deux langues très proches, permettant aux locuteurs des deux langues de communiquer sans grandes difficultés. Mais elles possèdent chacune leur propre grammaire, une orthographe et un alphabet dis­tincts, autrement dit deux normes différentes. En outre, leur vocabulaire, s’il de­meure très proche, n’en diffère pas moins par plusieurs milliers de termes. Le croate et le serbe forment deux langues distinctes, codifiées par deux grammaires propres, selon Claude Hagège[15], titulaire de la chaire de linguistique au Collège de France, précisant : « La différence entre le serbe et le croate n’est pas une plaisanterie […] la désignation « serbo-croate » de la tradition française reposait sur un malentendu. […] et pas en seulement en France, il y avait de solides traditions reflétées par le terme « serbo-croate » : pour les remettre en cause, il fallait un esprit qui accepte de s’ouvrir[16]. » Les deux langues appartiennent néanmoins au même diasystème, à l’intérieur du groupe des langues sud-slaves.

Les Croates utilisent exclusivement l’alphabet latin, contrairement aux Serbes qui recourent selon les cas à l’alphabet cyrillique ou à l’alphabet latin. Leur dif­férence d’alphabet résulte en grande partie du mode de christianisation des deux peuples : la plupart des Croates ont été et sont restés christianisés par l’Église catho­lique romaine tandis que les Serbes le furent, à compter du XIe siècle, par l’Église byzantine dite orthodoxe.

 

Deux nationalités d’effectifs moyens

À ces cinq principales nationalités s’en ajoutent d’autres, moins nombreuses, dont deux qui se distinguent par des effectifs supérieurs à un million de personnes. La première est le « peuple musulman », intitulé créé pour le recensement de 1971 par Tito pour les Slaves qui ne se reconnaissent ni croates ni serbes. Il est générale­ment considéré que l’appellation « musulman » ne signifie pas nécessairement une appartenance confessionnelle. Depuis la fin du titisme, le terme utilisé est celui de « Bosniaques », parfois écrit en français Bochniaques, soit 2 millions de personnes environ. Plus précisément, en septembre 1993, la décision de l’abandon du nom de « musulman » pour celui de « Bosniaque » au sujet de la nation des musulmans de Bosnie-Herzégovine et du Sandjak, qui traduit une volonté de redéfinition de l’identité musulmane/bosniaque, est prise afin d’affirmer la transformation de la communauté musulmane bosniaque en nation souveraine. Ces Bosniaques sont des Slaves comme les Serbes et les Croates, mais convertis à l’islam pendant la période ottomane. Leur religion constitue donc leur principale caractéristique identitaire. Ils parlent une langue slave récente, le bosniaque, écrite en alphabet latin. En effet, la langue bosniaque (bosnjacki) peut être considérée comme datant du lendemain des accords de Dayton dans le but d’une différenciation avec les langues serbe et croate. En fait, les différences réelles proviennent de l’emploi de mots turcs (les « turquismes »), beaucoup plus présents dans le bosniaque que dans le serbe ou le croate. Ainsi, les turquismes, jadis honnis, vont probablement se développer pour faire de la langue un nouveau symbole d’identité.

La seconde nationalité d’importance moyenne concerne les Macédoniens, au nombre d’1,3 million d’individus. Ce peuple slave, parlant une langue slave écrite en alphabet cyrillique, est majoritairement de religion chrétienne orthodoxe. Il peut aussi faire référence à l’héritage politique des Comitadjis, nationalistes macédoniens insurgés qui contestaient la division de leur territoire entre la Bulgarie[17], la Serbie et la Grèce, et se sont battus pour leur indépendance contre les Turcs au cours des XIXe et XXe siècles. Leur connaissance historique doit notamment beaucoup à Albert Londres, dont les articles sur la « poudrière des Balkans » constituent le dernier livre[18].

 

Diverses nationalités à effectifs réduits

Après les cinq nationalités principales et les deux de taille moyenne, les autres comptent toutes moins d’un million de personnes. Parmi ces groupes, un seul, les Monténégrins, qui comprend au total 340 000 personnes, est majoritaire dans un État indépendant. Leur caractère national apparaît moins clair si l’on en juge par la différence du nombre des personnes se déclarant monténégrines selon les recense­ments, et la forte évolution de cette nationalité lors du recensement de 2003[19]. Les Monténégrins utilisent une langue slave proche du serbe, le monténégrin norma­lisé dans les années 1990, écrit en alphabet cyrillique. Ils sont majoritairement de religion chrétienne orthodoxe. Leurs différences avec les Serbes résultent essentiel­lement de raisons politiques.

La présence d’autres nationalités dans les Balkans tient à des héritages politiques et à des mouvements migratoires : la plus importante d’entre elles est constituée par les Turcs, soit 950 000 personnes, musulmans de langue turque, donc non indo-européenne. Puis vient une autre nationalité qui ne fait référence à aucun État éponyme : les Roms, 540 000 a minima[20]. Enfin, de nombreuses autres minorités, donc moins nombreuses, existent, comme les Hongrois (surtout présents dans la province serbe de Voïvodine), les Aroumains (Valaques en Épire), les Pomaques (généralement musulmans en Bulgarie et en Grèce), les Arméniens, les Juifs…

Il résulte de l’absence de nationalité dominante dans les Balkans deux voies possibles inverses : soit l’instauration de modes pacifiques de cohabitation, donc une volonté de rapprochement balkanique, soit des tensions nourries. Ces dernières peuvent provenir d’une situation géopolitique interne aux Balkans, avec d’éven­tuelles alliances changeant en fonction du contexte géopolitique du moment, les alliés du moment pouvant devenir les ennemis de demain. Elles peuvent aussi tenir davantage à des facteurs géopolitiques externes aux Balkans, sous l’effet des inter­ventions et des rivalités entre grandes puissances. Combinant ces deux effets, le cycle de tensions du début du XXe siècle, considéré comme l’une des causes de la Première Guerre mondiale, conduit à user du terme « balkanisation », mot s’appli-quant à une région connaissant un morcellement territorial considéré comme ayant des conséquences néfastes. Mais, pour prendre la mesure de ce morcellement, il ne faut pas en rester à l’échelle des nationalités, avec leurs distinctions complexes et parfois discutables. Il convient aussi de considérer le plus ou moins grand degré d’homogénéité de chaque nationalité, c’est-à-dire leur degré d’unicité.

 

Des différences d’unicité selon les nationalités

Les différences d’effectifs selon les nationalités des Balkans ne déterminent pas une nette et incontestable classification hiérarchique. En revanche, l’étude du peu­plement de chaque nationalité permet de mettre en évidence de fortes unicités ethniques pour la plupart des nationalités des Balkans.

