La valeur de l’article 51 et les mandats du Conseil de sécurité

Général (cr) Henri PARIS

Novembre 2006

« Charte des Nations unies – Chapitre VII : Actions en cas de menace con­tre la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression. Article 51 : Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour mainte­nir la paix et la sécurité internationale. Les mesures prises par des membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiate­ment portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale ».

L’Organisation des Nations unies (ONU) est sévèrement critiquée, tant par les Américains que par les Israéliens et mollement défendue par les Européens. Pratiquement, tous les États s’accordent sur la nécessité de réformer l’institution.

L’inefficacité de l’ONU éclate en regard du conflit israélo-arabe qui redouble d’intensité en juillet 2006. Ceci n’est jamais qu’un exemple, mais singulièrement frappant puisque ce conflit, étroitement contemporain de l’ONU, dure depuis un demi-siècle, autant que la durée de l’ONU. Et si c’était le seul conflit que l’ONU n’a pas su contenir ou gérer ou éteindre, alors qu’il s’agit là de sa vocation première !

Les déficiences principales apparaissent au niveau de l’article 51 autorisant la légitime défense comme au niveau du mode d’attribution et d’application des mandats. Tels sont les points forts sur lesquels il est nécessaire d’insister dans le but de rechercher un remède. À cet effet, la démarche porte en premier sur une analyse de ces déficiences principales, puis sur l’inefficacité, voire l’impuissance de l’ONU, à la lumière d’exemples pris dans l’année 2006, en l’occurrence le problème nord-coréen et le conflit au Moyen-Orient. En dernier lieu, un essai de prospective explorera les voies d’une réforme de l’institution.

L’article 51 en regard des mandats du Conseil de sécurité

La controverse sur l’ONU ne date pas des années 2000. « L’ONU, un machin ! » disait d’elle de Gaulle dans le courant des années 1960. Les Américains, dans les décennies 1990 et 2000, n’ont pas d’autres accents en dénonçant, dans le plaidoyer européen en faveur de l’Organisation, des arguties couvrant mal un aveu de faiblesse en s’efforçant de subordonner l’hyperpuissance américaine à l’ONU. Ces mêmes Européens, soulignent les Américains, dans les siècles passés, ont-ils eu la moindre hésitation à se prévaloir de leur puissance ? Et Washington souligne les insuffisances de l’ONU comme du concert qu’elle est censée représenter.

Pourtant, il s’agit de revenir sur la création de l’ONU, création qui est d’inspiration américaine. L’ONU remplace la Société des Nations en 1946, organisation dont la faillite avait été démontrée par l’absence ou le retrait ou encore l’exclusion des États-Unis, de l’Allemagne et de l’Union soviétique. La démonstration éclatante de cette faillite fut apportée par une éclosion de conflits, qu’il s’agisse de la guerre d’Ethiopie, de la guerre civile espagnole et encore plus de la Seconde Guerre mondiale que la SDN n’avait su ni prévenir ni contenir ni arrêter.

Créée en 1945, l’ONU remplace donc la SDN qui disparaît en 1946. Elle a pour but d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Son mandat provient de la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 par les représentants de 51 nations en guerre contre l’Axe, donc avant les bombardements nucléaires d’août 1945 et avant la fin de la Seconde Guerre mondiale marquée par la capitulation du Japon. En 2006, elle compte 191 États, ce qui n’est pas autre chose que le résultat de la décolonisation et de l’éclatement des grands empires qui ont multiplié le nombre d’États. Cette charte comprend, entre autres, l’article 51 qui autorise un État à assurer son auto-défense et à s’en donner les moyens. Toute agression est formellement condamnée et doit être prévenue sinon arrêtée par les soins de l’ONU.

À cet effet, l’ONU comprend plusieurs organes dont l’Assemblée générale composée des représentants des pays membres avec pour règle qu’un pays, quel qu’il soit, compte pour une voix. Le Conseil de sécurité, organe exécutif, a « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale » Il est composé de 5 membres permanents (Grande-Bretagne, États-Unis, France, Chine et Russie) et à l’origine de 11 membres passés à 15, dont 10 élus pour 2 ans. Le Conseil de sécurité émet des résolutions que les États membres sont contraints de respecter en vertu de la Charte à laquelle ils ont adhéré. En outre, il dispose d’un système coercitif – au titre du chapitre VII, comprenant entre autres l’article 51 – allant de la recommandation jusqu’à l’intervention militaire en donnant éventuellement mandat à un ou plusieurs pays d’agir au nom des Nations unies, en passant aussi par des sanctions diplomatiques et économiques. Autres organes, le Conseil de tutelle, le Conseil économique et social, la Cour de justice internationale ainsi que différents organismes, font de l’ONU un ensemble parfaitement apte à être le principal moyen d’arbitrage des conflits régionaux, pour le moins.

Cependant, son action a été constamment paralysée par le droit de veto de l’un des cinq membres permanent du Conseil de sécurité. Ce droit de veto visait à ce que les grandes puissances ne puissent être entraînées par une majorité composée de micro-États, à titre d’exemple par la République de Nauru dont la superficie n’excède pas 22 km2 et la population 9000 personnes. Il s’agissait aussi de contrecarrer une autre paralysie provenant de l’impossibilité de dégager une volonté commune dans l’Assemblée générale, passée de 51 États à 191, en 2006.

