LE GRAND MOYEN-ORIENT : LA BOITE DI PANDORE DE LA MAISON BLANCHE !

Ali RASTBEEN

Président de l’Institut International d’Études Stratégiques de Paris, directeur éditorial de la revue Géostratégiques. Spécialiste de l’Iran et des questions stratégiques et énergétiques au Moyen-Orient.

Février 2009

Bientôt la présidence de George w. Bush à la Maison Blanche arrivera à son terme et il semble qu’ainsi le monde sera débarrassé de la peur et de la hantise que la bande des néoconservateurs faisait planer sur le monde. Cependant, peut-on imaginer que leur legs politique, résultat de huit ans de mainmise sur les relations internationales, bien que rejeté par l’opinion mondiale, disparaîtra pour autant ?

Les événements historiques des dernières années du XXe siècle, marqués par la disparition du système socialiste en Union soviétique, furent considérés par les héri­tiers du système capitaliste dominateur et monopoliste, comme une simple victoire qui ne s’est pas souciée de la nécessité d’une évolution de la scène internationale1. Dès la seconde décennie du XXe siècle, nous avons été témoins d’une attaque ef­frénée de l’Occident contre les acquis des peuples libérés du joug du colonialisme et de la domination du bloc de l’Est2. Le point culminant de cette attaque a été l’avènement des néo-conservateurs à la Maison Blanche décrétant le XXIème siècle comme celui de la domination absolue de la puissance américaine sur le monde et l’élaboration d’un projet de mainmise par le système ségrégationniste occidental. Le « jeune Président » qui a perdu son sang froid après les événements du 11 septem­bre, a ouvert subitement sa boîte de Pandore, annonçant la « guerre entre le Bien et le Mal », énumérant les pays faisant partie de « l’axe du Mal »3, exprimant l’époque des « guerres préventives » qui sacrifièrent aux attaques menées par les Etats-Unis, la tranquillité fébrile de l’ère marquée par l’existence d’une puissance unique4.

L’Organisation des Nations Unies, en tant qu’organe assurant le contrôle et la sauvegarde des relations internationales et de la paix, fut chassée de la scène politique de la planète. Les amis européens furent écartés de la voie choisie par les États-Unis. La contestation de l’opinion politique, surprise par la méthode choisie par Washington, fut qualifiée de « bruits de mouches ». Les États-Unis avaient décidé d’instaurer leur domination sans conteste sur le monde. L’Angleterre était le seul pays à en être informé et a contribué à sa réalisation5. Lors de la campagne militaire menée contre l’Afghanistan, aussi bien les Nations Unies que d’autres pays alliés, exprimèrent leur soutien aux États-Unis, tandis que l’attaque menée contre l’Irak essuya l’hostilité mondiale6.

L’Europe ignorait les desseins américains. Les Nations Unies restaient témoin de l’attaque de son plus puissant membre contre un petit pays qui en était égale­ment membre. Les nombreux autres pays du monde, témoins de la disparition de la sécurité mondiale à la suite de la décision d’un pays puissant, ne pouvaient ad­mettre une telle agression7. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont fait fi de cette contestation générale, jusqu’à ce que, au bout de quelques semaines, leur ancien allié et leur nouvel ennemi disparaissent. Or, après la chute du régime irakien, la plus grande puissance militaire du monde se trouva face à la réaction nationale et populaire des autochtones irakiens. Ce fut la véritable guerre qui commençait, un bourbier pour les forces d’occupation, grâce à la résistance du peuple irakien qui puisait son énergie dans son histoire. Un bourbier dans lequel les forces d’occupa­tion piétinent encore.

Dès les premières étapes de la résistance populaire, les véritables motivations de cette « guerre préventive » furent dévoilées lorsque ceux qui en étaient à l’initiative se trouvèrent en difficulté. On comprit pourquoi le Président « très croyant » des Etats-Unis avait levé l’étendard de la démocratie pour les peuples de l’Asie centrale et occidentale et pourquoi, pour défendre « les droits de l’homme » et l’« instaura­tion de la démocratie » dans ces pays, il avait envoyé les troupes américaines sur ces fronts de « guerres préventives »8.