Les Grecs apparaissent comme la nationalité à la plus forte unicité. Leur alpha­bet spécifique les distingue clairement des autres peuples. Ils peuvent se prévaloir d’avoir été le premier peuple balkanique à acquérir son indépendance dès 1830 en se libérant du joug de l’Empire ottoman. En outre, l’État qu’ils peuplent très majo­ritairement pratique un jacobinisme qui n’admet guère le régionalisme, allant par­fois jusqu’à tendre à nier l’existence des minorités présentes sur le territoire de l’État grec. Quatre autres principales nationalités, toutes slaves, les Bulgares, les Serbes, les Croates et les Bosniaques, présentent aussi un degré d’unicité élevé, même si elles connaissent des différences régionales, notamment selon l’État où elles résident majoritairement.

En revanche, une nationalité, les Albanais, se caractérise par une certaine hé­térogénéité, qu’elle soit ethnique ou religieuse. Au plan ethnique, les Albanais se partagent traditionnellement en deux groupes, géographiquement séparés à l’ori­gine par le fleuve Shkumbin : les Guègues au nord, incluant les Kosovars et la majorité des Albanais de Macédoine, et les Tosques au sud, incluant des Albanais méridionaux de Macédoine autour de Bitola. Les premiers sont présentés comme des montagnards, ayant longtemps vécu isolément, respectant le droit coutumier et disposant d’une organisation tribale qui leur a permis de surmonter la rudesse de leur enclavement géographique. Les seconds, habitant originellement des plaines et vallées, avaient davantage de tradition d’ouverture. À la différence d’origine géo­graphique s’ajoutent des différences entre les dialectes méridionaux (ou tosques) et septentrionaux (ou guègues). Toutefois, la langue albanaise utilisée par la grande majorité des Albanais a connu un processus d’unification davantage influencé, semble-t-il, par les dialectes méridionaux (ou tosques).

Mais la distinction entre Guègues et Tosques est discutée, par exemple par Gilles de Rapper[21], qui insiste davantage sur des différences d’habitat, d’alimen­tation, de costume ou d’organisation sociale et de pratiques religieuses. C’est, en effet, le second facteur d’hétérogénéité des populations albanaises, avec les apparte­nances religieuses variées : musulmans (majoritaires, mais différenciés en raison de la confrérie des bektachis[22] et de certaines influences wahhabites dans le Nord de l’Albanie), chrétiens orthodoxes (avec une église autocéphale en Albanie depuis le 12 avril 1937), chrétiens catholiques[23]

En outre, des différences existent entre les Albanais d’Albanie et ceux du Kosovo au plan culturel et, dans une moindre mesure, linguistique. Faute de pouvoir trans­cender ces différences, les Albanais ont eu un poids politique longtemps réduit dans les Balkans. Effectivement, ils ont acquis des indépendances étatiques tardivement par rapport aux autres nationalités : la proclamation de l’indépendance de l’Albanie advient en 1912 et se trouve reconnue par les grandes puissances en 1913, mais avec un périmètre étatique restreint, issu des marchandages de la conférence des ambas­sadeurs à Londres. Le poids géopolitique de l’État albanais se trouve aussi contrarié lorsque des tensions se manifestent entre le Sud (en situation de quasi-autonomie) et le Nord, comme lors de l’effondrement économique du pays en 1997. Quant à l’indépendance du Kosovo, elle est encore plus récente (2010) et, en 2011, faute d’une reconnaissance internationale suffisamment large, le pays n’est pas membre de l’ONU. En termes d’unicité, ce sont donc les Albanais qui apparaissent dans une situation géopolitiquement moins favorable que celle des autres nationalités des Balkans. Un autre facteur susceptible d’exercer des effets géopolitiques tient à la plus ou moins grande compacité du peuplement de chaque nationalité dans la région, en fonction de sa continuité géographique.

 

Géopolitique et compacité du peuplement

Deux types opposés de compacité dus à la répartition géographique des natio­nalités peuvent être distingués : soit des nationalités géographiquement concen­trées sur des territoires des Balkans où elles représentent la très grande majorité du peuplement, soit des nationalités dont le peuplement s’avère plutôt dispersé. En réalité, le degré de compacité des nationalités a évolué sous l’effet des déplacements de populations dus et consécutifs aux guerres de l’ex-Yougoslavie des années 1990.

En effet, historiquement, l’une des principales caractéristiques de la géographie de la population des Balkans, outre sa pluri-nationalité, était l’emmêlement des différentes nationalités, avec des territoires où aucune d’entre elles ne dominait réel­lement. Cette situation s’accompagnait de l’absence de continuité pour certaines nationalités entre la zone de peuplement principal et des zones de peuplement se­condaire, malgré des évolutions sensibles depuis le début du XXe siècle, suite aux indépendances acquises sur l’Empire ottoman et aux guerres balkaniques (1912­1913), puis à la Seconde Guerre mondiale, ayant provoqué d’importants mouve­ments de population[24].

À la veille de la chute du communisme dans la région, en 1990, il est possible de distinguer les nationalités à forte compacité de peuplement des autres. Cinq nationalités présentent alors une forte compacité de leur peuplement : les Grecs, les Bulgares, les Albanais (le peuplement albanais au Kosovo et en Macédoine se faisant dans la continuité de l’Albanie), les Macédoniens et les Monténégrins. Leur répartition spatiale dans les Balkans ne présente donc pas de discontinuité majeure.

À l’opposé, toujours en 1990, trois nationalités se caractérisent par une certaine dispersion géographique, le noyau central de leur peuplement étant complété par des noyaux secondaires en discontinuité. La moins compacte des nationalités est constituée par les Serbes. Au noyau central correspondant à la Serbie s’ajoutent des noyaux secondaires en Croatie, avec deux blocs distincts, éloignés de la Serbie, d’une part en Krajina[25] et en Slavonie occidentale, d’autre part à l’ouest de la Bosnie et au sud-est de la Bosnie. Cette distribution spatiale peut alors être considérée comme un atout dans le cadre d’une Yougoslavie plurinationale, dans laquelle la nationalité serbe exerce un rôle prépondérant.

Puis, dans le contexte d’une Yougoslavie éclatée, plusieurs territoires à majo­rité serbe se retrouvent, au sein des nouveaux États, dans une situation minori­taire nouvelle. Cela a pu concourir à un nationalisme serbe cherchant à constituer des continuités géographiques entre les différents territoires à peuplement serbe dominant, entraînant des conflits qui sont allés jusqu’au nettoyage ethnique des minorités encombrantes. En 1991, en Croatie, les Serbes érigent par les armes une « République serbe de Krajina », provoquant un nettoyage ethnique conduisant à l’expulsion des Croates, qui composaient environ 30 % du peuplement de cette région. Puis, pendant une guerre qui dura trois ans (mars 1992 à décembre 1995), en Bosnie-Herzégovine, les Serbes constituent une « République serbe » composée de territoires contigus dont le peuplement devient presque exclusivement serbe, suite aux nettoyages ethniques, à l’exemple de celui des Bosniaques musulmans de Srebrenica, massacrés en 1995. Les changements d’occupation du territoire ex­yougoslave selon les nationalités, bien que résultant de violences guerrières, ont été entérinés par les accords de Dayton de 1995.

