Émirats arabes unis, une politique offensive au Moyen‑Orient : raisons et conséquences

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Fayçal Jalloul

Écrivain et journaliste spécialiste du Moyen-Orient


La politique étrangère offensive des Émirats débute avec le « Printemps arabe » et s’est poursuivie après la mise en œuvre de l’accord de défense mutuelle avec les États-Unis et la normalisation de ses relations avec l’État hébreu. Il ne fait aucun doute que cette politique est audacieuse et ambitieuse, mais elle est toujours exposée à des risques soudains résultant de la faiblesse démographique de ce pays, qui a été contraint de retirer ses forces de la guerre au Yémen en raison de la perte d’une centaine d’officiers et soldats dans le conflit avec les Houthis.

The Emirates’ offensive foreign Policy began with the “Arab Spring” and continued after the implementation of the mutual defense agreement with the United States and the normalization of its relations with the Jewish state. There is no doubt that this policy is bold and ambitious, but it is still exposed to sudden risks resulting from the weak demographics of this country, which was forced to withdraw its forces from the war in Yemen due to the loss of 100 officers and soldiers in the conflict with the Houthis.


Il y a cinquante ans, les sept émirats arabes qui formèrent un État en 1971 n’étaient pas pressés d’obtenir leur indépendance de la Grande-Bretagne. Ils craignaient les pays voisins : le Sultanat d’Oman, qui les considère historiquement comme territoires omanais, le Royaume d’Arabie saoudite, ayant des ambitions d’annexion et d’expansion et l’Iran monarchique, puissance régionale redoutable.

Les craintes des Émirats arabes unis se sont réalisées deux jours avant l’indépendance, le 30 Novembre 1971, alors que les forces de l’armée iranienne occupaient les trois îles émiraties, Tunb al-Kubra, Tunb al-Sughra et Abu Musa. Le Shah a déclaré à l’époque que ces îles étaient une propriété iranienne avec l’approbation britannique. Il a également décrété que l’île d’Abu Musa était soumise à un accord avec son propriétaire, l’émir de Sharjah, Khalid Al Quasimi, qui a reçu en contrepartie des sommes d’argent pour une période de neuf ans.

Comment les Émirats arabes unis sont-ils passés d’un pays menacé par la convoitise de ses voisins à un pays qui mène une politique étrangère offensive ? Plusieurs raisons peuvent expliquer cette transition :

1 – Tout a commencé lors d’un évènement majeur survenu en mai 2012 à Abu Dhabi : une tentative de renversement du régime menée par le groupe émirati Jameiat alasilah w altawjih alijtimaei (association proche des Frères musulmans) dans le cadre du soulèvement du Printemps arabe, a poussé les Émiratis à approfondir le changement radical de leur politique extérieure. Le pouvoir a été inquiété par cette tentative de renversement, car elle était dirigée par Cheikh Sultan Bin Kayed Al Quasimi, cousin du souverain de Ras Al Khaimah, l’un des sept émirats membres de L’EAU.

Dès lors, les autorités lancent une campagne féroce contre les Frères musulmans partout où ils se trouvent : contre les « Frères » yéménites – alliés de l’Arabie saoudite dans leur guerre contre les Houthis – et jusqu’aux « Frères » du Hamas qui dirigent la résistance palestinienne à Gaza en passant par les « Frères » d’Égypte, de Syrie et de Tunisie.

Il est à noter que les EAU ont été un partenaire clé dans le renversement des Frères musulmans en Égypte, avec l’installation du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi au pouvoir en 2014. De même, ils ont été un acteur majeur du boycott du Qatar (2017-2019) qui héberge et protège les dirigeants des Frères musulmans et tient un rôle primordial dans les soulèvements du Printemps arabe via Al-Jazeera et ses multiples réseaux médiatiques.

2 – Les Émirats ont également profité du départ des leaders arabes historiques – Moubarak, Ben Ali, Kadhafi, Saleh et Saddam Hussein – et de l’affaiblissement du président Bachar el-Assad, enlisé dans une guerre destructrice et interminable. Les cartes de la géopolitique régionale se sont donc trouvées rebattues, favorisant des États comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar qui occupent désormais le devant de la scène politique arabe.

3 – La raison la plus importante est liée au départ des États-Unis d’Amérique de la région et à l’instruction donnée à ses alliés régionaux de travailler ensemble à une politique de défense mutuelle. Le 28 mai 2019, le conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, a fait une visite à Abou Dhabi dans ce sens. Cette visite a ouvert la voie à l’accord dit d’Abraham qui a été signé par les Émirats arabes unis, Bahreïn et Israël sous les auspices américains à Washington le 15 septembre 2020. Mais les premiers signes de changements de la politique américaine dans la région remontaient déjà à la présidence Obama.

C’est à la fin de son second mandat qu’il avait décidé d’initier le retrait des États-Unis du Moyen-Orient, constatant qu’aucun avantage stratégique n’avait été obtenu des guerres en Irak et en Afghanistan, en dépit de leurs coûts exorbitants en millions de dollars et en centaines de milliers de morts. L’accès au pétrole moyen-oriental n’était par ailleurs plus une priorité, les États-Unis ayant misé à plein sur la production nationale en pétrole de schiste. Mais ce retrait américain devait se faire de façon raisonnée et progressive : les Américains s’étaient engagés à un soutien logistique de leurs alliés aux Moyen-Orient. Un exemple de cette nouvelle stratégie américaine dans la région est celui de la guerre contre le Yémen : menée par une coalition arabe, déclarée depuis Washington par l’ancien ministre saoudien des Affaires étrangères Abel al-Jubeir. Un autre est la commande massive d’avions de combats américains F-35 par les Émirats Arabes Unis.

4 – Forger des alliances avec les principales puissances de la région

Israël : L’accord de paix entre les Émirats arabes unis et Israël s’est fait sans consultation préalable de l’Autorité palestinienne. Il fera écho au discours de Trump sur le refus américain de protéger la navigation internationale dans le détroit d’Ormuz. Par la suite, Abu Dhabi signa l’accord d’Abraham et le projet « Ben Gourion Canal » fut lancé : il s’agit d’un projet de canal reliant le port d’Eilat sur la Mer Rouge au port d’Ashkelon sur la Méditerranée, permettant le transport de gaz et de pétrole du Golfe vers l’Europe. Il ferait directement concurrence au Canal de Suez. Selon une publication du site Oil Price du 10 mars 2021, la construction a été décidée par un accord signé entre l’Euro-Asian Pipelines Company – détenue par l’État israélien -–, et la société Mid Red Land Bridge détenue par les Émirats arabes unis.

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