L’ONU a ainsi fait preuve de différents dysfonctionnements qui tiennent tant au fonctionnement de l’Organisation qu’à la Charte. Pourtant, la Charte était le produit d’un concept élaboré par Franklin D. Roosevelt, 32ème président des États-Unis et par Winston Churchill, Premier ministre britannique, en plein océan Atlantique, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale. Roosevelt fut assez convaincant pour que son successeur, Harry Truman, tienne alors l’ONU sur ses fonts baptismaux. Il s’agissait ainsi d’amener sur terre le règne d’une paix perpétuelle.

C’est souligner à quel point l’ONU est un outil de conception anglo-saxonne et quelque peu presbytérienne. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que les Américains soient les premiers à la décrier et à la paralyser.

L’ONU se veut la clé de voûte des relations internationales. L’Organisation est assise sur le principe de la souveraineté des États et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La dérive a aboutit à 191 États, dérive que l’ONU a contribué à rendre effective dans les premières années de son existence. Ainsi, toute une série de micro-États, souvent issus de la décolonisation, ont vu le jour. Ils sont à peine viables et n’ont d’autre représentation internationale que le siège qu’ils occupent à l’Assemblée générale de l’ONU. Ils ont ainsi une voix et peuvent siéger dans les organismes

spécialisés ainsi qu’au Conseil de sécurité, à l’égal d’une nation comme les États-Unis, sans droit de veto, il est vrai. La distorsion explique l’inefficacité.

Le dysfonctionnement est accentué par l’absence de grandes puissances comme l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Brésil des rangs desmembres permanents du Conseil de sécurité.

À titre d’exemple, le 21 janvier 2003, à bulletins secrets, la présidence de la Commission des droits de l’Homme sera attribuée à la Libye par l’Assemblée générale, grâce au groupe des États africains. La Libye a été précédemment condamnée pour atteinte à ces mêmes droits. Les Américains et les Canadiens ont voté contre, dans le but de sanctionner le terrorisme.

Rien n’y a fait. Le discrédit rejaillit sur l’institution dans son ensemble et ruine les efforts pour l’ériger en arbitre suprême des relations internationales.

Washington, de son côté, contribuera à ce discrédit en faisant lever l’embargo onusien contre Khadafi en décembre 2003, après avoir émis un vote négatif contre lui en janvier de la même année. Khadafi, longtemps condamné pour terrorisme et de ce fait à la tête d’un rogue state, est devenu fréquentable.

Une réforme de l’ONU s’impose. La collectivité internationale en a conscience et pas seulement au niveau du Conseil de sécurité, bien qu’à trop l’agrandir, on risque de le frapper de paralysie comme l’Assemblée générale. Des tentatives ont déjà été réalisées. Le Conseil a été élargi en 1963, en passant de 11 à 15. La Charte a reçu des amendements en 1963 et 1965, facilitant notamment une convocation de l’AG. Le Conseil économique et social a également été élargi portant le nombre de ses membres de 18 à 27, ce qui n’est pas un gage d’efficacité.

Cependant, ces réformes ne sont que superficielles : elles ne portent pas sur des questions de fond, restées irrésolues, et qui révèlent, désormais, d’une façon éclatante, l’inefficacité de l’ONU après plus d’un demi-siècle de fonctionnement.

La première de ces questions de fond a trait à la contradiction entre l’article 51 de la Charte, autorisant la légitime défense et la pratique d’un mandat délivré par le Conseil de sécurité à une puissance pour la charger d’intervenir militairement. En effet, l’ONU, dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationale, est chargée de prévenir le conflit et, en cas d’échec, de restaurer la paix en agissant militairement contre l’agresseur. Il en résulte que l’article 51 est théoriquement superfétatoire, puisqu’il appartient à l’ONU d’agir dans le sens de la prévention de l’agression ou de l’emploi de la force armée en vue de restaurer la paix. L’article 51 n’a d’existence que pour pallier une incapacité éventuelle de l’ONU à réprimer une agression, mais reconnaître cette incapacité est grave en ce sens qu’il est possible d’y voir une prime à la violence armée. En outre, la légitime défense, prévue à l’article 51, est susceptible de toutes les interprétations. En effet, l’agresseur ne reconnaît jamais sa faute et se prétend toujours en légitime défense, même à titre préventif.

L’incapacité originelle de l’ONU est soulignée par l’absence en propre, non seulement d’une force militaire, mais même d’une structure d’état-major susceptible d’encadrer des troupes. Le Conseil de sécurité doit s’en remettre à un État ou à un groupe d’États à qui il donne mandat. Bien évidemment, l’État mandaté doit posséder une capacité militaire adéquate, ce qui limite le nombre d’États capables utilement d’intervenir militairement. Par ailleurs, faut-il que l’État accepte le mandat en fonction de l’intérêt national qu’il peut avoir dans l’intervention. En outre, le mandat est toujours susceptible de ne pas être délivré La valeur de l’article 51 et les mandats du Conseil de sécurité 73 en se heurtant au veto de l’un des membres permanents, en dehors du fait qu’il doit bénéficier d’une majorité à ce Conseil.