De la boîte de Pandore que le Président Bush ouvrit au lendemain du 11 septem­bre, se dégagea un épais brouillard qui empoissa d’abord l’atmosphère de l’Afgha­nistan et de l’Iran avant de s’étendre aux États-Unis même et de troubler le rêve des néoconservateurs. Il fut alors avéré que toutes les déclarations de la Maison Blanche concernant la détention secrète par l’Irak d’armes chimiques ou nucléaires n’étaient que de purs mensonges. Il fut également prouvé que les néoconservateurs de la Maison Blanche avaient mis en œuvre un projet destiné à les rendre maîtres absolus de l’Asie et de l’Afrique afin de mettre un terme aux conflits locaux d’Asie centrale et assurer la mainmise sur les réserves pétrolières, les marchés et les transferts et communications au profit des cartels pétroliers américains de production d’énergie, d’armement, mais également des capitaux à la recherche de marchés dépourvus de rivaux. Le rôle des cartels pétroliers fut ainsi découvert dans la boîte de Pandore ouverte par le Président américain. L’objectif recherché consistait donc à retracer les frontières et transformer le tissu géographique au Proche et Moyen-Orient, ce qui constitue l’axe fondamental du projet du Grand Moyen-Orient conçu par la Maison Blanche. Ce projet, en cas de réalisation, serait à l’origine de nombreuses crises et d’instabilités permanentes.

La situation actuelle de l’Irak fédératif malgré la présence de l’armée américaine est l’exemple type de ce qui s’esquisse. Au lieu de faire disparaître les confrontations ethniques et religieuses, la présence américaine en Irak les a aggravées, justifiant par là même la poursuite de l’occupation de ce pays par les agresseurs. En revanche, si l’Irak n’a pas atteint la démocratie et l’entente nationale, les cartels du secteur éner­gétique américain y ont assuré leur monopole.

Le projet du Grand Moyen-Orient ne disparaîtra pas de l’ordre du jour du gou­vernement américain après l’évincement des néo-conservateurs. Ce projet suivra son cours dans la région de l’Asie centrale, du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord. Il connaîtra peut-être une simple décélération. Le monde est actuellement confronté à des crises qui ébranlent un par un les pays qu’englobe ce projet. La présence et l’extension de l’OTAN dans les pays d’Asie centrale démontrent que les Etats-Unis sont farouchement décidés à faire avancer la mise en œuvre du projet du Grand Moyen-Orient, mais cette fois-ci sous couvert de l’OTAN, qui a été entraîné dans le conflit en Afghanistan, ce qui pourrait, dans l’avenir, poser des problèmes à l’Europe.

Il ne serait pas erroné de penser que l’initiative du Président français quant à la création de l’Union pour la Méditerranée, a malgré ses penchants américains, un objectif préventif face à l’OTAN. Ce projet, qui se distingue des ambitions de Washington tout en accordant un rôle efficace à Israël aux côtés des pays arabes, at­tire l’intérêt des défenseurs d’Israël à l’échelle mondiale et ne comporte pas, pour les pays membres, la menace des slogans comme la « Défense des droits de l’homme » ou l’« instauration de la démocratie » ! Si ce projet voit le jour, il séparerait, grâce à son parapluie de protection, le destin du Proche-Orient de celui du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Compte tenu du passé, le Président Sarkozy n’a peut-être pas tort d’agir ainsi.

Obama à la Maison Blanche

Bien que la succession des deux partis soit, aux États-Unis, une tradition pour préserver l’équilibre au sein de la classe dirigeante et soit considérée comme la ga­rante de la démocratie, le retour des démocrates à la Maison Blanche a, cette fois-ci, pris une signification particulière car :

  • La Maison Blanche accueille enfin un locataire qui n’est pas de la même couleur que les précédents, alors qu’après des années de lutte contre la discrimi­nation raciale entamée par le Président Lincoln, celle-ci était devenue illégale. Progressivement, dans les universités, dans les institutions sociales, politiques et militaires, la diversité des couleurs de peau est devenue un principe normal dans les hiérarchies organisatrices, or la Maison Blanche était, jusqu’à hier, restée à l’égard de cette règle, il a fallu un combat sans relâche pour qu’Obama y entre triompha­lement.
  • La présence d’Obama à la Maison Blanche coïncide avec une grave crise soulevée par les Etats-Unis qui a entraîné le monde entier vers un destin inconnu et complexe. La plupart des pays du monde sont incapables de supporter les effets de cette crise qui, à travers l’histoire, constitue un point culminant.