Si nous nous plaçons à nouveau avant 1991, les Bosniaques connaissent alors aussi, comme les Serbes, une certaine dispersion : un noyau principal autour de Sarajevo, mais assez mêlé avec des minorités serbes partout présentes, et deux noyaux secondaires au nord-ouest de la Bosnie, à la frontière de la Croatie, et dans la région du Sandjak en Serbie. Des Bosniaques considèrent cette faible compacité de leur peuplement comme un désavantage risquant de les mettre presque partout en situation de minorité dans la recomposition territoriale de l’ex-Yougoslavie. Aussi, l’objectif des nationalistes bosniaques d’Izetbegovic, pendant la guerre de Bosnie, est-il de se constituer un noyau territorial dominant. Parallèlement, un mouve­ment autonomiste bosniaque voit aussi le jour dans les années 1990 au Sandjak, région montagneuse située à cheval entre la Serbie et le Monténégro, où certains extrémistes déploient des velléités sécessionnistes, souhaitant un rattachement à la Bosnie-Herzégovine qui acquiert son indépendance.

Enfin, les Croates, à un degré moindre, présentent aussi avant 1991 une cer­taine dispersion géographique de leur peuplement, avec deux noyaux principaux : la Croatie centrale et la Dalmatie-Herzégovine, reliés par un corridor littoral en Croatie. Avec les guerres du début des années 1990, ce corridor s’est trouvé menacé par la présence militaire serbe en Krajina, qui a signifié d’abord la volonté d’em­pêcher l’indépendance de la Croatie, puis, cette indépendance acquise, un risque d’irrédentisme au sein du pays nouvellement indépendant.

En sont résultées les deux offensives militaires croates de mai-août 1995, consis­tant à assurer l’indépendance de la Croatie sur son territoire qu’elle juge historique. Ces offensives conduisent au départ de 360 000 Serbes vers d’autres régions majo­ritairement serbes de l’ex-Yougoslavie, tandis que Belgrade en oriente certains vers le Kosovo. Elles font s’effondrer la « République serbe de Krajina ». Le pourcentage de Croates en Croatie est donc passé de 78 % au recensement de 1991 à 90 % en 2001[26]. Depuis 1995, la Constitution et les lois de la Croatie, conformes aux principes de l’Union européenne, assurent le respect des minorités et permettent dans une certaine mesure le retour des Serbes. Mais seulement une faible partie des Serbes sont revenus, surtout des personnes âgées. Les territoires reconquis de Krajina se sont trouvés repeuplés notamment par les réfugiés croates du reste de l’ex-Yougoslavie (d’Herzégovine, de Voïvodine et du Kosovo).

Dans les années 1990, la question de la compacité des groupes humains exerce donc un rôle très important dans les évolutions géopolitiques de l’ex-Yougoslavie, l’un des objectifs des différents belligérants étant de constituer des entités territo­riales ethniquement homogènes. Aussi, dans les années 2010, suite aux différents processus de nettoyage ethnique consécutifs à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, une forte compacité du peuplement se constate pour toutes les nationalités, moindre seulement pour les Bosniaques, dont la population reste séparée en deux ensembles territoriaux (Bosnie et Sandjak).

Les conflits de l’ex-Yougoslavie des années 1990, marqués par une volonté de purification ethnique, se sont donc traduits par une recomposition de la répartition géographique des nationalités dans les Balkans. Ces conflits ont débouché sur la création de frontières étatiques, avec le remplacement de la Yougoslavie par plusieurs États ; aussi, des nationalités dont la répartition géographique était mono-étatique sont devenues pluri-étatiques, donc dispersées dans plusieurs États. Il importe de décrypter le résultat de ces évolutions pour éclairer davantage la situation géopolitique des Balkans.

récentes (avec un nombre identique à la Macédoine, alors que leur nombre était quasiment nul en 1990[27]). Cette inadéquation entre les frontières de l’État albanais et la nation albanaise explique en partie les conflits armés dans les territoires où les Albanais étaient majoritaires. Au Kosovo, sous souveraineté de l’État yougoslave puis de l’État serbe, la domination numérique des Albanais leur a permis de proclamer l’indépendance[28], conséquence également de la guerre de 1999, qui a vu l’intervention de l’OTAN, venue officiellement « défendre » les Albanais face aux tentatives serbes de nettoyage ethnique.

En Macédoine, la minorité albanaise est entrée en rébellion armée contre le pouvoir central en 2001, ce qui a abouti à un statut d’autonomie suite aux accords d’Ohrid. D’ailleurs, il est à noter que certains nationalistes albanais revendiquent un projet de Grande Albanie qui regrouperait le Kosovo, l’Albanie et la partie alba­naise de la Macédoine.

La deuxième nationalité pluri-étatique, essentiellement tri-étatique, concerne les Serbes. 76 % d’entre eux vivent en Serbie. D’autres Serbes, au nombre de 1,4 million de personnes, vivent en Bosnie-Herzégovine, où ils pèseraient 37 % de la population totale de cet État. Ensuite, les Serbes sont 200 000 au Monténégro, où ils représentent une part proche de celle constatée en Bosnie, c’est-à-dire un tiers de la population. En Croatie, les effectifs de Serbes sont identiques mais ils ne constituent plus que 4,5 % de la population, leur présence dans ce dernier pays s’étant réduite par suite des conséquences des différents nettoyages ethniques effec­tués en Krajina. Au Kosovo[29], les Serbes ne sont plus que 100 000, concentrés dans des enclaves, constituant 5,3 % de la population totale. En particulier, en 2007, avait été avancée l’option Ahtisaari, prévoyant une autonomie du Nord-Kosovo avec des liens fonctionnels (santé, éducation…) avec Belgrade[30]. Pour les Serbes comme pour les Albanais, on constate donc aussi une forte inadéquation entre territoire étatique serbe et peuplement serbe dans les Balkans. Le risque existe donc que les tensions dues à cette situation se pérennisent, au moins dans une partie de l’ex-Yougoslavie.

Enfin, une troisième nationalité, les Monténégrins, est plutôt bi-étatique : 78 % des Monténégrins habitent au Monténégro, soit un pourcentage proche de celui constaté pour les Serbes en Serbie, le reste des Monténégrins se trouvant principa­lement en Serbie, soit 70 000 personnes, ce qui est faible pour la Serbie, mais un pourcentage significatif de la totalité des Monténégrins des Balkans.