À l’origine, la Charte disposait la création d’un état-major interallié propre, permanent, avec ses infrastructures humaines et matérielles, le rendant opérationnel, par détachement de personnels militaires en provenance de plusieurs États. Dès lors, les États fournissaient des contingents coiffés par cet état-major. La mesure, de nature à gommer l’imperfection majeure de fond signalée et source de multiples dysfonctionnements, était donc prévue. L’ONU et son bras exécutif, le Conseil de sécurité, avaient ainsi en propre les moyens coercitifs aptes à faire appliquer leurs résolutions.

Cependant, cette disposition de la Charte resta une coquille vide : l’état-major militaire de l’ONU ne vit jamais le jour. Les États, parties prenantes, désignèrent bien des officiers supérieurs les représentant, généralement un attaché militaire près l’ambassade considérée à Washington, mais l’infrastructure ne fut jamais réalisée. La raison ? Déjà, lors de la Première Guerre mondiale, les Américains répugnaient à mettre leurs troupes sous les ordres d’un étranger. Dans l’ivresse de leur victoire de 1945, ils s’y refusaient absolument et ne se sont jamais départis de cette attitude, quelles que soient les circonstances et le niveau qualitatif et quantitatif des forces alliées engagées. Or, la mise en œuvre de l’état-major de l’ONU revenait à placer éventuellement des troupes américaines sous les ordres d’un chef d’état-major étranger, puisque la fonction était tournante, par définition. C’est ainsi que la première opération d’envergure lancée par le Conseil de sécurité fut la guerre de Corée, engagée par les Américains sous mandat de l’ONU en 1950. Ce mandat fut obtenu par les Américains en profitant de l’absence des Soviétiques au Conseil de sécurité qui ne purent donc faire jouer leur droit de veto. La direction politique et le commandement militaire de la coalition furent effectivement pris par les Américains qui menèrent, avec les Nord-Coréens les négociations conduisant au cessez-le-feu. Les Sud-Coréens ne furent que des comparses.

L’incapacité de l’ONU à gérer un conflit fut démontrée de façon éclatante en 1992, à l’occasion de la guerre de Bosnie-Herzegovine, jusqu’à ce que l’OTAN prenne les affaires en main. Finalement, les Américains, hyperpuissants, peuvent aussi se passer de l’ONU. C’est ce qu’ils ont fait en 2003, lorsqu’ils se sont trouvés devant une opposition telle au Conseil de sécurité qu’il apparaissait évident qu’ils n’auraient pas de mandat pour intervenir en Irak. Les Français, les Russes et les Chinois menaçaient d’opposer leur veto à cette demande de mandat. Washington a donné les ordres d’attaque en se passant d’un mandat.

L’impuissance de l’ONU à régler la crise des missiles nord-coréens et le conflit israélo-arabe impliquant le Hezbollah

L’impuissance de l’ONU est donc structurelle et tient en trois points principaux : le droit de veto de l’un des cinq membres permanents, l’ambiguïté de l’article 51 qui, en autorisant la légitime défense, prête à toutes les interprétations que ne manque pas de soulever un agresseur, et l’absence de moyens de coercition.

Cette impuissance avec ses causes est particulièrement illustrée par les crises que connaissent l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient en juillet 2006.

Ces crises s’interpénètrent mutuellement et méritent une brève étude pour mettre en lumière l’impuissance onusienne.

La capacité nucléaire

En arrière-fond des crises, on trouve toujours les mêmes éléments : la prolifération nucléaire à laquelle se mêle, au Proche et au Moyen-Orient, le pétrole.

La détention d’une capacité nucléaire est régie par le traité de non-prolifération (TNP) signé en 1968 et reconduit en 1995. Aux termes de ce traité, cinq États – les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni et la France – sont autorisés à posséder une capacité nucléaire. À ces États s’ajoutent l’Inde, le Pakistan et Israël qui n’ont pas signé le TNP.

Un second traité vise théoriquement à limiter tout accès à une capacité nucléaire militaire comme à toute augmentation de cette capacité. Le Comprehensive test ban treaty (CTBT) interdit tout essai nucléaire. En 2006, il a été signé par 175 États, ratifié par 120 dont 33 sur 44 nécessaires à l’entrée en vigueur. Les États-Unis l’ont signé mais se refusent à sa ratification, ce qui en dit long sur leurs arrière-pensées.

La possession d’une capacité nucléaire n’est pas suffisante. Faut-il encore pouvoir appliquer une frappe nucléaire donc et posséder le vecteur de l’arme.

En dehors d’un avion avec un rayon d’action suffisant, l’autre vecteur est le missile, avec une portée également suffisante. La prolifération des missiles balistiques est théoriquement interdite par un code international de conduite contre la prolifération des missiles balistiques (ICOC) établi à La Haye en 2002 et qu’ont signé 117 pays. Précédemment, en 1987, 34 pays regroupés sans structure formelle, ont signé un traité portant sur un régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR) d’une portée de plus de 300 km et aptes à emporter une charge de plus de 500 kg. Cependant, à la différence du TNP qui prévoit des inspections de contrôle réalisées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), ni l’ICOC ni le MCTR n’ont programmé de système d’inspections et de sanctions. Au chapitre des missiles, qu’ils soient balistiques ou de croisière, ainsi que des drones armées, le monde assiste à une course effrénée aux armements. En ce qui concerne la technologie nucléaire militaire, elle est désormais accessible à tout État un tant soit peu développé et ne peut être interdite, au nom du TNP, que par coercition.