A la quête du danger

Alors qu’ils détenaient le pouvoir mondial entre leurs mains, les républicains l’ont laissé entre celles des néoconservateurs qui prétendaient instaurer un nouvel ordre mondial et ont perdu la capacité de dénouer une crise qui débutait. Ils tentè­rent une nouvelle fois de l’endiguer en enflammant des guerres qui furent accom­pagnées de leur prétention à la puissance mondiale absolue. On peut citer la guerre en Afghanistan – à laquelle participaient les Etats-Unis depuis vingt-cinq ans et qui soudain devint la principale occupation de la Maison Blanche -, la guerre en Irak, première des guerres préventives préconisées par le Président américain qui fit fi des Nations unies, de l’opinion des alliés européens et de l’opinion publique mondiale, l’intention d’y entraîner l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord, ou même la menace à l’égard de la Chine et de la Russie, tout ceci non seulement n’a pas remédié à la crise, mais a défié la puissance absolue des États-Unis. Malgré l’intervention des Nations unies, des Européens et de l’OTAN, les Etats-Unis n’ont pas pu se délivrer du piège dans lequel ils étaient engouffrés.

Cette élection exceptionnelle, dans des conditions exceptionnelles, exige un examen approfondi de l’avenir et des inévitables évolutions mondiales qui nous attendent. Commençons par examiner la défaite stratégique des néoconservateurs de la Maison Blanche qui se considéraient inébranlables et regardaient le monde d’un œil méprisant.

Dans la littérature politique, un proverbe prescrit « l’avenir à la lumière du passé ». L’époque de transition du 21ème siècle marquée par des difficultés et des am­biguïtés peut, à la lumière de ce proverbe, et grâce à un aperçu général de l’histoire de la civilisation, permettre d’élucider l’avenir. Même si un aperçu des évidences de l’histoire des civilisations en relation avec le passé et le présent et en rapport à des affaires également évidentes, nous invitera à réfléchir sur la question.

La société humaine est actuellement en proie à une crise dont elle a connu de nombreux exemples durant son existence, cependant, elle a pu les surmonter et poursuivre son chemin. Les périodes de crise ne sont pas rares dans l’histoire et la fin de chaque crise a été le début d’un nouveau chapitre. Ce sont succédés la transition de la vie tribale à la vie citadine, l’apparition de l’esclavagisme – une des périodes les plus longues de l’histoire, marquée par la montée et le déclin des grands empires qui ont, soit disparu complètement soit été réduits à une simple appella­tion, le déclin de l’époque esclavagiste et le début de l’ère capitaliste sous tous ses aspects qui, en cinq siècles, a conduit à des diversités et des mobilités beaucoup plus importantes que celles qui ont eu lieu durant les millénaires où l’homme des caver­nes s’est transformé en l’homme citadin. Toutes ces périodes ont été accompagnées de crises et d’importants dégâts.

Ce n’était pas le fait du hasard si, au cours des deux derniers siècles, l’étude et l’examen des causes de l’épanouissement puis du déclin des anciens empires ont attiré l’attention des penseurs occidentaux. C’est en s’intéressant à une crise qui, au summum de l’épanouissement du savoir et de la technologie humaine – qui a préparé le terrain à la conquête de l’espace -, a mis en branle le système du capital (plus large que le capitalisme) que l’on apportera une réponse à ces recherches.

A l’époque esclavagiste, les crises dues aux relations sociales trouvaient leur solu­tion à travers des conquêtes territoriales. Les pyramides égyptiennes, symboles de la toute puissance des pharaons sont encore en place, mais les pharaons et leur armée d’esclaves ont disparu, ne laissant de traces que dans les livres d’histoire. L’empire romain, l’empire perse et celui des plaines de l’Euphrate ont connu le même destin.