Le deuxième type de répartition étatique des nationalités des Balkans concerne deux nationalités au caractère partiellement transfrontalier. À la concentration importante de leur population dans un État éponyme s’ajoute une communauté dans un État limitrophe. Ainsi, 87 % des Croates habitent en Croatie, État dans lequel ils représentent près de 90 % de la population. Cependant, d’autres Croates habitent dans l’État voisin de Bosnie-Herzégovine, où ils sont estimés à 537 600 (en 2008), soit 14 % de la population. Il existe aussi une petite communauté de 70 000 Croates en Serbie, soit à peine 1 % de la population totale de cet État.

Une seconde nationalité, les Bosniaques, est partiellement transfrontalière. Elle vit à 90 % en Bosnie-Herzégovine, État dans lequel les Bosniaques forment la na­tionalité la plus nombreuse et sont presque majoritaires (48 %). Une concentration secondaire de Bosniaques se trouve dans le Sandjak, principalement dans sa par­tie se trouvant dans l’État serbe, soit près de 136 000 personnes au recensement de 2002, ce qui en fait le principal groupe ethnique (46 % de la population) du Sandjak serbe. Des tensions existent[31] dans la partie monténégrine du Sandjak.

Un troisième et dernier type de répartition étatique des nationalités des Balkans en concerne trois, essentiellement mono-étatiques, donc comprises à plus de 95 % au sein des frontières d’un seul État.

La première nationalité de ce troisième type est celle des Grecs. En effet, 99 % des Grecs des Balkans vivent en Grèce, où ils représentent 92 % de la population du pays. La Grèce constitue donc, dans cette région du monde, un pays où le territoire de l’État correspond à celui d’une nationalité très largement dominante. Ce phéno­mène s’est accentué car la petite minorité grecque vivant dans le Sud de l’Albanie, 60 000 personnes environ, s’est réduite sous l’effet d’une émigration vers la Grèce depuis la chute du communisme albanais.

Les Bulgares forment la deuxième nationalité des Balkans largement mono-éta­tique, puisque 99 % des Bulgares vivent en Bulgarie, où ils représentent 83 % de la population. La correspondance entre le peuplement bulgare et les frontières de la Bulgarie est très largement en adéquation, puisque la principale minorité de ce pays, turque, n’est pas compacte sur le plan territorial[32].

Quant aux Macédoniens, 97 % d’entre eux vivent en Macédoine, mais ils n’y constituent que 65 % de la population du pays. L’État macédonien compte donc un peuplement dont l’éventail plurinational est beaucoup plus large que celui de la Bulgarie ou de la Grèce.

Or, lorsque les conditions d’inclusion des groupes humains minoritaires dans les différents États ne sont pas considérées comme satisfaisantes, le caractère trans­frontalier de certaines nationalités balkaniques, principalement les Albanais et les Serbes, peut être, comme l’histoire l’enseigne, un facteur de tensions géopolitiques.

Outre leur importance quantitative, leur répartition géographique et leur dis­tribution étatique, les nationalités des Balkans doivent aussi être considérées sous l’angle de leurs diasporas habitant en dehors des Balkans, sachant que le rôle géo­politique des diasporas est, en général, croissant.

Les diasporas des nationalités balkaniques hors de la région

Sous l’Empire ottoman, et plus précisément du milieu du xve siècle à l’indépen­dance de la Grèce, les principaux mouvements d’émigration des Balkans concer­nent les Grecs, allant chercher hors de l’Empire ottoman de meilleures libertés et possibilités de vivre. Puis, aux xixe et xxe siècles, l’émigration grecque tient surtout au relatif insuccès politique et économique de la Grèce indépendante[33]. Plus gé­néralement, depuis la fin du xixe siècle, dans l’ensemble des Balkans, les tensions géopolitiques importantes et le retard de développement économique par rapport aux pays développés expliquent différents mouvements d’émigration en dehors des Balkans vers l’Europe occidentale ou le reste du monde, notamment l’Amérique.

En se plaçant au tournant des années 2010, le rapport du nombre de membres de chaque diaspora à la population de la nationalité vivant dans les Balkans conduit à distinguer quatre niveaux d’importance, sachant que le total des diasporas balka­niques des huit principales nationalités peut être estimé à 11,8 millions pour une population totale de 42,5 millions dans les Balkans, soit 28 %.

Une nationalité se distingue par une diaspora supérieure au nombre de ses repré­sentants dans les Balkans : les Bosniaques. En effet, 78 % de la diaspora bosniaque vivent en Turquie. Ce phénomène n’est pas lié à la guerre des années 1990 mais à l’héritage des guerres de la fin du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle, qui ont conduit à l’émigration de nombreux Slaves musulmans vers la Turquie. Le reste de la diaspora bosniaque se trouve surtout en Europe centrale, dans deux pays germaniques, l’Allemagne (312 000) et l’Autriche, ainsi qu’en Suisse pour deux raisons. La première relève de migrations politiques. En effet, ces trois pays ont tout particulièrement accueilli des réfugiés pendant les guerres de la première moitié des années 1990, dont une partie seulement sont retournés dans les Balkans après les accords de Dayton. La seconde raison est davantage économique.

Trois nationalités se caractérisent par des effectifs diasporiques, rapportés à leur nombre dans les Balkans, supérieurs à la moyenne des principales nationalités. Parmi elles, la nationalité croate présente le pourcentage le plus élevé, estimé à 40 %, avec une géographie différente de celles des autres diasporas balkaniques. En effet, elle est tout particulièrement dispersée sur l’ensemble de la planète, dans trois foyers principaux. Les deux foyers les plus importants correspondent à une émigration ancienne en Amérique latine (principalement au Chili[34] et en Argentine) et dans les pays neufs anglo-saxons (avec la plus forte communauté aux États-Unis). Du fait de l’ancienneté de ces émigrations vers l’Amérique, à des périodes où les échanges d’in­formations étaient malaisés, les contacts se sont distendus, les populations s’étant assimilées dans leur nouveau pays[35]. En revanche, le troisième foyer croate résulte d’une migration plus récente, notamment à l’époque de la Yougoslavie titiste, en Allemagne (388 000) et en Autriche, soit une migration de proximité pour des raisons politico-économiques[36].

La deuxième nationalité ayant une diaspora à poids démographique relatif élevé (34 %) est l’albanaise. Un quart des Albanais vivent en dehors de Balkans. Les effectifs les plus nombreux sont en Turquie car de nombreux Albanais, comme de nombreux Bosniaques, ont émigré vers l’Empire ottoman pendant les conflits bal­kaniques, et le phénomène a repris depuis la chute du communisme. Par exemple, Istanbul compte une communauté albanaise[37]. Le deuxième pays où la diaspora albanaise est la plus nombreuse correspond pour l’essentiel à des mouvements mi­gratoires postérieurs à 1990. Il s’agit de l’Italie (466 000 personnes en 2010), pays à la fois le plus proche géographiquement et au niveau de développement nettement supérieur. Ailleurs, la diaspora albanaise ne compte que de faibles effectifs.