La plupart des analystes scientifiques et politico-militaires s’accordent à penser que la prolifération nucléaire peut être ralentie mais pas arrêtée.

L’une des caractéristiques fondamentales de l’arme nucléaire est de rendre l’État possesseur invulnérable à toute attaque pour peu qu’il soit apte à délivrer une frappe sur le sol de l’État attaquant ou pour le moins, sur des troupes d’invasion. Il y a dissuasion mutuelle.

La Corée du Nord, comme l’Iran et la Syrie, figure sur la liste des rogue states, des États voyous que les États-Unis accusent de soutenir le terrorisme international et de rechercher une capacité nucléaire.

La crise des missiles nord-coréens

Très effectivement, la Corée du Nord a développé un programme nucléaire militaire, bien qu’elle ait adhéré au TNP.

Le contentieux entre la Corée du Nord et les États-Unis date formellement de 1950, du déclenchement de la guerre. Les Nord-Coréens ont mené cette guerre avec leur indéfectible allié chinois. Les États-Unis n’ont jamais reconnu l’existence internationale de la Corée du Nord qui, en outre, a en vain proposé à Washington la conclusion d’un pacte de non-agression.

Ce refus n’a pas peu contribué à durcir la position de Pyongyang quant à l’obtention de l’arme nucléaire. Le refus des États-Unis s’explique tant parce que la conclusion d’un traité passait par une reconnaissance, à laquelle d’ailleurs les Sud-Coréens n’étaient pas opposés, que pour se garder la possibilité d’une intervention militaire.

Pour poursuivre sa programmation nucléaire, la Corée du Nord prit diverses mesures dont le rejet des inspections de l’AIEA puis son retrait du TNP en 2003, mesure possible qui faisait partie d’un article spécifique du traité, comme de tout traité. Les États-Unis s’étaient bien retirés du traité ABM en respectant le préavis de 6 mois. En outre, Pyongyang a poussé sa recherche dans le domaine des missiles au point d’en avoir deux types dont la portée s’étage de 1300 à 2000 km. Un troisième type, le Taepo Dong II devait être au point pour 2006 avec une portée de 5500 km, donc une menace directe pour le territoire américain représenté par l’Alaska. La Corée du Sud, Taiwan et le Japon, tous liés aux États-Unis par des traités d’alliance, étaient sous la menace directe des deux premiers types de missiles.

Le retrait nord-coréen du TNP est un acte grave que, cependant, les États-Unis ne peuvent sanctionner militairement. En effet, les Coréens ont annoncé au début de la décennie 2000 avoir domestiqué l’atome militaire, ce qui comporte un doute. Mais même si la véracité de l’annonce nord-coréenne est douteuse, une intervention militaire américaine reste problématique. En effet, le corps expéditionnaire américain risque d’être pris pour cible d’une frappe nucléaire, au cas où les Nord-Coréens auraient bien la possession de l’arme nucléaire. En outre, la cible serait très vulnérable, car l’armée nord-coréenne, bien qu’elle ne soit pas dotée d’un matériel performant, a un potentiel qui nécessite une concentration des forces adverses au moins dans la première phase d’une invasion, ce qui en fait une cible nucléaire idéale.

Pour finir, les Américains, empêtrés dans leurs guerres d’Afghanistan, à partir de 2001, suivie de celle d’Irak à partir de 2003, auraient le plus grand mal à réunir les forces d’intervention nécessaires, au moins 250 000 hommes. La solution restante est le bombardement avec les conséquences internationales induites. De toutes manières, Washington est réduit à la négociation et à passer par le Conseil de sécurité de l’ONU pour obtenir une condamnation de la Corée du Nord susceptible de déboucher sur des sanctions, ce qui aboutit à un échec face à l’opposition de la Chine et de la Russie. La solution intervient avec une négociation à six : les deux Corée, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie. Washington exige de Pyongyang l’abandon du programme nucléaire et des missiles balistiques. Les pourparlers à six piétinent tout autant que ceux au niveau du Conseil de sécurité : les Américains cherchent à promouvoir une résolution avec une référence au chapitre VII de la Charte faisant état de sanctions diplomatiques ou économiques, voire d’une coercition militaire, certes bien improbable. La Russie et la Chine s’opposent catégoriquement à cette référence. Les Nord-Coréens soulignent le rapprochement américano-indien marqué par une coopération nucléaire civile ainsi que par l’acquiescement américain au programme nucléaire militaire pakistanais. Ces deux derniers éléments sont, d’ailleurs, portés à charge par le Congrès à l’exécutif américain.