Cependant, leur disparition ne signifiait pas celle du système esclavagiste. Ces em­pires ont laissé la place à d’autres afin que la civilisation humaine puisse se délivrer de l’esclavagisme. Les nouveaux arrivants atteignirent également leur période de déclin, se diluèrent parmi d’autres ou en absorbèrent. En tout état de cause, le bras­sage des peuples a conduit à la création de nouvelles cultures, à la progression des langues, aux religions et à l’échange d’expériences et de savoirs, c’est à dire à l’exten­sion de la société humaine. La caravane de la civilisation a subi de nombreux dégâts sans pour autant interrompre sa marche. La révolte des esclaves, réprimée à Rome, conduisit à l’apparition de Jésus dont la vocation était de cicatriser leurs blessures et consoler leurs âmes. Or, un siècle plus tard, le christianisme devint le fondement idéologique de l’empire romain et s’étendit jusqu’au nord et l’ouest de l’Europe.

Lorsque, à la suite du développement du commerce des marchandises, l’escla­vagisme perdit de son intérêt, le mouvement contre le commerce des esclaves vit le jour dans les territoires développés et enrichis justement grâce à l’apport des esclaves. Rapidement, ce mouvement prit un caractère mondial et les navires qui, auparavant, s’adonnaient à la traite des esclaves de l’Afrique vers l’Amérique et l’Eu­rope, remplirent leurs calles de matières premières et de marchandises à l’intention des marchés mondiaux.

Ceux qui prirent part au mouvement contre la traite des esclaves et les relations sociales basées sur l’esclavagisme, étaient sans doute des gens honnêtes. Cependant, il fallait tout d’abord ébranler les fondements de l’ère esclavagiste et le caractère sacro saint de l’esclavagisme en tant que principe d’accumulation de richesses et de propriété, pour que l’on assiste à l’apparition de ces personnes honnêtes qui s’éle­vèrent contre ce système. Et cela eut lieu à l’époque où, grâce à l’épanouissement des relations commerciales, la production de marchandises atteignait un caractère de masse et où, grâce à la machine à vapeur, des navires et des chemins de fer furent construits.

 

L’époque coloniale

L’époque de l’épanouissement du capital fut marquée par la découverte et la conquête des territoires lointains et inconnus de l’Europe. Les navigateurs et les fli­bustiers y jouèrent un rôle éminent, eux qui voulurent ouvrir de nouvelles voies de commerce avec la Chine et l’Inde et qui, grâce à l’avancée des techniques de l’épo­que de Renaissance, élargirent la civilisation et conquirent de nouveaux territoires. En instaurant des bases militaires, les pays européens dominèrent des territoires où leurs ressortissants purent s’installer en toute tranquillité. Le colonialisme, grâce à ses navires de guerre, pénétra dans les territoires conquis et prépara le terrain au dé­clin du système esclavagiste. Grâce à sa puissance militaire, le colonialisme conquit les anciens pays d’Asie et d’Afrique. En effet, le colonialisme n’était autre qu’une version de l’esclavagisme qui remplaçait la traite des esclaves par la recherche d’une force de travail à bas prix, les colonisateurs effectuèrent la conquête des marchés de consommation et de production de matières premières, ils n’accordaient aucune garantie en échange.

N’oublions pas qu’à toutes les époques de la civilisation, l’exploitation de l’homme par l’homme de manière individuelle et collective a eu cours et qu’elle se poursuit encore aujourd’hui, depuis ses formes les plus primitives jusqu’à ses as­pects les plus évolués. L’exploiteur est lui-même ligoté dans le système sans aucune initiative personnelle. Cette situation est celle qui a prévalu à travers l’histoire de la civilisation et n’a pas trouvée de solution.

Or, à travers l’histoire de la civilisation, parallèlement à l’apparition de l’homme capable de fabriquer des outils, organisateur, assoiffé de pouvoir, on a assisté à la genèse d’un autre homme sans lequel la civilisation ne pouvait s’épanouir : il s’agit de l’homme penseur, sans lequel, ni les outils ne pouvaient être fabriqués, ni les sociétés humaines ne pouvaient s’organiser et ni le savoir ne pouvait voir le jour. Là où la force des bras s’avouait incapable, c’est la pensée qui sortait l’être humain de l’impasse. La transition du système esclavagiste au système capitaliste pour atteindre le « système du capital », n’a pu se faire que grâce au savoir. La genèse des sciences et leur développement, grâce à la vitesse qui leur est intrinsèque, ont permis de brider la nature (qui s’étend jusqu’aux galaxies).

