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Mohamed Troudi
Universitaire chercheur en relations internationales et stratégiques, analyste en politique étrangère et candidat à la Cour constitutionnelle tunisienne
La Pax ottomanica, qui a rayonné des Balkans à la péninsule Arabique jusqu’à la fin du premier conflit mondial, constitue l’héritage qui permet aujourd’hui à la Turquie d’entretenir une politique étrangère en trois directions, à la fois occidentale et orientale et depuis les pseudo révolutions arabes, tunisienne et la destruction programmée de la Libye, en direction du Maghreb Arabe. Le but premier étant d’assurer une meilleure lisibilité de ce pays tant sur la scène régionale qu’internationale pendant la guerre froide, la position turque était focalisée sur les États du Sud du Caucase et la menace de l’Empire soviétique. Durant cette période, la Turquie a tourné le dos à un Proche-Orient en quête d’un panarabisme voué à l’échec et au Maghreb arabe plutôt voué à la domination post coloniale notamment en Tunisie et en Algérie, accessoirement en Libye.
La chute de l’URSS et l’échec du nationalisme arabe nassérien, ont ouvert la porte à un repositionnement géostratégique turc qui va se préciser dans les années 1990 et plus particulièrement depuis l’arrivée à la tête de l’État du parti islamique AKP en 2002, d’obédience islamique modérée, qui consacre l’émergence d’une bourgeoisie musulmane et d’un islam politique présenté comme libéral et modéré. Cet article se propose d’analyser tour la complexité et les sources de tensions entre les deux voisins et les échecs de la stratégie turc en Syrie. En somme comprendre les raisons du passage de la stratégie turque et plus globalement de la politique étrangère de l’ambition régionale à un échec structurel.
The Pax ottomanica, which shine through the Balkans to the Arabian Peninsula until the end of the Fisrt World War, constitutes the heritage which today allows Turkey to maintain a foreign policy in three directions, both western and Eastern and since the Arab and Tunisian revolutions and the planned destruction of Libya, in the direction of the Arab Maghreb. The primary goal being to ensure a better visibility of this country, both on the regional and international scene. During the Cold War, the Turkish positions was focused on the States of the Caucasus and the threat of the Soviet Empire. During this period, Turkey turned its back on a Middle East in search of a pan-Arabism doomed to failure and on the Arab Maghreb rather doomed to post-colonial domination, particularly in Tunisia and Algeria, incidentally in Libya.
The fall of the USSR and the failure of Nasserite Arab nationalism opened the door to a Turkish geostrategic repositioning which became clearer in the 1990s and more particularly since the arrival at the head of the state of the Islamic party AKP in 2002, of moderate Islamic allegiance, which consecrates the emergence of a Muslim bourgeoisie and a political Islam presented as liberal and moderate. This article proposes to analyze all the complexity and the sources of tensions between the two neighbors and the failures of the Turkish strategy in Syria. In short, to understand the reasons for the passage of Turkish strategy and more generally of foreign policy from regional ambition to structural failure.
La Pax Ottomanica, qui a rayonné des Balkans à la péninsule Arabique jusqu’à la fin du premier conflit mondial, constitue l’héritage qui permet aujourd’hui à la Turquie d’entretenir une politique étrangère en trois directions, à la fois occidentale et orientale et, depuis les pseudo révolutions arabes tunisienne et la destruction programmée de la Libye, en direction du Maghreb Arabe. Le but premier étant d’assurer une meilleure lisibilité de ce pays tant sur la scène régionale qu’internationale.
Le père fondateur de la nation turque actuelle, Mustafa Kemal Atatürk, avait en effet pris acte de la mort de l’Empire ottoman après sa défaite en 1918, puis aboli le califat ottoman, créant ainsi une république laïque, mettant en place de grandes réformes pour moderniser le pays.
Pendant la guerre froide, la position turque était focalisée sur les États du Sud du Caucase et sur la menace de l’Empire soviétique. Durant cette période, la Turquie a tourné le dos à un Proche-Orient en quête d’un panarabisme voué à l’échec et au Maghreb arabe plutôt voué à la domination post coloniale notamment en Tunisie et en Algérie, accessoirement en Libye.
La chute de l’URSS et l’échec du nationalisme arabe nassérien ont ouvert la porte à un repositionnement géostratégique turc qui va se préciser dans les années 1990 et plus particulièrement depuis l’arrivée à la tête de l’État du parti islamique AKP en 2002, d’obédience islamique modérée, il consacre l’émergence d’une bourgeoisie musulmane et d’un islam politique présenté comme libéral et modéré.
D’un point de vue interne, le nouveau régime va parvenir à un savant équilibre entre une pratique du pouvoir issue de l’islam politique et le respect des institutions laïques, et ce sans heurts du moins jusqu’à un certain moment. C’est à partir de cet équilibre interne que la Turquie va pouvoir développer une diplomatie de coopération plus que de confrontation, créant ainsi les conditions de son nouveau repositionnement géostratégique en Orient, le cas de la Syrie qui nous intéresse dans ce présent article et plus tard au Maghreb à la faveur de ce que l’on désigne communément par les révolutions arabes, essentiellement en Tunisie et en Libye.
Il faut rappeler une réalité historique qui n’est pas toujours facilement acquise par certains milieux politiques et intellectuels arabes, c’est que le monde arabe s’est développé économiquement, culturellement, démographiquement sous l’influence ottomane. Il y a eu bien évidemment des régions du monde arabe qui étaient plus privilégiées que d’autres par les Ottomans, notamment l’Égypte pour sa richesse et pour sa position à cheval sur deux continents, et la Syrie, de par le voisinage et les frontières communes de ce pays avec la Turquie. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Si la période ottomane a été une période de développement – en somme de progrès économiques et sociaux – les relations entre ces deux mondes turc et arabe, sont traditionnellement difficiles par certains aspects, elles sont devenues plus complexes voire franchement conflictuelles à la faveur des « printemps arabe » de 2011.
Cet article se propose d’analyser la complexité et les sources de tensions entre les deux voisins, les échecs de la stratégie turc en Syrie particulièrement. En somme, comprendre les raisons du passage de la stratégie turque et plus globalement de la politique étrangère de l’ambition régionale à un échec structurel.
La Syrie : un pays à un équilibre fragile
La Syrie plonge ses racines dans un passé riche et ancien. Elle s’étendait jadis de la Méditerranée au Golfe Persique, de la frontière turque à la mer Rouge. D’une superficie de 185 180 km2, le territoire est divisé en quatorze gouvernorats ou « mohafazats » qui portent le nom de leur chef-lieu, soit le tiers de celle de la France. La Syrie est peuplée de 15 millions d’habitants et le pays n’existe sous son nom actuel que depuis quelques années. Elle se nommait chez les habitants de la région le « Bilad al-Cham ». Cette région regroupait anciennement la Syrie actuelle, le Liban, la Jordanie et la Palestine (actuels territoires palestiniens et israéliens).
République socialiste, la Syrie était régie par la constitution de 1973 qui assurait la continuité avec le socialisme hérité du coup d’État baathiste de 1963, mais plus encore elle garantissait la prééminence du chef de l’État issu de la minorité alaouite. Elle faisait droit à certaines revendications des milieux islamiques, en imposant un chef de l’État musulman et en disposant que « la doctrine islamique est la source principale de la législation ».
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