La crise latente prend un tour nouveau le 5 juillet 2006, lorsque les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon saisissent le Conseil de sécurité après le tir d’au moins 7 missiles nord-coréens dont celui d’un Taepo Dong II qui s’est abîmé en mer, sans que l’on sache si cette chute a été volontaire ou non. En conséquence, Japonais et Taïwanais sont saisis d’un doute quant à la valeur de l’alliance américaine. Les États-Unis n’ont d’autre recours qu’une saisine du Conseil de sécurité avec demande de sanction. Le texte, promis à un veto de la Chine et de la Russie demande, entre autres, un embargo sur « le transfert de ressources financières, de matériels et de technologies » facilitant aux Nord-Coréens le développement « de missiles et d’autres armes de destruction massive ». Cependant, le 10 juillet, le monde apprend que les Indiens ont procédé à l’essai malheureux d’un missile à capacité nucléaire de portée de 4 000 km, l’Agni III, sans réaction américaine comme de la communauté internationale. Assez paradoxalement, la Corée du Sud, mue par sa politique de conciliation avec son voisin nordiste, se rapproche de la Chine qui, bien que peu satisfaite de l’initiative nord-coréenne parce qu’elle échappe à son emprise, y voit une provocation politique plus qu’une menace militaire. La Russie se range à ce point de vue. La France soutient le projet américain, mais coup de pied de l’âne, propose la reprise des pourparlers à six, en panne depuis septembre 2005, ce qui est une manière de dessaisir l’ONU. Finalement, après bien des négociations, ouvertes comme en coulisse, le Conseil de sécurité adopte le 15 juillet à l’unanimité la résolution 1695 condamnant le programme balistique nord-coréen mais sans aucune référence au chapitre VII de la Charte, fermant ainsi toute voie à des sanctions. La résolution, à peine votée, est rejetée par le représentant de la Corée du Nord à l’ONU. L’impasse est totale.

C’est que, aussi, depuis le 12 juillet, les États-Unis se trouvent confrontés à un rebondissement spectaculaire de la crise israélo-arabe, mettant aux prises les Israéliens non seulement avec le Hamas palestinien mais aussi avec le Hezbollah libanais soutenus par les Iraniens et les Syriens, un véritable conflit. En définitive, la résolution 1695 est sans aucun impact effectif, ce qui ne fait que souligner l’impuissance de l’ONU, paralysée par le veto potentiel d’un ou de plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité. Les États-Unis, sans espoir possible de sanction et encore plus d’un mandat coercitif, en fonction duquel ils pourraient demander l’aide de leurs alliés, sont tout autant condamnés à l’impuissance.

Au résultat, le Japon et Taïwan se voient confortés dans leurs velléités antérieures visant l’acquisition de l’arme nucléaire.

L’ONU, impuissante à résoudre la crise, ne peut pas plus bloquer la prolifération nucléaire.

Si la Chine a finalement voté la résolution condamnant les tirs de missiles nord-coréens, elle s’est jointe à la Russie pour refuser que le texte fasse référence au chapitre VII de la Charte. Il en découle l’absence de sanctions. Cela souligne les rapports ambigus qu’entretiennent entre eux la Chine et la Corée du Nord, mais aussi l’impuissance de l’ONU. La Chine, à la suite de l’échec américain à régler le dérapage nucléaire coréen d’octobre 2002, a orchestré les négociations à six: deux Corée, Chine, États-Unis, Japon et Russie. L’ONU joue les grands absents. La volonté chinoise est claire en ne voulant pas de l’effondrement de Pyongyang. Cela signifierait une réunification des deux Corée sous l’égide de Séoul et une possible présence de forces américaines aux frontières chinoises. La Chine estime aussi légitimes les soucis de sécurité de la Corée du Nord qui sert d’État-tampon. Ceci est à mettre en balance avec le risque d’une course aux armements, y compris nucléaire, affectant le Japon, la Corée du Sud et Taiwan. La solution est dans le traité de non-agression avec les États-Unis, voulu par la Corée du Nord.

Ainsi se réalise un axe Pékin-Moscou-Pyongyang en contrepoids à l’alliance américano-nippone.

Le conflit entre Israël, le Hezbollah et l’Iran

Une opposition latente oppose les États-Unis à l’Iran depuis la chute du Schah et l’arrivée au pouvoir des religieux, ce à quoi les Américains ont largement contribué et qui n’est pas la moindre de leurs erreurs. Washington fait à l’Iran les mêmes reproches qu’à la Corée du Nord, en sus de commanditer le terrorisme international : la poursuite d’un programme visant à obtenir une tête nucléaire apte à armer son missile Shihab III de 1300 km de portée, en service en 2006. À cet antagonisme, nourri par les Américains dans le cadre de leur lutte contre la prolifération nucléaire, s’ajoutent les menaces proférées par les Iraniens à l’encontre des Israéliens, menaces tangibles que souligne la portée du Shihab III. Dernier élément et non des moindres, Téhéran soutient et arme le Hezbollah libanais, le « Parti de Dieu », chiite comme les Iraniens, qui siège au Parlement libanais et est représenté par deux ministres, ce qui ne l’a pas empêché de lever une milice et de se livrer au terrorisme illustré en octobre 1983, à Beyrouth, par un attentat contre les forces françaises et américaines. Cette milice aurait dû être dissoute aux termes de la résolution 1559 prise par le Conseil de sécurité, le 2 septembre 2004, résolution prescrivant aussi le retrait hors du Liban des forces syriennes. Or, si ce retrait a bien été effectué, la milice du Hezbollah s’est même renforcée.

L’ONU, précédemment, avait connu un autre camouflet. Comme en ce qui concerne la Corée du Nord, le Conseil n’arrivait pas à établir une résolution condamnant l’Iran, ce qui a amené la constitution du groupe des six -France, Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis, Chine, Russie, dessaisissant de facto l’ONU, en négociant avec l’Iran, d’ailleurs en vain. L’Iran persistait dans son refus de suspendre ses activités d’enrichissement de l’uranium. Le dossier a été transmis au Conseil de sécurité en février 2006 et y est gelé.

