L’analyse socio-culturo économique de la société civile yémenite

Par Elie HATEM, avocat et professeur à la Faculté Libre de Droit, d’Économie et de Gestion de Paris (FALCO) :
Deuxième PANEL
Modérateur : Son Excellence Michel RAIMBAUD, ancien ambassadeur de France
COLLOQUE : LA SOCIÉTÉ CIVILE MOYEN ORIENTALE : UN REGARD EUROPÉEN
Actes du colloque
Le vendredi 15 janvier 2016
Organisation Internationale de la Francophonie
La société yéménite est difficile à comprendre, loin des clichés simplistes, en raison de sa complexité culturelle et le poids des traditions incrustées en elle. Cela explique la difficulté de l’émergence d’une société civile telle que nous la concevons en Occident, voire dans les autres pays arabes.

Héritier de l’Arabie Heureuse, le Yémen a une position géopolitique importante qui a attiré les convoitises, depuis l’Antiquité. Pays de l’encens, de l’agriculture et des couleurs, il a permis la sédentarisation de populations sémites mais également d’origine indienne. Il a connu une prospérité économique et culturelle, notamment architecturale, dépassant celle du reste du monde. Ses immeubles (constructions en hauteur) sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Nous devons au Yémen l’émergence de la langue arabe, durant la période préislamique où les traditions se sont affirmées de plus en plus dans cette société de nature tribale, malgré les royaumes qui s’y sont constitués (royaume d’Awsaan, de Saba, de Katban, de Maïn, de Hadramout etc…). Des monarques juifs et chrétiens ont gouverné ce pays en s’entre-tuant, ce qui a permis aux Perses de le dominer durant presque un siècle, en l’effleurant par leur civilisation.

L’Islam est venu s’ajouter à cette mosaïque culturelle, sans néanmoins entacher les traditions tribales. La pratique de cette religion a composé avec ces facteurs. Les dissensions théologiques entre sunnites et chiites, voire au sein du chiisme entre duodécimains et ismaélites, ont permis au Zaïdisme de faire apparition : une école de pensée chiite proche des traditions sunnites. Les Zaïdites ont constitué le premier Etat yéménite contemporain (le Royaume mutawwakilite yéménite) qui, bien qu’appuyé par le royaume saoudien, a chuté en 1962 au cours d’un conflit nourri par les ingérences étrangères, durant la bipolarisation.

La division du Yémen entre « Nord » et « Sud » a renforcé la nature tribale de la société yéménite et mis en exergue la multiplication des traditions culturelles qui constituent un rempart à l’édification d’une communauté nationale, voire d’un Etat proprement dit et, par conséquent, à une société civile.

En réussissant la réunification du pays, en 1990, l’ancien Président Ali Abdallah El Saleh, était conscient du poids des traditions et du danger d’y toucher en vue de les modifier. L’Etat s’est donc superposé aux tribus et son autorité effective ne s’est imposée que sur la capitale, San’aa. Le succès de ce modèle étatique était dû au compromis entre l’Etat et les tribus qui ont maintenu, chacune, ses spécificités et son autorité : justice, traditions familiales, rapports sociaux, etc… D’origine préislamique, la polygamie et les mariages forcés n’ont pu être abolis ainsi que la consommation du Qat (une drogue), ce qui semble contradictoire avec les pratiques de l’Islam qui proscrit la prière en état d’altération des facultés mentales (les drogues sont formellement interdites dans l’Islam, sauf pour les usages médicaux).

Au poids des traditions s’ajoute un autre facteur rendant difficile l’émergence d’une société civile au Yémen : l’extrême pauvreté d’une grande partie de la population (même s’il existe une catégorie sociale aisée, concentrée surtout dans la capitale), en raison du conflit de 1962, mais aussi des conséquences du régime marxiste du « Yémen du Sud » dont la réunification a absorbé.

Ce n’est donc qu’à partir de 1990 que le Yémen a progressivement évolué, en retard par rapport aux autres pays arabes. Des ONG étrangères mais également des Etats, notamment l’Arabie saoudite, ont aidé une catégorie de la population. Mais ces aides sont animées par des intentions politiques. Parallèlement, quelques intellectuels et hommes d’affaires ont pris des initiatives qui caractérisent les sociétés civiles, à l’instar de Madame Khadija El Salmi qui s’est engagée dans un combat pour le droit de la femme et contre les mariages forcés. Des jeunes issus de familles aisées ou ayant effectué des études à l’étranger, notamment en Europe ou aux Etats-Unis, ont tenté, au cours des deux dernières décennies, de créer des associations, en particulier dans le domaine éducatif et médical, constituant l’ébauche d’une société civile dont l’instabilité et le clivage actuel vont certainement ralentir l’essor.

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