Si, pendant des millénaires, les conquérants étaient des chefs de guerre permet­tant de surmonter les obstacles, depuis la fin de la seconde guerre mondiale ce sont les savants qui ont pris le devant de la scène et tentent de hausser la science et le savoir au rang de direction de la civilisation et de l’avancée de la société humaine. Sans l’intervention de l’alliance inavouée des savants du monde, des mathémati­ciens ou des physiciens, des philosophes, des penseurs et des juristes en Europe et en Amérique, la civilisation humaine aurait, à plusieurs reprises, flétri au lieu de s’épanouir.

 

L’ère de la science

Cette alliance porte en elle un caractère historique. Depuis la moitié du 16ème siècle, l’histoire des sciences est liée à l’action de ceux qui ont séparé les sciences du service de l’Eglise, détachant à la pensée les chaînes de la servilité. Les premiers pas furent franchis par le biais de la connaissance de la nature. Au début du 17ème siècle, la première victime qui paya le prix de son insolence fut Giordano Bruno qui s’éleva contre les dogmes de l’Eglise annonçant l’existence d’un monde infini. Sur ordre du Pape, il fut brûlé vif. Or, le feu qu’il alluma ne s’est pas encore éteint aujourd’hui et sa flamme ouvre le chemin du progrès de la civilisation.

La genèse du système juridique dans les relations entre individus et à travers la société qui a remplacé, en l’espace de quelques siècles, les prescriptions religieuses et traditionnelles se hissant au rang de la science juridique au service de l’homme moderne d’une part, la codification des relations entre les États, en périodes de guerre et de paix, aboutissant au droit international d’autre part, et enfin, la fonda­tion de l’assemblée générale de la Société des Nations à la fin de la première guerre mondiale et celle de l’Organisation des Nations unies au lendemain de la seconde guerre, ont été le fruit des efforts menés par les savants et les penseurs qui ont tenté de jeter les bases d’un ordre sans discrimination au sein d’une civilisation marquée par l’empreinte de ses ancêtres.

Le jour où pendant la Grande Révolution Française, résonna la revendication des libertés et des droits de l’homme, ce n’était qu’un slogan. Aujourd’hui, ce même slogan, affiné dans son contenu dans la déclaration des droits de l’homme, est deve­nu le droit naturel de tout individu : sa violation entraîne une réprimande interna­tionale. Les Nations unies, alors qu’elles sont actuellement devenues l’organisation des États, ferment les yeux sur les violations commises par le système « néocolo­nial » inavoué. Face au lourd héritage culturel et traditionnel du système colonial qui perdure depuis des siècles et face au système capitaliste qui en est également contaminé, l’organisation des Nations unies, sa Charte et les efforts structurels en­trepris pour mettre en avant et renforcer les acquis de l’humanité constituent un terrain favorable à la pensée humaine pour la civilisation et la victoire sur la crise actuelle. Dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, cette pensée a eu une présence remarquée et remarquable.

A la suite de l’explosion des deux bombes atomiques à Hiroshima et à Nagasaki, Truman, à la Maison Blanche, rêvait de la conquête militaire de l’Asie et de l’Eu­rope. Ce furent les savants qui tirèrent la sonnette d’alarme. Einstein et ses amis aux Etats-Unis, Russel et ses amis en Europe lancèrent le mouvement pour la paix et contre l’utilisation d’armes atomiques et poursuivirent leur action jusqu’à atteindre les conditions d’équilibre des forces. A l’époque, Einstein s’attaqua même au projet de « la naissance de l’impérialisme » aux États-Unis et mit le monde en garde contre le danger qu’il avait pressenti.

La réaction du gouvernement américain face à cette mise en garde fut plus violente que prévue. Einstein fut mis sous pression de toute part et il fut même question qu’il soit déchu de la nationalité américaine. Ainsi, alors qu’avant et après la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis étaient considérés comme le lieu de la liberté et de la défense des libertés, ils devinrent la proie de l’« Inquisition » du mac­cartisme, les universités, les centres culturels et artistiques, les savants et les auteurs mondialement connus, les artistes et même Hollywood, considéré comme le centre mondial de l’art, vécurent une épuration idéologique. Le maccartisme étendit son parapluie sur toute la science et l’art aux Etats-Unis, ils ne sont d’ailleurs toujours pas délivrés de cette colère patriarcale.