Les mêmes raisons empêchant une attaque américaine terrestre directe à l’encontre de la Corée du Nord militent en faveur de la seule solution restante : des attaques aériennes menées par les Américains ou leurs alliés inconditionnels, les Israéliens. La menace évoquée a fait bondir le baril de pétrole à 78 dollars tandis que Téhéran laissait entendre, de plus, avoir recours au terrorisme et menaçait les positions américains et israéliennes de ses tirs, ainsi que de couper la route du pétrole dans le détroit d’Ormuz. En Palestine, dans la bande de Gaza, les Israéliens doivent faire face aux agissements du Hamas, le « Zèle religieux », majoritaire au Parlement palestinien, ne reconnaissant pas Israël et qui a une branche armée pratiquant le terrorisme. Cherchant à contrer le pourrissement de la situation, l’administration américaine a inventé comme cadre de négociation le Quartet, réunissant les États-Unis, la Russie, l’Union européenne et l’ONU, en vue de favoriser le dialogue israélo-palestinien. Le seul résultat fut de diminuer encore l’ascendant déjà faible de l’ONU.

La crise israélo-palestinienne subit un regain de violence en tournant au conflit ouvert au Liban. Le 25 juin 2006, le Hamas choisit de défier Israël en enlevant un militaire, ce qui entraînera une violente réaction israélienne. Le Hamas fut relayé par le Hezbollah qui, à son tour, captura deux militaires israéliens le 12 juillet en faisant endurer aux Israéliens des pertes humaines qui s’ajoutent à celles provoquées par le Hamas. La riposte israélienne consista à bombarder sévèrement le Liban, à partir du 12 juillet, ce à quoi le Hezbollah répliqua par des tirs massifs de roquettes fournies par l’Iran, sur le nord d’Israël. Un mois après, le Liban est ravagé, tandis qu’un demi-million d’habitants est déplacé afin de fuir les bombardements. En Israël, sous les salves de roquettes, la population cherche désespérément un abri.

L’ONU se signale par une impuissance redoublée à prendre la moindre mesure. Cela tient pour beaucoup aux motivations des parties prenantes qui utilisent les déficiences structurelles de l’organisation, motivations qu’il convient d’analyser pour mieux comprendre le grippage du mécanisme onusien.

Israël a comme objectif de récupérer ses deux militaires capturés le 12 juillet par le Hezbollah et de détruire ce mouvement chiite libanais, son ennemi juré. En outre, l’armée israélienne, Tsahal, estime contre-productive son évacuation de la partie sud du Liban en mai 2000, sous les attaques du Hezbollah, de même que de Gaza, en laissant le champ libre au Hamas. Tsahal ne dissuade désormais pas plus le terrorisme du Hezbollah que du Hamas. De là découle la volonté de l’armée de privilégier une solution militaire plutôt que politique, quitte à appliquer brutalement des attaques disproportionnées.

Israël revendique son droit à la légitime défense inscrit dans l’article 51 de la Charte, tout comme le Hezbollah, bien qu’il ne soit pas un État. Israël peut compter sur le soutien inconditionnel des États-Unis qui paralysent toute action visant un cessez-le-feu, le temps pour Tsahal d’anéantir le Hezbollah.

La Syrie, en dehors d’exprimer sa solidarité au Hamas et au Hezbollah, les a laissés faire, tout en abritant la partie la plus radicale du Hamas, incarnée par Khaled Meschal qui a pris une part active à l’opération du 25 juin. Le soutien au Hezbollah est de la même eau. Ainsi est créée une alliance régionale politique et militaire passant par l’axe Syrie, Iran, Hezbollah, Hamas, permettant à Damas de conserver un rôle dirigeant dans la région, rôle que son retrait du Liban en 2005 à la suite de la résolution 1559, comme de l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, risquait de lui faire perdre. Ainsi,

Damas sera toujours impliqué dans tout règlement israélo-palestinien. Le régime baassiste syrien, laïc, a dû passer outre à l’idéologie religieuse du Hamas comme du Hezbollah dont il est très éloigné. Damas n’a jamais pu admettre l’indépendance du Liban. La riposte d’Israël à la provocation du Hezbollah va miner le gouvernement libanais de Fouad Siniora et de sa majorité anti-syrienne, en démontrant de plus que la présence syrienne au Liban est le gage de sa stabilité.

Pour l’Iran, l’attaque du 12 juillet arrive à point nommé. En effet, c’est ce jour que le groupe des six a décidé d’une nouvelle saisine du dossier nucléaire iranien par le Conseil de sécurité. La diversion est de taille. Le négociateur iranien, M. Larijani, a pu s’en rendre compte lors d’un entretien antérieur avec le responsable européen, de la politique européenne de sécurité et de défense, Javier Solana. En outre, le même négociateur a annoncé pour le 22 août une réponse à la sommation du groupe des six lui enjoignant de cesser toute activité d’enrichissement de l’uranium.

Le Hezbollah et le Hamas veulent faire la démonstration de leur puissance, tout en étant poussés par leurs alliés syriens et iraniens. C’est tout naturellement que les événements se relient entre eux car les motivations s’interpénètrent, mais ont toutes un facteur commun : en dehors du Liban, les parties prenantes ne souhaitent pas une fin rapide au conflit.