Enfin, une troisième diaspora provient d’une émigration significative hors des Balkans : les Macédoniens, avec un taux de 31 %. Cette diaspora est concentrée en Europe occidentale, dont 93 000 personnes en Allemagne, et dans les pays anglo-saxons, en particulier l’Australie. Quelques communautés macédoniennes vivent aussi en Amérique latine.

Quant aux Grecs, leur diaspora hors des Balkans représente 2,8 millions de per­sonnes, soit 27 % des personnes de nationalité grecque dans les Balkans : ce pour­centage la situe dans la moyenne des grandes nationalités des Balkans. Cependant, ses caractéristiques géographiques apparaissent différentes de celles des diasporas précédemment examinées. En effet, la diaspora grecque se localise à plus de 70 % dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Australie et Canada). Produit d’une émi­gration surtout intense au xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle, elle a exercé un rôle considérable par le passé. La communauté la plus importante qui se trouve aux États-Unis (1,4 million de personnes)[38] a facilité pendant la guerre froide les liens étroits entretenus par l’élite grecque (dont les armateurs) avec les di­rigeants américains. Le deuxième foyer d’accueil de la diaspora grecque est de bien moindre importance, en Europe occidentale, surtout en Allemagne (374 000 en 2005). Quant à la diaspora grecque des bords de la mer Noire (Ukraine, Géorgie), résultat d’une émigration ancienne, elle a tendance à se réduire, du fait du retour en Grèce de personnes grecques d’ex-URSS[39].

À côté des nationalités dont les diasporas en dehors des Balkans représentent un poids relatif très important (Bosniaques) ou élevé (Albanais, Grecs, Macédoniens), trois correspondent à des proportions relativement faibles : les Serbes, les Bulgares et les Monténégrins, dont le pourcentage est inférieur à la moyenne des huit prin­cipales nationalités balkaniques, donc à 28 %. Ainsi, la diaspora serbe est rela­tivement importante en valeur absolue, avec 1,4 million de personnes, mais son taux est de 17 %. Elle est concentrée aux deux tiers en Europe occidentale, et plus particulièrement dans trois pays : l’Allemagne (419 000), l’Autriche et la Suisse, selon une certaine logique de proximité. Cette diaspora fut essentiellement liée à des migrations de travail pendant les trente glorieuses[40], qui se poursuivent depuis, étant donné le décalage de niveau de vie. D’autres diasporas serbes se trouvent dans les pays anglo-saxons mais ont des liens assez distendus avec le pays d’origine.

Les diasporas bulgares présentent un faible taux (12 %) en raison d’une moindre émigration. Elles résultent principalement de deux flux migratoires. Le premier concerne une émigration ancienne vers l’Europe orientale, essentiellement en Ukraine. Le second, récent, résulte de l’entrée de la Bulgarie dans l’Union euro­péenne le 1er janvier 2007, même si l’émigration vers les autres pays de cette Union se veut contenue temporairement, par l’application d’une période probatoire[41] pour la libre circulation des travailleurs bulgares (et roumains), et par le report décidé en janvier 2011 de l’entrée de la Bulgarie (et de la Roumanie) dans l’espace Schengen. Toutefois, l’augmentation de l’émigration bulgare depuis les années 1990 a entraî­né l’apparition d’une nouvelle région d’accueil correspondant à l’Europe du Sud-Ouest, principalement l’Espagne (169 000 personnes) et, accessoirement, l’Italie. Enfin, les Monténégrins semblent posséder la diaspora la plus modeste, avec un taux de seulement 11 %. Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution car il est possible que des Monténégrins se déclarent serbes à l’étranger.

Les pays où résident ces diasporas ne peuvent totalement les ignorer. Toutefois, les liens de ces pays avec telle ou telle nationalité des Balkans dépendent notam­ment de leur proximité culturelle.

Pourcentage des personnes des diasporas hors des Balkans sur effectifs des nationalités (ethnies) dans les Balkans)

Tableau : Les critères possibles de distinction du peuplement des Balkans (ce tableau doit être lu seulement selon ses colonnes)

 

Nationalité (au sens ethnique) Religion Langue Alphabet Les principaux liens extérieurs possibles selon les nationalités balkaniques
grecque orthodoxe albanaise (unifiée de 1908 à 1972, synthèse de deux dialectes, langue officielle en Albanie) cyrillique (du nom de Constantin le philosophe, connu sous le nom de saint Cyrille 826­869) Turquie
serbe musulmane sunnite bosniaque (alphabet latin) grec Russie
bulgare grecque (langue officielle en Grèce et en Albanie avec l’albanais) latin Union européenne
albanaise musulmane sunnite soufie serbe (langue officielle en Serbie utilisant l’alphabet cyrillique ou l’alphabet latin) États-Unis
croate musulmane organisée en confrérie (Bektachis en Albanie) croate (standardisée au XIXe siècle par Ljudevic Gaj)
bosniaque catholique latine macédonienne (langue officielle en Macédoine, s’écrit en alphabet cyrillique)
macédonienne uniate (catholique) bulgare : langue slave contenant des éléments russes, latins, grecs et turcs (codifiée langue littéraire au XVIIIe siècle)
turque catholique de rite byzantin monténégrine (assez proche du serbe)
rom juive
monténégrine protestante
hongroise arménienne
aroumaine athées
arménienne agnostiques
valaque (en Épire)

 

Géopolitique et liens historico-culturels des nationalités balkaniques

En effet, les caractéristiques des différentes nationalités des Balkans expliquent l’étroitesse de certains rapports géopolitiques.

Ainsi, deux nationalités, les Serbes et les Bulgares, partagent des liens forts avec la Russie. Dans une optique panslaviste, ces pays ont plusieurs points communs avec la « Troisième Rome » : l’origine ethnique (la slavité), la religion (l’orthodo-xie[42]), des proximités linguistiques (les plus proches parmi les langues slaves, ce qui se traduit dans les prénoms et noms de famille), ou encore l’alphabet cyrillique. S’y ajoutent des liens historiques[43], comme le rôle de la Russie dans l’obtention de l’indépendance de la Bulgarie face aux Ottomans. Il faut aussi rappeler le traité de San Stefano, signé en février 1878 entre la Russie et la Bulgarie, qui prévoyait une Grande Bulgarie allant du Danube à la mer Égée et de la mer Noire aux lacs Prespes et Ochrid. Ce projet fut anéanti par les puissances occidentales[44]. De son côté, la Russie considère toujours la Bulgarie comme une sorte d’avant-garde en Europe, faisant partie des pays de l’ex-bloc communiste qui ont épuré de façon limitée les élites politiques issues du communisme. Certains parlent de l’héritage des « excel­lentes relations tissées entre les deux pays sous le socialisme[45] » puisque la Bulgarie était, du temps de l’URSS, considérée comme la plus soviétique des démocraties populaires.