Or, la crise dont on ne tente plus de cacher le danger, rappelle que le système du capital, dans son élan, a atteint un summum qu’il ne peut plus dépasser. Le transfert, de Londres à New York, des métropoles du capital mondial, si rapide qu’il engloba l’Europe dévastée par la seconde guerre mondiale, créa une certaine « tu­telle » américaine sur les anciennes colonies européennes. Le siège de l’Organisation des Nations unies fut installé à New York et cela malgré l’effort secret qui tentait d’assurer l’omniprésence d’une puissance invisible sur les deux blocs de l’Est et de l’Ouest, une puissance mondiale conservatrice.

New York, en tant que capitale financière, économique et politique avait une telle importance au départ, qu’en vertu de l’accord de Bretton Woods, le dollar devint la monnaie internationale grâce aux réserves d’or. Plus tard le dollar fut délié de l’or et, les États-Unis mirent en application la théorie de l’Allemand, Chakht, qui avait déclaré le Mark allemand comme l’expression de la puissance économique de l’Allemagne. L’or ainsi libéré circula ainsi avec une valeur vingt fois supérieure à celle qu’il avait précédemment.

La prospérité du marché des armes au sein de l’économie mondiale et l’accumu­lation des capitaux extranationaux mirent en branle les relations entre la production et la consommation. Même si cette situation assombrissait l’avenir, le système ca­pitaliste en avait un besoin inévitable. Les arsenaux intervinrent grâce à leurs im­portants taux de profit dans le domaine de l’expansion économique. La course aux armements ne devint plus le monopole des puissances rivales, mais s’étendit à des pays sous leur protection, pays qui avaient davantage besoin de pain que d’armes. L’achat de nouveaux armements était accompagné du recrutement de conseillers étrangers indispensables pour l’entretien et le maniement, tandis que les acquéreurs ignoraient l’intérêt des uns et des autres.

Ce commerce était un des moyens pour faire fonctionner les usines-mères et fut poursuivi par les grandes puissances. Or, l’accélération de la circulation du capital dépassa également ce stade et, pour assurer son atmosphère vitale, jeta sur l’éco­nomie mondiale, un parapluie composé d’institutions financières ou bancaires, de compagnies d’assurance et de places boursières. Contrairement à ce qui s’existait par le passé, la croissance de l’économie de production n’était plus au service des marchés. C’est ainsi que fut scellé l’embryon de la crise mondiale.

L’accumulation énorme du capital attirant, tel un aimant, les capitaux situés dans les endroits les plus éloignés du monde, planifiait la circulation des capitaux. Mais, progressivement, les capitaux furent transférés du secteur de la production vers le secteur financier fictif. Dans ce jeu complexe et technique où le capital avait perdu son rôle principal et agissait en dehors du circuit de la production et de la demande, il était naturel qu’en raison de l’importance considérable des réseaux ban­caire et financier en Europe et en Asie, le système éclate comme une bulle et porte préjudice au cœur des fondements de production et de distribution.

 

La sonnette d’alarme !

L’explosion de la crise accumulée dans la métropole du capital est le point culminant de cette prise d’otage qui, à l’échelon historique, et compte tenu du calcul des néo-conservateurs américains et leurs collaborateurs anglais, aurait dû trouver sa réponse dans une nouvelle guerre mondiale. Le scandale d’« Enron » qui, à une certaine époque, était le sujet du jour des médias internationaux, a été la sonnette d’alarme. Ce qui a été fait après ce scandale, n’était qu’un effort pour couvrir les réalités.

Les néoconservateurs, infortunés, ont quitté la Maison Blanche. Or, les liens entre les conservateurs américains et mondiaux et le système du capital, bien que fragilisés, existent toujours. Ils ne peuvent se détacher de la dernière méthode d’ex­ploitation du capital. Le danger d’une guerre subite n’est nullement écarté9.