L’ONU s’est particulièrement signalée par son incapacité. Après une réunion d’urgence le 14 juillet, à la demande expresse du gouvernement libanais, le Conseil de sécurité s’est à nouveau saisi de la crise israélo-libanaise le 17 juillet, sans plus de résultat. Ni appel au cessez-le-feu ni communiqué ! Parallèlement, une délégation de l’ONU était à Beyrouth puis elle rencontrait la ministre des Affaires étrangères israélienne pour enfin rendre compte au Conseil de sécurité de sa mission, le 20 juillet, c’est-à-dire de l’échec. À la même date, le secrétaire général, Kofi Annan demande tout aussi vainement l’arrêt immédiat des hostilités. Il n’est pas suivi ! Il propose un plan de solution globale du conflit. C’est le rejet comme en novembre 2002, quant il avait élaboré une solution au conflit chypriote, en raison de l’opposition chypriote grecque. La seule réussite de l’ONU est d’appuyer la proposition française d’établir des couloirs humanitaires terrestres, aériens et maritimes, pour permettre aussi bien l’évacuation des civils, qu’ils soient étrangers ou libanais que l’acheminement de l’aide humanitaire. La proposition est acceptée par Israël. En outre, la France proposait, appuyée par le secrétaire général de l’ONU, la mise en place d’une force d’interposition. Cette proposition avait été lancée et étudiée lors du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg du 15 au 17 juillet, mais sans appel à un cessez-le-feu, ce qui discréditait encore plus l’ONU. Les Américains, par la voix de la secrétaire d’État, Condoleeza Rice, se sont montrés finalement favorables à cette proposition, qui reste discutable dans son application. Américains et Britanniques sont favorables à ce qu’elle soit sous l’égide de l’OTAN. Cette sage lenteur à prendre une décision retarde le cessez-le-feu et permet d’espérer un écrasement du Hezbollah.

Une conférence regroupant à Rome une quinzaine d’États, mais sans participation israélienne ni syrienne ni iranienne, se sépare le 27 juillet dans résultat autre qu’une vague objurgation à un arrêt des hostilités. L’ONU est cependant présente, mais pas plus que les autres parties.

Israël répète les termes de ses conditions : la remise des prisonniers, l’arrêt en premier par le Hezbollah du lancement des roquettes sur Israël, le désarmement et la dissolution des milices. Tsahal, comprenant que les frappes La valeur de l’article 51 et les mandats du Conseil de sécurité 83 aériennes arrivent au bout de leur efficacité et constatant la permanence des tirs de roquettes du Hezbollah ainsi que sa résistance, plus forte qu’attendue, envisage une intervention terrestre sur les bases adverses du Sud-Liban. Cependant, le commandement israélien hésite : il ne veut pas être piégé par un enlisement possible, ainsi que cela s’est produit pour les Américains en Irak. Il se résoudra à des incursions, des raids, des opérations « coup de poing », suivies d’un rapide retour sur les bases de départ. Sans grand résultat!

Le bilan de l’action onusienne avoisine la nullité. En ce qui concerne une résolution condamnant les intentions nucléaires de l’Iran, elle est possible, mais encore le déploiement de sanctions prête à discussion de la part de la Russie et de la Chine, qui ne veulent pas donner une importance supplémentaire aux États-Unis. De plus, la Russie, ulcérée par le veto américain de l’admettre au sein de l’Organisation mondiale du commerce a une occasion rêvée de rendre à Washington la monnaie de sa pièce.

Ceci ne fera qu’allonger une liste de résolutions onusiennes sans suite. Le Conseil de sécurité a fini par adopter, le 27 juillet 2006, une déclaration faisant état du choc profond que lui cause les tirs israéliens qui ont tué quatre observateurs de l’ONU. Sous la menace d’un veto américain et britannique, il n’y a eu ni condamnation ni demande d’enquête. L’ONU ne défend même pas ses hommes. En revanche, la perspective d’un accord sur une résolution contraignant l’Iran à abandonner son programme d’enrichissement nucléaire semble prendre corps, mais se heurte au problème des sanctions demandées par les États-Unis.

Toute crise ou tout conflit se termine inévitablement par une sortie, une fin, même temporaire. Le premier élément, le plus facile à régler parce qu’il suffirait de le repousser dans le temps était celui que représentait l’Iran avec ses prétentions nucléaires, ponctuellement caractérisées par la suspension de son programme d’enrichissement d’uranium. Le Conseil de sécurité émit une résolution, la 1696ème, sommant l’Iran de procéder à cette suspension, sous peine, d’ici le 31 août 2006, de prendre des mesures pouvant aller jusqu’à des sanctions.

Les termes ont toutes leurs valeurs. En cas de rejet, le Conseil de sécurité prononcer des sanctions. Le contenu de ces sanctions, à peine évoqué, reste vague car il est clair qu’il ne peut s’agir d’un embargo sur le pétrole auquel la Chine mettrait immédiatement son veto, puisqu’elle tire de l’Iran une part vitale de ses importations pétrolières. Quant aux pays développés et industrialisés, ils ne peuvent être d’accord sur une mesure qui amènerait le baril à sauter à 80, voire 100 dollars et plus. Les sanctions possibles sont donc de pure forme. L’intervention militaire, avec mandat de l’ONU, pour les mêmes raisons, n’est pas envisageable, d’autant plus que les Américains sont bien incapables de s’en charger.