En Serbie, la situation peut apparaître plus contrastée, puisqu’aux ultranatio­nalistes prorusses s’opposent des modernisateurs pro-européens. Cependant, d’une part, en 1999, la Russie avait menacé d’intervenir militairement si l’OTAN avait déclenché une intervention militaire terrestre en Serbie. D’autre part, la Russie s’est opposée à l’indépendance du Kosovo et n’a évidemment pas reconnu le nouvel État indépendant. La Serbie dispose donc de l’appui de la Russie concernant la question géopolitique du Kosovo. À l’inverse, les Serbes se sentent éloignés de la Turquie car le contexte de près de cinq siècles de domination ottomane a profondément mar­qué les attitudes politiques. Dans cette période, « musulmans et chrétiens n’avaient pas le même statut politique, ne payaient pas les mêmes taxes et ne se mariaient ensemble que dans certains cas, et surtout uniquement dans un certain sens : un homme musulman pouvait épouser une femme non musulmane, mais pas l’inverse[46] ».

Une troisième nationalité, les Croates, est largement tournée vers le monde germanique, c’est-à-dire l’Allemagne et l’Autriche. Croates et Autrichiens partagent des héritages historiques communs, puisque les territoires où habitent les Croates appartinrent à l’Empire austro-hongrois, même durant plusieurs siècles (de 1527 à 1918) pour certains d’entre eux. La religion dominante des Croates est le ca­tholicisme, ce qui les rapproche davantage des Autrichiens que des autres popula­tions slaves méridionales, de culte orthodoxe ou musulman. Dans le cadre de l’État croate, les liens économiques priment avec le monde germanique, qui soutient la demande d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. D’ailleurs, le 3 octobre 2005, l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Croatie a été la condition posée par l’Autriche pour son acceptation de l’ouverture de négociations le même jour avec la Turquie. La Croatie constitue un des débouchés maritimes méditerra­néens de l’Autriche, qui s’ajoute à Trieste et la Slovénie. Les capitaux allemands et autrichiens y sont très présents. Enfin, la Croatie du littoral est un lieu de vacances très prisé des touristes autrichiens et allemands.

Les deux nationalités balkaniques à dominante musulmane (Albanais, Bosniaques) ainsi que les minorités turques des Balkans concourent à des liens avec la Turquie, héritière de l’ancien colonisateur ottoman, qui n’a jamais vraiment accepté d’avoir été largement écarté, par les nationalistes des Balkans et par les Occidentaux, du jeu géopolitique dans la région balkanique. La Turquie a recom­mencé à exercer de l’influence à l’occasion des guerres des années 1990. Elle a œuvré pour une Bosnie-Herzégovine indépendante et unifiée dominée par les musulmans. La Turquie a été le premier État à reconnaître l’indépendance du Kosovo déclarée par le parlement du Kosovo le 11 février 2008. À l’avenir, elle pourrait peser davan­tage par son poids économique et démographique croissant, d’autant que le parti au pouvoir depuis 2002, l’AKP (Parti de la justice et du développement), accentue les contacts avec les musulmans des Balkans et pas seulement les communautés turques[47]. En effet, l’AKP, tout en se revendiquant du nationalisme turc, prône un islam politique, faisant abstraction de la définition ethnique, reposant sur une com­munauté plus large : les frères de religion (l’umma). La religion prend donc pour ce parti le dessus sur tout autre sentiment d’appartenance. L’AKP tente d’exercer son influence à travers ses organisations de jeunes et de femmes, et d’utiliser le passé ottoman pour séduire les populations musulmanes des Balkans. Cependant, l’in­fluence turque dans les Balkans connaît des limites pour plusieurs raisons. D’une part, la majorité des musulmans dans les Balkans, comme la confrérie soufie « bek-tasi », ont une interprétation modérée de l’islam, alors que l’AKP prône un islam assez conservateur et prédominant. D’ailleurs, en Albanie, l’identité musulmane est remise en cause par des mouvements nationalistes anti-ottomans, comme la mouvance d’Ismaël Kadaré[48], qui considère que c’est une religion importée. D’autre part, la Turquie considère que les pays du Moyen-Orient anciennement ottomans représentent des avantages politiques et économiques largement supérieurs[49].

Les Grecs ne possèdent pas a priori de liens culturels très importants avec des puissances extérieures européennes, même si l’héritage grec demeure une réalité et a justifié la précoce adhésion de la Grèce à l’Union européenne. Avec l’Asie occiden­tale et à l’exception de Chypre, les ponts culturels se sont trouvés largement brisés d’abord par le traité de Lausanne, puis par la non-application de certains de ses articles par la Turquie, engendrant une purification religieuse poussant la quasi-to­talité des personnes de nationalité juridique turque et de religion orthodoxe à l’émi­gration. Les Grecs pratiquent un christianisme orthodoxe qui devrait les rapprocher des Slaves, mais ils possèdent leur propre Église indépendante de Moscou (Église orthodoxe grecque dont le siège est Athènes). Surtout, la majorité des Grecs n’ont pas appartenu au monde communiste, leur État éponyme vivant dans une sorte d’autarcie régionale du fait d’une double coupure avec la Turquie et avec le reste des Balkans jusque dans les années 1990. En revanche, du fait d’une émigration massive vers les États-Unis, ou encore de la puissance de leurs armateurs, les Grecs furent pendant la guerre froide, après la fin de leur guerre civile, des alliés proches des États-Unis, la Grèce rejoignant l’OTAN dès 1952. Les difficultés économiques de la Grèce, surtout depuis 2008, sont de nature à rendre plus étroits ses liens au sein de l’Union européenne, plus précisément dans le cadre de l’espace euro, dans la mesure où la crise grecque pourrait conduire à un renforcement de l’intégration européenne.

Ces analyses des conséquences géopolitiques des liens historico-culturels des nationalités balkaniques confirment la position de carrefour des Balkans, avec des rapports géopolitiques orientés dans des directions fort variées : Russie, Turquie, Union européenne ou États-Unis.

Le peuplement des Balkans combine un ensemble de facteurs rendant la situa­tion particulièrement complexe. En effet, aucune nationalité n’est dominante. Leur homogénéité comme leur compacité géographique apparaissent inégales. Plusieurs des nationalités balkaniques présentent un caractère transfrontalier. Elles ont sou­vent des diasporas importantes et, pour la plupart, des liens culturels différenciés avec des pays non balkaniques. Ainsi, les différents aspects du peuplement balka­nique offrent plusieurs combinaisons possibles selon que l’on considère la distri­bution géographique des nationalités, leurs langues, leurs alphabets, leurs appar­tenances étatiques, leurs relations respectives avec des pays extérieurs aux Balkans, l’importance et la géographie de leur diaspora… Le peuplement balkanique pré­sente donc incontestablement un kaléidoscope géopolitique, dont l’analyse impose d’écarter toute simplification.