C’est dans ces conditions que la Maison Blanche accueille un nouveau Président, différent de ses prédécesseurs. Il en est lui-même conscient. Ses amis et ses oppo­sants le savent également, aussi bien les démocrates qui l’ont poussé sur le devant de la scène, que les républicains qui s’opposent à lui, tous sont très sensibles à son élec­tion. Son combat électoral n’était pas encore fini que des rumeurs faisaient état de projet sur son assassinat. Jusqu’à aujourd’hui, alors qu’il est prêt à entrer à la Maison Blanche, ces rumeurs se sont encore répétés à plusieurs reprises. Parallèlement à ces menaces, les recommandations diverses submergent Obama, le nouveau Président : Le directeur de la Chambre de commerce de New York, qui est également président du syndicat des patrons américains, lui conseille de ne pas commettre l’erreur de lancer des plans de bien-être général et de soutien aux syndicats !

Dans ce climat, on peut imaginer les limites du Président dans le choix de ses proches collaborateurs et celles de ses pouvoirs conditionnels : son ministre des Affaires Étrangères est nommé parmi un groupe qui, jusqu’aux primaires, était opposé à sa nomination en tant que candidat du parti démocrate. Son ministre de la Défense est issu du parti opposé, ce qui permet de supposer dès maintenant l’ap­proche théorique et militaire des deux partis. On peut donc, dès à présent supposer ce que sera la politique et de l’action internationale du Président démocrate10.

Lors des élections présidentielles, le parti démocrate a montré l’art d’« utiliser » le pragmatisme particulier des américains pour entraîner le peuple, un peuple déçu et passif en raison des difficultés auxquelles il était confronté sous le mandat des républicains, dans le domaine politique. Il reste à savoir si le choix de ce nouveau président, différent des autres, signifie une volonté tout aussi différente de sortir des conditions actuelles particulièrement sensibles ou si, comme les apparences le suggèrent, les Démocrates n’auront d’autre choix que suivre le même chemin que les républicains.

La présence d’Obama à la Maison Blanche rappelle celle de Franklin Roosevelt en 1933 lorsqu’il réussit, dans les années 1929-32[1], à faire en sorte que le pays traverse la crise. L’accueil que l’opinion publique lui a réservé démontre qu’il a su attirer la confiance et mobiliser le peuple au-delà des mobilisations de propagande habituelles. Il a également pu offrir des ouvertures au monde immergé dans le brouillard sans pouvoir pour autant diminuer l’obscurité ambiante.

La nouvelle mobilisation du spectre des défenseurs du « nouvel ordre » mondial – dont la défaite des néo-conservateurs est le symbole de la désintégration – s’est-elle camouflée derrière une action terroriste… ou derrière les conservateurs de la nouvelle administration … pour conduire à la guerre ? Obama réussira-t-il à jouer le rôle que lui assignent ses partisans américains et mondiaux ?

Pour les observateurs, il n’est pas facile d’apporter une réponse maintenant, mais l’avenir proche la fournira rapidement !

Quelle que soit cette réponse, la période de la présidence d’Obama est histori­que.

1.  Schneider J, The Structure of Strategic Revolution, total war and the Roots of the Soviet Warfare State, Presidio Press, 1994.

2.  Soutou Georges-Henri, la Guerre de cinquante ans, Fayard, 2001, p.489.

3.  Cf. Géostratégiques N°6consacré à l’avenir du Moyen-Orient, IIES, janvier 2004.

4.  Nawaf Salam, Le Moyen-Orient à l’épreuve de l’Irak, Paris : Actes Sud, 2005, p.39.

5.  Gresh Alain, « Les États-Unis vont-ils gagner la guerre en Irak ? », le Monde Diplomatique,

avril 2003.

6.  Cf . Quel avenir pour l’Irak ? Ali Rastbeen, (dir), Géostratégiques N°7, avril 2004.

7.  Saint-Martin Emmanuel, L’Irak : de la dictature au chaos, Milan, 2005.

8.  A Middle East roadmap to where ? Rapport de International Crisis Group, 2003 / IV-5.

9.  Ron Suskind, « Without a doubt : Faith, certainty and the presidency of George W. Bush », The New York Times, 17 octobre 2004.

10.  Anthony Cordesman, « The evolving security situation in Iraq: The continuing need for
strategic patience », Center for Strategic and International Studies, Washington, 21 janvier

2008.

 

Notes

[1]Discours de campagne du président Obama dans le New Hampshire, 10 janvier 2008.

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