Les Iraniens ont alors beau jeu que de répondre aux Européens, à la date prévue du 22 août 2006, que le problème mériterait négociation…, réponse dilatoire préfigurant celle à l’ultimatum fixé au 31 août par la résolution 1696, une lettre morte de plus à l’actif de l’ONU.

Le conflit entre le Hezbollah et Israël eut sa fin proclamée par la résolution 1701, prise le 11 août 2006. Israël et les États-Unis avaient fini par accepter un arrêt des hostilités, et non un cessez-le-feu. La subtilité de la nuance a toute son importance pour une raison très simple : militairement, Tsahal n’arrivait pas à amener le Hezbollah à résipiscence. Un arrêt des hostilités permet de mener des opérations dites défensives, en d’autres termes, de continuer à mener des opérations contre le Hezbollah. Il n’y avait plus qu’à négocier une paix blanche. Cette paix est contenue dans les termes de la résolution 1701 qui ne se réfère pas au chapitre VII de la Charte et prévoit la mise en place d’une force des Nations unies dotée d’un mandat imprécis. Aucun accord politique n’est envisagé avant la mise en place de cette force constituée à partir de la FINUL, la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban, passant à 15.000 hommes et épaulant des éléments de l’armée libanaise, eux-mêmes aussi à hauteur de 15.000 hommes.

La moitié des effectifs de la FINUL renforcée doit être composée de contingents fournis par l’UE. L’autre moitié est en provenance d’États arabes ou asiatiques. Les Français, pour leur part, fournissent 2000 hommes en sus d’une logistique de 2000 hommes, correspondant au soutien de la FINUL ancien modèle, non renforcée. Les Italiens s’engagent à mettre en ligne 2500 hommes, contingent le plus fort numériquement sur le terrain, ce qui leur a permis de revendiquer le commandement de l’opération et qu’ils ont obtenu à partit de février 2007. Les Français conservent le commandement de la FINUL jusqu’à cette époque.

Après avoir appuyé le concept d’une force onusienne conséquente au Liban et avoir affirmé être prête à en prendre la responsabilité, la France fait savoir ses réticences. En effet, l’ambiguïté du mandat proposé condamnait la FINUL renforcée à une attitude qui rappelait fâcheusement celle qui avait prévalu en Bosnie pour les forces engagées sous l’égide de l’ONU. Une telle situation convenait assez bien à Israël comme au Hezbollah, derrière eux à l’Iran et à la Syrie, comme aux États-Unis, pour des raisons différentes, mais convergentes. En aucun cas dans la perspective d’une paix dans la région, tant il est évident qu’un accord politique ferme devait précéder la mise en place d’une force dotée d’un mandat clair, en cohérence avec l’accord politique. Faute de cet accord et d’un mandat clair, la force était condamnée à recevoir des coups et à les encaisser sans plus. Même son droit de légitime défense était sujet à caution.

Aussi, les atermoiements portés au discrédit de l’administration du président de la République française, peuvent-ils s’expliquer par la nécessité de négocier des aménagements dans le sens voulu par les Français. Que le commandement de la FINUL échappe aux Français à partir de février 2007 est incontestablement un revers que les Français pouvaient éviter en allouant à la FINUL un renforcement supérieur à celui des Italiens. C’est là que se situe l’erreur de la présidence de la République française.

Quant à la résolution 1559 du Conseil de sécurité du 2 septembre 2004, prévoyant le désarmement et la dissolution du Hezbollah, elle est passée à la trappe puisque nul n’est chargé de l’appliquer, en dehors de l’armée libanaise.

À ce stade, il apparaît que l’Iran a poussé les feux de la crise en soutenant le Hezbollah, voire en le lançant à l’assaut d’Israël, dans le but d’obtenir une opération de diversion et de couverture, face à des entreprises visant à l’obliger de suspendre ses recherches nucléaires.

L’ONU a été jouée. Toutes les négociations se sont déroulées entre les parties prenantes. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan était présent, mais n’a pas eu un mot à dire. Il en est de même de sa visite au Liban, le 28 août, où il vient entériner l’accord.

Les relations internationales demeurent marquées par des rapports de force. La construction onusienne qui date d’un demi-siècle ne le prend pas assez en compte.

La réforme de l’institution est à l’ordre du jour ; tous les États en conviennent. Le Conseil de sécurité doit être élargi pour faire une place permanente à des États dont la puissance s’est affirmée depuis 1945, notamment les grands vaincus de la Seconde Guerre mondiale que sont l’Allemagne et le Japon. L’élargissement a cependant l’inconvénient majeur de rendre encore plus difficile le processus décisionnel au sein du Conseil.

La paralysie de l’institution provient du droit de veto des membres permanents. S’il y a élargissement, les nouveaux membres auront-ils le droit de veto ? Au risque de doubler au moins les capacités de paralysie ! C’est l’attribution des mandats qui est en jeu.

Dernier élément, primordial, il est nécessaire que l’ONU, pour avoir une efficience avérée, puisse mettre en jeu une force militaire de coercition. Cela passe par la création d’un état-major militaire et de sa structure. Et la mise à disposition potentielle permanente d’une force militaire apte à jouer un rôle immédiat d’interposition est indispensable.

Les obstacles, trop nombreux sur la voie d’une réforme efficace de l’ONU, rendent les analystes sceptiques quant à la disparition des dysfonctionnements de l’institution qui autrement, ne peuvent que s’accentuer.

* Président de Démocraties.

 

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