Dans ce contexte, comment penser le futur des Balkans ? Sera-t-il dans la conti­nuité des siècles précédents, c’est-à-dire source d’affrontements, ou la situation géo­politique peut-elle connaître une certaine stabilisation ? Cette dernière évolution, qui est la plus favorable, ne pourra se produire que si l’ensemble des pays membres de la région adhèrent ou deviennent clairement partenaires de l’Union européenne, ce qui permettrait d’ancrer l’ensemble du territoire à l’Ouest dans un espace pacifié. Il s’agit donc de transcender les différences réelles, historiques, linguistiques, reli­gieuses par la reconnaissance d’un universel commun qui est l’appartenance à une région européenne méridionale en position de carrefour. Cela revient à proposer aux Balkans d’opérer un choix essentiellement européen, ce qui suppose une condi­tion : que l’Union européenne se donne les moyens d’assurer la paix et la stabilité dans cette région, et qu’elle ait la capacité d’écarter les risques de déstabilisation susceptibles de venir d’autres puissances.

 

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[1]Rappelons que le nom « Balkan », provenant du turc qui signifie « montagne », désignait à l’origine uniquement la chaîne de montagne tiulgare, avant d’être étendu à l’ensembk de la pémnsule Balkbaiqee

[2]Cttte définition exclut donc une des anciennes républiques de l’ex-Yougoslavie, la Slovénie, qui se rattache à l’Europe centrale et au monde alpin, ainsi que la Roumanie. En outre, cet articlé oe pread pas en compte la Turquie d’Europe, qui correspond à seulement une petite partie d’un pays d’Asie occidental e, selon la classificatian de l’ONU.

[3]Londrrs, Albert, Les Comitadjis (1932), Paris, Le Serpent à plumes, « Motifs », 1997.

[4]Sur le cas de la Russie, cf. Wackermann, Gabriel (dir.), La Russie, Paris, Ellipses, 2007.

[5]Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007, p. 209.

[6]Sur la différence de nature entre les groupes humains et les diasporas et donc leurs effets géopolitiques, ibidem.

[7]Par exemple, se déclarer « serbe » en 2003 au Monténégro n’est pas nécessairement un critère d’affirmation identitaire, mais le symbole du rejet du parti indépendantiste au pouvoir et, donc, de l’attachement à la Serbie. Cf. Cattaruzza, Amaël, « Le recensement dans les Balkans, enjeu politique », Population & Avenir, n° 672, mars-avril 2005.

[8]La marge d’erreur y est bien moins importante que pour d’autres pays, comme l’Afghanistan ; cf. Dumont, Gérard-François, Chalard, Laurent, « Afghanistan : une géopolitique des populations « séculière » et « régulière » », Géostratégiques, n° 27, 2e trimestre 2010.

[9]Depuis la fin des conflits des années 1990, seuls la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo n’ont pas tenu de recensement ; il faut donc utiliser les estimations proposées par les organismes statistiques de ces deux États.

[10]Néanmoins, il faut signaler le problème des couples mixtes, assez nombreux dans l’ex-Yougoslavie, d’où certaines personnes ayant une identité pluriethnique.

[11]Concernant le cas de la Macédoine, Jean-Paul Sardon montre que les résultats concernant l’appartenance ethnique sont fiables au niveau national, même si, localement, il peut y avoir des variations importantes d’un recensement à l’autre. Cf. Sardon, Jean-Paul, « À propos de quelques biais de déclaration de l’appartenance ethnique dans les Balkans », Démographie et Cultures, XVe colloque de l’Aidelf, Québec, 25-29 août 2009.

[12]Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays », Population & Avenir, n° 700, novembre-décembre 2010, www.population-demographie.org/revue03.htm.

[13]Toutefois, nombre de plaques de rues de Sofia indiquent leurs noms selon l’alphabet cyrillique et l’alphabet latin. Le livre de prières de la principale église catholique de Sofia comprend également les textes selon l’alphabet cyrillique et l’alphabet latin, mais aussi dans d’autres langues (surtout pour les touristes de passage).

[14]Symbolisée par le monastère de Rila, « le monument le plus réputé de l’architecture et de la culture bulgares », à 120 km au sud de Sofia, comprenant une tour du XIVe siècle.

[15]Cf. également l’analyse linguistique d’un Croate : Kacic, Miro, Le croate et le serbe : illusions et falsifications, Paris, éd. Honoré Champion, « Bibliothèque de grammaire et de linguistique », 2000. D’autres affirment que les différences entre le serbe, le croate et le bosnien sont minimes. Cf. Garde, Paul, « Les mythes et les mots. Comment lire l’histoire des Slaves du Sud », p. 15, dans : Gerverau, Laurence, et Tomic, Yves (dir.), De l’unification à l’éclatement. L’espace yougoslave, un siècle d’histoire, Nanterre, musée d’Histoire contemporaine-BDIC, 1998 (le serbe, croate et bosnien ne se distinguent que par des détails lexicaux ou stylistiques qui ont très peu d’importance pour la compréhension) ; cf. Thomas, Paul-Louis, « La désintégration de la Yougoslavie et la question linguistique », p. 227, dans : Gerverau, Laurence, et Tomic, Yves (dir.), De l’unification à l’éclatement, 1998 : ces trois appellations linguistiques — le serbe, le croate et le bosniaque — se réfèrent à un système linguistique unique dont l’ossature, la syntaxe et le système morphologique (déclinaisons, conjugaisons, etc.) sont les mêmes. Il existe certes des différences phonétiques, mais celles-ci sont minimes et n’empêchent pas la compréhension réciproque entre les nations.

[16]Cahiers croates, Paris, 1998.

[17]La région du Pirin, en Bulgarie, est souvent considérée comme une partie de la Macédoine géographique. Elle a fait l’objet de fortes tensions entre la Yougoslavie de Tito et la Bulgarie, avec des « manœuvres » de l’État bulgare pour ne pas faire apparaître le peuplement macédonien de cette région, notamment lors du troisième recensement de la population en Bulgarie communiste, en décembre 1965, alors qu’au premier recensement de 1946, leur nombre avait été de 169 544 ; cf. Marinov, Tchavdar, « Nous ne pouvons pas renoncer à notre histoire — quand la question macédonienne met à l’épreuve la notion de bloc communiste », Vingtième siècle, n° 109, janvier-mars 2011.

[18]Précisément, Londres se rend à Sofia en 1931 alors que la Bulgarie du roi Boris II est secouée par des affrontements entre terroristes et contre-terroristes : une guerre civile larvée oppose de manière chronique communistes, révolutionnaires et ligues fascistes des Balkans. Londres rencontre notamment le chef de l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne, association clandestine d’opposants que l’on appelle aussi les Comitadjis. Cf. Londres, Albert, Les Comitadjis (1932), Paris, Le Serpent à plumes, « Motifs », 1997.

[19]Parant, Alain, Penev, Goran, Remikovic, Snezana, « Les Monténégrins au Monténégro : majoritaires hier, minoritaires demain ? », Démographie et Cultures, XVe colloque de l’Aidelf, Québec, 25-29 août 2009.

[20]Traditionnellement, cette minorité est difficile à recenser et leur nombre est souvent sous-estimé par les États.

[21]De Rapper, Gilles, « Les Guègues et les Tosques existent-ils ? L’opposition Nord/Sud en Albanie et ses interprétations », Espace, Populations, Sociétés, 3, 2004.

[22]« Le bektachisme est une confrérie mystique musulmane qui tire son nom du saint Hadji Bektach Veli qui vécut au XIIIe siècle en Anatolie centrale. Sa doctrine très syncrétique, comprend des éléments soufis et chiites. Les éléments chrétiens qu’on lui attribue sont en réalité souvent d’autres origines. Au tournant du XIXe et du XXe siècles, le bektachisme a joué un rôle important dans le développement du nationalisme albanais ». Cf. Clayer, Nathalie, « L’islam et les musulmans des Balkans depuis la chute du mur de Berlin », dans Direction de l’enseignement scolaire, Europe et islam, islams d’Europe, Actes de l’université d’été, Paris, 28­30 août 2002.

[23]Précisons que la pratique religieuse était interdite en Albanie de 1967 à 1990.

[24]Par exemple, les Allemands et les Italiens sont deux minorités nationales qui ont disparu de la région à la suite de la Seconde Guerre mondiale.

[25]Environ le quart du territoire de la Croatie était peuplé de 70 % de Serbes avant 1991.

[26]Chaveneau-Le Brun, Emmanuelle, « 1991-2001, homogénéisation nationale en Croatie », Espace, Populations, Sociétés, 3, 2004.

Une opposition entre des nationalités mono-étatiques et pluri-étatiques

Une des caractéristiques des Balkans reste la différenciation entre territoires éta­tiques et territoires des nationalités. Trois types de répartition étatique des nationa­lités des Balkans peuvent être distingués.

Le premier correspond aux trois nationalités balkaniques pluri-étatiques, essentiellement en raison de leur caractère transfrontalier. Parmi elles, la nationalité qui compte le plus grand nombre de ses membres en dehors des frontières de son État éponyme est celle des Albanais, à géographie quadri-étatique. En effet, seulement 49 % des Albanais des Balkans vivent en Albanie. La plus forte concentration d’Albanais en dehors de l’État éponyme se retrouve au Kosovo (92 % de la population en 2006) et en Macédoine (un quart de la population, soit 481 000 personnes en 2002), ainsi qu’en Grèce sous l’effet des émigrations

[27]Chalard, Laurent, « Le dépeuplement de l’Albanie », Le Courrier des pays de l’Est, n° 1061, mai-juin 2007.

[28]Chalard, Laurent, « Le Kosovo : un exemple typique du poids du facteur démographique sur les évolutions géopolitiques », Géostratégiques, n° 31, 2011.

[29]Cattaruzza, Amaël, « Kosovo, enclaves : Quel État pour quel territoire ? », Géostratégiques, n° 31, 2011.

[30]Pério, Gaëlle, « Relations UE-Balkans occidentaux : le triangle des Bermudes européen », Fondation Robert-Schuman, Question d’Europe, n° 195, 20 février 2011.

[31]Dérens, Jean-Arnault, Geslin, Laurent, « Le Sandjak de Novi-Pazar. Un foyer de tensions en Europe du Sud-Est », Le Courrier des Pays de l’Est, n° 1058, 6, 2006.

[32]Dumont, Gérard-François, Sougareva, Marta, Tzekov, Nikolai, « La Bulgarie en crise démographique », Population & Avenir, n° 671, janvier-février 2005, www.population-demographie.org.

[33]Polysos, Nicolas, L’émigration grecque, Paris, Sirey, 1947.

[34]Elle constitue une part non négligeable de la population à Punta Arenas.

[35]Dans les années 1990, le gouvernement de Franjo Tudjman avait essayé d’inciter les Croates d’Amérique latine à venir repeupler la Krajina, sans guère de succès, ce qui atteste une certaine distension des liens.

[36]Sur les facteurs des migrations, cf. Moriniaux, Vincent (dir.), Les mobilités, Paris, Sedes,

2010.

[37]« Les Albanais à Istanbul », Dossiers de l’Institut français d’études anatoliennes, n° 3, 24 pages.

[38]Il s’agit ici d’une estimation du Census Bureau, mais des estimations beaucoup plus importantes sont parfois avancées.

[39]Voutira, Eftihia, « Ethnik Greeks from the former Soviet Union as « Priviliged return migrants » », Espace, Populations, Sociétés, 3, 2004. Suivant le même processus que les Aussiedler en Allemagne, la Grèce accorde la nationalité grecque à toutes les personnes pouvant justifier d’une origine grecque. On estime à 200 000 personnes a minima les « rapatriés » de l’Union soviétique, certains avançant le chiffre de 400 000.

[40]Le gouvernement de Tito, dans les années 1960, n’a pas empêché l’émigration vers l’Europe occidentale, ce qui a constitué une exception dans le monde communiste.

[41]Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe, Paris, Sedes, 2009.

 

[42]Même si leurs Églises ne reconnaissent pas la primauté du patriarcat de Moscou, mais de celui de Constantinople.

[43]Dumont, Gérard-François, « Plaidoyer pour une géopolitique de terrain : le cas de la géopolitique de la Russie vue de ses périphéries », Géostratégiques, n° 24, 2009.

[44]Louvi, Lina, « Les guerres balkaniques (1912-1913) », Confluences, n° 8, automne 1993.

[45]Boulineau, Emmanuelle, « Le déclin démographique bulgare. Bilan d’une décennie de transition postsocialiste », Espace, Populations, Sociétés, 3, 2004.

[46]Clayer, Nathalie, op. cit.

[47]Eligur, Banu, The Mobilization of Political Islam in Turkey, Cambridge University Press,

2010.

[48]Chalard, Laurent, « Albanie 2006-2007. Sous l’œil des États-Unis », Le Courrier des pays de l’Est, n° 1062, juillet-août 2007.

[49]Dumont, Gérard-François, « La Turquie et l’Union européenne : intégration, divergence ou complémentarité ? », Géostratégiques, n° 30, 1er trimestre 2011.

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